T-6109-81
Lor-Wes Contracting Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé—
Vancouver, 5 novembre; Ottawa, 18 novembre
1982.
Impôt sur le revenu — Crédit d'impôt à l'investissement
»Biens admissibles» — L'art. 127(10)c)(vü) de la Loi exige
qu'un bien soit acquis par le contribuable surtout pour l'ex-
ploitation forestière — La demanderesse est une entreprise se
spécialisant dans la construction de routes que des exploitants
forestiers de la Colombie-Britannique ont engagée à titre de
sous-traitant pour construire des chemins d'accès sur des
concessions forestières — En 1976, elle a acquis des machines
lourdes spécialement conçues pour l'exploitation forestière et
non pour la construction de routes en d'autres endroits et elle a
réclamé, en vertu de l'art. 127(10)c)(vii), un crédit d'impôt
relativement à ces machines qui, selon elle, sont des »biens
admissibles» employés surtout pour l'exploitation forestière
— Ces machines ont-elles été acquises surtout aux fins de
l'exploitation forestière ou pour construire des routes dans la
forêt? — Les opérations effectuées par la demanderesse cons-
tituent-elles une »exploitation forestière» au sens de l'art.
127(10)c)(vii)? — Appel de la nouvelle cotisation rejeté — Un
contribuable doit remplir toutes les conditions d'une exemp
tion pour pouvoir la réclamer — Le matériel en question a été
acquis non par un exploitant forestier, mais par un contribua-
ble qui exploitait surtout une entreprise de construction de
routes — Même si »l'exploitation forestière» est un ensemble
d'opérations, chacune d'elles faisant partie de l'exploitation
forestière lorsqu'elle est effectuée par des exploitants, on ne
peut dire que la construction de routes en forêt est, en soi, une
exploitation forestière lorsqu'elle est effectuée par un entre
preneur indépendant qui ne s'intéresse pas à l'exploitation
forestière mais qui est un spécialiste dans son domaine res-
treint — Si le législateur avait voulu étendre l'exemption
d'impôt à tous les sous-traitants engagés par des exploitants
forestiers, il l'aurait dit — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 127(10)b),c)(vii), mod. par S.C.
1974-75-76, chap. 71, art. 9; 1979, chap. 5, art. 40.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Lumbers v. Minister of National Revenue (1943), 2 DTC
631 (C. de l'É.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Deschatelets v. The Minister of National Revenue, 81
DTC 885 (C.R.I.); Ouimette v. The Minister of National
Revenue, 81 DTC 886 (C.R.I.).
AVOCATS:
Ian Pitfield pour la demanderesse.
Gaston Jorré pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Thorsteinsson, Mitchell, Little, O'Keefe and
Davidson, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE Du BE: La question principale qu'il faut
résoudre en l'espèce est de savoir si la construction,
dans des concessions forestières, de chemins d'ac-
cès, de pare-feux et de dépôts transitoires par un
entrepreneur au profit d'un exploitant forestier
constitue une «exploitation forestière» au sens du
sous-alinéa 127(10)c)(vii) de la Loi de l'impôt sur
le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, mod. par S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 1; 1974-75-76, chap. 71,
art. 9; 1979, chap. 5, art. 40.
Au cours des années d'imposition 1976, 1977,
1978 et 1979, trois exploitants forestiers des
régions de Clearwater et Lillooet en Colombie-Bri-
tannique ont successivement fait appel à la compa-
gnie demanderesse qui est une petite entreprise se
spécialisant dans la construction de routes en
Colombie-Britannique. Dans ses déclarations d'im-
pôt sur le revenu, en 1976 et 1977, la demande-
resse a décrit ses activités comme suit: [TRADUC-
TION] «construction de routes»; en 1978,
[TRADUCTION] «construction de routes sur con-
trat» et, en 1979 [TRADUCTION] «construction de
routes en forêt».
Au cours de la période en cause, la demande-
resse a fait l'acquisition d'un excavateur hydrauli-
que modèle P&H 1976, d'un tracteur à chenilles
Caterpillar modèle D8K 1976 et d'un excavateur à
chenilles Caterpillar modèle 235. Elle a réclamé
un crédit d'impôt à l'investissement en disant que
ces machines lourdes constituaient des «biens
admissibles» acquis par le contribuable pour servir
surtout à l'exploitation forestière. La disposition
susmentionnée de la Loi de l'impôt sur le revenu
est ainsi rédigée:
127... .
(10) Aux fins du paragraphe (9), «biens admissibles. d'un
contribuable désigne
b) les machines et le matériel prescrits, acquis par le contri-
buable après le 23 juin 1975
qui n'ont jamais été employés à quelque fin que ce soit avant
leur acquisition par le contribuable et qui
c) doivent être employés par lui au Canada surtout pour
(vii) l'exploitation forestière,
Dans un avis de nouvelle cotisation pour les
années en cause, la demande de crédits d'impôt à
l'investissement a été rejetée pour le motif que la
demanderesse exploitait [TRADUCTION] «une
entreprise de construction de routes, qui n'est pas
une activité prévue au sous-alinéa 127(10)c)(vii)».
Il est constant que la demanderesse a fait l'ac-
quisition du matériel pour effectuer des opérations
dans les concessions forestières, c'est-à-dire dans
les limites fixées par la province de la Colombie-
Britannique aux fins de l'exploitation forestière. Le
matériel n'a jamais servi et il n'a jamais été censé
servir à la construction de routes principales en
d'autres endroits: la demanderesse s'est procuré
des éléments additionnels pour adapter le matériel
aux opérations forestières (par exemple de gros
crochets, des patins stabilisateurs plus larges, des
protecteurs supplémentaires, des grappins de
manutention, etc.). Il est aussi constant qu'au
cours de cette période, la demanderesse a agi
uniquement à titre d'entrepreneur au service d'ex-
ploitants forestiers dans les concessions forestières.
Le propriétaire de la compagnie demanderesse a
décrit en détail devant le tribunal le genre de
travaux effectués par son entreprise au cours de
cette période, notamment la construction de che-
mins d'accès à la forêt, de dépôts transitoires, de
pare-feux, de pistes de débardage, le ramassage
des débris, la scarification. Pour la construction de
routes, l'entrepreneur doit abattre des arbres et en
faire ce que veut l'exploitant en se conformant aux
directives précises de celui-ci. Sa rémunération est
calculée au mètre linéaire pour les routes et au
cunit' pour le bois coupé.
On reconnaît dans l'industrie forestière l'impor-
tance d'un bon réseau de routes en forêt pour
mener à bien une entreprise forestière. Norman R.
Barr, bûcheron expérimenté originaire de Squa-
mish (C.-B.) a témoigné, à titre d'expert, pour le
' Dans ses avis de nouvelle cotisation, le Ministre a déclaré
que les opérations forestières représentaient 17.2% du revenu
déclaré en 1977 et 6.7% en 1978, [TRADUCTION] »indiquant
que le matériel de la compagnie ne servait pas surtout à
l'exploitation forestière».
compte de la demanderesse. Il a expliqué au tribu
nal la méthode utilisée par sa compagnie forestière
pour effectuer ses opérations. Au début, on pro-
cède à un examen préliminaire des lieux pour
déterminer la rentabilité d'un projet de coupe de
bois; on obtient ensuite les droits de coupe et on
conclut les contrats; puis on prépare un diagramme
et on établit un plan d'aménagement d'une durée
de cinq ans et un plan d'exploitation forestière
d'une durée de deux ans. Ces plans doivent être
approuvés par les fonctionnaires provinciaux affec
tés aux services forestiers; un plan du système
routier indiquant en détail l'endroit des routes et
des ponts doit également être approuvé. Une fois
cette approbation obtenue, la première étape con-
siste à construire des chemins d'accès, des pare-
feux et des dépôts transitoires conformément au
système routier approuvé; c'est alors qu'intervien-
nent les abatteuses, les tronçonneuses et les débus-
queuses pour couper et assembler le bois qui sera
transporté au moulin ou à la mer.
Selon l'expert, certains exploitants effectuent
l'ensemble de ces opérations avec leur propre
matériel et leur propre personnel; d'autres font
appel à des sous-traitants pour exécuter une partie
ou la totalité des différentes phases des opérations
forestières. Dans les régions forestières situées le
long des côtes, la construction de routes constitue
souvent, sur les plans physique et financier, l'étape
la plus importante de l'exploitation forestière après
les opérations de débusquage et de chargement.
Au dire de Barr, un grand nombre de petits exploi-
tants ont subi des échecs financiers parce qu'ils ont
été incapables de construire des routes de bonne
qualité et bien situées. Par conséquent, un grand
nombre d'exploitants confient la construction des
routes en forêt à des spécialistes en ce domaine.
L'expert conclut que les routes en forêt, les
pare-feux et les dépôts transitoires font partie inté-
grante de l'exploitation forestière en Colombie-
Britannique et que le matériel utilisé pour l'une ou
l'autre des opérations forestières sert à l'exploita-
tion forestière [TRADUCTION] «que ce matériel
appartienne ou non à la personne qui est titulaire
des droits de coupe, à la personne qui exerce ces
droits en vertu d'un contrat ou à la personne
engagée spécialement pour construire des routes
dans une région forestière et que ce matériel soit
ou non utilisé par ces personnes».
De toute évidence, la construction de routes est
un aspect important et même essentiel de l'exploi-
tation forestière. Je n'hésiterais pas à conclure
qu'un exploitant forestier fait l'acquisition du
matériel de construction de routes dont il a besoin
essentiellement aux fins de l'exploitation forestière,
la construction de routes faisant partie intégrante
de l'ensemble de son travail. Le matériel en ques
tion a toutefois été acquis non pas par l'exploitant
mais par une entreprise de construction de routes.
Cela étant, le contribuable a-t-il fait l'acquisition
du matériel surtout aux fins de l'exploitation fores-
tière ou ne l'a-t-il pas plutôt acheté pour construire
des routes dans la forêt? Cette Cour n'a pas eu à
se prononcer sur ce sujet mais la Commission de
révision de l'impôt a dû trancher certaines ques
tions analogues au présent cas.
Dans l'affaire Deschatelets v. The Minister of
National Revenue 2 , la Commission a décidé qu'un
camion acquis par un contribuable pour transpor
ter des billes en vertu d'un contrat conclu avec une
usine de papeterie n'était pas employé surtout pour
l'exploitation forestière. Le contribuable conduisait
le camion lui-même pendant le premier poste de
jour et une autre personne engagée par la compa-
gnie le conduisait au cours du deuxième poste. M.
J. Bonner, membre de la Commission, a conclu ce
qui suit [à la page 886]:
[TRADUCTION] La situation paraît claire. Le sous-alinéa
127(10)c)(vii) de la Loi tient compte du but qu'avait l'appelant
en se servant de son camion. Ce but était le transport des billes.
Même si le transport des billes par l'appelant était l'une des
opérations de l'exploitation forestière de la compagnie, il ne
constituait pas en soi l'exploitation forestière menée par l'appe-
lant. Celui-ci ne détenait aucune participation dans la conces
sion forestière ni dans les billes qu'il débardait et n'était pas du
tout intéressé dans la transformation des billes. Le but de
l'appelant concernant l'usage du camion et les objectifs plus
larges de la compagnie ne doivent pas être confondus.
Même si je ne suis évidemment pas lié par cette
décision, il est néanmoins difficile de ne pas tenir
compte des arguments très solides qu'a fait valoir
le membre de la Commission dans sa décision. On
trouve une situation analogue dans le présent
litige: la demanderesse a fait l'acquisition du maté
riel surtout dans le but de construire des routes en
forêt, activité qui, bien que faisant partie inté-
grante des opérations forestières de l'exploitant, ne
constitue pas, à elle seule, une exploitation fores-
tière. Dans le présent cas, la demanderesse ne
2 81 DTC 885 (C.R.I.).
détient pas non plus de droit dans les concessions
forestières ni dans la transformation du bois.
Dans l'affaire Ouimette v. The Minister of
National Revenue', le même membre de la Com
mission a décidé que même si le transport de billes
fait partie de l'exploitation forestière, il ne consti-
tue pas, en soi, une telle exploitation. Dans cette
affaire, le contribuable, un employé d'une usine de
papeterie, a fait l'acquisition d'un camion et d'une
remorque dans le but de les louer à la compagnie
en vue du transport des billes au moulin. Voici un
extrait des motifs de M. Bonner, à la page 887, qui
mérite d'être souligné:
[TRADUCTION] La preuve indique tout simplement que Great
Lakes, et non pas l'appelant, s'occupe d'exploitation forestière.
Le transport des billes est probablement l'une des opérations de
l'exploitation forestière, mais il ne constitue pas l'exploitation
forestière. Le raisonnement avancé au nom de l'appelant ne
tient pas compte des mots «par lui» stipulés dans la Loi et, par
conséquent, doit être repoussé.
De même, dans le présent cas, le matériel a été
acquis non pas par l'exploitant forestier mais «par
lui», le contribuable, qui exploitait d'abord et avant
tout une entreprise de construction de routes et
non une entreprise forestière.
Suivant une règle de droit bien établie, les dispo
sitions législatives qui prévoient une exemption
d'impôt doivent être interprétées restrictivement et
le contribuable qui soumet une demande d'exemp-
tion doit remplir toutes les conditions de cette
exemption s'il veut en bénéficier. Il doit établir
clairement que [TRADUCTION] «chacun des élé-
ments constitutifs de l'exemption est présent et que
toutes les conditions requises par l'article de la Loi
ont été respectées» [à la page 635] 4 .
Si le législateur avait voulu étendre l'exemption
d'impôt à tous les sous-traitants de l'industrie
forestière, il l'aurait dit. Par définition, «l'exploita-
tion forestière» est l'ensemble des opérations qui
consistent à abattre du bois et à transporter les
billes hors de la forêt. À mon avis, la construction
de routes en forêt n'est pas, en soi, une «exploita-
tion forestière», pas plus que la construction de
quais de pêche n'est une «entreprise de pêche», ou
que la construction de granges ne constitue une
«exploitation agricole», lorsque ces opérations sont
3 81 DTC 886 (C.R.I.).
4 Voir les notes du juge Thorson dans l'affaire Lumbers v.
Minister of National Revenue (1943), 2 DTC 631 (C. de l'É.).
effectuées par des entrepreneurs indépendants qui,
en général, ne s'intéressent pas à l'exploitation
forestière, à la pêche ou à l'agriculture mais qui
sont des spécialistes dans leur domaine restreint.
Pour toutes ces raisons, l'appel ne peut être
accueilli et l'action est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.