T-1120-84
Comité pour la République du Canada—Commit-
tee for the Commonwealth of Canada, François
Lépine, Christiane Deland et Parti de la Républi-
que du Canada (demandeurs)
c.
Sa Majesté du chef du Canada (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé—Mont-
réal, 10 décembre 1985; Ottawa, 6 janvier 1986.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales — Liberté d'expression — Action visant à obtenir
un jugement déclarant que les aires ouvertes au public à
l'aéroport international de Montréal constituent un forum
public où peuvent être exercées les libertés fondamentales —
La direction de l'aéroport a empêché les demandeurs de distri-
buer des brochures à caractère politique et de porter des
pancartes — La politique de l'aéroport est d'interdire toute
activité à caractère public, qu'elle soit de nature politique,
religieuse ou autre — Seule la vente de coquelicots par
d'anciens combattants fait exception — Les demandeurs invo-
quent la liberté d'opinion et d'expression garantie par la
Charte — Jugement déclaratoire accordé — Absence de juris
prudence canadienne sur la question — Les tribunaux améri-
cains ont appliqué les Premier et Quatorzième Amendements
aux aérogares et y ont protégé la liberté d'expression — Les
halls publics des aérogares canadiennes sont devenus des
extensions contemporaines des rues et des places publiques de
jadis — Une prohibition absolue est contraire à la Charte —
La liberté d'expression dans un forum public n'est pas illimitée
— La sécurité et l'efficacité de l'aéroport pourraient être
assurées par des règlements appropriés — Charte canadienne
des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2 — Constitution des
E.-U., Amendements I, XIV.
Transports — Aéroports — Les autorités de l'aéroport
international de Montréal interdisent dans les aires publiques
toute activité à caractère public, qu'elle soit politique, reli-
gieuse ou autre, à l'exception de la vente de coquelicots par
d'anciens combattants — Le Règlement sur l'exploitation de
concessions aux aéroports du gouvernement, lequel interdit
toute publicité ou sollicitation non autorisées, s'applique à
l'exploitation de taxis et aux activités de ce genre — Une
prohibition absolue contrevient au droit à l'exercice de la
liberté d'expression, garanti par la Charte — Cette liberté
n'est pas illimitée, et la sécurité et l'efficacité de l'aéroport
pourraient être assurées par des règlements appropriés — Loi
sur le ministère des Transports, S.R.C. 1970, chap. T-15 —
Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du
gouvernement, DORS/79- 373, art. 7.
Il s'agit d'une action visant à obtenir un jugement déclarant
que les aires publiques de l'aéroport international de Montréal
constituent un forum public où peuvent être exercées les liber-
tés fondamentales. Les demandeurs Lépine et Deland ont été
empêchés de faire connaître leurs idées politiques en portant
des pancartes et en distribuant des brochures à l'aéroport. La
direction a interdit toute activité à caractère public, qu'elle soit
politique, religieuse ou autre, à l'exception de la vente de
coquelicots par d'anciens combattants. La défenderesse allègue
que l'aéroport en question, lequel est la propriété de la Cou-
ronne, est assujetti au Règlement sur l'exploitation de conces
sions aux aéroports du gouvernement, et que celui-ci interdit
toute publicité ou sollicitation non autorisées dans un aéroport.
Les demandeurs invoquent l'article 1 de la Charte, lequel
garantit certains droits et certaines libertés qui ne peuvent être
restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique. L'article 2 garantit la
liberté d'opinion et d'expression.
Jugement: le jugement déclaratoire est accordé.
Le Règlement porte sur le contrôle de l'exploitation de
concessions aux aéroports et s'applique à ce genre d'activité, et
non pas au droit des personnes d'exprimer leurs philosophies
par voie de communication directe avec les autres personnes qui
peuvent se trouver sur les lieux.
Aucune jurisprudence canadienne ne porte sur l'exercice de
la liberté d'expression dans des endroits publics comme les
aéroports. Par contre, les tribunaux américains ont appliqué le
Premier et le Quatorzième Amendements aux aérogares et ont
agi pour protéger la liberté d'expression dans ces endroits.
Même si la Cour n'est pas liée par ces décisions américaines, il
serait déraisonnable de ne pas tenir compte des considérations
réfléchies des juristes américains qui ont appliqué la Constitu
tion des États-Unis d'Amérique à des situations similaires aux
nôtres. Les halls publics des aérogares canadiennes sont deve-
nus des extensions des rues et des places publiques de jadis. Ils
sont des «carrefours modernes* pour le commerce quotidien du
public voyageur. En principe, la liberté d'expression et de
communication ne doit pas être étouffée dans ces forums
publics. La prohibition absolue imposée par les autorités à
l'égard des activités plutôt bénignes et inoffensives des deman-
deurs viole les dispositions de la Charte.
La liberté d'expression dans un forum public n'est pas illimi-
tée. Elle peut être restreinte par des règlements raisonnables
dans le but d'assurer le bien-être et le confort du public
voyageur. Les autorités peuvent rédiger des règlements qui
assurent tant la convenance et la sécurité des passagers que
l'efficacité des activités d'un aéroport.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hague v. Committee for Industrial Organization, 59
S.Ct. 954 (1939); Murdock v. Commonwealth of Penn-
sylvania, 63 S.Ct. 870 (1943); Kuszynski v. City of
Oakland By and Through Bd. of Port Com'rs, 479 F.2d
1130 (9th Cir. 1973); Chicago Area Military Project v.
City of Chicago, 508 F.2d 921 (7th Cir. 1975); Interna
tional Soc. for Krishna Consciousness of Western Penn-
sylvania, Inc. v. Griffin, 437 F.Supp. 666 (W.D. Penn.
1977); International Society for Krishna Consciousness,
Inc. v. Wolke, 453 F.Supp. 869 (E.D. Wisc. 1978); Rosen
v. Port of Portland, 641 F.2d 1243 (9th Cir. 1981);
Fernandes v. Limmer, 663 F.2d 619 (5th Cir. 1981); U.S.
Southwest Africa/Namibra Trade & Cultural Council v.
U.S., 708 F.2d 760 (D.C. Cir. 1983).
AVOCATS:
Gérard Guay pour les demandeurs.
Marie Nichols pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gérard Guay, Hull (Québec), pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: La présente action vise l'émis-
sion d'une déclaration à l'effet que les aires ouver-
tes au public à l'aéroport international de Mont-
réal (Dorval) constituent un forum public où les
libertés fondamentales peuvent y être exercées.
Le premier demandeur, le Comité pour la Répu-
blique du Canada, est une corporation à but non
lucratif constituée en vertu de la Loi sur les corpo
rations canadiennes'. Les deux autres demandeurs
sont des membres dirigeants du Comité. Le dernier
demandeur, le Parti de la République du Canada,
a été dûment enregistré en août 1984 (après le
dépôt de la présente action) comme parti politique
en vertu des dispositions de l'article 13 de la Loi
électorale du Canada 2 ayant présenté au moins 50
candidats aux dernières élections fédérales. À la
demande du procureur des demandeurs, le Parti
pour la République du Canada a été ajouté comme
demandeur dans cette action à l'ouverture de l'au-
dition de cette affaire tenue à Montréal, le 10
décembre 1985.
Les faits allégués à la déclaration ne sont pas
controversés et peuvent être exposés très briève-
ment. Le 22 mars 1984 les demandeurs François
Lépine et Christiane Deland se sont présentés à la
salle d'attente à l'aérogare de Dorval «afin de
partager et de discuter avec les membres du public
qui s'y trouvaient, les buts et objectifs du Comité».
Après avoir été interpellés par un constable en
fonction, les deux demandeurs ont subséquemment
rencontré le directeur délégué de l'aéroport qui les
avisa qu'ils n'avaient pas le droit de faire de la
politique à l'aéroport.
' S.R.C. 1970, chap. C-32.
2 S.R.C. 1970 (1°" Supp.), chap. 14.
De son côté, la défenderesse allègue que l'aéro-
port en question est la propriété de Sa Majesté la
Reine aux droits du Canada représentée par le
ministre des Transports, ce qui est admis. Elle
invoque particulièrement la Loi sur le ministère
des Transports 3 qui permet au gouverneur en con-
seil d'édicter les règlements nécessaires à la gestion
de l'aéroport et plus spécifiquement le Règlement
sur l'exploitation de concessions aux aéroports du
gouvernement 4 et à l'article 7 qui interdit sans
l'autorisation écrite du Ministre à quiconque de
«faire, à un aéroport, de la publicité ou de la
sollicitation pour son propre compte ou pour celui
d'autrui».
À mon sens, ce Règlement porte sur le contrôle
de l'exploitation de concessions aux aéroports. Il
vise ce genre d'activités et non pas le droit des
personnes à postuler leurs philosophies, leurs
croyances ou leurs idées politiques par voie de
communication directe avec les autres personnes
qui se trouvent sur les lieux.
En l'espèce, les deux demandeurs n'exploitaient
pas un commerce dans l'aérogare. Ils voulaient
diffuser leurs idées politiques. Ils portaient des
pancartes et distribuaient des pamphlets dans l'es-
pace ouvert au public au premier étage de l'aéro-
gare, soit à l'endroit prévu pour l'achat des billets
et l'attente des départs. Il n'était pas question pour
eux de tenir d'assemblées publiques sur les lieux,
ni d'adresser la parole à partir d'un podium ou
d'un haut-parleur.
Il a été établi au procès que les autorités de
l'aéroport de Dorval ont toujours uniformément et
impartialement interdit toute activité publique du
genre, soit politique, religieuse ou autre. La seule
exception à cette prohibition, telle que mentionnée
à l'audition, est la vente de coquelicots tenue par
les anciens combattants en novembre de chaque
année.
Dans son témoignage, le directeur des opéra-
tions à Dorval a expliqué qu'environ 20,000 passa-
gers utilisent quotidiennement l'aérogare, souvent
accompagnés d'autres personnes. Il peut y avoir
quelque 2,000 arrivées à l'heure. Le nombre d'em-
ployés dans l'édifice se chiffre à 3,800. La superfi-
cie totale du premier étage est de 170,000 pieds
3 S.R.C. 1970, chap. T-15.
4 DORS/79-373.
carrés et le public a accès à quelque 63,000 pieds
carrés. Cet étage contient en plus des guichets
tenus par les lignes aériennes, des boutiques, kios-
ques à journaux, pharmacies, restaurants, salons
de coiffure, etc. pour la commodité et le confort du
public voyageur. Les espaces sont distribués en
fonction de l'expédition rapide du trafic aérien. En
période de pointe, les aires publiques sont bondées.
Les passagers dans l'attente d'un départ sont déjà
suffisamment anxieux. Il n'est pas dans leur inté-
rêt de permettre la sollicitation, a exposé le
directeur.
Par contre, le demandeur François Lépine a déjà
voyagé aux États-Unis par avion et a constaté que
les activités politiques étaient permises dans les
grands aéroports américains. Il se souvient particu-
lièrement d'y avoir vu des personnes assises à une
table disposée dans l'aire publique d'une aérogare,
avec pancartes politiques montées au mur et distri
bution de feuillets.
L'article 1 de la Charte canadienne des droits et
libertés 5 garantit certains droits et libertés lesquels
ne peuvent être restreints que par une règle de
droit et dans des limites raisonnables dont la justi
fication puisse se démontrer dans le cadre d'une
société libre et démocratique. L'une des libertés
fondamentales garanties à l'article 2 est la liberté
d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la
presse et des autres moyens de communication.
L'on ne m'a pas cité de jurisprudence cana-
dienne (et je n'en ai pas moi-même trouvée) soit
sous la Charte ou la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice III] relativement
à l'exercice de la liberté d'expression dans des
endroits publics, tels les aéroports. Par contre, les
tribunaux américains ont, à plusieurs reprises,
appliqué le Premier et le Quatorzième Amende-
ments de la Constitution américaine aux aérogares
de ce pays et ont agi pour protéger la liberté
d'expression à ces endroits.
Dans l'arrêt Hague v. Committee for Industrial
Organization 6 , la Cour suprême des Etats-Unis a
statué que le droit de s'assembler de façon paisible,
5 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
6 59 S.Ct. 954 (1939).
de discuter des lois internes et d'échanger des idées
oralement ou par écrit est un privilège inhérent à
la citoyenneté que le Quatorzième Amendement
protège. On a toutefois souligné que le privilège est
relatif et doit s'exercer en fonction du bien-être et
de l'utilité générale et en conformité avec la paix
et le bon ordre, mais qu'on ne peut, sous le couvert
de règlements, le restreindre ou le supprimer. La
Cour a conclu qu'une ordonnance qui exige un
permis d'utilisation des rues ou des parcs pour
tenir des assemblées publiques et qui permet au
directeur de la sûreté de refuser ce permis s'il
estime que ce refus préviendra des émeutes, des
désordres et des réunions tumultueuses est incons-
titutionnelle. Elle a ajouté [à la page 964] que les
rues et les parcs [TRADUCTION] «ont de façon
immémoriale fait l'objet d'une propriété en fiducie
pour l'usage du public et ont été utilisés, depuis
toujours, dans le but de tenir des assemblées et de
permettre l'échange d'idées entre les citoyens et la
discussion de questions d'intérêt public».
Dans l'arrêt Murdock v. Commonwealth of
Pennsylvania 7 , la Cour suprême des États-Unis a
statué que l'État peut interdire l'utilisation d'une
rue pour la distribution de dépliants purement
commerciaux, mais ne peut pas interdire la distri
bution de prospectus à titre d'activité manifeste-
ment religieuse simplement parce que les publica
tions religieuses sont vendues par des prédicateurs
itinérants plutôt que données. Elle souligne [à la
page 874] que [TRADUCTION] «les écrits de
Thomas Paine n'étaient pas distribués gratuite-
ment».
Dans l'arrêt Kuszynski v. City of Oakland By
and Through Bd. of Port Com'rs 8 , la Cour d'appel
des États-Unis (neuvième circuit), a statué qu'une
ordonnance à l'effet que l'utilisation d'un aéroport
dans le but d'y exercer la liberté d'expression et de
communication, y compris la distribution de tracts,
ne doit pas arriver à gêner la fonction de transport
de l'aéroport, impose de trop grandes restrictions à
la diffusion d'idées dans un endroit public et est
nulle en l'absence de preuve du caractère néces-
saire des dispositions restrictives de l'ordonnance
ou de leur caractère raisonnable. La Cour dit que
63 S.Ct. 870 (1943).
8 479 F.2d 1130 (9th Cir. 1973).
l'on ne peut limiter le droit de parole dans un
aéroport public que par des règlements rédigés de
façon stricte dans le but de favoriser les intérêts
légitimes de l'ensemble du public qui utilise l'aéro-
port. Elle a statué qu'à première vue l'ordonnance
en cause enfreignait le Premier Amendement, à
moins que les restrictions ne soient justifiées par
les exigences du lieu public.
Dans l'arrêt Chicago Area Military Project v.
City of Chicago 9 , la Cour d'appel des Etats-Unis
(septième circuit) a statué que le Premier et le
Quatorzième Amendements s'appliquent aux aéro-
ports qui appartiennent au gouvernement et que le
public n'a pas reçu une autorisation restreinte (qui
interdirait la distribution de tracts) qui lui permet
d'utiliser un aéroport appartenant au gouverne-
ment à des fins de voyage seulement. Elle a souli-
gné que les propriétés publiques ne sont pas toutes
accessibles pour toutes les formes d'expression de
la liberté de parole, mais qu'on ne peut empêcher
une personne d'exercer sa liberté d'expression dans
un endroit en soutenant qu'elle peut l'exercer ail-
leurs. La Cour a accordé une injonction interdisant
d'empêcher la distribution de tracts.
Dans la décision International Soc. for Krishna
Consciousness of Western Pennsylvania, Inc. v.
Griffin 10 , la Cour de district des États-Unis pour le
District ouest de la Pennsylvanie a statué qu'une
organisation religieuse sans but lucratif avait le
droit de distribuer des imprimés et de solliciter de
l'argent dans un aéroport. Elle a conclu que l'inter-
diction de solliciter pendant les jours de congé et
les heures d'affluence est manifestement déraison-
nable.
Dans la décision International Society for
Krishna Consciousness, Inc. v. Wolke", une cour
de district des États-Unis (District est du Wiscon-
sin), a statué qu'une aérogare de l'aéroport de
comté qui est normalement accessible au public
est, en droit, un [TRADUCTION] «forum» pour les
fins du Premier Amendement. Il ne s'ensuit pas
que la liberté de parole qui peut y être exercée est
protégée de façon absolue. On peut prescrire par
règlement les périodes, les lieux et les façons rai-
sonnablement nécessaires pour réaliser les objectifs
9 508 F.2d 921 (7th Cir. 1975).
10 437 F.Supp. 666 (W.D. Penn. 1977).
453 F.Supp. 869 (E.D. Wisc. 1978).
importants du gouvernement. La Cour a reconnu
[à la page 874] que [TRADUCTION] «La grande
affluence peut exiger des restrictions pour permet-
tre l'exploitation efficace de l'aéroport. Mais cette
affluence ne permet pas de justifier l'interdiction
absolue de s'exprimer librement que comporte
implicitement la conclusion que l'aéroport n'est
pas un forum.»
Dans l'arrêt Rosen v. Port of Portland 12 , la
Cour d'appel des États-Unis (neuvième circuit) a
conclu que la distribution d'imprimés est une
forme de communication garantie par le Premier
Amendement qu'il faut appliquer pleinement dans
les endroits publics d'une aérogare. Elle a conclu
que toute disposition qui impose une restriction
générale à l'exercice des droits garantis par le
Premier Amendement rencontre en cour une forte
présomption d'invalidité constitutionnelle. [À la
page 1243:] [TRADUCTION] «Toute disposition de
ce genre qui réglemente ou réduit l'exercice de ce
droit doit résister à l'examen le plus sévère.»
Dans l'arrêt Fernandes v. Limmer ", la Cour
d'appel des États-Unis (cinquième circuit) a
reconnu [à la page 626] que [TRADUCTION] «Il est
maintenant généralement bien établi que les aéro-
gares appartenant à des organismes gouvernemen-
taux et exploitées par eux sont des forums dans
lesquels les tentatives de réglementer l'exercice de
la religion ou du droit de parole doivent s'accorder
avec les droits garantis par le Premier Amende-
ment». Elle a appliqué plusieurs critères pour déci-
der si un lieu précis est un forum et a conclu que
l'intérieur d'une aérogare comporte certaines aires
qui sont des forums. Elle souligne [à la page 626]
que le fait [TRADUCTION] «Que des corridors sont
achalandés et étroits n'infirme pas cette conclu
sion; ces facteurs déterminent plutôt le caractère
raisonnable des restrictions de temps, de lieu et de
façon imposées aux personnes qui veulent exercer
des droits garantis par le Premier Amendement
dans ce lieu». Elle conclut qu'en raison de l'ab-
sence de restriction à l'admission du public et du
caractère de marché des salles d'aérogares, les
aérogares peuvent être considérées comme des
forums.
12 641 F.2d 1243 (9th Cir. 1981).
13 663 F.2d 619 (5th Cir. 1981).
Dans l'arrêt U.S. Southwest Africa/Namibra
Trade & Cultural Council v. U.S.'", la Cour d'ap-
pel des États-Unis (circuit du District de Colum-
bia) affirme [à la page 774] qu'en réalité les
espaces publics des aéroports National et Dulles
sont devenus [TRADUCTION] «des carrefours
modernes dans lesquels, chaque année, des millions
de gens s'adonnent à un grand nombre d'échanges
commerciaux, sociaux et politiques». Elle a statué
[à la page 774] que [TRADUCTION] «En l'absence
de motif impérieux et vérifiables de ne pas le faire,
le gouvernement ne peut interdire la publicité poli-
tique dans les aires d'affichage publicitaire» de ces
deux aéroports. Elle a souligné [à la page 774] que
nombre de gens circulent dans ces aérogares dans
l'espoir d'être bientôt témoins du fonctionnement
de la capitale nationale et des symboles des princi-
pes de la nation: [TRADUCTION] «Il n'est que
normal que ces gens puissent constater que le
Premier Amendement est appliqué et n'est pas
simplement en montre dans une châsse de verre
aux Archives nationales.»
Évidemment, je ne suis pas lié par ces décisions
américaines. Mais, vu l'absence de jurisprudence
en cette matière au Canada—la Charte cana-
dienne est encore dans sa tendre enfance—il serait
déraisonnable de ma part de ne pas tenir compte
des considérations réfléchies de ces juristes améri-
cains qui ont, après tout, pendant de nombreuses
années appliqué leur Constitution à des situations
qui sont assez souvent similaires aux nôtres.
La liberté de parole au Canada a été importée,
avec la common law, de la Grande-Bretagne et
ainsi enchâssée dans l'Acte de la Confédération
[Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1)]. Les provinces y ont exprimé
leurs désirs d'être unies fédéralement dans un
Dominion «avec une constitution semblable dans
son principe à celle du Royaume-Uni». Un Domi
nion avec un «gouvernement reposant en définitive
sur l'opinion publique créée à partir de la discus
14 708 F.2d 760 (D.C. Cir. 1983).
Sion et d'échanges d'idées. Si la discussion est
assujettie à un permis, cette condition fondamen-
tale est anéantie 15 .»
Il me semble clair et évident que les halls publics
des aérogares canadiennes, tout comme aux Etats-
Unis, sont devenus des extentions contemporaines
des rues et des places publiques de jadis. Ils sont
vraiment des «carrefours modernes» pour le com
merce quotidien du public voyageur. En principe,
la liberté d'expression et de communication ne doit
pas y être étouffée. La prohibition absolue imposée
par les autorités à Dorval à l'encontre des activités
plutôt bénignes et inoffensives des demandeurs
viole les prescriptions de la Charte canadienne.
Assurément, la liberté d'expression dans un
forum public n'est pas illimitée. Elle peut être
restreinte par des règlements raisonnables dans le
but d'assurer le bien-être et le confort du public
voyageur. Les autorités compétentes peuvent donc
rédiger des règlements en conformité de la conve-
nance et de la sécurité des passagers ainsi que des
exigences d'une opération efficace de l'aéroport.
Mais les autorités en question ne peuvent imposer
une interdiction catégorique et brimer ainsi la
liberté fondamentale des personnes de disséminer
paisiblement leurs idées politiques, religieuses, ou
autres sur la place publique.
Par ces motifs, la déclaration recherchée par les
demandeurs est accordée avec dépens.
15 Voir le juge Rand dans Saumur v. City of Queber, [1953]
2 R.C.S. 299, la p. 330 (ma propre traduction).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.