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T-2952-80
C.P. Ships (demanderesse)
c.
Les Industries Lyon Corduroys Ltée (défende- resse)
Division de première instance, juge Addy—Mont- réal, 2 novembre; Ottawa, 19 novembre 1982.
Droit maritime Contrats Connaissement Réclama- tion du prix du fret La demanderesse a transporté les marchandises de la défenderesse par navire de Montréal à Durban (Afrique du Sud) Un tiers est désigné dans le connaissement à titre de mandataire de la demanderesse La défenderesse a payé le prix convenu du fret à ce tiers, croyant que celui-ci était autorisé à recevoir le paiement au nom de la demanderesse Le tiers a omis de remettre l'argent à la demanderesse et il a déclaré faillite Action accueillie Le débiteur qui paie à un tiers le fait à ses risques La défenderesse n'a pas prouvé que le tiers a effectivement été autorisé à recevoir le paiement, que la demanderesse a laissé croire que le tiers était ainsi autorisé à agir en son nom ou qu'elle a fait en sorte que le débiteur en vienne à cette conclusion, ou qu'en vertu de l'usage ayant cours dans ce genre d'entreprise et dans de telles circonstances, le créancier et le débiteur s'attendent normalement à ce que le paiement soit fait à un tiers.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Propriétaires du navire «Chastine Maersk», A/S DIS Svendborg & D/S AF 1912 A/S c. Trans -Mar Trading Co. Ltd., Cour fédérale, T-1357-74, jugement en date du 6 novembre 1974.
AVOCATS:
Line Gosselin-Després pour la demanderesse.
Jacob H. Woloshen pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin & Associés, Québec, pour la demanderesse.
Woloshen & Axelrod, Montréal, pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: La demanderesse a transporté, dans un de ses navires, des marchandises expédiées par la défenderesse de Montréal à Durban (Afri- que du Sud). Celle-ci a payé à Ketra Overseas Transport Canada Ltd. (ci-après appelée «Ketra») le prix convenu du fret, soit $2,840, croyant, sem-
ble-t-il, que cette dernière était mandataire de la demanderesse et qu'elle était autorisée à recevoir le paiement en son nom.
Ketra a subséquemment déclaré faillite sans rembourser la demanderesse qui réclame mainte- nant à la défenderesse le prix intégral du fret.
La demanderesse n'a cité aucun témoin. La défenderesse a cité son président qui fut son unique témoin. Voici les pièces qui ont été dépo- sées (l'énumération suit l'ordre chronologique):
1. Facture envoyée par Ketra à la défenderesse en date du 31 décembre 1979, au montant de $2,865 (soit $2,840 pour le fret et $25 pour la gestion et la documentation);
2. Facture envoyée par la demanderesse à Ketra en date du 16 janvier 1980, au montant de $2,840 qui était le prix convenu du fret;
3. Connaissement portant la date du 19 janvier 1980;
4. Chèque annulé signé par la défenderesse en date du 24 janvier 1980 et payable à Ketra;
5. Lettre adressée par les procureurs de la demanderesse à la défenderesse en date du 1" avril 1980, réclamant le paiement du fret.
La demanderesse figure au connaissement en qualité de transporteur et la défenderesse, en qua- lité d'affréteur. Ketra est mentionnée dans l'espace réservé aux directives en qualité de «mandataire».
Le président de la défenderesse a témoigné qu'il avait toujours cru que Ketra était, à toutes fins, le mandataire de la demanderesse et qu'elle était autorisée à recevoir le paiement du fret au nom de cette dernière. Il a ajouté que le montant addition- nel de $25 (c'est-à-dire la différence entre $2,865 et $2,840) représentait des droits minimes de ges- tion et les frais pour le travail d'écriture que Ketra devrait faire au nom de la défenderesse puisqu'à cette époque, la défenderesse n'avait aucune expé- rience dans le transport de marchandises par mer. Il a en outre affirmé que Ketra lui avait fait savoir que ses frais lui seraient versés par le transporteur, sans toutefois préciser si le représentant de Ketra lui avait dit que celle-ci était autorisée à recevoir le paiement au nom de la demanderesse. Il a, semble- t-il, présumé qu'il en était ainsi.
Le connaissement comportait la mention [TRA- DUCTION] «fret payé d'avance», mais, bien sûr, les
parties savaient très bien, le 19 janvier 1980, que le fret n'avait pas été payé puisque le chèque de la défenderesse n'a été émis que le 24 janvier 1980. Quoi qu'il en soit, le terme «fret payé d'avance» qu'il faut distinguer de «l'avance de fret» signifie non pas que le fret a été effectivement payé au moment de l'émission du connaissement mais seu- lement que le transporteur doit réclamer le paie- ment à l'affréteur et non au destinataire des mar- chandises. (Voir l'affaire non publiée Propriétaires du navire «Chastine Maersk», A/S D/S Svendborg & D/S AF 1912 A/S c. Trans -Mar Trading Co. Ltd.')
Le connaissement indique clairement que le con- trat a été conclu entre la demanderesse à titre de transporteur et la défenderesse à titre d'affréteur. Le paiement doit normalement être fait au trans- porteur, étant l'autre partie au contrat et celle qui a fourni les services. Le connaissement n'indique pas que Ketra était autorisée à recevoir le paie- ment du fret pour le compte de la demanderesse, ni existe-t-il d'autres éléments de preuve permettant de croire que celle-ci avait autorisé Ketra à agir en son nom. Dans une facture qu'elle a envoyée à Ketra, la demanderesse réclame le montant inté- gral de $2,840 sans déduire une somme à titre de commission. La facture a été envoyée avant que le connaissement ne soit émis. On pourrait facile- ment en conclure que Ketra a reçu cette facture à titre de mandataire de la défenderesse qui avait négocié l'affaire au nom de celle-ci plutôt qu'au nom de la demanderesse, compte tenu du fait que la défenderesse avait demandé à Ketra de s'occu- per du transport de ces marchandises et que c'est cette dernière qui a trouvé un transporteur.
Lorsqu'un débiteur choisit de payer un tiers au lieu de son créancier, il le fait à ses risques. Si l'argent n'est pas remis au créancier, le débiteur doit alors prouver:
(1) que le créancier a réellement autorisé le tiers à toucher l'argent en son nom,
(2) que le créancier a laissé croire que le tiers était ainsi autorisé à agir en son nom,
' T-1357-74, 6 novembre 1974 (C.F. 1" inst.).
(3) que le créancier, par son attitude ou autre- ment, a fait en sorte que le débiteur en vienne à cette conclusion, ou
(4) qu'en vertu de l'usage ayant cours dans ce genre d'entreprise et dans de telles circons- tances, le créancier et le débiteur s'attendent normalement à ce que le paiement soit fait à un tiers.
Aucun de ces faits n'a été prouvé en l'espèce.
Même lorsqu'il est établi qu'une personne agit à titre de mandataire pour le compte de son com- mettant et qu'elle a droit d'être rémunérée pour ses services, cela ne signifie pas que le mandataire est nécessairement autorisé à recevoir les paie- ments qui sont dus au commettant par l'autre partie au contrat.
Je dois par conséquent conclure que le paiement fait par la défenderesse à Ketra ne constituait pas un paiement fait à la demanderesse.
Par ces motifs, la somme de $2,840 et les dépens sont adjugés à la demanderesse.
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