A-634-81
Manuel Jesus Torres Quinones (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Heald et
juge suppléant Primrose—Edmonton, 25 octobre;
Ottawa, 9 décembre 1982.
Immigration — Le Ministre a rejeté la demande de statut de
réfugié au sens de la Convention — Le requérant s'est adressé
à la Commission d'appel de l'immigration en vue d'un réexa-
men — La déclaration du requérant a fait mention de la
décision du Ministre — Le Ministère a soumis une note interne
disant qu'une mesure spéciale n'était pas justifiée — Le
Ministère a soumis une lettre donnant les motifs du Ministre
— La Commission a décidé que le requérant n'était pas un
réfugié au sens de la Convention — La note et la lettre
pouvaient-elles être préjudiciables et auraient-elles dû ne pas
être portées à la connaissance de la Commission? — L'intimé
reconnaît que la note pourrait être considérée comme préjudi-
ciable et qu'elle a été soumise à la Commission sans le
consentement du requérant — Soumettre la lettre n'a rien
d'irrégulier — La procédure prévue à l'art. 71(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976 n'étant pas contradictoire, le droit de
répondre aux documents soumis n'existe pas — La lettre ne
constitue pas »une preuve préjudiciable au requérant» au sens
de l'affaire Saraos — Pour se conformer aux décisions de la
Cour fédérale, le Ministère a modifié la pratique en fournis-
sant les motifs au requérant et à la Commission — »Réexa-
men» signifie révision de la décision du Ministre et décision
sur son bien-fondé — Les motifs du Ministre sont nécessaires
à un réexamen — En l'absence de disposition législative
expresse contraire, un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire a
un pouvoir implicite de prendre en considération les motifs s'il
tient de la loi le pouvoir de réexaminer les décisions d'un autre
— La Loi sur l'immigration de 1976 ne contient aucune
interdiction de ce genre — L'exigence d'un dossier élargi ne
change pas la nature de la fonction de la Commission de
manière à rendre irrecevables les motifs — La décision et les
motifs du Ministre ne constituent pas une »preuve» au sens de
l'affaire Saraos — La déclaration du requérant constitue une
réponse aux motifs du Ministre — La décision de la Commis
sion est annulée, et l'affaire renvoyée pour nouvel examen —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
28 — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 2(1), 45, 70, 71.
Le requérant a revendiqué le statut de réfugié au sens de la
Convention, mais en vertu de l'article 45 de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 (»la Loi»), le Ministre a rejeté cette revendica-
tion. Le requérant, en vertu de l'article 70, a demandé un
nouvel examen par la Commission d'appel de l'immigration.
Conformément au paragraphe 70(2), il a accompagné sa
demande d'une déclaration sous serment dont le paragraphe 4
fait mention de la décision du Ministre. Le ministère de l'Immi-
gration lui-même a porté deux documents à la connaissance de
la Commission. Le premier était une note intraministérielle
disant que le cas du requérant avait été examiné et qu'aucune
mesure spéciale n'était justifiée. Le deuxième était une copie
d'une lettre informant le requérant de la décision du Ministre et
exposant ses motifs. En vertu de l'article 71 de la Loi, la
Commission a refusé de permettre à la demande, formulée par
le requérant, de statut de réfugié au sens de la Convention de
suivre son cours, et elle a décidé qu'il n'était pas un réfugié au
sens de la Convention. Se fondant sur l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale, le requérant a demandé l'examen et l'annula-
tion de la décision de la Commission au motif que les deux
documents pouvaient lui être préjudiciables et n'auraient donc
pas dû être portés à la connaissance de la Commission.
Arrêt: le juge Heald (avec l'appui du juge suppléant Prim
rose): La décision de la Commission devrait être annulée, et
l'affaire renvoyée pour nouvel examen et décision tenant
compte du fait que la lettre, et non la note, pouvait, à juste
titre, être portée à la connaissance de la Commission. L'intimé
a reconnu que la note pourrait être considérée comme préjudi-
ciable, et qu'elle avait été soumise à la Commission sans le
consentement du requérant. Compte tenu du jugement dans
l'affaire Saraos, il s'ensuit que la présentation de la note à la
Commission a vicié la décision ultérieure. Toutefois les objec
tions quant à la lettre ne sauraient être confirmées. Une
procédure tenue devant la Commission en vertu du paragraphe
71(1) n'est pas de caractère contradictoire; par conséquent, les
documents soumis à ce stade ne sauraient être considérés
comme des documents soumis par une partie adverse, et il n'est
invoqué aucun droit de répondre à ces documents. Deuxième-
ment, la lettre n'était pas une .preuve préjudiciable au requé-
rant. au sens où cette expression est employée dans Saraos. Le
paragraphe 45(5) exige seulement que le Ministre informe le
requérant (entre autres) de sa décision, mais le jugement de la
Division de première instance dans Brempong a incité le Minis-
tère à modifier sa pratique, de sorte qu'il informe maintenant
les requérants des motifs d'une décision fondée sur l'article 45.
Au même sujet, la Cour d'appel a jugé que les motifs du
Ministre devraient être portés à la connaissance de la Cour
lorsque le requérant demande l'examen et l'annulation de la
décision du Ministre; c'est probablement en réponse à cela que
le Ministère a adopté la pratique, lorsqu'un réexamen est
demandé, d'envoyer à la Commission des copies de la lettre
informant le requérant des motifs du Ministre. Il ressort de
l'examen de la Loi que le raisonnement adopté par la Cour
d'appel dans Brempong s'applique également à la communica
tion des motifs à la Commission dans un cas de réexamen en
vertu des articles 70 et 71. Le réexamen par la Commission
comporte l'obligation de réviser la décision du Ministre et de
décider de son bien-fondé. Dans l'exécution de cette obligation,
les motifs du Ministre doivent nécessairement faire partie du
dossier. Lorsqu'un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire tient
de la loi le pouvoir de réexaminer et de juger les décisions d'un
autre tribunal, il existe dans le pouvoir de réexamen un pouvoir
implicite de prendre en considération les motifs des décisions
examinées. Ce droit existe si la loi ne l'exclut pas expressément
et la Loi en cause ne contient pas de disposition expresse de ce
genre. Le fait que la Loi exige un dossier élargi ne change pas
la nature de la fonction exercée par la Commission de manière
à rendre irrecevables les motifs du tribunal soumis au contrôle
judiciaire. La décision et les motifs du Ministre ne constituent
pas le genre de «preuve» dont l'exclusion est envisagée dans
Saraos, et le paragraphe 4 de la déclaration, qui les mentionne,
peut être considéré comme une réponse aux motifs du Ministre.
Le juge en chef Thurlow dissident en partie: La lettre pouvait
être préjudiciable parce que l'avis du Ministre quant à l'impré-
cision et à la crédibilité de la preuve du requérant pouvait
influencer la Commission, et que le requérant aurait pu envisa-
ger d'inclure des documents additionnels dans sa déclaration s'il
avait sa que la lettre allait être soumise à la Commission. La
procédure prévue à l'article 70 est d'un genre particulier: le
requérant n'a aucune possibilité de comparaître devant la Com
mission; la loi n'autorise pas le Ministère à faire valoir quoi que
ce soit devant la Commission pour appuyer la décision du
Ministre; elle n'autorise pas non plus la Commission à deman-
der ou à recevoir des renseignements autres que ce que le
requérant lui soumet. Si la Commission devait demander au
requérant de fournir d'autres renseignements, et s'il exécutait,
il ne serait plus à même de soulever des objections. La Loi
prévoit que la décision de la Commission doit être rendue
uniquement sur la base des pièces soumises par le requérant. La
procédure n'est pas comparable à la demande de contrôle
judiciaire adressée à la Cour d'appel et, par conséquent, la
décision rendue par la Cour dans Brempong ne s'applique pas
en l'espèce. Par ailleurs, l'affaire Saraos expose certains princi-
pes concernant l'examen par la Commission d'éléments de
preuve non mentionnés au paragraphe 70(2). On peut concilier
l'affaire antérieure Diaz avec ces principes, mais celle-ci se
distingue de l'espèce quant aux faits. La mention, dans la
déclaration du requérant, de la décision du Ministre ne saurait
être considérée comme une autorisation accordée à la Commis
sion de prendre en considération les motifs du Ministre, ni
comme une permission accordée au Ministère de soumettre la
lettre à la Commission. Par conséquent, ni la lettre ni la note
n'auraient dû être soumises à la Commission.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1981] I C.F. 211 (C.A.); Diaz c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 188 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada et autre, [1982] 1 C.F. 304 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Brempong c. Le comité consultatif sur le statut de réfu-
gié, et autres, [1980] 2 C.F. 316; 109 D.L.R. (3d) 664
(1" inst.).
AVOCATS:
G. B. Gawne pour le requérant.
B. J. Saunders pour l'intimé.
PROCUREURS:
Chapman, Finlay, MacPherson & Gawne,
Edmonton, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW (dissident en
partie): Il s'agit d'une demande d'examen et d'an-
nulation de la décision par laquelle la Commission
d'appel de l'immigration a refusé, en vertu du
paragraphe 71(1)' de la Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, chap. 52, de permettre à la
demande, formée par le requérant, de réexamen de
sa revendication du statut de réfugié au sens de la
Convention de suivre son cours, et a jugé qu'il n'est
pas un réfugié au sens de la Convention.
Le seul argument invoqué à l'appui de la
demande est que dans le dossier dont la Commis
sion était saisie, il y avait deux documents qui ne
faisaient pas partie de la demande soumise par le
requérant à la Commission et qui étaient suscepti-
bles d'être préjudiciables à la cause du requérant.
Ces documents sont:
1. Une note envoyée par le chef des Formalités
opérationnelles pour les requérants au Canada,
un fonctionnaire du ministère de l'Emploi et de
l'Immigration, au chef du bureau d'Edmonton
du Ministère et disant:
[TRADUCTION] Le comité spécial d'étude a examiné ce cas et
décidé qu'une mesure spéciale n'était pas justifiée.
2. Une copie de la lettre écrite par le comité
consultatif sur le statut de réfugié avisant le
requérant de la décision rendue par le Ministre
en vertu du paragraphe 45(5) et selon laquelle le
requérant n'est pas un «réfugié au sens de la
Convention» selon la définition que donne le
paragraphe 2(1) de la Loi. La lettre comprend
le passage suivant:
[TRADUCTION] Voici les motifs de la décision du
Ministre:
Les activités auxquelles vous avez participé pour appuyer le
mouvement Unidad Popular semblent avoir revêtu un carac-
tère plus social que politique. Vous faites état, d'une façon
' 71. (1) La Commission, saisie d'une demande visée au
paragraphe 70(2), doit l'examiner sans délai. A la suite de cet
examen, la demande suivra son cours au cas où la Commission
estime que le demandeur pourra vraisemblablement en établir
le bien-fondé à l'audition; dans le cas contraire, aucune suite
n'y est donnée et la Commission doit décider que le demandeur
n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
très vague, de sept détentions, mais je constate que vous avez
été détenu seulement pendant quelques heures à chaque
occasion, et que vous n'avez jamais été détenu en prison.
Votre description de difficultés avec des membres de DINA
qui se faisaient passer pour des inspecteurs sanitaires et
fiscaux manque de crédibilité en ce qu'il semble peu proba
ble que des membres de cette organisation recourraient à ce
genre de subterfuge.
Il a été admis aux débats que ces deux docu
ments avaient, en fait, été soumis à la Commission
par le Ministère et non par le requérant. Il a
également été reconnu que le premier document
était préjudiciable, et que de ce fait, la décision de
la Commission devrait être infirmée, et l'affaire
renvoyée à la Commission pour nouvel examen et
nouvelle décision.
Malgré la prétention de l'avocat de l'intimé,
j'estime que le deuxième document est également
susceptible d'être préjudiciable, d'au moins deux
façons. L'avis exprimé au nom du Ministre quant à
l'imprécision de la preuve et à sa crédibilité pou-
vait, à mon avis, influencer, de façon subtile ou
autre, l'esprit dans lequel la Commission aborde-
rait l'examen de la preuve soumise par le requé-
rant. En outre, si le requérant avait su que le
document serait porté à la connaissance de la
Commission par le Ministère, il aurait très bien pu
envisager d'inclure des documents additionnels
pour le réfuter dans sa déclaration.
L'avocat du Ministère fait également valoit que
le document a néanmoins été, à bon droit, soumis à
la Commission.
Cette Cour a eu tout récemment l'occasion
d'examiner la question de savoir quels documents
peuvent être examinés par la Commission au stade
préliminaire d'une demande de réexamen visée à
l'article 70 2 de la Loi. Il s'agit de l'affaire Saraos
2 70. (I) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au
sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par écrit,
conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas ce
statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission
une demande de réexamen de sa revendication.
(2) Toute demande présentée à la Commission en vertu du
paragraphe (I) doit être accompagnée d'une copie de l'interro-
gatoire sous serment visé au paragraphe 45(I) et contenir ou
être accompagnée d'une déclaration sous serment du deman-
deur contenant
a) le fondement de la demande;
(Suite à la page suivante)
c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada et autre'.
Dans cette affaire, le juge Pratte, après avoir
discuté du caractère purement administratif des
procédures conduisant à la décision du Ministre, a
ajouté ceci 4 au sujet de la fonction de la Commis
sion d'appel de l'immigration à ce stade:
Cependant, le caractère spécial de la décision qui doit être
rendue en vertu du paragraphe 71(1), lors de la première étape,
doit être souligné. Cette décision est rendue sans qu'il y ait eu
d'audition, à un moment où personne ne s'oppose à la demande
du requérant et alors que la Commission n'a habituellement
devant elle que la demande de réexamen et les autres docu
ments déposés par le requérant conformément au paragraphe
70(2). Le rôle de la Commission à ce stade des procédures n'est
pas d'apprécier et de comparer les preuves contradictoires
fournies par des parties dont les intérêts sont divergents, mais
seulement d'examiner la preuve écrite déposée à l'appui de sa
demande par le requérant conformément au paragraphe 70(2),
et de se former une opinion sur les chances de réussite de la
demande.
La procédure qui mène à la décision est égale-
ment inhabituelle. La demande doit être faite par
écrit. Elle est présentée ex parte. Aucune audition
n'est prévue. Le requérant n'a donc aucune possi-
bilité de comparaître devant le tribunal qui doit
décider si sa demande doit être autorisée à suivre
son cours. D'autre part, le Ministère n'a aucune
possibilité de faire valoir quoi que ce soit devant le
tribunal pour appuyer la décision du Ministre, que
ce soit oralement ou par écrit. En outre, la Com
mission elle-même n'est pas autorisée par la loi à
demander ou à recevoir des renseignements ou des
observations autres que ce que le requérant lui
soumet avec sa demande, mais si la Commission
devait demander au requérant de fournir d'autres
renseignements, et s'il s'exécutait, il ne serait plus
à même de s'opposer à la réception ou à l'examen
de ces renseignements.
Dans l'affaire Saraos, le juge Pratte poursuit en
ces termes 5 :
(Suite de la page précédente)
b) un exposé suffisamment détaillé des faits sur lesquels
repose la demande;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et des
preuves que le demandeur se propose de fournir à l'audition;
et
d) toutes observations que le demandeur estime pertinentes.
3 [1982] 1 C.F. 304 (C.A.).
° Id., à la p. 308.
5 Id., à la p. 309.
J'en reviens maintenant au point de savoir si la décision de la
Commission de rejeter sommairement une demande en applica
tion du paragraphe 71(1) doit être annulée si elle a été rendue à
partir de documents autres que ceux mentionnés au paragraphe
70(2). Il n'y a pas de solution simple à ce problème. Des
distinctions doivent être faites:
I. Que la Commission ait tenu compte d'éléments de preuve
autres que les documents mentionnés au paragraphe 70(2)
n'a certainement aucun effet sur la validité de sa décision si
les éléments en question n'étaient pas préjudiciables au
requérant. Il serait absurde d'annuler une décision de la
Commission pour ce seul motif.
2. Même si les preuves considérées sont préjudiciables au
requérant, la validité de la décision de la Commission n'est à
mon avis nullement affectée lorsque le requérant a lui-même
demandé ou accepté que la Commission tienne compte de ces
preuves. (Il appartient à la Cour d'apprécier dans chaque cas
la question de fait de savoir si le requérant a demandé ou
accepté que la Commission tienne compte des preuves dont il
s'agit.) Dans ces circonstances, le requérant ne peut se
plaindre de ce que la Commission a agi à sa demande ou avec
son consentement.
3. Toutefois, la décision de la Commission doit être annulée
si la preuve est préjudiciable au requérant et si la Commis
sion l'a prise en considération sans son consentement.
En l'espèce, il ne fait pour moi aucun doute que l'irrégularité
commise par la Commission ne vicie pas sa décision. Le requé-
rant reproche à la Commission d'avoir tenu compte du témoi-
gnage de son beau-frère devant l'agent d'immigration supérieur
lors de son propre interrogatoire sous serment. Or, le témoin a
été interrogé par l'avocat du requérant et à la demande
expresse de ce dernier. De plus, c'est le requérant qui, assisté
d'un avocat, a déposé devant la Commission, sans réserve ni
objection, le témoignage dont il soutient maintenant qu'elle
n'aurait pas dû tenir compte. J'estime qu'il s'agit manifeste-
ment d'un cas où le requérant a accepté, ou doit être présumé
avoir accepté, que le témoignage en question soit versé au
dossier.
Dans l'affaire Diaz c. Le ministre de l'Emploi et
de l'Immigration 6 , qui a été jugée quelques mois
avant l'affaire Saraos, la Cour avait refusé d'an-
nuler la décision de la Commission où il appert que
la lettre avisant le requérant de la décision du
Ministre avait été portée à la connaissance de la
Commission. Dans un paragraphe de sa déclara-
tion, le requérant avait cité un paragraphe des
motifs exposés dans la lettre. Dans un autre para-
graphe de la même déclaration, il avait exprimé
l'opinion que le Ministre avait mal interprété sa
peur du service militaire. La Cour semble avoir
considéré que les mentions par le requérant des
motifs du Ministre tombaient dans «toutes obser
vations que le demandeur estime pertinentes» figu-
6 [1981] 2 C. F. 188 (C.A. ).
rant au paragraphe 70(2)d), et suffisaient pour
justifier l'examen par la Commission de la lettre
elle-même afin de prendre connaissance de tout
son contenu.
On peut concilier l'interprétation de la loi dans
l'affaire Saraos et la conclusion tirée par la Cour
dans l'affaire Diaz et ce, sur deux bases possibles.
La première veut que la Cour ait conclu, à la
lumière des faits, que le requérant avait demandé
ou accepté que la Cour tienne compte de la lettre
du Ministre. La deuxième, que la lettre n'était pas
préjudiciable, l'ensemble de ce qui aurait pu être
préjudiciable dans cette lettre ayant été révélé
dans la déclaration du requérant.
La décision du Ministre elle-même a fait l'objet
d'une demande de contrôle judiciaire dans l'affaire
Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration'. La Cour a jugé que, l'objet de la
contestation étant une décision purement adminis
trative qui n'était pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, elle n'avait
pas compétence pour connaître de la demande.
Dans ses motifs, le juge Urie fait cette remarque
[aux pages 213 et 214]:
Suite à cette demande du requérant, la Division de première
instance a émis une ordonnance enjoignant au ministre de
l'Emploi et de l'immigration de faire parvenir ou délivrer au
requérant ou à son avocat, par écrit, les motifs de sa décision
refusant au requérant le statut de réfugié au sens de la Conven
tion. Je doute fort de l'opportunité d'exiger ainsi du Ministre de
fournir ces motifs. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas
appelés à nous prononcer sur cette question en la cause. L'or-
donnance défend aussi à la Commission d'entendre la demande
du requérant tendant au réexamen de sa revendication du
statut de réfugié au sens de la Convention jusqu'à ce qu'il ait,
lui ou son avocat, reçu les motifs concernés et qu'il ait eu la
possibilité de présenter à l'intimée la Commission d'appel de
l'immigration, ses arguments à l'encontre des motifs du Minis-
tre. Les avocats nous ont appris que cette ordonnance a fait
l'objet d'un appel, mais que cet appel a été abandonné pour un
motif quelconque. Obéissant à l'ordonnance, le Ministre aurait
fourni les motifs de sa décision, mais ceux-ci n'ont pas été
versés au dossier de la présente demande. Toutefois, ils auraient
da l'être s'il nous faut nous prononcer sur le fond en connais-
sance de cause, puisque ce qu'a dit le Ministre constitue le
fondement de la contestation de la décision qu'il a rendue.
Il est clair que devant cette Cour, une décision
qui doit être examinée doit être produite devant la
Cour mais, à mon avis, cette situation n'est pas
comparable à la situation où une demande de
réexamen est adressée à la Commission d'appel de
7 [1981] 1 C.F. 211 (C.A.).
l'immigration en vertu du paragraphe 70(1) de la
Loi sur l'immigration de 1976. Il s'agit, comme il
a été déjà souligné, d'un genre spécial de procé-
dure qui, comme je l'entends, envisage que le
dossier à partir duquel la demande doit être tran-
chée est composé uniquement des pièces que le
requérant a soumises à la Commission. Par consé-
quent, l'affaire Brempong ne s'applique pas, à mon
avis, à la question soulevée dans l'espèce présente.
J'aborde maintenant la déclaration statutaire
faite par le requérant en l'espèce. Elle est compo
sée de six paragraphes suivants:
[TRADUCTION] I. Je suis le requérant dans la présente
demande de réexamen de ma revendication du statut de réfugié
au sens de la Convention. Copie de cette demande est annexée
aux présentes sous la cote «A».
2. Copie de l'interrogatoire sous serment conduit par l'agent
d'immigration supérieur T. Van Den Bussche le 21 mars 1980
est annexée aux présentes sous la cote «B».
3. Le manuscrit original du document dont il est question à
partir de la dernière question à la page 12 de l'interrogatoire
susdit, et une copie dactylographiée dudit document sont joints
aux présentes sous les cotes «C» et «D» respectivement.
4. Je fais cette demande parce que j'estime que le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration a commis une erreur en décidant
que je ne suis pas un réfugié au sens de la Convention, car je
crains que, si je retournais au Chili, je serais persécuté à cause
de mes liens avec le mouvement Unidad Popular et les membres
de celui-ci.
5. Les faits sur lesquels est fondée ma demande sont exposés
dans ma déclaration sous serment, la pièce «B» annexée à ma
déclaration statutaire.
6. À l'audition tenue devant la Commission d'appel de l'immi-
gration, j'ai l'intention de donner en preuve plus de détails sur
l'événement mentionné dans ma déclaration sous serment,
notamment des détails sur les abus physiques et sexuels commis
par l'armée et la police secrète à mon égard, avec des preuves
médicales à l'appui.
Il est à souligner que la seule allusion à la
décision du Ministre se trouve au paragraphe 4.
Selon moi, ce paragraphe est simplement une réaf-
firmation du fondement de la revendication du
requérant. Aucune partie des motifs du Ministre
n'est citée, ni les motifs sont-ils produits comme
pièce. Ce paragraphe ne mentionne pas non plus
les motifs du rejet de la revendication par le
Ministre. Je ne pense pas que ce paragraphe puisse
être considéré comme une demande ou une autori-
sation donnant à la Commission le droit de tenir
compte de ces motifs, ou même comme permission
accordée à la Commission de prendre en considé-
ration les motifs du Ministre. Il s'agit moins
encore d'une autorisation accordée au Ministère de
soumettre la lettre du Ministre à la Commission.
Par conséquent, même sur la base du raisonnement
adopté dans l'affaire Diaz, j'estime que la lettre du
Ministre n'aurait pas dû être soumise à la
Commission.
J'estime qu'il y a lieu d'annuler la décision de la
Commission et de renvoyer l'affaire devant la
Commission pour nouvel examen et nouvelle déci-
sion à l'égard de la revendication du requérant en
partant du principe que ni la note ni la lettre
mentionnées dans ces motifs ne doivent faire partie
des pièces que la Commission peut prendre en
considération.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Cette demande, fondée sur
l'article 28, tend à l'examen et à l'annulation de la
décision par laquelle la Commission d'appel de
l'immigration a refusé de permettre à la demande,
formée par le requérant, de réexamen de sa reven-
dication du statut de réfugié au sens de la Conven
tion de suivre son cours et a jugé que le requérant
n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
Dans le dossier conjoint sur lequel on s'est
appuyé pour soutenir la demande fondée sur l'arti-
cle 28 figurent deux documents qui sont essentiels
à la disposition finale des points litigieux en l'es-
pèce. Pour ce qui est du premier document (Dos-
sier conjoint, p. 35), il s'agit d'une note datée du
17 mars 1981 et signée par un certain B. Maitland,
dont le titre est: «Chef, Division de requérants au
Canada, Formalités opérationnelles, Service exté-
rieur, Emploi et immigration Canada», et adressée
au directeur du Centre d'immigration du Canada
d'Edmonton (Alberta). La note est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Manuel Jesus Torres-Quinones—d.d.n. 11/2/
41—Chili
Le comité spécial d'étude a examiné ce cas et décidé qu'une
mesure spéciale n'était pas justifiée.
Le deuxième document (Dossier conjoint, p. 36),
également daté du 17 mars 1981, est une lettre que
le greffier du comité consultatif sur le statut de
réfugié a envoyé au requérant. Cette lettre est
ainsi conçue:
[TRADUCTION] M. Manuel Jesus Torres Quinones
Monsieur,
Nous accusons réception de votre demande de statut de
réfugié au sens de la Convention formée en vertu du paragra-
phe 45(1) de la Loi sur l'immigration de 1976.
Nous vous informons par la présente qu'en vertu du paragra-
phe 45(5) de la Loi, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
a décidé que vous n'êtes pas un réfugié au sens de la Conven
tion, statut défini au paragraphe 2(1) de la Loi.
Voici les motifs de la décision du Ministre:
Les activités auxquelles vous avez participé pour appuyer le
mouvement Unidad Popular semblent avoir revêtu un caractère
plus social que politique. Vous faites état, d'une façon très
vague, de sept détentions, mais je constate que vous avez été
détenu seulement pendant quelques heures à chaque occasion,
et que vous n'avez jamais été détenu en prison.
Votre description de difficultés avec des membres de DINA qui
se faisaient passer pour des inspecteurs sanitaires et fiscaux
manque de crédibilité en ce qu'il semble peu probable que des
membres de cette organisation recourraient à ce genre de
subterfuge.
Je me permets d'attirer votre attention sur le fait que le
Ministre ne discutera d'aucun détail de votre demande. En
vertu du paragraphe 70(1) de la Loi, vous pouvez, dans les
quinze (15) jours qui suivent la réception de cet avis, vous
adresser, par écrit, à la Commission d'appel de l'immigration
pour demander un réexamen de votre revendication du statut
de réfugié. Si vous avez l'intention de former une telle
demande, vous devriez communiquer immédiatement avec
l'agent d'immigration supérieur du Centre d'immigration du
Canada où vous avez fait votre demande de statut de réfugié.
Cet agent sera heureux de vous informer des procédures à
suivre et il vous fournira les imprimés nécessaires.
A l'audition tenue devant la Cour, l'avocat de
l'intimé a reconnu que la note datée du 17 mars
1981 que B. Maitland avait envoyée au directeur,
Centre d'immigration du Canada d'Edmonton,
n'aurait pas dû être portée à la connaissance de la
Commission, parce qu'elle pourrait être considérée
comme préjudiciable au requérant, et qu'elle a été
examinée par la Commission sans le consentement
de ce dernier. Le cas tombe donc dans la troisième
catégorie énoncée par le juge Pratte dans l'affaire
Saraos 8 et l'ordonnance de la Commission est
donc viciée. Toutefois, les avocats des parties ne
sont pas tombés d'accord en ce qui concerne le
deuxième document susmentionné, savoir la lettre
du 17 mars 1981 qu'avait envoyée au requérant le
greffier du comité consultatif sur le statut de
réfugié. L'avocat de l'intimé fait valoir, tant dans
8 Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada et autre, [1982] 1 C.F. 304 (C.A.), à la p. 309.
son exposé qu'à l'audition, que cette lettre du
greffier n'était pas préjudiciable au requérant, et
que ce document ne relève pas de la troisième
catégorie mentionnée dans l'affaire Saraos (sus-
mentionnée).
D'autre part, l'avocat du requérant soutient que
la Loi sur l'immigration de 1976 n'autorise pas
l'examen par la Commission de la lettre en ques
tion. Il prétend en outre que puisque la lettre
contenait des conclusions défavorables quant à la
crédibilité des déclarations du requérant, elle était
manifestement préjudiciable. Il ajoute que le
requérant n'a appris que la lettre avait été portée à
la connaissance de la Commission que plusieurs
mois après que la décision de la Commission eut
été rendue. Ainsi, selon lui, on a refusé au requé-
rant le droit fondamental de présenter des observa
tions en réponse à tous [TRADUCTION] «les docu
ments soumis par une partie opposée».
Premièrement, je ferais remarquer que la lettre en
question ne constitue pas, à mon avis, un «docu-
ment soumis par une partie opposée». Dans l'af-
faire Saraos (susmentionnée), le juge Pratte, dans
sa discussion de la nature des procédures prévues
au paragraphe 71(1) [de la Loi sur l'immigration
de 1976], dit ceci à la page 308:
Cependant, le caractère spécial de la décision qui doit être
rendue en vertu du paragraphe 71(1), lors de la première étape,
doit être souligné. Cette décision est rendue sans qu'il y ait eu
d'audition, à un moment où personne ne s'oppose à la demande
du requérant et alors que la Commission n'a habituellement
devant elle que la demande de réexamen et les autres docu
ments déposés par le requérant conformément au paragraphe
70(2). Le rôle de la Commission à ce stade des procédures n'est
pas d'apprécier et de comparer les preuves contradictoires
fournies par des parties dont les intérêts sont divergents, mais
seulement d'examiner la preuve écrite déposée à l'appui de sa
demande par le requérant conformément au paragraphe 70(2),
et de se former une opinion sur les chances de réussite de la
demande.
Je suis d'accord avec cette façon de voir la ques
tion. Par conséquent, puisqu'au stade prévu au
paragraphe 71(1), il ne s'agit pas d'une procédure
contradictoire, il s'ensuit que le document soumis
ne saurait être soumis par une partie dont les
intérêts sont contraires, car à ce stade, il n'y a pas
de partie opposée.
Dans l'examen de la question de savoir si la
lettre rédigée par le comité consultatif sur le statut
de réfugié peut être considérée comme une «preuve
préjudiciable au requérant», au sens où cette
expression est employée dans Saraos, il est instruc-
tif, à mon avis, de prendre en considération l'histo-
rique de la procédure établie par le ministère de
l'Immigration pour se conformer au paragraphe
45(5) de la Loi en tenant compte de la jurispru
dence des deux divisions de cette Cour. Ce para-
graphe est ainsi rédigé:
45....
(5) Le Ministre doit notifier sa décision par écrit, à l'agent
d'immigration supérieur qui a procédé à l'interrogatoire sous
serment et à la personne qui a revendiqué le statut de réfugié.
I1 est à noter que le paragraphe lui-même exige
simplement du Ministre qu'il notifie, par écrit, à
l'agent d'immigration supérieur qui a procédé à
l'interrogatoire sous serment et au requérant sa
décision à l'égard de la demande de statut de
réfugié au sens de la Convention formée par ce
dernier. Toutefois,- dans l'affaire Brempong c. Le
comité consultatif sur le statut de réfugié, et
autres 9 , la Division de première instance de cette
Cour a décerné une ordonnance enjoignant au
Ministre de faire parvenir ou délivrer, par écrit, au
requérant les motifs de sa décision portant que le
requérant n'était pas un réfugié au sens de la
Convention. Il ressort d'une lecture attentive des
motifs prononcés dans cette affaire-là que l'avocat
du Ministre, dans ces procédures, avait fait valoir
que rien dans la loi n'exigeait du Ministre qu'il
fournisse au requérant les motifs justifiant sa déci-
sion, le paragraphe 45(5) prescrivant seulement
que la décision soit notifiée au requérant et à
l'agent supérieur d'immigration responsable.
Malgré ces arguments, le juge de première ins
tance a conclu que le refus de donner au requérant
les motifs de la décision du Ministre portant que le
requérant n'était pas un réfugié au sens de la
Convention équivalait à un traitement injuste qui
pourrait porter préjudice à une audition entière et
équitable de réexamen, et c'est sur cette base qu'il
a décerné l'ordonnance susmentionnée. Cette déci-
sion de la Division de première instance n'a pas
fait l'objet d'un appel devant cette Cour (malgré le
9 [1980] 2 C.F. 316; 109 D.L.R. (3d) 664 (l« inst.).
dépôt et le retrait, pour des raisons non précisées,
d'un avis d'appel). Toutefois, le requérant a effec-
tivement saisi cette Cour d'une demande fondée
sur l'article 28 et tendant à l'examen et à l'annula-
tion de la décision du Ministre '°. La Cour a jugé
que puisque la décision contestée était une décision
purement administrative qui n'était pas légalement
soumise à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire, elle était incompétente pour instruire la
demande. Le juge Urie, qui prononçait les motifs
de la Cour, s'exprime en ces termes aux pages 213
et 214:
Suite à cette demande du requérant, la Division de première
instance a émis une ordonnance enjoignant au ministre de
l'Emploi et de l'Immigration de faire parvenir ou délivrer au
requérant ou à son avocat, par écrit, les motifs de sa décision
refusant au requérant le statut de réfugié au sens de la Conven
tion. Je doute fort de l'opportunité d'exiger ainsi du Ministre de
fournir ces motifs. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas
appelés à nous prononcer sur cette question en la cause. L'or-
donnance défend aussi à la Commission d'entendre la demande
du requérant tendant au réexamen de sa revendication du
statut de réfugié au sens de la Convention jusqu'à ce qu'il ait,
lui ou son avocat, reçu les motifs concernés et qu'il ait eu la
possibilité de présenter à l'intimée la Commission d'appel de
l'immigration, ses arguments à l'encontre des motifs du Minis-
tre. Les avocats nous ont appris que cette ordonnance a fait
l'objet d'un appel, mais que cet appel a été abandonné pour un
motif quelconque. Obéissant à l'ordonnance, le Ministre aurait
fourni les motifs de sa décision, mais ceux-ci n'ont pas été
versés au dossier de la présente demande. Toutefois, ils auraient
dû l'être s'il nous faut nous prononcer sur le fond en connais-
sance de cause, puisque ce qu'a dit le Ministre constitue le
fondement de la contestation de la décision qu'il a rendue.
À mon avis, il est donc clair qu'antérieurement au
jugement de la Division de première instance dans
l'affaire Brempong (susmentionnée), la pratique
du Ministre était de ne pas fournir au requérant
les motifs de sa décision rendue en vertu de l'arti-
cle 45, mais que par la suite, et conformément à ce
jugement, la pratique a été modifiée, ce qui fait
que, dans tous les cas ultérieurs dont j'ai eu con-
naissance, le Ministre a notifié au requérant les
motifs de la décision visée à l'article 45. Il semble
clair également que cette politique a de nouveau
été modifiée de sorte que, dans les cas où le
requérant s'est adressé à la Commission d'appel de
l'immigration pour un réexamen de sa revendica-
tion du statut de réfugié, des copies de la lettre
envoyée par le Ministre au requérant l'avisant de
sa décision et contenant les motifs de celle-ci ont
0 Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1981] 1 C.F. 211 (C.A.).
aussi, invariablement, été expédiées à la Commis
sion. A mon sens, il semblerait que cette modifica
tion de la procédure ait été provoquée par l'opinion
de cette Cour, telle qu'exprimée dans l'affaire
Brempong (susmentionnée), selon laquelle les
motifs du Ministre auraient dû être versés au
dossier de la demande, fondée sur l'article 28,
tendant à l'examen et à l'annulation de la décision
du Ministre, parce que ce que dit le Ministre sert
de fondement à la contestation de sa décision sur
la question dont il était saisi. La situation est-elle
différente lorsque, comme en l'espèce, il s'agit de
statuer non pas sur l'opportunité de l'inclusion,
dans le dossier dont est saisie cette Cour, des
motifs du Ministre, mais sur l'opportunité de leur
inclusion dans le dossier porté devant la Commis
sion d'appel de l'immigration en vue d'un réexa-
men prévu aux articles 70 et 71? À mon avis, le
raisonnement adopté par cette Cour dans l'affaire
Brempong (susmentionnée) s'applique également
aux faits de l'espèce où le litige porte sur le
contenu du dossier devant la Commission. Je dis
ceci après examen de l'ensemble de la loi. Suivant
l'article 45, le requérant adresse tout d'abord sa
demande de statut de réfugié au Ministre. Dès
réception de cette revendication, un agent d'immi-
gration supérieur procède à l'interrogatoire sous
serment du requérant au sujet de celle-ci. La
transcription de cet interrogatoire, accompagnée
de la revendication, est transmise au Ministre. Une
copie de l'interrogatoire, accompagnée de la reven-
dication, est soumise à l'examen du comité consul-
tatif sur le statut de réfugié. Après réception de
l'avis du Comité, le Ministre doit décider si le
requérant est un réfugié au sens de la Convention.
Les articles 70 et 71 de la Loi prévoient une
procédure par laquelle le requérant peut présenter
à la Commission d'appel de l'immigration une
demande de réexamen de sa revendication dans les
cas où le Ministre a rejeté cette revendication.
À mon avis, ce réexamen constitue essentielle-
ment une révision de la décision du Ministre. Ni la
loi ni le règlement ne donnent une définition du
mot «réexamen» employé dans cette disposition
législative. Voici toutefois la définition que donne
The Living Webster Encyclopedic Dictionary of
the English Language du mot «redetermine»
(réexaminer): [TRADUCTION] «... Arriver de nou-
veau à une décision; reconnaître pour vrai après
une nouvelle enquête». Je crois que la Commission
est tenue de réexaminer la décision du Ministre et
d'arriver à sa propre conclusion sur le bien-fondé
de cette décision. Le paragraphe 70(2) prévoit
seulement les documents que le demandeur doit
soumettre à l'examen de la Commission—savoir la
demande, la copie de l'interrogatoire sous serment
du demandeur et la déclaration statutaire soumise
par ce dernier pour étayer sa revendication. Je ne
trouve rien dans le texte législatif qui interdise
expressément la présence, dans le dossier dont est
saisie la Commission, des motifs du Ministre. Il
me semble même que puisque les fonctions de la
Commission sous le régime des articles 70 et 71
consistent à réexaminer la décision du Ministre, les
motifs de cette décision doivent nécessairement
faire partie du dossier devant la Commission. Il est
tout à fait possible, par exemple, que les motifs
invoqués par le Ministre forment à tout le moins
une partie de la contestation de sa décision ".
J'estime donc que le raisonnement exposé par le
juge Urie dans l'affaire Brempong (susmention-
née) s'applique également aux faits de l'espèce.
J'ai mentionné plus haut l'affaire Saraos où le
juge Pratte avait jugé que la décision de la Com
mission d'appel de l'immigration devrait être infir-
mée lorsqu'une preuve préjudiciable à un requé-
rant avait été examinée par la Commission sans
son consentement. Les faits de cette affaire sont
tout à fait différents de ceux de la présente espèce.
Dans cette affaire, au cours de l'interrogatoire
sous serment, le beau-frère du requérant avait été
autorisé à déposer, et son témoignage avait fait
partie des documents dont a été saisie la Commis
sion. À mon avis, la décision Saraos doit être
appréciée à la lumière de cette situation de fait. Le
témoignage sous serment d'une personne autre que
le requérant constitue, à l'évidence, une preuve et
une preuve que ne prévoient pas les articles 70 et
" La seule cause antérieure que je connaisse, où l'inclusion
des motifs de la décision du Ministre dans le dossier soumis à la
Commission d'appel de l'immigration a été contestée est l'af-
faire Diaz c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1981] 2 C.F. 188 (C.A.). Dans l'affaire Diaz, au moins deux
paragraphes de la déclaration du requérant constituaient, de
l'avis de la Cour, une réfutation des motifs du Ministre. De
même, dans l'espèce présente, je pense que le paragraphe 4 de
la déclaration du requérant se rapporte directement au premier
motif invoqué par le Ministre dans sa lettre au requérant, et on
peut dire qu'il s'agit d'une réponse à ce motif ou une réfutation
de celui-ci.
71. Toutefois, la décision du Ministre et les motifs
de celle-ci sont donc, à mon avis, d'un caractère
tout à fait différent, et il est facile de les distinguer
de la «preuve» mentionnée dans l'affaire Saraos.
Lorsqu'un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire
tient de la loi le pouvoir de réexaminer et de juger
les décisions d'un autre tribunal, qu'il s'agisse
d'une décision administrative ou autre, il me
semble qu'il existe dans le pouvoir de réexamen, en
l'absence d'une disposition législative expresse con-
traire, un pouvoir implicite d'étudier et de prendre
en considération toute raison qui a amené le tribu
nal faisant l'objet d'un contrôle judiciaire à rendre
sa décision. Ainsi qu'il est exposé plus haut, il
n'existe, ni dans la Loi sur l'immigration de 1976
ni dans le règlement d'application, aucune inter
diction législative expresse de ce genre. Je ne pense
pas non plus que parce que la Commission est
tenue de réexaminer la décision du Ministre à la
lumière seulement d'un dossier élargi 12 , cette cir-
constance change la nature de la fonction exercée
par la Commission de manière à rendre irreceva-
bles devant elle les motifs du tribunal faisant
l'objet d'un contrôle judiciaire.
Par ces motifs, je conclus qu'il n'y a rien d'irré-
gulier dans l'inclusion de la lettre du Ministre dans
le dossier porté à la connaissance de la Commis
sion d'appel de l'immigration. J'estime donc qu'il y
a lieu d'accueillir la demande fondée sur l'article
28, d'annuler la décision de la Commission et de
renvoyer l'affaire devant celle-ci pour qu'elle pro-
cède à un nouvel examen à partir du principe que
la note envoyée le 17 mars 1981 par B. Maitland
au Directeur, Centre d'immigration du Canada
d'Edmonton, ne devrait pas être versée au dossier
soumis à la Commission pour le nouvel examen de
la demande de réexamen.
LE JUGE SUPPLÉANT PRIMROSE: Je souscris
aux motifs ci-dessus.
12 Je fais allusion à la déclaration statutaire du requérant qui
est requise par le paragraphe 70(2) de la Loi.
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