T-5178-79
E. H. Price Limited (demanderesse) (intimée)
c.
La Reine (défenderesse) (requérante)
Division de première instance, juge suppléant
Smith—Winnipeg, 9 février et 27 septembre 1982.
Douanes et accise — Taxe de vente — Couronne — Pres
cription — Le ministère du Revenu national revendique le
paiement de taxes et d'amendes dont le montant s'accumule
depuis février 1972 — Détermination des taxes dues entreprise
en juillet 1975 — En février 1980, le Ministère dépose un
certificat conformément à l'art. 52(4) de la Loi sur la taxe
d'accise — La demanderesse oppose la prescription aux procé-
dures de recouvrement — La défenderesse demande à la Cour
en vertu de la Règle 474(1)a) de statuer sur des questions de
droit — Une action en recouvrement de taxes et d'amendes
imposées par la Loi sur la taxe d'accise est-elle prescriptible?
— La Constitution autorise le Parlement à fixer des délais de
prescription pour le recouvrement de taxes — Immunité géné-
rale de la Couronne contre l'application des lois expressément
supprimée en matière de prescription par les règles générales
de l'art. 38 de la Loi sur la Cour fédérale — Ces règles
s'appliquent «Sauf disposition contraire de toute autre loi» —
Applicabilité des lois provinciales en matière de prescription
— La loi manitobaine fixe une prescription de six ans — L'art.
52 de la Loi sur la taxe d'accise prévoit deux méthodes de
recouvrement: par action en justice et par certificat — Le
certificat ne devient pas un jugement — Aux termes de l'art.
52(1), les taxes ou les sommes exigibles sont «recouvrables à
toute époque» — Disposition expresse qui fait échapper la
présente espèce aux règles générales et qui accorde à la
Couronne l'immunité contre la prescription — Aucune formu
lation particulière n'est nécessaire pour l'exception — L'ex-
pression «à toute époque» signifie une période illimitée —
Cette expression ne s'applique qu'à une action en justice —
Aucun conflit entre l'art. 52 et l'art. 38 — Suivant l'art. 38, la
Couronne ne bénéficie pas en règle générale d'une immunité
contre la prescription — Tendance vers la suppression de la
prérogative de la Couronne en matière de prescription
L'exception qui figure dans l'art. 38 assure le maintien de la
prérogative de la Couronne dans les cas où le Parlement le
prévoit — Dans les circonstances visées par certaines lois, des
sommes peuvent être recouvrées à toute époque comme une
dette envers Sa Majesté — Interprétation du juge appuyée par
les modifications apportées à l'art. 52 de la Loi sur la taxe
d'accise — Délai de prescription par ailleurs applicable: 6 ans
— Date où le délai de prescription aurait commencé à courir:
la date où les taxes auraient dû être acquittées — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 38 — Loi
sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 52(1)
(abrogé et remplacé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art.
21), (4) — The Limitation of Actions Act, R.S.M. 1970, chap.
L150, art. 2a),h), 3(1)g),h) — Loi spéciale des Revenus de
guerre, 1915, S.C. 1915, chap. 8, art. 20 — Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 474(1)a).
Le ministère du Revenu national (Douanes et Accise) cher-
che à recouvrer auprès de la demanderesse des taxes de vente et
des amendes dont le montant s'accumule depuis février 1972.
La détermination des taxes dues par la demanderesse a été
entreprise en juillet 1975. En février 1980, le Ministère a
déposé un certificat à la Cour fédérale conformément au para-
graphe 52(4) de la Loi sur la taxe d'accise. La demanderesse a
intenté une action dans laquelle elle opposait la prescription
aux procédures de recouvrement engagées contre elle. La défen-
deresse a alors demandé à la Cour, en vertu de la Règle
474(1)a), de statuer sur certaines questions de droit, la plus
importante de celles-ci étant de savoir si une action en recou-
vrement de taxes et d'amendes imposées par la Loi sur la taxe
d'accise est prescriptible.
Jugement: pendant la période en cause, il n'y avait aucun
délai de prescription applicable à une action en recouvrement
de taxes et d'amendes en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Il
ne fait pas de doute que la Constitution autorise le Parlement à
fixer des délais de prescription pour les procédures en vue du
recouvrement de taxes et l'article 38 de la Loi sur la Cour
fédérale supprime expressément l'immunité de la Couronne
relativement à la prescription, «Sauf disposition contraire de
toute autre loi». L'article 38 dispose en outre que les lois
provinciales en matière de prescription s'appliquent aux procé-
dures devant la Cour fédérale; la disposition pertinente de la loi
manitobaine prévoit une prescription de six ans. Toutefois, il
faut tenir compte de l'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise,
qui envisage deux méthodes de recouvrement de taxes ou
d'autres sommes: premièrement, l'action en justice dont il s'agit
au paragraphe (1) et, deuxièmement, le certificat du sous-
ministre, visé au paragraphe (4). Il est à noter, cependant, que
le dépôt d'un certificat n'opère pas sa transformation en juge-
ment. Suivant le paragraphe 52(1), les taxes ou les sommes
exigibles sont «recouvrables à toute époque». Ces mots consti
tuent une disposition contraire au sens de l'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale et, par conséquent, rendent inapplicable à
la Couronne la règle générale en matière de prescription formu-
lée à l'article 38. Point n'est besoin qu'une telle disposition
contraire soit rédigée d'une façon particulière. En l'espèce, les
mots «à toute époque» désignent une période illimitée. Comme
ils figurent uniquement au paragraphe 52(1), ils ne peuvent se
rapporter qu'à l'option d'une action en justice. L'article 52 et
l'article 38 ne sont nullement inconciliables. Certes, l'article 38
s'écarte de l'ancienne règle de droit en ce sens que la prescrip
tion qui y est prévue s'applique en principe à la Couronne,
celle-ci jouissant d'une immunité seulement lorsque cela lui est
expressément accordé. Néanmoins, malgré la tendance vers la
suppression de l'immunité de la Couronne en matière de pres
cription, l'exception que crée l'article 38 implique le maintien
de cette immunité dans les cas où le Parlement le prévoit, ce
qu'il a fait dans plusieurs lois par l'emploi de l'expression «à
toute époque» ou son équivalent. De plus, le point de vue énoncé
ci-dessus est appuyé par des modifications apportées récem-
ment au paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise.
AVOCATS:
J. Barry Hughes, c.r. et P. N. Thorsteinsson
pour la demanderesse (intimée).
H. Glinter pour la défenderesse (requérante).
PROCUREURS:
Inkster, Walker, Westbury, Irish, Rusen &
Hughes, Winnipeg, pour la demanderesse
(intimée).
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse (requérante).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La défenderesse
demande à la Cour en vertu de la Règle 474(1)a)
de statuer sur trois questions de droit qui sont ainsi
formulées dans l'avis de requête:
[TRADUCTION] (1) Une action en perception de taxes et
d'amendes imposées par la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C.
1970, chap. E-13, est-elle prescriptible;
(2) Dans l'affirmative, quel est ce délai de prescription; et
(3) Si la réponse à la question (1) est affirmative, à partir de
quelle date le délai de prescription applicable aux taxes et
aux amendes réclamées commence-t-il à courir?
Un exposé conjoint des faits revêtu des signatu
res des avocats des parties a été déposé à la Cour.
Hormis son paragraphe 9, qui ne fait qu'énoncer
les questions, reproduites ci-dessus, à trancher en
l'espèce, l'exposé porte:
[TRADUCTION] 1. Par suite d'une vérification des opérations
commerciales de la demanderesse, un employé du ministère du
Revenu national (Douanes et Accise), représentant Sa Majesté
la Reine, prétend que la demanderesse doit à celle-ci un
montant de 63 127,61 $ qui s'est accumulé depuis le 1" février
1972.
2. Au cours des dernières années, la demanderesse et la défen-
deresse ont eu de nombreux entretiens sur les taxes accumulées
et exigibles réclamées et la défenderesse a, en outre, fait
parvenir à la demanderesse, sous pli recommandé, plusieurs
avis de paiement dont le dernier a été envoyé le 10 septembre
1979. La défenderesse a continué à lui envoyer de temps à
autre, par la poste ordinaire, des avis de paiement.
3. La demanderesse n'a pas reconnu son obligation de payer les
taxes et les amendes en question.
4. Le montant total réclamé par la défenderesse, dû et exigible
au 31 janvier 1980, est de 95 116,06 $ en taxes de vente et en
amendes, auquel s'ajoute une amende supplémentaire calculée
à partir de février 1980 au taux de deux tiers d'un pour cent par
mois sur le montant de 63 127,61 $.
5. Le 7 février 1980 a été déposé à cette Cour, conformément
au paragraphe 52(4) de la Loi sur la taxe d'accise, un certificat
en date du 31 janvier 1980 portant que les montants suivants
étaient dus, exigibles et impayés:
Taxes de vente dues et accumulées pour la
période du 1" février 1972 au 30 novembre
1974 63 127,61 $
Amendes accumulées au 31 janvier 1980 31 988,45 $
95 116,06 $
ainsi qu'une amende supplémentaire, calculée à partir du P'
février 1980 jusqu'à la date de paiement, au taux de deux tiers
d'un pour cent par mois sur ledit montant de 63 127,61 $.
6. Les fonctionnaires du ministère du Revenu national (Doua-
nes et Accise) ont entrepris la détermination des taxes dues par
la demanderesse au moyen de la cotisation datée du 25 juillet
1975.
7. Les montants accumulés des taxes et des amendes qui ont été
exigées dans les six ans qui ont précédé la date du dépôt dudit
certificat à cette Cour et qui figurent dans ce certificat sont de
17 343,16 $ et de 7 689,22 $ respectivement pour un total de'
25 032,38 $.
8. La demanderesse soulève en l'espèce la question de la
prescription en ce qui concerne la perception de ces taxes et de
ces amendes compte tenu de la Loi sur la taxe d'accise et de la
Loi sur la Cour fédérale du Canada et de The Limitation of
Actions Act du Manitoba.
Il ne fait pas de doute que la constitution auto-
rise le Parlement du Canada à édicter que les
procédures en vue de la perception de taxes impo
sées par la Loi sur la taxe d'accise [S.R.C. 1970,
chap. E-13] ou par toute autre loi fiscale fédérale
doivent être engagées dans un délai qu'il aura
établi.
Dans l'exercice de ce pouvoir dont la Constitu
tion canadienne l'investit, le Parlement a adopté la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, dont l'article 38 dispose:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles
de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre
sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant
la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance
dans cette province et une procédure devant la Cour relative-
ment à une cause d'action qui prend naissance ailleurs que dans
une province doit être engagée au plus tard six ans après que la
cause d'action a pris naissance.
(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de
droit relatives à la prescription des actions désignées au para-
graphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou
contre la Couronne.
En l'espèce, la cause d'action a pris naissance au
Manitoba. Par conséquent, conformément à l'arti-
cle 38 de la Loi sur la Cour fédérale, sauf disposi
tion contraire de toute autre loi, les règles de droit
relatives à la prescription des actions en vigueur au
Manitoba entre sujets s'appliquent aux procédures
devant cette Cour. De plus, sous réserve de cette
même exception, les règles de droit manitobaines
relatives à la prescription s'appliquent aux procé-
dures devant cette Cour engagées par ou contre la
Couronne. Il en résulte que dans le cas des lois en
matière de prescription, les dispositions expresses
de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale
privent la Couronne de son immunité générale
contre l'application de tout texte de loi.
Les règles de droit manitobaines qui nous inté-
ressent en l'espèce se trouvent à l'alinéa 3(1)g) de
The Limitation of Actions Act, R.S.M. 1954,
chap. 145 [abrogé et remplacé par] S.M. 1966-67,
chap. 32, art. 2 [qui est l'al. 3(1)g), R.S.M. 1970,
chap. L150] dont voici le texte:
[TRADUCTION] 3. (1) Les actions suivantes doivent être inten-
tées dans les délais indiqués:
g) Les actions en recouvrement d'argent (sauf dans le
cas d'une dette grevant un bien-fonds), que cet argent
soit recouvrable à titre de dette ou de dommages-inté-
rêts ou autrement, et que l'action soit fondée sur un
engagement, un cautionnement, une convention ou un
autre contrat formel, ou sur un contrat ordinaire,
exprès ou implicite, ainsi que les actions en reddition
de compte ou pour non-reddition de compte, dans les
six ans qui suivent la naissance de la cause d'action.
Il se dégage nettement de cette disposition
qu'une action en recouvrement d'argent (en l'oc-
currence des taxes) recouvrable à titre de dette
doit être intentée dans les six ans qui suivent la
naissance de la cause d'action.
Il est à noter également que, suivant l'alinéa 2a)
de la même Loi [R.S.M. 1970, chap. L150; qui est
l'alinéa 2a), R.S.M. 1954, chap. 145 (tel que
modifié par S.M. 1966-67, chap. 32, al. l a))], le
mot «action» désigne toute procédure civile et
qu'aux termes de l'alinéa 2h) [R.S.M. 1970, chap.
L150; autrefois l'al. 2g), R.S.M. 1954, chap. 145]:
[TRADUCTION] 2 ...
h) «procédures» comprend une action, un envoi en possession,
une prise de possession et des procédures de saisie et de
vente en application d'une ordonnance d'un tribunal ou en
vertu d'un pouvoir de vendre contenu dans une hypothèque
ou accordé par la loi;
L'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise con-
tient d'autres règles législatives que nous devons
examiner. Le paragraphe 52(1) est ainsi conçu:
52. (1) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la
présente loi sont recouvrables à toute époque, passé l'échéance
de leur reddition de compte et de leur acquittement, et toutes
ces taxes et sommes sont recouvrables, et tous les droits de Sa
Majesté s'exercent en vertu des présentes, avec obtention de
tous les frais judiciaires, tout comme une dette envers Sa
Majesté ou un droit susceptible d'être exercé par Sa Majesté,
devant la Cour de l'Échiquier du Canada ou devant tout autre
tribunal compétent.
Le paragraphe 52(4) dispose:
52....
(4) Tout montant payable à l'égard des taxes, impôts, inté-
rêts et amendes prévus à la Partie II ou aux Parties III à VI,
restés impayés en totalité ou en partie quinze jours après la
date de la mise à la poste, par courrier recommandé, d'un avis
d'arriérés adressé au transporteur aérien titulaire d'un permis
ou au contribuable, selon le cas, peut être certifié par le
sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise
et, sur production à la Cour de l'Échiquier du Canada ou à un
de ses juges ou au fonctionnaire que la Cour ou le juge de cette
Cour peut désigner, le certificat est enregistré dans ladite Cour
et possède, à compter de la date de cet enregistrement, la même
vigueur et le même effet, et toutes procédures peuvent être
intentées sur la foi de ce certificat, comme s'il était un juge-
ment obtenu dans ladite Cour pour le recouvrement d'une dette
au montant spécifié dans le certificat, y compris les amendes
jusqu'à la date du paiement prévu à la Partie II ou aux Parties
III à VI, et inscrites à la date de cet enregistrement, et tous les
frais et dépenses raisonnables afférents à l'enregistrement de ce
certificat sont recouvrables de la même manière que s'ils fai-
saient partie de ce jugement.
Il y a donc deux procédures pour le recouvre-
ment de taxes ou de sommes exigibles en vertu de
la Loi sur la taxe d'accise. Les «sommes exigibles»
comprennent les intérêts et les amendes. Le para-
graphe 52(1) prévoit le recouvrement par action
devant la Cour de l'Échiquier du Canada ou
devant tout autre tribunal compétent. Le paragra-
phe 52(4) envisage une procédure qui ne nécessite
pas de recours devant les tribunaux. Ce paragra-
phe dispose que tout montant resté impayé quinze
jours après l'envoi, sous pli recommandé, d'un avis
d'arriérés adressé au contribuable, peut être certi-
fié par le sous-ministre du Revenu national (Doua-
nes et Accise) et que, sur production à la Cour de
l'Échiquier du Canada, à un de ses juges ou à un
officier de la Cour dûment désigné, le certificat
doit être enregistré dans ladite Cour et possède, à
compter de la date de l'enregistrement, la même
vigueur et le même effet qu'un jugement obtenu
dans ladite Cour pour le recouvrement d'une dette
au montant indiqué dans le certificat, y compris les
amendes et tous les frais et dépenses raisonnables
afférents à l'enregistrement. Toutes procédures
peuvent être fondées sur le certificat, comme s'il
était un jugement de la Cour.
Les dispositions du paragraphe (4) ne veulent
pas dire que le certificat devient un jugement. Il
garde son caractère de certificat du sous-ministre,
mais a le même effet et la même force qu'un
jugement et peut fonder des procédures comme s'il
en était un.
Lorsque l'article 52 et d'autres articles de la Loi
sur la taxe d'accise parlent de la Cour de l'Échi-
quier du Canada, il faut maintenant comprendre la
Cour fédérale du Canada qui, depuis sa constitu
tion, assume, entre autres, les fonctions et les
devoirs de la Cour de l'Échiquier du Canada.
La défenderesse (requérante) prétend que le
délai de six ans que prescrivent les paragraphes
38(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale ainsi
que l'alinéa 3(1)g) de The Limitation of Actions
Act du Manitoba ne s'appliquent pas à la Cou-
ronne. Cet argument est fondé sur les mots «Sauf
disposition contraire de toute autre loi» qui figu-
rent au début du paragraphe 38(2) et sur les mots
«recouvrables à toute époque» qui se trouvent à la
troisième ligne du paragraphe 52(1) de la Loi sur
la taxe d'accise. L'avocat de la requérante [défen-
deresse] (Sa Majesté la Reine) soutient que les
mots «recouvrables à toute époque», appliqués à
des taxes ou à des sommes exigibles en vertu de la
Loi sur la taxe d'accise, signifient qu'il n'y a pas
de délai pour engager des procédures en recouvre-
ment de taxes, et que leur sens s'accorde avec celui
des mots «Sauf disposition contraire de toute autre
loi».
Voici le texte intégral de l'expression concernant
le recouvrement de taxes qui figure au paragraphe
52(1) de la Loi sur la taxe d'accise: «[Les] taxes
ou sommes exigibles sous le régime de la présente
loi sont recouvrables à toute époque, passé
l'échéance de leur reddition de compte et de leur
acquittement.» Si on ne la lit qu'avec les mots
«Sauf disposition contraire de toute autre loi»,
l'expression «recouvrables à toute époque» admet
asssurément l'interprétation que lui donne le subs-
titut du procureur général.
L'avocat de l'intimée [demanderesse] soutient
qu'il s'agit là d'une interprétation erronée. Il fait
valoir en premier lieu que les mots «à toute
époque» ne constituent pas une disposition con-
traire au sens de l'article 38 de la Loi sur la Cour
fédérale. Selon l'avocat, une telle disposition serait
formulée à peu près comme suit: [TRADUCTION]
«Nonobstant toute disposition relative à la pres
cription des actions qui, sans cela, s'appliquerait.»
Je ne suis pas d'accord qu'une formulation particu-
lière soit nécessaire. Tout langage qui indique
clairement l'inapplicabilité du délai de prescription
suffit pour satisfaire à l'exception. Il n'est pas
nécessaire non plus qu'un délai de prescription
différent soit substitué au délai général. L'inten-
tion du Parlement a pu être de ne pas fixer de délai
de prescription à l'égard de la Couronne. Mais
l'avocat fait valoir que les mots «à toute époque» ne
signifient pas une période illimitée après le
moment où on aurait dû présenter un relevé de
compte concernant les taxes ou les sommes en
cause et où on aurait dû les acquitter. Selon lui, la
disposition tire son origine de l'article 20 de la Loi
spéciale des Revenus de guerre, 1915 [S.C. 1915,
chap. 8], qui est ainsi rédigé: «Toutes taxes ou
sommes payables sous le régime de la présente loi
seront recouvrables à toute époque, après qu'il
aura dû en être rendu compte et qu'elles auront dû
être payées ...» À cette époque-là, les lois en
matière de prescription ne s'appliquaient pas à la
Couronne et aucune loi n'était encore venue appor-
ter de restrictions à sa situation privilégiée. Il
aurait donc été inutile de dire que les taxes ou les
sommes étaient recouvrables à toute époque
future. L'avocat en conclut que les mots «à toute
époque» signifiaient en 1915, et signifient encore,
immédiatement après qu'on aurait dû présenter un
relevé de compte concernant les taxes ou les
sommes exigibles et qu'on aurait dû les acquitter,
sans attendre l'écoulement d'un délai quelconque
et avant qu'un jugement ne soit rendu dans le
cours ordinaire des choses. Suivant ce raisonne-
ment, les mots «à toute époque» qui figurent au
paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise ne
constitueraient pas une «disposition contraire de
toute autre loi» au sens du paragraphe 38(2) de la
Loi sur la Cour fédérale et n'auraient aucune
incidence sur le délai de prescription de six ans
prévu par l'article 38 de la Loi sur la Cour fédé-
rale et par l'alinéa 3(1)g) de The Limitation of
Actions Act du Manitoba, lus ensemble, pour les
actions en recouvrement de taxes intentées par Sa
Majesté du chef du Canada.
Cet argument est considérablement affaibli par
le fait que les mots «à toute époque» se trouvent au
paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise,
paragraphe qui porte uniquement sur le recouvre-
ment de taxes avec obtention de tous les frais
judiciaires, tout comme une dette envers Sa
Majesté, devant la Cour fédérale du Canada ou
devant un autre tribunal compétent. Le paragra-
phe 52(1) est muet quant à la possibilité d'obtenir
une garantie ou d'exiger le paiement avant le
jugement; il ne parle pas non plus d'un expédient
quelconque pour obtenir le paiement avant le juge-
ment. Les mots «à toute époque» ne figurent pas au
paragraphe 52(4) qui prévoit une procédure expé-
ditive qui consiste à produire un certificat ayant la
même force et le même effet qu'un jugement. Il
s'agit de deux procédures bien distinctes, les mots
«à toute époque» ne s'appliquant qu'à une procé-
dure devant les tribunaux.
Le grand changement qui est survenu dans la
situation de la Couronne relativement aux lois en
matière de prescription peut être exposé succincte-
ment. Autrefois, comme il se dégage des lois cana-
dienne et manitobaine relatives à l'interprétation,
une loi ne s'appliquait pas à la Couronne, à moins
que cette loi ne le dît expressément, règle à
laquelle les lois en matière de prescription étaient
également soumises. A l'heure actuelle, suivant
l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, c'est
l'inverse: les lois en matière de prescription s'appli-
quent à la Couronne, sauf disposition expresse en
sens contraire.
Il peut être utile d'énoncer une évidence qui
traduit une situation qui existe depuis longtemps.
A l'époque moderne, quand on dit qu'une loi est
applicable ou inapplicable à la Couronne, on ne
parle pas de la Reine en personne mais du gouver-
nement (soit le gouvernement au complet, soit le
ministre approprié) ou d'un fonctionnaire ou d'un
employé du gouvernement. La Reine n'agit que
par l'intermédiaire de ses ministres. Au Canada,
cela veut dire les ministres fédéraux ou provin-
ciaux dont les fonctions sont en grande partie
déléguées au sous-ministre intéressé ou à un autre
fonctionnaire ou employé.
L'avocat de l'intimée [demanderesse] allègue en
outre que l'article 38 de la Loi sur la Cour fédé-
rale a été adopté en 1970, alors que la disposition
initiale contenant les mots «à toute époque» date de
1915; il prétend donc qu'en cas d'incompatibilité,
c'est le texte postérieur qui doit primer. Malheu-
reusement pour cet argument, il n'y a aucun con-
flit entre les deux dispositions. L'article 38 crée
une exception et, si les mots «à toute époque»
satisfont à cette exception, ils ont leur plein effet.
Il ne reste donc qu'à déterminer s'ils y satisfont.
Selon le dernier argument avancé par l'avocat
sur ce point [TRADUCTION] «L'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale traduit une intention mani-
feste d'assujettir la Couronne fédérale aux délais
de prescription qui s'appliquent aux autres, ce qui
est compatible avec l'érosion des anciennes préro-
gatives de la Couronne ... Cette intention mani-
feste ne peut être contrecarrée par une disposition
législative qui survit sans modification depuis
1915, depuis une époque où les prérogatives de la
Couronne étaient incontestées, depuis une époque
où personne n'envisageait l'application des délais
de prescription à la Couronne.» Il ajoute que [TRA-
DUCTION] «si l'on interprète les mots `à toute
époque' littéralement et hors contexte, la Cou-
ronne pourrait entamer aujourd'hui des procédures
en recouvrement de taxes dues sur une opération
qui a eu lieu en 1915—résultat manifestement
absurde». Selon lui, s'il est possible de donner aux
mots «à toute époque» une interprétation plus rai-
sonnable et que cela permette d'éviter une telle
absurdité, c'est cette interprétation qu'il faut
adopter.
La première partie de cet argument est erronée,
en ce sens qu'elle ne tient pas compte de l'excep-
tion contenue dans l'article 38 de la Loi sur la
Cour fédérale. Cette exception a clairement pour
effet de maintenir, dans les cas où le Parlement le
prévoit, le privilège dont jouit la Couronne de ne
pas être soumise aux règles en matière de prescrip
tion. Dans ces cas, les délais de prescription qui
s'appliquent aux autres ne s'appliquent pas à la
Couronne. Là encore, la seule question à trancher
est de savoir si les mots «à toute époque» satisfont à
l'exception.
Bon nombre de lois prévoient que, dans les
circonstances qu'elles visent, des sommes peuvent
être recouvrées à toute époque comme une dette
envers Sa Majesté. Ces circonstances semblent
relever d'une manière générale de deux catégories.
Dans la première se trouvent les cas où le gouver-
nement a fait un paiement à une personne confor-
mément à une loi et où il devient évident par la
suite que cette personne n'avait pas droit au paie-
ment. La seconde catégorie comprend les cas où
une personne ou une société doit, en application
d'une loi, effectuer un paiement à la Couronne,
mais ne le fait pas.
L'avocat de la défenderesse a produit des
extraits tirés de plusieurs lois fédérales contenant
des dispositions de ce genre. Il s'agit des lois
suivantes:
1. Loi sur la formation professionnelle des
adultes, S.R.C. 1970, chap. A-2, art. 14.
2. Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970,
chap. C-5, par. 65(2).
3. Loi antidumping, S.R.C. 1970, chap. A-15,
par. 33(1),(2).
4. Loi stimulant la recherche et le développe-
ment scientifiques, S.R.C. 1970, chap. I-10,
par. 10(3).
5. Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C.
1970, chap. 0-6, par. 22(2).
6. Loi sur l'administration du pétrole, S.C.
1974-75-76, chap. 47, art. 76, 86.
7. Loi sur les allocations aux anciens combat-
tants, S.R.C. 1970, chap. W-5, art. 19.
8. Loi sur le double prix du blé, S.C. 1974-
75-76, chap. 54, art. 9.
Rien dans ces Lois n'indique que le droit de
recouvrement de la Couronne soit prescriptible.
Les dispositions autorisant le recouvrement d'ar-
gent à toute époque sont à ce point communes que
je suis porté à croire que le législateur a adopté
comme politique, chaque fois que des circonstances
de ce type se présentent, de maintenir l'ancienne
prérogative, dont jouit la Couronne, de ne pas être
soumise aux règles en matière de prescription. A
mon avis, l'assujettissement des fabricants et d'au-
tres personnes aux taxes d'accise prévues par la
Loi sur la taxe d'accise prend naissance dans des
circonstances assimilables à celles envisagées par
plusieurs des Lois précitées. Je n'ai rien pu trouver
qui me permette de conclure que les mots «à toute
époque», ou les mots semblables, employés dans
toutes ces lois ne doivent pas avoir leur sens
ordinaire.
Jusqu'à maintenant je me suis référé à
l'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise tel qu'il
existait pendant toute la période qui nous intéresse
en l'espèce. Le Parlement a toutefois modifié cet
article au cours de la session de 1980-81 [S.C.
1980-81-82-83, chap. 68, art. 21] et, selon moi, les
modifications se rapportent dans une certaine
mesure au point que nous venons d'examiner; c'est
particulièrement le cas des modifications apportées
au paragraphe (1) qui est ainsi rédigé:
52. (1) Sous réserve des paragraphes (1.2) et (1.3), les
actions en recouvrement des taxes ou des montants payables en
vertu de la présente loi se prescrivent par quatre ans à partir de
la date où les taxes ou les montants sont devenus exigibles.
(1.1) Pour l'application du paragraphe (1), une action en
recouvrement est présumée être intentée dans le délai de quatre
ans si, au plus tard à l'expiration de ce délai, on commence
l'examen ou la vérification visés à l'article 57 et portant sur les
registres ou livres de comptes de la personne tenue d'acquitter
ou de percevoir les taxes ou autres sommes en cause, ou s'il est
différé à cette mesure à la demande de cette personne.
(1.2) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la
Partie I sont recouvrables à toute époque.
(1.3) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la
présente loi sont recouvrables à toute époque, s'il n'a pas été
procédé à leur paiement par suite d'une négligence, d'un retard
délibéré ou d'une fraude.
Il est à noter d'abord que le nouveau paragraphe
52(1) prévoit, pour les actions en recouvrement des
taxes ou des montants payables en vertu de la Loi,
un délai de prescription général de quatre ans à
partir de la date où les taxes ou les montants sont
devenus exigibles. Avant cette modification, la Loi
ne contenait pas de disposition analogue. La modi
fication ne permet de tirer aucune conclusion
quant à l'état antérieur du droit. De toute façon, sa
formulation est tout aussi compatible avec une
intention de créer un délai de prescription là où il
n'y en avait pas auparavant qu'avec une intention
de réduire à quatre ans le délai de prescription
général de six ans déjà prévu à l'article 38 de la
Loi sur la Cour fédérale.
Les paragraphes (1.2) et (1.3), par contre, sont
importants. Lu dans le contexte du délai de pres
cription général de quatre ans prévu au paragra-
phe 52(1), le paragraphe (1.2), aux termes duquel
toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de
la Partie I sont recouvrables à toute époque, peut
seulement signifier que les actions en recouvre-
ment de ces taxes ou de ces sommes sont impres-
criptibles. La Partie I établit une taxe sur certaines
primes d'assurance. De même, l'unique sens qui
peut être attribué au paragraphe (1.3), qui dispose
que toutes taxes ou sommes (ce qui paraît englober
toutes les taxes et les sommes non visées au para-
graphe (1.2)) exigibles sous le régime dç la Loi
sont recouvrables à toute époque, s'il n'a pas été
procédé à leur paiement par suite d'une négli-
gence, d'un retard délibéré ou d'une fraude, est
que, lorsque les conditions prescrites existent, les
actions en recouvrement de taxes ou d'autres
sommes sont imprescriptibles. Antérieurement à
cette modification, la Loi sur la taxe d'accise ne
contenait pas de disposition de ce genre et la Loi
sur la Cour fédérale n'en contient pas non plus.
Dans The Limitation of Actions Act du Manitoba
[R.S.M. 1970, chap. L150], il y a une disposition
de portée plus restreinte, savoir l'alinéa 3(1)h)
[autrefois al. 3(1)g), R.S.M. 1954, chap. 145] qui
dit que [TRADUCTION] «Les actions fondées sur
une déclaration volontairement fausse» se prescri-
vent «par six ans à compter de la découverte de la
fraude». On n'allègue pas en l'espèce qu'il y a eu
une déclaration volontairement fausse.
Dans la présente affaire, toute l'importance des
paragraphes (1.2) et (1.3) tient à ce qu'ils mon-
trent très clairement que les mots «à toute époque»
sont parfois employés pour indiquer l'imprescripti-
bilité de certaines procédures. Ces paragraphes
montrent en outre que la tendance vers l'assimila-
tion de la situation de la Couronne en ce qui a trait
à la prescription à celle de toute autre personne n'a
pas encore eu pour effet d'enlever à la Couronne
toutes ses prérogatives dans ce domaine; en fait,
celles-ci ont été expressément maintenues ou peut-
être rétablies dans une certaine mesure par des
dispositions législatives récentes telles que les para-
graphes 52(1.2) et (1.3) de la Loi sur la taxe
d'accise.
Je conclus en dernier lieu que la réponse à la
première question posée en l'espèce est la suivante:
que pendant toute la période qui nous intéresse, il
n'y avait aucun délai de prescription applicable à
une action en recouvrement de taxes et d'amendes
en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C.
1970, chap. E-13. C'est avec réticence que je tire
cette conclusion, mais, selon moi, le droit est clair
et n'admet pas de décision contraire.
Vu ma réponse à cette question, les questions
(2) et (3) ne se posent pas. Je me contente de dire
que, si j'avais répondu à la première question par
l'affirmative, la réponse à la deuxième aurait été
six ans (quatre ans pour les causes qui prennent
naissance après les modifications de 1980-81) et la
réponse à la troisième aurait été la date où les
taxes en question auraient dû être acquittées.
La requérante [défenderesse] a droit aux dépens
afférents à la requête.
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