A-277-85
Alberto Timpauer (requérant)
c.
Air Canada et Conseil canadien des relations du
travail (intimés)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone—
Toronto, 19 février; Ottawa, 19 mars 1986.
Relations du travail — Un agent de sécurité a conclu que la
fumée de tabac ne constituait pas un «danger imminent» pour
la santé du requérant au sens du Code — Cette décision a été
confirmée par le Conseil — Il n'existe pas de «danger immi
nent» — L'interprétation qu'a faite le Conseil de l'expression
«danger imminent» n'est pas manifestement déraisonnable —
Il n'y a eu aucun excès de compétence — La Cour fait une
mise en garde contre la modification des décisions des tribu-
naux spécialisés d'origine législative Le refus du Conseil
d'entendre le témoignage du médecin du requérant et celui
d'un allergologiste équivaut à un déni de justice naturelle —
Nonobstant l'art. 82.1(9) du Code, le Conseil a le devoir
d'entendre toute la preuve pertinente et de décider des faits
avant de trancher la question en fonction de son interprétation
de l'expression «danger imminent» — La demande d'examen
et d'annulation de la décision du Conseil est accueillie — Code
canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 82.1 (édicté
par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 28; mod. par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 47, art. 53), 122 (mod. idem, art. 43) — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(1)a).
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Relations du
travail — Le Conseil a confirmé la décision d'un agent de
sécurité concluant que la fumée de tabac se trouvant dans un
lieu de travail ne constituait pas un «danger imminent» pour la
santé — Le refus du Conseil d'examiner des éléments de
preuve de nature médicale et scientifique portant sur les effets
à long terme de la fumée de tabac ne constitue pas une
question se rapportant à sa compétence — La Cour ne serait
pas justifiée d'intervenir s'il y avait eu erreur de droit dans
l'interprétation de l'expression «danger imminent» — L'inter-
prétation n'est pas déraisonnable — Comme le Conseil possède
des connaissances spécialisées, cette interprétation doit être
respectée — Le Conseil n'a pas excédé sa compétence en tenant
compte du retard du requérant à invoquer la loi — Le refus
d'entendre les témoignages d'experts médecins sur l'effet
immédiat de la fumée sur la santé du requérant constitue un
déni de justice naturelle — Les témoignages que le Conseil a
refusé d'entendre auraient peut-être jeté sur la question un
éclairage déterminant — Un tribunal ne peut dire à une, partie
que le témoin qu'elle veut citer ne peut être utile et trancher
sans l'entendre — Le tribunal ne pouvait procéder à l'appré-
ciation des faits et juger du fond de la question sur le
fondement de son interprétation du Code qu'après avoir
entendu toute preuve pertinente que l'une ou l'autre partie
désirait présenter — Demande accueillie — Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 82.1 (édicté par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 28; mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 53), 122 (mod. idem, art. 43) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28(1)a).
La demande en l'espèce vise l'examen et l'annulation d'une
décision du Conseil canadien des relations du travail qui a
confirmé la conclusion d'un agent de sécurité suivant laquelle la
présence de fumée de tabac dans le lieu de travail du requérant
ne constituait pas un «danger imminent» pour sa santé au sens
de l'article 82.1 du Code canadien du travail. Selon le Conseil,
une personne est en situation de danger imminent lorsqu'elle a
des motifs raisonnables de croire qu'elle est sur le point d'être
réellement et immédiatement blessée et qu'elle doit quitter les
lieux pour éviter de l'être. Appliquant ce critère ainsi inter-
prété, le Conseil a conclu que le requérant ne s'était pas trouvé
dans une situation de danger imminent le jour où il a refusé de
travailler en prétendant que la fumée de tabac se trouvant sur
le lieu de son travail constituait un danger imminent pour sa
santé. Le Conseil a trouvé un appui pour sa conclusion dans le
fait que le requérant avait depuis longtemps l'intention d'invo-
quer cette disposition et avait même reporté ce projet du
vendredi au lundi suivant afin de réduire les inconvénients qu'il
causerait à Air Canada, son employeur. Le requérant soutient
que le Conseil a excédé sa compétence et a violé un principe de
justice naturelle.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
En exerçant les pouvoirs qu'il détient en vertu du paragraphe
82.1(9) du Code, le Conseil devait décider si l'agent de sécurité
avait eu raison de conclure qu'il n'existait pas de «danger
imminent». La Cour ne serait pas justifiée d'intervenir si le
Conseil avait commis une simple erreur de droit dans l'interpré-
tation de ce terme; il devait être démontré que l'interprétation
en question était manifestement déraisonnable.
La Cour n'a pas pu en arriver à une telle conclusion.
L'expression «danger imminent» n'est pas définie dans la
législation et ne constitue pas une expression technique. La
Cour a conclu que l'interprétation donnée par le Conseil devait
être respectée puisque celui-ci possédait des connaissances spé-
cialisées. Plusieurs décisions de la Cour suprême mettant en
garde contre la modification injustifiée des décisions des tribu-
naux spécialisés d'origine législative ont appuyé cette conclu
sion. Considérant l'interprétation adoptée par le Conseil, il ne
peut âtre dit que celui-ci s'est trompé en refusant d'examiner la
preuve scientifique et médicale se rapportant aux effets à long
terme de la fumée de tabac et en restreignant son enquête à
l'effet de la fumée sur la santé du requérant lui-même.
La Cour ajoute que le Conseil n'a pas excédé sa compétence
en tenant compte du retard du requérant à invoquer la loi ou en
parlant de l'effet que pourrait avoir une décision favorable à ce
dernier sur les autres employés relevant de la compétence
fédérale en matière de relations industrielles. Ces considéra-
tions n'étaient pas nécessaires à sa décision confirmant la
décision de l'agent de sécurité.
L'argument du requérant voulant que le refus de citer cer-
tains témoins qui lui a été opposé constitue un déni de justice
naturelle devrait être accepté. Le Conseil, même si le paragra-
phe 82.1(9) du Code lui ordonne d'agir «sans retard et de façon
sommaire», restait tenu d'enquêter sur les faits et d'entendre les
deux parties au litige avant de décider de la question en
fonction de son interprétation de l'expression «danger immi
nent». Le Conseil ne pouvait pas décider correctement de l'effet
de la fumée sur la santé du requérant en se fondant uniquement
sur la description que celui-ci a donnée de sa réaction à la
fumée de tabac. Le médecin du requérant et l'allergologiste,
étant donné leur compétence et leurs connaissances particuliè-
res, auraient peut-être jeté sur la question un éclairage détermi-
nant. En refusant de les entendre, le Conseil a manqué à la
justice naturelle à l'endroit du requérant. Un tribunal a l'obli-
gation d'entendre les témoins et d'écouter leur témoignage.
Lorsqu'une partie désire produire d'autres témoins, un tribunal
ne peut jamais dire: «Le témoin que vous voulez citer ne peut
d'aucune façon nous être utile; aussi, trancherons-nous contre
vous sans l'entendre.»
Le Conseil a prétendu que, même s'il y avait eu manquement
à la justice naturelle, cette Cour ne pourrait modifier sa
décision puisque ce manquement se situerait au niveau de son
interprétation de l'expression «danger imminent» et que cette
interprétation n'est pas manifestement déraisonnable. Cet argu
ment a été rejeté. La décision rendue par la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Bibeault et autres c. McCaffrey, sur
laquelle s'est appuyé le Conseil, a été distinguée de l'espèce en
ce que, dans cette affaire, il n'existait aucun motif permettant
de soutenir que la justice naturelle n'avait pas été respectée. En
l'espèce, le Conseil, pour décider si les circonstances révélaient
l'existence d'un «danger imminent», devait tout d'abord enten-
dre toute preuve pertinente que l'une ou l'autre partie désirait
présenter et ensuite procéder à l'appréciation des faits.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Bibeault et autres c. McCaffrey, [1984] 1 R.C.S. 176.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Fraser c. Commission des relations de travail dans la
Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; (1986), 63 N.R.
161; Vye v. Vye, [1969] 2 All E.R. 29 (P.D.A.); Syndicat
des employés de production du Québec et de l'Acadie c.
Conseil canadien des relations du travail et autres,
[1984] 2 R.C.S. 412.
DÉCISIONS CITÉES:
Eastern Provincial Airways Limited c. Conseil canadien
des relations du travail, [1984] 1 C.F. 732 (C.A.); Union
internationale des employés des services, local no. 333 c.
Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1
R.C.S. 382; Syndicat canadien de la Fonction publique,
section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau
Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Syndicat des camion-
neurs, section locale 938 c. Massicotte et autre, [1982] 1
R.C.S. 710; Banque Nationale du Canada c. Union inter-
nationale des employés de commerce et autre, [1984] 1
R.C.S. 269.
AVOCATS:
Lewis Eisen et David Keeshan pour le
requérant.
Guy L. Poppe, G. Delisle et K. Edward pour
Air Canada, intimée.
Dianne Pothier pour le Conseil canadien des
relations du travail, intimé.
PROCUREURS:
Lewis Eisen, Toronto, pour le requérant.
Air Canada, Toronto, pour son propre
compte.
Conseil canadien des relations du travail,
Ottawa, pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Le requérant est employé par
Air Canada. Il s'oppose à ce que l'on fume du
tabac sur son lieu de travail parce qu'il considère
que cela préjudicie à sa santé. Dans la présente
demande, fondée sur l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur
la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10], il sollicite l'examen et l'annulation d'une déci-
sion du Conseil intimé (ale Conseil»). Cette déci-
sion a confirmé la conclusion d'un agent de sécu-
rité exerçant les pouvoirs qui lui sont conférés par
le Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap.
L- l ], conclusion suivant laquelle la présence de
fumée de tabac dans le lieu de travail du requérant
au cours de l'après-midi du 28 janvier 1985, alors
qu'il était en poste, n'a pas constitué un adanger
imminent» pour sa santé au sens de l'article 82.1
du Code [édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art.
28; mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art.
53].
Le requérant est chef préposé d'escale à la sec
tion du bagage international de l'aérogare 2 de
l'aéroport international Lester B. Pearson de
Toronto. Cette section comprend une grande pièce
d'environ 400 pieds par 40 pieds. Dans un coin ont
été aménagés une pièce destinée aux repas et deux
petits bureaux. Dix grandes portes donnant sur
l'aire de stationnement permettent l'entrée et la
sortie des convois de bagage. La manipulation des
bagages a lieu dans la grande pièce et dans une
aire adjacente à l'aire de stationnement, aire dans
laquelle se trouvent plusieurs structures intégrées.
Le nombre moyen des personnes employées dans la
section des bagages est de 120. Ces personnes
forment deux équipes. Le requérant dirige une
équipe de préposés d'escale, dont le nombre varie
entre 28 et 40 selon que leur poste est celui de
l'avant-midi ou de l'après-midi.
Pendant les heures de travail, il est permis de
fumer dans la pièce des bagages et dans les
bureaux qui y sont aménagés ainsi que dans les
structures extérieures. En ce qui concerne la pré-
sence de fumée dans la pièce des bagages elle-
même, le Conseil a conclu à la page 4 de ses motifs
de décision:
[TRADUCTION] Seule une minorité (quoique importante) d'em-
ployés fument dans la grande consigne. Néanmoins, en raison
de leur nombre, il y a presque toujours une personne au moins
qui y fume. La consigne est aérée à la fois mécaniquement et
naturellement, mais on n'a pas pu établir pour le Conseil
jusqu'à quel point la ventilation réussit à éliminer la fumée,
l'odeur du tabac ou les divers composés qui résultent de la
combustion du tabac.
L'air circulant dans le bureau d'attribution des tâches et celui
du superviseur a été décrit comme étant plutôt vicié parce que
les personnes qui y travaillent fument. En effet, ces bureaux ne
sont à peu près pas aérés. Une semblable situation sévit d'ail-
leurs dans les abris de type remorque se trouvant à l'extérieur.
Au cours des mois qui ont précédé l'incident, le
requérant a tenté de convaincre son employeur
d'interdire complètement à ses employés de fumer.
A la page 5 de ses motifs, le Conseil a décrit de la
manière suivante la réaction du requérant à la
fumée:
[TRADUCTION] Le plaignant a déposé qu'il lui arrivait, de
façon habituelle, d'avoir des réactions désagréables à la fumée
du tabac, soit des yeux rougis, des larmoiements, des sinus
douloureux et une sécrétion abondante de mucus. De plus, il
quittait souvent son travail en souffrant d'un violent mal de
tête. Ces malaises cessaient cependant moins d'une heure après
son départ des lieux de travail enfumés. Une fois, cependant, il
avait saigné du nez et avait dû se rendre à l'hôpital pour se faire
soigner.
L'incident à la source du litige actuel est survenu
le 28 janvier 1985, peu de temps après l'arrivée du
requérant à son lieu de travail pour le poste de
l'après-midi. Aux pages 5 et 6 de ses motifs, le
Conseil décrit ce qui s'est passé à ce moment-là:
[TRADUCTION] À cette dernière date, soit un lundi, il est arrivé
au travail à 13 h et a remarqué qu'il y avait une »odeur fétide
de fumée de cigare» dans le bureau du superviseur. Plusieurs
fois déjà, il avait songé à invoquer l'article du Code relatif au
«danger imminent». En effet, il avait eu l'intention d'y recourir
le vendredi précédent, mais il avait renoncé à son projet à cause
du risque de ne pas pouvoir obtenir la présence immédiate des
agents de sécurité. De plus, comme l'aérogare était moins
occupée le lundi, il avait pensé que cette journée conviendrait
davantage, son refus de travailler causant alors moins d'incon-
vénients à l'employeur. Quoi qu'il en soit, le fait qu'un employé
avait allumé une cigarette en sa présence, après qu'il eut
constaté l'odeur de cigare, a suffi pour qu'il décide de refuser
de travailler et qu'il se plaigne que la fumée de tabac consti-
tuait dès lors un danger imminent pour sa santé.
L'article du Code qui traite du «danger immi
nent» et sur lequel s'appuie le requérant est l'arti-
de 82.1. Celui-ci contient un ensemble de disposi
tions plutôt longues et détaillées concernant le
refus d'une personne d'accomplir son travail et les
mesures qui doivent être prises dans de telles cir-
constances. Le texte intégral de cet article est ainsi
libellé:
82.1 (1) Quiconque, étant employé dans le cadre d'une
entreprise fédérale, a des motifs raisonnables de croire
a) que l'utilisation ou le fonctionnement d'une machine, d'un
dispositif ou d'une chose constituerait un danger imminent
pour sa propre sécurité ou santé ou pour celle d'un autre
employé, ou
b) qu'il existe, dans un lieu de travail, des circonstances qui
constituent un danger imminent pour sa sécurité ou sa santé
peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner la machine, le
dispositif ou la chose ou de travailler dans ce lieu.
(2) L'employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe
(1) doit faire immédiatement un rapport sur la question à son
supérieur hiérarchique ou à son employeur ainsi que, le cas
échéant, au comité d'hygiène et de sécurité duquel il relève,
constitué en conformité de l'article 84.1.
(3) Dès qu'il a reçu le rapport visé au paragraphe (2),
l'employeur ou le supérieur hiérarchique auquel l'employé s'est
adressé doit immédiatement faire une enquête sur ce rapport,
en présence de l'employé et
a) d'au moins un membre du comité d'hygiène et de sécurité
auquel l'employé s'est adressé, le cas échéant, en conformité
du paragraphe (2), ledit membre ne devant pas participer à
la direction;
b) d'une personne autorisée par le syndicat, s'il y en a un, qui
représente l'employé; ou
c) d'au moins une personne désignée par l'employé lorsqu'il
n'existe pas de comité d'hygiène et de sécurité auquel il
puisse s'adresser et lorsqu'il n'y a pas de syndicat qui le
représente.
(4) Lorsque l'employeur ou le supérieur hiérarchique con-
teste le rapport que lui fait l'employé en conformité du paragra-
phe (2) ou prend des mesures pour éliminer le danger, l'em-
ployé qui a des motifs raisonnables de croire
a) que l'utilisation ou le fonctionnement de la machine, du
dispositif ou de la chose concernée constitue ou continue à
constituer un danger imminent pour sa propre sécurité ou
santé ou pour celle d'un autre employé, ou
b) qu'il existe ou continue d'exister, dans un lieu de travail,
des circonstances qui constituent un danger imminent pour sa
sécurité ou sa santé,
peut réitérer son refus d'utiliser ou de faire fonctionner la
machine, le dispositif ou la chose ou de travailler dans ce lieu.
(5) Lorsqu'un employé réitère son refus en conformité du
paragraphe (4), l'employeur ou le supérieur hiérarchique de
même que l'employé doivent respectivement en aviser immédia-
tement un agent de sécurité qui doit, dès la réception de l'un ou
l'autre des avis, faire, ou faire faire par un autre agent, une
enquête sur la question en présence de l'employeur ou du
supérieur hiérarchique et de l'employé ou de la personne qu'il a
désignée.
(6) Au terme de l'enquête visée au paragraphe (5), l'agent de
sécurité doit décider de l'existence ou de l'inexistence
a) d'un danger imminent pour la sécurité ou la santé des
employés résultant de l'utilisation ou du fonctionnement de la
machine, du dispositif ou de la chose concernée, ou
b) dans les lieux concernés, d'une situation constituant un
danger imminent pour la sécurité ou la santé de l'employé
visé au paragraphe (5),
et aviser immédiatement de sa décision toute personne l'ayant
avisé en vertu du paragraphe (5).
(7) Lorsqu'en vertu du paragraphe (6), l'agent de sécurité
décide qu'il résulte de l'utilisation ou du fonctionnement d'une
machine, d'un dispositif ou d'une chose un danger imminent
pour la sécurité ou la santé d'un employé ou qu'il existe dans les
lieux concernés une situation constituant un danger imminent
pour la sécurité ou la santé d'un employé, il doit donner, en
vertu du paragraphe 94(1), la directive qu'il juge indiquée, et
un employé peut continuer à refuser d'utiliser ou de faire
fonctionner la machine, le dispositif ou la chose ou de travailler
dans les lieux concernés jusqu'à ce que la directive ait été
appliquée ou qu'elle ait été modifiée ou annulée en vertu du
paragraphe 95(2).
(8) Lorsqu'en vertu du paragraphe (6), l'agent de sécurité
décide qu'il ne résulte pas de danger imminent pour la sécurité
ou la santé d'un employé de l'utilisation ou du fonctionnement
d'une machine, d'un dispositif ou d'une chose, ou qu'il n'y a pas
dans les lieux concernés de situation constituant un danger
imminent pour la sécurité ou la santé d'un employé, un employé
ne peut s'autoriser du présent article pour réitérer son refus
d'utiliser ou de faire fonctionner la machine, le dispositif ou la
chose ou de travailler dans les lieux concernés, mais il peut par
écrit et dans un délai de sept jours à compter de la réception de
la décision visée au paragraphe (6), exiger que l'agent de
sécurité réfère sa décision au Conseil canadien des relations du
travail, l'agent de sécurité étant tenu d'obtempérer.
(9) Le Conseil canadien des relations du travail procède sans
retard et de façon sommaire à l'examen des faits et des motifs
de la décision dont il a été saisi en vertu du paragraphe (8) et
a) le confirme; ou
b) donne à l'égard de la machine, du dispositif, de la chose ou
des lieux concernés toute directive qu'il juge indiquée et que
doit ou peut donner, aux termes du paragraphe 94(1), l'agent
de sécurité s'il arrive à la conclusion qu'ils constituent une
source de danger imminent pour la sécurité ou la santé des
employés concernés.
(10) Lorsqu'il donne une directive en conformité du paragra-
phe (9), le Conseil canadien des relations du travail doit faire
afficher sur la machine, le dispositif, la chose ou les lieux qui
constituent un danger, ou à proximité de ceux-ci, un avis du
danger, en la forme prescrite par le Ministre, et nul ne doit
enlever l'avis sans l'autorisation d'un agent de sécurité ou du
Conseil canadien des relations du travail.
(11) Nul ne doit effectuer ni demander que soit effectué un
travail dans un lieu ou avec une machine, un dispositif ou une
chose qui fait l'objet d'une directive du Conseil canadien des
relations du travail en interdisant l'usage conformément au
paragraphe (9) avant que cette directive n'ait été observée; le
présent article n'empêche nullement l'exécution de travaux ou
choses nécessaires à la mise en application de la directive.
(12) Aux fins du présent article,
a) ne constitue pas un danger imminent pour la sécurité ou la
santé d'un employé ou celle d'autres employés, le fait que cet
employé utilise ou fasse fonctionner une machine, un disposi-
tif ou une chose dans une situation ou circonstance détermi-
née si cette utilisation ou ce fonctionnement est normal dans
l'exercice de son métier ou l'exécution de son travail;
b) ne constitue pas un danger imminent pour la sécurité ou la
santé d'un employé les circonstances déterminées qui existent
dans un lieu où travaille cet employé si ces circonstances sont
normales dans un lieu où est exercé son métier ou exécuté son
travail; et
c) un danger imminent pour la sécurité et la santé d'un
employé comprend des circonstances qui existent dans un lieu
où les niveaux de rayonnement permis par le gouvernement
fédéral ou un gouvernement provincial ont été dépassés.
Les parties ne pouvant s'entendre, le litige a été
porté devant un agent de sécurité aux fins d'en-
quête conformément au paragraphe 82.1(5) du
Code. L'agent de sécurité (M. Monteith) s'est
rendu sur le lieu de travail l'après-midi même. Il
s'est entendu avec le requérant ainsi que trois
membres de l'équipe de supervision. Il a également
discuté de la question avec un ingénieur en hygiène
industrielle attaché à la direction de la SHT
[Sécurité et hygiène au travail] à Ottawa. Il a
décidé qu'aucune situation de «danger imminent»
n'avait existé et en a avisé le requérant. Cette
conclusion figure dans son rapport écrit du 6
février 1985:
[TRADUCTION] Suite à l'enquête tenue au sujet du refus de
travailler survenu dans le cours des activités du module M de la
pièce des bagages, il a été conclu qu'il n'existait aucune situa
tion de danger imminent.
Peu après, le requérant, se fondant sur le para-
graphe 82.1(8) du Code, a exigé que le rapport soit
référé au Conseil pour qu'il procède «sans retard et
de façon sommaire à l'examen des faits et des
motifs de la décision» ainsi que le prévoit le para-
graphe 82.1(9). Des arrangements ont bientôt été
pris pour que les parties soient entendues à
Toronto, et l'audience y a été tenue le 6 mars
1985. Les motifs de la décision du Conseil confir-
mant celle de l'agent de sécurité portent la date
du 14 mars 1985. Le Conseil, après avoir cité
certaines de ses propres décisions a, à la page 8 de
ses motifs, dit ce qui suit sur la signification qui
doit être donnée à l'expression «danger imminent»:
[TRADUCTION] Pour simplifier, on peut dire d'une personne
qu'elle est dans une situation de danger imminent lorsqu'elle est
sur le point d'être réellement et immédiatement blessée et
qu'elle doit quitter les lieux pour éviter de l'être. Hormis les cas
où des limites d'exposition sont établies, l'intention du législa-
teur n'était pas de permettre l'application de ces dispositions
législatives à une étape quelconque d'un long processus de
rassemblement de conditions et de circonstances qui, à partir
d'un certain point, pourrait en effet constituer un réel danger
pour la sécurité et la santé. Les dispositions du Code concer-
nant le danger imminent visent à protéger les employés qui,
dans l'immédiat, sont convaincus que le toit va s'écrouler et
qu'ils doivent, pour leur salut, se retirer sur-le-champ. Mais
elles ne constituent pas et n'ont jamais constitué un recours
pour les personnes qui craignent la présence dans leur environ-
nement de travail de quelque chose qui ne fait pas l'objet de
limites d'exposition déterminées, mais dont les effets pourraient
être susceptibles, à long terme et de façon cumulative, de nuire
à leur santé.
Appliquant ce critère aux faits sur lesquels il
devait se prononcer, le Conseil a conclu aux pages
9 et 10 de ses motifs:
[TRADUCTION] Le 28 janvier 1985, le plaignant ne s'est pas
trouvé dans une situation de danger imminent, selon la défini-
tion et l'interprétation données traditionnellement à ce dernier
terme. Il était certainement ennuyé par la fumée et justement
préoccupé par les effets à long terme de celle-ci sur sa santé,
mais il ne se trouvait pas dans une situation de danger immi
nent au sens du Code, comme le démontre d'ailleurs le fait qu'il
ait attendu très longtemps avant d'invoquer les dispositions en
question d'un danger imminent, puisqu'il a reporté son projet
du vendredi au lundi suivant, afin de réduire les inconvénients
qu'il causerait à l'employeur. De plus, il invoquait ces disposi
tions du Code à titre de dernier recours, ses autres moyens
d'action ayant échoué. Mais, en fait, l'exercice du droit de
refuser de travailler ne saurait constituer un dernier recours,
malgré la publicité qu'obtient dès lors une plainte. M. Tim-
pauer avait été en rapport avec Travail Canada pendant plu-
sieurs mois, et plus particulièrement, avec M. Monteith. Son
insatisfaction à l'égard des résultats obtenus aurait pu être
portée à l'attention des supérieurs de ce dernier, au Ministère,
ou même, afin que des politiques ou des programmes d'applica-
tion générale soient élaborés, à l'attention du Ministre lui-
même. (Nul doute d'ailleurs que cette question sera d'ici peu à
l'ordre du jour des organismes chargés de la réglementation en
matière d'hygiène et de sécurité). Voilà en quoi consiste le
recours ultime qu'une personne doit utiliser en de telles circons-
tances. On ne doit donc pas avoir recours aux dispositions du
Code relatives au danger imminent parce qu'on en a assez, mais
parce que le toit est sur le point de s'écrouler et que la prudence
exige que l'on quitte les lieux.
Le requérant conteste la décision du Conseil en
se fondant sur deux motifs. En premier lieu, il
allègue l'inobversation d'un principe de justice
naturelle dans la tenue de l'enquête. Deuxième-
ment, il prétend que le Conseil a outrepassé les
limites de sa compétence de plusieurs manières. Il
est également affirmé que le Conseil, en interpré-
tant l'expression «danger imminent» comme il l'a
fait, s'est engagé dans une enquête qui ne lui était
pas confiée. Il ne fait aucun doute que les motifs
présentés à l'appui de la contestation de la décision
du Conseil reflètent la clause privative figurant à
l'article 122 du Code [mod. par S.C. 1977-78,
chap. 27, art. 43], qui est ainsi libellé:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée
par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure où le paragraphe (1) le permet,
aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite ou
prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des dispositions
de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites ou
restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribunal
soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo
warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la
juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le Conseil
a outrepassé ou perdu sa juridiction.
L'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale,
pour sa part, prévoit que:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
Il ressort à l'évidence—et il est admis—qu'une
décision du Conseil ne ressortit aux pouvoirs d'exa-
men de cette Cour que s'il est démontré que la
justice naturelle n'a pas été observée ou que le
Conseil a excédé ou refusé d'exercer sa compé-
tence. Sans cela, cette Cour ne peut intervenir.
Demeure donc la question de savoir si le requérant
a fait valoir un fondement à l'appui du redresse-
ment qu'il sollicite dans la demande en l'espèce.
COMPÉTENCE
Je traiterai tout d'abord de la question de la
compétence. Selon le premier argument présenté
en l'espèce, le Conseil aurait dû, pour déterminer
s'il y avait «danger imminent» pour la santé du
requérant, tenir compte d'éléments de preuve
médicaux et scientifiques. À la page 2 de ses
motifs, le Conseil a affirmé clairement qu'il consi-
dérait qu'une telle preuve était—ou, si elle était
admise, serait—non pertinente. Il a dit:
[TRADUCTION] Il a aussi été précisé que l'enquête porterait
spécifiquement sur la plainte de M. Timpauer, selon laquelle la
fumée du tabac à son lieu de travail constituait, le 28 janvier
1985, un danger imminent, et non sur une quelconque question
d'ordre général, comme les droits des non-fumeurs, et ce,
malgré la sympathie que ceux-ci peuvent inspirer. Les parties
ont été informées alors, ainsi qu'à plusieurs autres reprises
pendant l'enquête, qu'il n'était ni utile ni pertinent, en l'espèce,
de présenter au Conseil les opinions contradictoires d'experts
scientifiques sur les effets de la fumée indirecte du tabac sur
l'organisme humain en général, ces experts connaissant proba-
blement à peine le plaignant et son lieu de travail.
Il est également soutenu que le Conseil n'aurait dû
tenir compte ni du retard mis par le requérant à
invoquer les dispositions du Code prévoyant le
refus de travailler ni de l'effet possible d'une déci-
sion favorable au requérant sur les autres
employeurs dont les relations de travail relèvent de
la compétence fédérale. Finalement, il a été sou-
tenu que le Conseil aurait dû traiter de façon
générale de la question soulevée par la présence de
fumée dans le lieu de travail du requérant et non
limiter, comme il l'a fait, son enquête à l'effet de la
fumée sur la seule santé de ce dernier. J'ai déjà
cité l'opinion du Conseil sur le retard mis à invo-
quer la protection du Code. Aux pages 10 et 11 de
ses motifs, le Conseil énonce son point de vue sur
les conséquences qu'une décision favorable au
requérant risquerait d'entraîner pour les autres
employeurs:
[TRADUCTION] Toutefois, d'ici là, tout recours à l'article 82.1
du Code canadien du travail ou au Conseil, dans le but
d'accélérer ce mouvement, semble injustifié. Même si le point
de vue défendu par M. Timpauer est manifestement fondé,
socialement et médicalement, il ne l'est pas légalement, aux
termes du Code canadien du travail. En fait, si le Conseil avait
jugé légalement valable l'argument du plaignant, il n'aurait pas
vraiment statué, mais il aurait édicté une révolution sociale,
puisqu'une ordonnance enjoignant Air Canada d'interdire
l'usage du tabac sur les lieux de travail aurait vite fait de
s'appliquer à tous les autres employeurs qui relèvent de la
compétence fédérale en matière de relations de travail. Une
telle interdiction s'imposera peut-être dans l'avenir, mais il
n'incombe pas au Conseil canadien des relations [du travail] de
se substituer au législateur pour décider d'un important chan-
gement social; c'est en fait au gouvernement et au Parlement
d'intervenir.
Je ne considère pas que le refus du Conseil
d'examiner des éléments de preuve de nature médi-
cale et scientifique constitue une question se rap-
portant à sa compétence. Une partie de cette
preuve a été admise alors que, ainsi que nous le
verrons bientôt, une plus grande partie en a été
refusée. Je traiterai de façon détaillée du refus
d'admettre cette preuve en temps voulu. Je ne crois
pas non plus que le Conseil ait commis une erreur
en limitant son enquête à l'effet de la fumée sur la
santé du requérant lui-même. Il me semble que
l'opinion du Conseil sur ces questions a procédé de
son interprétation de l'expression «danger immi
nent». Les pouvoirs relatifs à sa compétence,
comme tels, se trouvent énoncés au paragraphe
82.1(9) du Code. En les exerçant, le Conseil devait
décider si l'agent de sécurité avait raison de con-
clure que, à l'époque pertinente, il n'existait pas de
«danger imminent» pour la santé du requérant. La
Cour ne serait pas justifiée d'intervenir si le Con-
seil avait commis une simple erreur de droit dans
l'interprétation de ce terme; il devrait être démon-
tré que l'interprétation en question était manifeste-
ment déraisonnable (Union internationale des
employés des services, local no. 333 c. Nipawin
District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S.
382; Syndicat canadien de la Fonction publique,
section locale 963 c. Société des alcools du Nou-
veau Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Syndicat
des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte
et autre, [1982] 1 R.C.S. 710; Banque Nationale
du Canada c. Union internationale des employés
de commerce et autre, [ 1984] 1 R.C.S. 269;
Bibeault et autres c. McCaffrey, [1984] 1 R.C.S.
176; Syndicat des employés de production du
Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des
relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S
412).
Je suis incapable de dire que l'interprétation
donnée à cette expression par le Conseil est mani-
festement déraisonnable. Cette expression n'est pas
définie dans la législation et ne constitue certaine-
ment pas une expression technique. Comme le
Conseil possède des connaissances spécialisées, il
me semble que l'on doive respecter l'interprétation
qu'il a donnée à cette expression. Considérant cette
interprétation, je ne puis reprocher au Conseil
d'avoir écarté ou de n'avoir pas examiné la preuve
médicale et scientifique se rapportant à ce qu'il a
appelé «les effets à long terme» de la fumée de
tabac sur la santé du requérant, ni blâmer le
Conseil d'avoir restreint son enquête à l'effet de la
fumée sur la santé du requérant lui-même. Dans
les décisions que nous avons déjà mentionnées, la
Cour suprême du Canada a fait une mise en garde
contre la modification des décisions des tribunaux
spécialisés d'origine législative. Cette Cour a, plus
récemment, répété cet avertissement dans l'affaire
Fraser c. Commission des relations de travail
dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455;
(1986), 63 N.R. 161. À la page 464 R.C.S.; 171
N.R., le juge en chef du Canada (exprimant l'opi-
nion de la Cour) a dit ce qui suit:
Il est essentiel que les tribunaux adoptent une attitude modérée
à l'égard de la modification des décisions des tribunaux admi-
nistratifs spécialisés, particulièrement dans le contexte des rela
tions de travail, s'ils doivent respecter les intentions et les
politiques du Parlement et des assemblées législatives des pro
vinces qui les ont amenés à créer ces tribunaux: voir Union
internationale des employés des services, local no. 333 c.
Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] I R.C.S.
382, et Syndicat canadien de la Fonction Publique, section
locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick,
[1979] 2 R.C.S. 227.
Résumant le point de vue qu'il faisait valoir, l'avo-
cat, s'appuyant sur les décisions antérieures, a
prétendu que le Conseil avait [TRADUCTION] «le
droit de se tromper». Personnellement, je considère
que cette façon d'exprimer les choses est malheu-
reuse et même quelque peu choquante. Je préfère-
rais dire simplement qu'à moins qu'il ne soit
démontré que l'interprétation donnée par le Con-
seil à l'expression «danger imminent» est manifes-
tement déraisonnable, celui-ci est à l'abri de l'exa-
men judiciaire.
Je suis également incapable de dire que le Con-
seil a excédé sa compétence en tenant compte du
retard du requérant à invoquer la loi ou en parlant
de l'effet que pourrait avoir une décision favorable
à ce dernier sur les autres employés relevant de la
compétence fédérale en matière de relations indus-
trielles. Selon moi, il est évident que le Conseil est
arrivé à sa conclusion indépendamment de ces
considérations et que, en conséquence, celles-ci
n'étaient pas nécessaires à sa décision confirmant
la décision de l'agent de sécurité. Le principe
auquel je pense est celui qu'a appliqué le juge
Beetz dans l'affaire Syndicat [des employés de
production du Québec et de l'Acadie] (précitée).
Même si, dans cette affaire, il était question d'une
erreur commise sur une disposition attributive de
compétence, je suis d'avis que le même raisonne-
ment peut s'appliquer en l'espèce. Il a dit (à la
page 437):
Précisons de plus qu'une erreur commise par un tribunal
administratif sur une disposition attributive de compétence
entraînera le plus souvent, mais non pas nécessairement, un
excès de compétence ou un refus de l'exercer. Par exemple, une
erreur commise à ce sujet dans un obiter dictum et qui n'aurait
pas pour conséquence d'induire le tribunal administratif qui la
commet à exercer un pouvoir que la loi lui refuse ou à décliner
d'exercer un pouvoir que la loi lui impose ne constituerait pas
une erreur juridictionnelle donnant ouverture à révision
judiciaire.
LA JUSTICE NATURELLE
Le requérant a tenté d'appuyer son argument
voulant que les règles de justice naturelle n'aient
pas été respectées sur le fait que, à l'enquête du 6
mars 1985, on lui a refusé de citer certains
témoins. Le paragraphe 4 de l'affidavit souscrit le
18 juin 1985, lequel a été versé au dossier soumis à
notre appréciation, contient le nom de ces témoins
et énonce la nature de la preuve qu'il avait l'inten-
tion de présenter par leur entremise. Ce paragra-
phe est ainsi libellé:
[TRADUCTION] 4. Lors de l'audience qui a été tenue sur cette
question, mon avocat a avisé le Conseil qu'il avait l'intention de
faire entendre les témoins suivants:
i) Le D' Robert Grossman, mon propre médecin, afin qu'il
témoigne sur mon état de santé général et fasse connaître son
opinion sur les effets de la fumée sur ma santé;
ii) Le D' Donald Wigle, de la Division des maladies non
transmissibles [Bureau de l'épidémiologie], Direction générale
de la protection de la santé, ministère de la Santé et du
Bien-être social du Canada, pour témoigner sur le point de vue
du Ministère sur la question de la fumée et faire part de
l'opinion qu'il aurait transmise à Travail Canada s'il avait été
consulté;
iii) Le D' James Repace, un expert en matière de ventilation
et de qualité de l'air, afin qu'il témoigne que la méthode de la
ventilation proposée par Air Canada relativement à ce problè-
me est inefficace;
iv) un allergologiste, peut-être le D' Lawrence Rosen ou le D'
Raymond Stein, afin qu'il explique quelles sont les conséquen-
ces médicales de mes réactions allergiques.
À la page 7 de ses motifs, le Conseil a énoncé sa
décision sur cette demande dans les termes
suivants:
[TRADUCTION] L'avocat de M. Timpauer a informé le Conseil
qu'il avait pris des dispositions afin de faire témoigner plusieurs
experts au sujet, entre autres, des effets nocifs des divers
composés résultant de la combustion du tabac, de l'inefficacité
de la ventilation à éliminer ces substances de l'air ambiant, et
d'autres questions relatives à l'importance de protéger les non-
fumeurs contre la fumée du tabac. Il a aussi proposé de faire
décrire par le médecin de famille de M. Timpauer, les effets
nocifs de la fumée dont celui-ci était victime à son lieu de
travail. Toutefois, le Conseil a décidé, tel qu'il l'a d'ailleurs déjà
mentionné, qu'il n'était pas nécessaire pour lui d'entendre les
divers experts en la matière pour statuer sur l'existence, en
l'espèce, d'une situation de danger imminent au sens du Code.
Le Conseil a aussi assuré l'avocat qu'il était prêt à admettre
dans son entier la description faite par M. Timpauer de ses
propres réactions à la fumée du tabac, afin d'éviter au médecin
de se déplacer.
Un cinquième témoin expert, spécialiste des mala
dies respiratoires, a été autorisé à témoigner; il
semble cependant que son témoignage n'ait pas été
utile au Conseil dans sa décision.
Avec déférence, je crois que cet argument est
fondé. Le Conseil, même si le paragraphe 82.1(9)
lui ordonne d'agir «sans retard et de façon som-
maire», restait tenu d'entendre les deux parties au
litige avant de rendre sa décision. La décision de
ne pas entendre la preuve que le requérant désirait
présenter était fondée sur l'opinion suivant laquelle
«il n'était ni utile ni pertinent» de l'entendre en ce
qui avait trait à la question spécifique sur laquelle
devait porter la décision, question consistant à
savoir s'il existait, au sens du Code, un «danger
imminent» pour la santé du requérant. Comme je
l'ai déjà dit, je ne puis trouver aucun motif permet-
tant de modifier l'interprétation que le Conseil a
donnée à ces termes.
D'autre part, le Conseil devait enquêter sur les
faits avant de décider de la question en fonction de
cette interprétation. Même s'il considérait non per-
tinents les effets à long terme de la fumée de tabac
sur la santé du requérant, le Conseil n'était pas
justifié de refuser d'entendre au moins une partie
de la preuve que celui-ci avait l'intention de pré-
senter. Je pense à la preuve qui devait porter sur
les effets plus immédiats de la fumée sur la santé
du requérant. Selon l'affidavit de ce dernier, son
propre médecin aurait exprimé «son opinion sur les
effets de la fumée sur ma santé» et le spécialiste
des allergies aurait décrit «les conséquences médi-
cales de mes réactions allergiques». De plus, ainsi
que le souligne le Conseil à la page 5 de ses motifs,
le requérant avait témoigné que son médecin lui
avait fait subir des tests d'allergie relativement à la
fumée et au tabac cru et qu'il en avait [TRADUC-
TION] «conclu que son patient était en fait allergi-
que aux deux». Le Conseil devait décider soit de
confirmer la décision de l'agent de sécurité soit de
donner une directive conformément au paragraphe
82.1(9) du Code. Il me semble qu'il ne pouvait
trancher ni dans un sens ni dans l'autre avant
d'avoir vérifié les faits relatifs à la question de
l'existence d'un «danger imminent» pour la santé
du requérant dans son lieu de travail le 28 janvier
1985.
À mon avis, le Conseil ne pouvait pas décider
correctement de l'effet de la fumée sur la santé du
requérant en se fondant uniquement sur la descrip
tion qu'il a donnée de sa réaction à la fumée de
tabac. Cette preuve n'était peut-être pas exhaus
tive. Le médecin et l'allergologiste, étant donné
leur compétence et leurs connaissances particuliè-
res, auraient peut-être jeté sur la question un
éclairage déterminant. En refusant d'entendre
leurs témoignages, le Conseil a manqué à la justice
naturelle à l'endroit du requérant. Le fait qu'une
telle preuve n'aurait peut-être pas aidé le requé-
rant ne justifiait pas le refus de l'entendre. Quant
aux autres témoins, je crois qu'ils auraient témoi-
gné sur des questions plus générales ne concernant
pas directement l'effet de la fumée sur la santé du
requérant à l'époque pertinente. Selon moi, le refus
du Conseil de recevoir cette preuve ne constituait
pas une erreur susceptible d'examen et d'annula-
tion.
En concluant au déni de justice naturelle, je
tiens compte qu'il est essentiel au caractère équita-
ble de l'instruction que le tribunal saisi, avant de
trancher le litige dans un sens ou dans l'autre,
donne aux parties l'occasion d'appeler leurs
témoins et de présenter autrement leur preuve. En
l'espèce, je ferais référence à l'énoncé de principe
général du juge Baker (aux motifs duquel a sous-
crit le président Sir Jocelyn Simon) dans l'arrêt
Vye v. Vye, [1969] 2 All E.R. 29 (P.D.A.). Cet
énoncé m'apparaît pertinent même si le contexte
dans lequel il se situe diffère des circonstances de
l'espèce. Dans cette affaire, une femme se plai-
gnait que son mari l'avait abandonnée et avait
volontairement négligé de lui payer une pension
alimentaire raisonnable. Les juges saisis de l'af-
faire ont rejeté cette plainte sans demander au
mari de répondre et ce, bien que l'avocat de la
demanderesse les ait avisés qu'il désirait, dans le
cadre de sa preuve, faire témoigner la mère de
l'épouse. Les juges ont considéré que les circons-
tances exceptionnelles de cette affaire les autori-
saient à rejeter la plainte de l'épouse, déclarant
que [TRADUCTION] «selon la preuve, l'épouse
n'avait pas de cause d'action» et que le témoignage
de la mère [TRADUCTION] «ne pouvait d'aucune
façon aider le tribunal». En renvoyant l'affaire
pour qu'il en soit jugé régulièrement, le juge Baker
s'est exprimé comme suit (aux pages 30 et 31):
[TRADUCTION] Je crois que les juges ont complètement fait
fausse route en décidant que, dans des circonstances très excep-
tionnelles, ils pouvaient rejeter la plainte sans entendre toute la
preuve de l'épouse. Dans la pratique, je n'ai jamais entendu dire
qu'un tel argument avait été soulevé; je ne crois pas non plus
que les juges soient jamais justifiés de souscrire à un tel
argument ou de décider qu'il n'y a pas lieu d'entendre des
dépositions parce qu'il n'y a pas cause d'action—que cette
décision se fonde sur un motif de droit ou sur tout autre
motif—avant que tous les témoins aient été appelés. Le tribunal
a l'obligation d'entendre les témoins appelés par le plaignant, le
requérant, le demandeur ou autres; il doit écouter ces témoi-
gnages. Evidemment, un tribunal d'expérience peut indiquer,
dans un cas particulier, qu'il ne semble pas probable que la
preuve dans son ensemble suffise à établir le bien-fondé d'une
plainte ou d'une défense; l'avocat du demandeur ou du défen-
deur, selon le cas, peut alors, s'il est du même avis, décider que
continuer serait une perte de temps et y renoncer. Je crois
toutefois qu'une cour ne devrait agir ainsi que lorsqu'elle est
convaincue que l'avocat sera du même avis; cela arrive rare-
ment. La situation est cependant tout autre lorsqu'une partie
désire produire d'autres témoins; dans de telles circonstances, je
ne crois pas qu'un tribunal puisse jamais, en fait, dire: «Le
témoin que vous voulez citer ne peut d'aucune façon nous être
utile; aussi, trancherons-nous contre vous sans l'entendre.» La
question suivante constitue dans une telle situation un critère
approprié: «Un tribunal serait-il justifié de rejeter une poursuite
au stade de l'exposé des prétentions?» L'avocat du mari, qui a
présenté l'argument en question aux juges, a reconnu devant
nous que cette façon de procéder serait irrégulière. Et quoi
d'autre s'est-il donc passé? Les juges n'avaient pas entendu le
témoignage de la mère de l'épouse bien qu'ils aient pu entendre
un exposé des prétentions qui en faisait mention. En fait, on
nous a dit qu'il n'avait pas été demandé à l'avocat représentant
alors l'épouse d'indiquer le contenu du témoignage de la mère.
À mon avis, cela importe peu. Dès lors que l'épouse ou son
avocat désirait faire entendre la mère de celle-ci, la cour avait
l'obligation de l'entendre. [C'est moi qui souligne.]
Voir également Halsbury's Laws of England, 4e
éd., Vol. 1, paragraphe 76, note de bas de page 31,
à la page 94; Wade, Administrative Law (5 e éd.)
1982, la page 483; Eastern Provincial Airways
Limited c. Conseil canadien des relations du tra
vail, [1984] 1 C.F. 732 (C.A.), décision du juge
Mahoney, à la page 752.
Avant d'en terminer avec cette question, j'aime-
rais également traiter d'un point soulevé par l'avo-
cate du Conseil. Selon elle, cet aspect de la ques
tion ne relève que de l'interprétation des lois et
n'implique aucun déni de justice naturelle comme
tel. Essentiellement, on allègue que, y aurait-il eu
manquement à la justice naturelle, cette Cour ne
pourrait modifier la décision du Conseil puisque ce
manquement se situerait au niveau de l'interpréta-
tion, par ce dernier, de l'expression «danger immi
nent», interprétation qui n'est pas manifestement
déraisonnable. À l'appui de cette proposition, on
renvoie à la décision de la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Bibeault (précitée). À mon
avis, cette affaire est entièrement différente de
l'espèce. En effet, divers employés demandaient
d'être considérés comme «partie intéressée» au sens
de l'article 32 du Code du travail du Québec
[S.R.Q. 1977, chap. C-27]. Les commissaires à
l'appréciation desquels ces questions ont été soumi-
ses ont décidé qu'aucun de ces employés n'était
visé par cette loi, et le Tribunal du travail a
confirmé ces décisions. En ce qui concerne cet
aspect de l'affaire, la Cour suprême du Canada a
conclu que les décisions des commissaires et du
Tribunal du travail ne devaient pas être modifiées
puisqu'elles n'étaient pas manifestement déraison-
nables. Il n'existait donc aucun motif permettant
de soutenir que la justice naturelle n'avait pas été
respectée. Ainsi qu'a déclaré le juge Lamer au
nom de la Cour à la page 191:
Comme je l'ai déjà mentionné précédemment, plaider une
contravention à la règle audi alteram partem postule en l'es-
pèce une interprétation manifestement déraisonnable de l'art.
32 C.T.
En l'espèce, toutefois, bien que l'interprétation
donnée par le Conseil ne puisse, à mon avis, être
modifiée, celui-ci avait cependant encore à décider
si les circonstances révélaient l'existence d'un
«danger imminent» pour la santé du requérant.
Pour ce faire, il devait, tout d'abord, entendre
toute preuve pertinente que l'une ou l'autre partie
désirait présenter et, ensuite, procéder à l'appré-
ciation des faits. Après cela seulement pouvait-il,
sur le fondement de son interprétation du Code,
juger du fond de la question.
DÉCISION
J'accueillerais donc cette demande, j'annulerais
la décision du Conseil en date du 14 mars 1985 et
je renverrais la question devant le Conseil pour
qu'il l'examine à nouveau en tenant pour acquis
qu'il devra, avant de mettre fin à son enquête,
donner au requérant la possibilité de présenter une
preuve d'expert: a) au sujet de l'état de santé du
requérant et, tout particulièrement, des effets de la
fumée sur sa santé; et b) au sujet des conséquences
médicales de la réaction allergique du requérant à
la fumée.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.