T-2705-80
Ruth Gameroff (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Decary—
Montréal, 19 octobre; Ottawa, 5 novembre 1982.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Revenu ou gain
en capital — La demanderesse était associée dans une société
immobilière (vendeur en l'espèce) qui a conclu une promesse de
vente d'un bien-fonds — En vertu de l'offre d'achat et tel
qu'indiqué au verso du chèque remis à titre d'acompte, le
montant de cet acompte serait acquis à la société à titre de
dommages-intérêts partiels en cas d'inexécution de l'acheteur
— La part de la demanderesse dans le montant de cet acompte
acquis à la société en cas d'inexécution constitue-t-elle un
gain en capital imposable en vertu de la Loi? — Action rejetée
— L'art. 54c)(ii)(B) inclut dans la définition de «disposition»
toute opération ou tout événement par lequel une créance d'un
contribuable ou un autre droit qu'a un contribuable de recevoir
une somme est réglé — L'acceptation de l'offre d'achat a créé
une dette envers le vendeur et le droit de réclamer le plein
montant de la créance a été réglé par la réception de la somme
versée à titre d'acompte — L'art. 54c)(ii)(B) s'applique aux
faits en l'espèce et par conséquent, la réception de la somme
acquise est une disposition et un gain en capital imposable en
vertu de l'art. 40(1)a) — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 40(1)a), 54c)(ii)(B).
AVOCATS:
Norman Bacal et D. J. Levinson pour la
demanderesse.
Jacques Côté pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Heenan, Blaikie, Jolin, Potvin, Trépanier,
Cobbett, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DECARY: La question en litige est de
savoir si la part qui revient à la demanderesse dans
la répartition d'un acompte de $65,000 acquis à
une société immobilière à titre d'indemnité consti-
tue un gain en capital imposable en vertu de la Loi
de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148,
mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1.
Les faits, admis par les parties, sont présentés
comme suit dans la déclaration:
[TRADUCTION] 1. Au cours de l'année d'imposition 1977, la
demanderesse était l'une des associées de Grovedale Realty Co.
2. Le 3 mars 1977, Administration Guipar Inc. a présenté à
Grovedale Realty Co. une offre d'achat concernant un bien-
fonds situé dans la ville de Lachine.
3. Le prix d'achat spécifié dans ladite offre était d'un million
trois cent cinquante mille dollars ($1,350,000).
4. L'offre d'achat était valable jusqu'au 3 mars 1977 17 h.
5. Le prix d'achat devait être acquitté au moyen:
a) d'un acompte de soixante-cinq mille dollars ($65,000), joint
à l'offre d'achat et payable à l'ordre de Canada Permanent
Trust «en fiducie», lequel acompte devait être détenu «en fidu-
cie» jusqu'à la signature de l'acte de vente et imputé au prix
d'achat à ce moment;
b) d'un versement, en espèces, de huit cent vingt-neuf mille
deux cent un dollars et soixante-cinq cents ($829,201.65) au
moment de la signature d'un acte de vente valide; et
c) de la prise en charge d'une hypothèque existante, au montant
de quatre cent cinquante-cinq mille sept cent quatre-vingt-dix-
huit dollars et trente-cinq cents ($455,798.35).
6. Au moment de l'offre, Administration Guipar Inc. a émis un
chèque certifié au montant de soixante-cinq mille dollars
($65,000) l'ordre de Canada Permanent Trust «en fiducie».
7. Une photocopie de ce chèque jointe à l'offre comporte la note
suivante:
«Ce document est une photocopie du chèque de $65,000 qui
accompagne la présente offre à titre d'acompte. Si l'acheteur
néglige ou refuse de signer l'acte de vente le 18 avril 1977 ou
avant cette date, aux conditions stipulées dans la présente offre,
celle-ci sera nulle ipso facto et le montant de $65,000 sera
acquis au vendeur à titre de dommages-intérêts partiels.
Canada Permanent Trust devra remettre cette somme au ven-
deur dès que celui-ci lui en fera la demande. Le vendeur n'est
pas tenu de donner un préavis pour que cette somme lui soit
acquise et il aura le droit de réclamer des dommages-intérêts
additionnels.»
8. Ayant dûment accepté l'offre, le vendeur Grovedale Realty
Co. a envoyé à Canada Permanent Trust une lettre lui indi-
quant que le bien-fonds avait , été vendu et que l'acheteur avait
émis un chèque, à titre d'acompte, payable à l'ordre de Canada
Permanent Trust; cette lettre précisait en outre:
«Les intérêts, s'il en est, que rapportera cet acompte devront
être crédités au compte d'Administration Guipar Inc.»
9. Subséquemment, l'acheteur éventuel n'a pas exécuté
l'opération.
10. L'acheteur n'ayant pas exécuté l'opération, la somme dépo-
sée entre les mains de Canada Permanent Trust a été acquise à
Grovedale Realty Co., à titre de dommages-intérêts, conformé-
ment à l'entente conclue entre les parties.
Il a en outre été convenu que les éléments de
preuve produits en l'espèce s'appliqueraient aux
deux autres affaires, Wise c. La Reine, T-3435-80
[Cour fédérale, jugement en date du 5 novembre
1982], et Lippman c. La Reine, T-3436-80 [Cour
fédérale, jugement en date du 5 novembre 1982],
puisque ces trois défenderesses sont les associées de
Grovedale Realty Co.
Les documents produits sous la cote D-1 sont
l'offre d'achat et la description du bien-fonds,
l'acceptation de l'offre, la note inscrite au verso du
chèque qui constitue l'acompte de $65,000 et une
lettre envoyée à Canada Permanent Trust en date
du 3 mars 1977.
Certains de ces documents contiennent des con
tradictions quant aux dates et au montant mais,
puisque les faits ont été admis, ces contradictions
sont sans conséquence.
L'acceptation de l'offre d'achat se lit comme
suit:
[TRADUCTION] ACCEPTATION PAR LE VENDEUR:
J'accepte la présente offre d'achat concernant le bien-fonds
décrit au verso du présent document. Je consens à verser à
Canada Permanent Trust une commission de QUATRE (4) pour
cent du prix de vente convenu, à la condition que l'acheteur
signe un acte de vente valide le 30 avril 1977 ou avant cette
date.
Il faut noter que la lettre d'acceptation qui
complète l'accord des volontés fait mention non
pas du 18 avril mais du 30 avril. Lorsqu'une
opération porte sur une somme de $1,350,000, des
dates d'échéance aussi différentes auraient dû
donner lieu à une explication.
La note inscrite au verso de l'acompte de
$65,000 se lisait comme suit:
Ce document est une photocopie du chèque de $65,000 qui
accompagne la présente offre à titre d'acompte. Si l'acheteur
néglige ou refuse de signer l'acte de vente le 18 avril 1977 ou
avant cette date, aux conditions stipulées dans la présente offre,
celle-ci sera nulle ipso facto et le montant de $65,000.00 sera
acquis au vendeur à titre de dommages-intérêts partiels.
Canada Permanent Trust devra remettre cette somme au ven-
deur dès que celui-ci lui en fera la demande. Le vendeur n'est
pas tenu de donner un préavis pour que cette somme lui soit
acquise et il aura le droit de réclamer des dommages-intérêts
additionnels.
Comme l'offre, cette note mentionne notamment
la date du 18 avril et souligne le fait que la somme
de $65,000 sera acquise à la société sans que
celle-ci soit tenue de donner un préavis à la compa-
gnie de fiducie. On doit noter que l'acompte paya
ble en cas d'inexécution est intitulé «dommages-
intérêts partiels».
Le dernier document est une lettre adressée par
Grovedale Realty Co. à Canada Permanent Trust
en date du 3 mars 1977:
[TRADUCTION]
Le 3 mars 1977.
Le 18 février 1977.
Canada Permanent Trust,
1091 boul. Décarie,
St-Laurent (Qué.).
Messieurs,
Nous avons, aujourd'hui, vendu, par l'entremise de
vos agents, des biens-fonds sis 45° avenue, Lachine,
(Qué.). L'acheteur, Administration Guipar Inc. a
émis, à titre d'acompte, un chèque au montant de
65,000 .. payable à
votre ordre «en fiducie». Les intérêts, s'il en est, que
rapportera cet acompte devront être crédités au
compte d'Administration Guipar Inc. Cet intérêt ne
30 jours peut cependant courir pendant plus de SOIXANTTE
(60) jours à compter des présentes.
Quoi qu'il en soit, nous voulons qu'il soit clairement
65 entendu que la somme de CENT MILLE DOL-
LARS-($100,000) que vous détenez en fiducie nous
est destinée et doit être imputée au prix d'achat;
cette somme d'argent nous appartient dès mainte-
nant et nous sera transmise en mains propres au
moment de la cession du bien-fonds à Administra
tion Guipar Inc.
En outre, si l'acheteur est en défaut, nous vous
demanderons de nous faire parvenir cette somme
d'argent même si la cession n'a pas lieu.
Nous vous prions d'agréer, messieurs, l'expression
de nos sentiments distingués.
GROVEDALE REALTY CO.
Par l'entremise de:
c.c. M. Yvan Soulard
M. Yvon Robert fils.
Nous, soussignés, Yvan Soulard et Yvon Robert
accusons réception d'une copie de la présente lettre.
18 février 1977
(et signée par MM. Yvan Soulard et Yvon Robert
fils).
Cette lettre indique que la date et le montant de
l'acompte ont été modifiés sans que les modifica
tions ne soient paraphées.
Voici un cas de disposition prévu par la disposi
tion 54c)(ii)(B) de la Loi:
54. Dans la présente sous-section,
c) «disposition de biens» comprend, sauf dispositions contrai-
res expresses,
(i) toute opération ou tout événement donnant droit au
contribuable au produit de la disposition de biens,
(ii) toute opération ou tout événement par lequel
(B) toute créance d'un contribuable ou tout autre droit
qu'a un contribuable de recevoir une somme est réglé ou
annulé,
Je conclus ce qui suit: en acceptant l'offre
d'achat le 3 mars 1977, la société devenait créan-
cière d'une somme de $1,350,000; étant donné que
la vente n'a pas été exécutée, l'acompte lui a été
acquis ipso facto, dès le 18 avril, et devait alors lui
être remis; l'opération de la clause pénale a été
prévue dans la note inscrite sur le chèque remis à
titre d'acompte; dans la lettre envoyée à la compa-
gnie Canada Permanent Trust, il est dit qu'en cas
d'inexécution, la somme d'argent sera remise à la
société sans acte de cession; la lettre adressée par
Grovedale Realty Co. à la compagnie Canada
Permanent Trust établit que le montant de
l'acompte appartient à la société.
Il est reconnu que la défenderesse ne peut être
liée par une erreur de ses préposés qui apparaît
dans un document tel qu'une explication contenue
dans un avis de cotisation.
Selon moi, il n'y a pas lieu d'examiner la ques
tion des dommages allégués par la demanderesse
pour solutionner ce problème.
Je suis d'avis que la disposition 54c)(ii)(B) de la
Loi s'applique aux faits en l'espèce. Il y a effective-
ment eu, envers la société, une dette de $1,350,000
assujettie à certaines conditions et ladite dette a
été annulée par la réception de l'acompte en appli
cation de la clause pénale. En outre, le droit de
réclamer la somme de $1,350,000 ou de $65,000 a
été réglé par la réception de cette dernière somme.
Dans l'un et l'autre cas, la réception de $65,000
est une disposition au sens de la disposition
54c)(ii)(B) de la Loi.
L'indemnité étant visée dans la définition du
mot «disposition:, elle constitue par conséquent un
gain en capital imposable au sens de l'alinéa
40(1)a) de la Loi. La part du gain en capital de la
demanderesse a donc été évaluée comme il se
devait selon les dispositions des articles 38 et 39 de
la Loi.
L'action doit être rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.