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T-2943-81
Brian L. Aimonetti (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge suppléant Nitikman—Winnipeg, 5 avril et 27 octobre 1982.
Compétence Stupéfiants Demande fondée sur la Règle 474(I)a) en vue de faire trancher une question de droit, savoir si la Cour fédérale a compétence pour ordonner la restitution de l'argent saisi par la GRC, en vertu de l'art. 10(1) de la Loi sur les stupéfiants, au cours d'une perquisition effectuée dans un domicile Réponse affirmative L'argent est confisqué uniquement dans les cas il sert à acheter l'objet relié à un acte criminel L'argent n'a pas été utilisé à cette fin Le Ministre en était le gardien Il n'était pas autorisé à trancher la question du titre de propriété Cette question ferait l'objet d'une poursuite civile devant la Cour fédérale Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 4, 10(1), (5),(6),(7),(8) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 420(1),(2), 474(1)a).
Preuve Fin de non-recevoir Argent saisi par la police qui a perquisitionné à un domicile pour y chercher des stupé- fiants Poursuite fondée sur l'art. 10(5) de la Loi et entendue par un juge de la Cour provinciale Seul le droit à la possession a été examiné La question de la propriété n'est pas chose jugée La demande visant à obtenir la restitution de l'argent par une ordonnance de la Cour fédérale n'est pas irrecevable Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N- I, art. 10(5).
Il s'agit d'une demande fondée sur la Règle 474(1)a) visant à faire trancher deux questions de droit: la première question étant de savoir si la Cour fédérale a compétence pour ordonner la restitution d'une somme d'argent saisie par la GRC en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi sur les stupéfiants au cours d'une perquisition au domicile du demandeur, la question subsi- diaire étant de savoir si la demande d'ordonnance visant à obtenir la restitution de l'argent est irrecevable pour le motif que la question est chose jugée parce qu'elle a été examinée par un juge de la Cour provinciale qui a entendu la demande fondée sur le paragraphe 10(5). Après avoir été trouvé en possession d'une certaine quantité de drogues interdites et du nécessaire pour les administrer ainsi que d'une somme de 23 440 $ en espèces, au cours d'une perquisition de la GRC à son domicile, le demandeur a été déclaré coupable à la suite d'accusations portées en vertu de la Loi sur les stupéfiants. Il a subséquem- ment présenté à un juge de la Cour provinciale une demande fondée sur le paragraphe 10(5) de la Loi en vue d'obtenir la restitution de l'argent saisi. La Cour a décidé que le demandeur n'avait pas droit à la possession parce qu'il ne l'a pas convain- cue que l'argent n'était pas relié à ses activités criminelles. Celui-ci a demandé, sans succès, à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba de rendre une ordonnance de certiorari en vue de faire annuler le jugement et c'est de nouveau sans succès qu'il a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel de cette province.
Jugement: la réponse à la première question est affirmative et la réponse à la seconde question est négative. Le juge de la Cour provinciale a décidé de refuser la restitution de l'argent saisi entre les mains du demandeur pour le motif que cet argent a été obtenu grâce à la perpétration d'un acte criminel. Cepen- dant, le paragraphe 10(8) de la Loi qui prévoit la confiscation au profit de la Couronne de tout argent saisi en rapport avec une enquête sur une infraction relative à un stupéfiant ne s'applique que si cet argent a été utilisé pour l'achat du stupéfiant qui a été l'objet de l'infraction dont le demandeur a été déclaré coupable. En l'espèce, l'argent n'a pas été utilisé à cette fin. En outre, aucun droit de confiscation n'est conféré par le paragraphe 10(7) qui prévoit que lorsque aucune demande n'a été faite concernant la remise d'un objet saisi conformément au paragraphe 10(1) dans les deux mois de cette saisie, cet objet doit être livré au Ministre qui peut en disposer de la façon qu'il juge opportune. Ledit paragraphe fait de ce dernier un simple gardien et ne l'autorise pas à trancher la question du droit de propriété. Cette question relève d'un tribunal civil. L'affaire Smith c. La Reine confirme ce point de vue. Le fait que le demandeur a tenté d'obtenir la restitution de la somme d'argent en vertu du paragraphe 10(5) ne lui enlève pas le droit d'engager une procédure civile devant cette Cour pour faire trancher la question de la propriété de la somme d'argent et obtenir une ordonnance de restitution de cette somme. En outre, l'action intentée par le demandeur n'est pas irrecevable pour le motif qu'il y a chose jugée. Suivant le principe de la chose jugée, lorsqu'une question est soumise à un tribunal, le jugement de la cour devient une décision finale entre les parties et toute question soulevée directement ne peut être jugée de nouveau dans une poursuite subséquente. Dans le présent cas, le juge de la Cour provinciale a examiné uniquement la question de savoir si l'argent en question était relié au trafic de la drogue et sa décision a eu pour seul effet de conférer au Ministre et non au demandeur le droit à la possession de la somme d'ar- gent. La question de propriété a été passée sous silence. Ce point de vue est confirmé par le jugement de la Cour d'appel qui a déclaré que les poursuites intentées en vertu de l'article 10 ne font que conférer au Ministre le droit à la possession et que l'accusé peut subséquemment engager une procédure civile pour recouvrer son bien. Il s'agit, en l'espèce, d'une question de propriété qui est distincte des procédures engagées devant la Cour provinciale. Les doctrines de la fin de non-recevoir et de la chose jugée ne s'appliquent donc pas.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Smith c. La Reine, [1976] 1 C.F. 196; 27 C.C.C. (2d) 252 (1's inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. v. Aimonetti (1981), 8 Man.R.(2d) 271 (C.A.); Stif- tung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.); McIntosh v. Parent, [1923-24] 55 O.L.R. 552 (C.A.); La ville de Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621; Haynes v. Wilson et al., [1914] 6 W.W.R. 1495 (C.S. Sask.).
DÉCISION CITÉE:
Angle c. Le Ministre du Revenu National, [1975] 2 R.C.S. 248.
AVOCATS:
Martin Corne, c.r. et I. Isenstein pour le
demandeur.
Harry Glinter pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Corne & Corne, Winnipeg, pour le deman- deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT NITIKMAN: Il s'agit d'une requête présentée au nom de la défenderesse en vertu de l'alinéa 474(1)a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], demandant à celle-ci de statuer sur les questions de droit suivantes:
[TRADUCTION] 1. La Cour fédérale du Canada a-t-elle compé- tence pour ordonner la restitution de la somme d'argent qui fait l'objet du présent litige alors que dans une demande de restitu tion antérieure fondée sur le paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chapitre N-1, le juge de la Cour provinciale a décidé que le demandeur n'avait pas droit à la possession de ladite somme d'argent; ou
2. Subsidiairement, la requête présentée par le demandeur en l'espèce en vue d'obtenir une ordonnance de restitution de ladite somme d'argent est-elle irrecevable pour le motif que la question a déjà été tranchée par le juge de la Cour provinciale en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chapitre N-1, et que la ques tion est donc chose jugée.
La déclaration qui se rapporte à la présente demande et dans laquelle Brian L. Aimonetti est désigné à titre de demandeur et Sa Majesté La Reine à titre de défenderesse a été produite le 27 mai 1981. Les paragraphes 3, 4, 5, 6, 7 et 8 sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 3. Le demandeur déclare que vers le 15 février 1980 [sic], la GRC a perquisitionné à sa résidence sise au 323 avenue Collegiate, Winnipeg (Manitoba), et saisi la somme de 23 440 $ en vertu de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1 et ses modifications (ci-après appelée «ladite Loi„).
4. Le demandeur affirme que ladite somme a été livrée au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social conformé- ment au par. 10(7) de ladite Loi.
5. Le demandeur prétend que ladite Loi ne confère au Ministre que la garde des choses saisies et ne l'autorise pas à trancher une question de droit de propriété.
6. Le demandeur soutient que ladite somme d'argent lui appar- tient et que le Ministre ne peut intervenir pour le priver de son droit de propriété.
7. Le demandeur fait valoir qu'il n'est assujetti à aucun délai de prescription l'empêchant de demander la restitution de cette somme d'argent et que la loi n'a pas pour effet de le priver de son droit de propriété ou de poursuite.
8. Le demandeur prétend qu'on ne peut porter atteinte à son droit de propriété dans la somme d'argent et que le Ministre détient illégalement cette somme à son détriment, commettant ainsi un détournement de fonds.
Voici ce que le demandeur réclame dans sa demande de redressement:
[TRADUCTION] 9. Le demandeur réclame par conséquent:
a) un jugement condamnant la défenderesse à lui restituer la somme de 23 440 $;
b) les intérêts sur ladite somme de 23 440 $, jusqu'à la date du paiement;
c) les dépens de la présente action.
Dans sa défense, produite le 18 août 1981, la défenderesse prétend que le demandeur n'a pas droit à la restitution de la somme d'argent en précisant ce qui suit aux paragraphes 4, 5 et 6:
[TRADUCTION] 4. En ce qui concerne l'ensemble de la déclara- tion, la défenderesse déclare que le 7 mars 1979, le demandeur a présenté, en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chap. N-1 (la Loi), une demande de restitution de la somme d'argent, comme en fait foi le paragraphe 3 de la déclaration. La demande a été entendue le le' avril 1980 par le juge Kopstein de la Cour provinciale qui a conclu que le demandeur n'avait pas droit à la possession de ladite somme d'argent parce qu'il n'avait pas convaincu le tribunal que cette somme n'était pas reliée à ses activités criminelles. La demande a donc été rejetée et ladite somme remise au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social qui, conformément au paragraphe 10(7) de la Loi, »peut en disposer de la façon qu'il juge opportune».
5. À cet égard, la défenderesse affirme que même si le deman- deur est «propriétaire» de la somme d'argent mentionnée au paragraphe 3 de la déclaration, allégation qu'elle rejette, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social peut intervenir pour le priver de son droit de propriété de sorte qu'il détient cette somme d'argent légalement et qu'il ne commet aucun détournement illégal, contrairement à ce qui a été allé- gué ou autrement déclaré.
6. Subsidiairement, la défenderesse prétend que la somme d'argent mentionnée au paragraphe 3 de la déclaration était reliée aux activités criminelles du demandeur, (notamment) le trafic de stupéfiants, ou qu'elle en provenait, et qu'il serait par conséquent contraire à la loi et à l'ordre public de remettre cette somme au demandeur, ce qui lui permettrait de tirer profit de son méfait.
Dans la présente affaire, le demandeur dési- gnera Aimonetti et lorsque celui-ci sera désigné sous le nom de requérant dans les documents que
je citerai, il s'agira du demandeur dans la présente action.
La suite des événements qui a donné lieu à la production de la déclaration apparaît dans l'affida- vit de Bruce A. MacFarlane qui déclare notam- ment ce qui suit:
[TRADUCTION] Je, BRUCE A. MACFARLANE, résidant à Winnipeg (Manitoba),
DÉCLARE SOUS SERMENT CE QUI SUIT:
1. Je suis avocat au service du bureau régional du ministère fédéral de la Justice à Winnipeg et à ce titre, je suis au courant des faits ci-après mentionnés.
2. Le 15 février 1979, des membres de la Gendarmerie royale du Canada, faisant partie de la section antidrogue de Winni- peg, se sont rendus à la résidence de Brian L. Aimonetti, sise au 323 avenue Collegiate, Winnipeg (Manitoba), et ils ont procédé à une perquisition dans le but de trouver des stupéfiants.
3. Parmi les objets saisis, il y avait:
a) 3 petites boîtes qui contenaient 30 récipients renfermant chacun une once de résine de cannabis, qui aurait une valeur de plus de 17 500 $ si elle était vendue à l'once;
b) 2 récipients en verre contenant 54 grammes de résine de cannabis;
c) 1 récipient en verre contenant 27 grammes de résine de cannabis;
d) des balances, des récipients vides et des seringues;
e) 360 $ en espèces trouvés sur la personne de Brian L. Aimonetti;
f) des gants tachés de résine de cannabis trouvés sur la personne de Brian L. Aimonetti;
g) 22 000 $ en espèces trouvés dans le placard de la chambre principale, dont 460 $ étaient tachés de résine de cannabis;
h) 1 080 $ en espèces trouvés dans la table de toilette de la chambre principale;
i) un feuillet de renseignements T-4 au nom de Brian L. Aimonetti au montant de 3 554,02 $.
4. Une analyse d'empreintes digitales effectuée sur les réci- pients d'une once contenant la résine de cannabis a révélé l'existence de nombreuses empreintes digitales identifiées comme étant celles de Brian L. Aimonetti.
5. A la suite de la perquisition et des saisies, Brian L. Aimonetti a été accusé:
Vers le 15 février 1979, Winnipeg ou près de Winnipeg, dans le district judiciaire de l'Est, (Manitoba), d'avoir été en possession illégale d'un stupéfiant, c'est-à-dire de la résine de cannabis pour en faire le trafic, en violation des dispositions de la Loi sur les stupéfiants et de ses modifications.
6. Le 10 janvier 1980, après avoir entendu l'ensemble de la preuve, le juge Dureault de la Cour de comté de Saint-Boni- face, division criminelle, a déclaré Brian L. Aimonetti coupable de l'infraction dont il était accusé. Les copies du certificat de condamnation portant la date du 19 février 1980 et des motifs du jugement du juge A. Dureault prononcés le 10 janvier 1980 sont jointes aux présentes sous les cotes «A» et «B».
7. Le 23 janvier 1980, le juge Dureault a condamné Brian L. Aimonetti à une peine d'emprisonnement d'une durée de deux ans moins un jour.
8. À la suite d'une demande de restitution présentée le 7 mars 1979, une audience a eu lieu devant le juge Kopstein de la Cour provinciale de Winnipeg (division criminelle) le 1°' avril 1980. Une copie de l'avis de demande de restitution en date du 7 mars 1979 est jointe aux présentes sous la cote «C».
9. Après avoir entendu la preuve de Brian L. Aimonetti et celle de la Couronne, le juge Kopstein a rejeté la demande de restitution d'Aimonetti. Une copie de la transcription des témoignages et des débats relatifs à la demande de restitution entendue le 1" avril 1980 est jointe aux présentes sous la cote «D».
10. Dans un avis de requête introductif d'instance déposé le 29 avril 1980 devant la Cour du Banc de la Reine, Brian L. Aimonetti a demandé une ordonnance de certiorari en vue d'annuler l'ordonnance du juge Kopstein. Une copie de cet avis est jointe aux présentes sous la cote «E».
11. Le 20 juin 1980, le juge Wright de la Cour du Banc de la Reine a rejeté la demande après avoir entendu les arguments de l'avocat de Brian L. Aimonetti et ceux du procureur de la Couronne. Les copies de l'ordonnance du juge Wright rejetant la demande et de la transcription des motifs du jugement, toutes deux en date du 20 juin 1980, sont jointes aux présentes sous les cotes «F» et «G» respectivement.
12. Dans un avis d'appel en date du 17 juillet 1980, Brian L. Aimonetti a interjeté appel de la décision du juge Wright devant la Cour d'appel du Manitoba. Une copie de l'avis d'appel de Brian L. Aimonetti en date du 17 juillet 1980 est jointe aux présentes sous la cote «H».
13. La Cour d'appel du Manitoba a entendu l'appel le 10 décembre 1980 et le 28 janvier 1981, elle a rejeté, avec motifs écrits à l'appui, l'appel de Brian L. Aimonetti de la décision du juge Wright. Une copie de la décision de la Cour d'appel du Manitoba publiée dans le recueil 8 M.R. (2nd) 271 est jointe aux présentes sous la cote «I».
14. Peu après, Brian L. Aimonetti a demandé à la Cour suprême du Canada l'autorisation d'interjeter appel de la déci- sion de la Cour d'appel du Manitoba. Les copies des exposés des points d'argument déposés au nom de Brian L. Aimonetti et de Sa Majesté la Reine devant la Cour suprême du Canada sont jointes aux présentes sous les cotes «J» et «K» respectivement.
15. La Cour suprême du Canada a entendu, le lundi 27 avril 1981, la requête de Brian L. Aimonetti visant à obtenir l'autori- sation d'interjeter appel du jugement de la Cour d'appel du Manitoba rendu le 28 janvier 1981 et elle l'a rejetée. Une copie des minutes du jugement en date du 7 décembre 1981 est jointe aux présentes sous la cote «L».
Aimonetti et un certain James Aiken McMullen ont été inculpés de possession illégale de stupé- fiants, c'est-à-dire de la résine de cannabis en vue d'en faire le trafic, en violation des dispositions de
la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1] et de ses modifications. Le 10 janvier 1980, les deux accusés ont été jugés en rapport avec l'accusation susmentionnée. Aimonetti a été déclaré coupable de l'infraction et McMullen acquitté. Le 23 janvier 1980, Aimonetti a été condamné à purger une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour dans un établissement correctionnel du Manitoba.
Aimonetti n'a pas interjeté appel de sa condam- nation prononcée par le juge Dureault.
Tel qu'indiqué dans l'affidavit de MacFarlane, le juge Robert Kopstein de la Cour provinciale a entendu, le ler avril 1980, une demande présentée par le demandeur et son épouse en vue d'obtenir la restitution de l'argent saisi.
Au début de l'audience, Me Norman Cuddy, qui avait représenté les époux Aimonetti au cours du procès devant le juge Dureault, a fait savoir au tribunal qu'Aimonetti l'avait avisé qu'il ne voulait pas être représenté au cours de l'audience et l'avo- cat en question a donc demandé à la Cour l'autori- sation de cesser d'occuper pour son client. Lorsque le tribunal lui a demandé [TRADUCTION] «Est-ce votre désir?», le demandeur a répondu par l'af- firmative. Mme Aimonetti, qui demandait la resti tution de 200 $ saisis, était présente à l'audience.
Après avoir entendu la preuve, la Cour s'est adressée au demandeur dans les termes suivants:
[TRADUCTION] LA COUR: Il s'agit d'une somme d'argent importante et j'ai écouté votre témoignage et les autres témoi- gnages avec la plus grande sympathie possible; j'aimerais être en mesure de rendre une ordonnance de restitution en votre faveur mais votre récit ne me convainc pas que cet argent n'était pas relié à la vente de drogues. Une partie de cet argent portait des traces de résine de cannabis. Les gants qui ont été trouvés en portaient aussi. Vous aviez, selon votre propre témoignage ou selon la déclaration que vous avez faite, 7 000 $ pour—non, ce n'est pas ce que vous avez dit. Vous aviez l'argent nécessaire pour acheter ces trois livres, qui, suivant l'estimation de Storey, valent environ 7 000 $. Même si vous l'avez obtenu pour moins, à quelque endroit que ce soit, il s'agit quand même d'une somme d'argent importante. Vous avez, M. Aimonetti, vécu à la limite de la légalité et vous voulez mainte- nant me faire croire que ces sommes d'argent, ces sommes importantes qui ont été trouvées et gardées dans une maison ou dans un appartement ont été obtenues par le jeu, d'une façon légale. Il n'y a personne, car vous avez avoir des relations ou des associés, il n'y a personne, dis-je, qui puisse corroborer ce que vous avez dit.
Le juge ajoute plus loin dans son jugement:
[TRADUCTION] Je mets en doute votre témoignage; celui-ci ne me convainc pas, M. Aimonetti, que cet argent n'était pas relié au commerce de la drogue. Je rejette donc votre demande.
La demande de Mme Aimonetti visant à obtenir la restitution des 200 $ saisis a été accueillie, le juge déclarant:
[TRADUCTION] Je suis disposé à admettre qu'il s'agissait de son chèque de paie de Safeway et à ordonner que cette somme d'argent lui soit remboursée.
Il est admis que le demandeur et son épouse ont présenté leur demande en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants, (la «Loi»).
Le juge W. Scott Wright de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a rejeté une requête visant à obtenir un bref de certiorari.
En rejetant cette requête, le juge Wright a notamment déclaré dans ses motifs de jugement:
[TRADUCTION] À titre d'élément constitutif du dossier dont je suis saisi, comme je l'ai dit, les deux avocats m'ont demandé de lire la transcription des débats devant le juge Kopstein de la Cour provinciale, laquelle contient les éléments de preuve qui lui ont été soumis et ses motifs de jugement. Il était entendu que je lirais cette transcription en tenant compte du fait que je suis saisi d'une requête en certiorari, ce que j'ai fait. Je ne vois rien dans la transcription qui puisse m'amener à conclure que le juge de la Cour provinciale n'a pas examiné la question en litige d'une façon juste et équitable ou qu'il n'existait aucun élément de preuve ni aucun fondement à l'appui de sa décision. A mon avis, il y avait en fait un grand nombre d'éléments de preuve sur lesquels il pouvait se fonder pour adopter un point de vue contraire à celui du requérant, et cette preuve a vraisemblable- ment amené le savant juge à conclure que la somme réclamée provenait très probablement d'un crime ou qu'elle y était reliée, et qu'en vertu de la loi, elle ne pouvait être restituée au requérant.
Comme il a été dit dans l'affidavit de MacFar- lane, le demandeur a interjeté appel de la décision du juge Wright devant la Cour d'appel du Mani- toba. Dans l'affaire R. v. Aimonetti (1981), 8 Man.R.(2d) 271, le juge d'appel Huband a pro- noncé le jugement majoritaire auquel a souscrit le juge en chef Freedman. L'un des arguments soumis au nom de l'accusé au cours de l'appel porte qu'à l'audition de la demande de restitution, la Couronne n'avait pas prouvé que la saisie ini- tiale de résine de cannabis, de l'argent en espèces et des autres objets avait été effectuée en vertu d'un mandat de main-forte ou d'un mandat délivré en vertu du paragraphe 10(1) (de la Loi) et que, par conséquent, le juge Kopstein de la Cour pro-
vinciale avait compétence uniquement pour rendre une ordonnance restituant au demandeur son bien. A cet égard, voici ce que le juge Huband a déclaré à la page 276:
[TRADUCTION] Il convient de remarquer que durant le procès au terme duquel il a été déclaré coupable de l'infraction reprochée, l'accusé n'a aucunement contesté la validité de la perquisition et de la saisie effectuées à sa résidence, ni a-t-il soulevé cette question devant le juge Kopstein de la Cour provinciale. Elle a été soulevée pour la première fois à l'occa- sion de la requête en certiorari présentée devant le juge Wright, sans aucune preuve à l'appui, et l'argument est soulevé de nouveau devant cette Cour. La question ne lui ayant pas été soumise, selon moi, le juge Kopstein de la Cour provinciale, comme le juge Wright et cette Cour, était en droit de présumer que les mesures prises par la police avant le procès étaient valides. Omnia praesumuntur esse rite acta, toutes choses sont présumées avoir été faites correctement.
En ce qui concerne la possession de ladite somme d'argent, voici ce que le juge d'appel a déclaré au paragraphe 23 la page 278]:
[TRADUCTION] Lorsque le bien en question est une somme d'argent, la demande de restitution doit être rejetée si cette somme semble provenir du commerce illégal de stupéfiants. La Loi veut que ces sommes ne soient pas restituées à une personne accusée et subséquemment déclarée coupable d'avoir participé à un commerce illégal (sous réserve du droit de cette personne d'en revendiquer la propriété dans une instance civile distincte). Il serait contraire à l'esprit de la Loi d'en permettre la restitu tion pour le motif restreint que l'argent ne pouvait être identifié comme étant le fruit du trafic du stupéfiant trouvé sur les lieux. A mon avis, le juge Kopstein de la Cour provinciale avait compétence pour rejeter la demande de restitution en dépit du fait que l'argent en question n'a pas été directement identifié comme étant le fruit du trafic de la résine de cannabis saisie sur les lieux. Dans la mesure la preuve lui permettait raisonna- blement de conclure que l'argent provenait du commerce illégal de stupéfiants, il avait le droit de considérer cet argent comme une chose l'égard de laquelle ... une infraction ... a été commise», pour reprendre les termes de l'al. 10(1)c).
Quoi qu'il en soit, la preuve soumise lui permettait amplement de conclure que l'argent trouvé dans la résidence (sauf les 200 $ de M"" Aimonetti) était relié à la vente illicite de drogues. [C'est moi qui souligne.]
Après avoir examiné attentivement la preuve pro- duite au cours de l'audience devant le juge Kopstein de la Cour provinciale, le juge d'appel Huband a conclu à la page 280:
[TRADUCTION] Il n'est guère étonnant que le juge de pre- mière instance ait conclu que l'argent en question était le fruit du commerce illicite de drogue.
Tel qu'indiqué dans l'affidavit de MacFarlane, la requête du demandeur visant à obtenir l'autori- sation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été rejetée.
J'ai cité de longs extraits des jugements du juge Wright et du juge d'appel Huband et de l'ordon- nance du juge Kopstein de la Cour provinciale pour montrer que celui-ci a décidé de rejeter l'or- donnance de restitution de l'argent saisi parce que cette somme d'argent était reliée au commerce de la drogue et que cette conclusion a été confirmée dans la décision sur la requête en certiorari. Je répète ce que le juge d'appel Huband a déclaré à la page 278:
Quoi qu'il en soit, la preuve soumise lui permettait amplement de conclure que l'argent trouvé dans la résidence (sauf les 200 $ de Mm' Aimonetti) était relié à la vente illicite de drogues.
Cependant, ni dans l'ordonnance du juge Kopstein de la Cour provinciale ni dans la décision sur la requête en certiorari est-on arrivé à la conclusion que l'argent saisi avait servi à acheter les stupéfiants saisis.
Les articles 4(1), (2) et (3), 10(1)a), b) et c) et (5), (6), (7) et (8) de la Loi prévoient ce qui suit:
4. (1) Nul ne peut faire le trafic d'un stupéfiant ou d'une substance quelconque qu'il prétend être ou estime être un stupéfiant.
(2) Nul ne peut avoir en sa possession un stupéfiant pour en faire le trafic.
(3) Quiconque enfreint le paragraphe (1) ou (2) est coupable d'un acte criminel et encourt l'emprisonnement à perpétuité.
10. (1) Un agent de la paix peut, à toute époque,
a) sans mandat, entrer et perquisitionner dans tout endroit autre qu'une maison d'habitation, et, sous l'autorité d'un mandat de main-forte ou d'un mandat délivré aux termes du présent article, entrer et perquisitionner dans toute maison d'habitation il croit, en se fondant sur des motifs raisonna- bles, qu'il se trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une infraction à la présente loi a été commise;
b) fouiller toute personne trouvée dans un semblable endroit; et
c) saisir et enlever tout stupéfiant découvert dans un tel endroit, toute chose qui s'y trouve et dans laquelle il soup- çonne en se fondant sur des motifs raisonnables qu'un stupé- fiant est contenu ou caché, ou toute autre chose au moyen ou à l'égard de laquelle il croit en se fondant sur des motifs raisonnables qu'une infraction à la présente loi a été com- mise, ou qui peut constituer une preuve établissant qu'une semblable infraction a été commise.
(5) Lorsqu'un stupéfiant ou une autre chose a été saisi en vertu du paragraphe (1), toute personne beut, dans un délai de deux mois à compter de la date d'une telle saisie, moyennant avis préalable donné à la Couronne de la manière prescrite par les règlements, demander à un magistrat ayant juridiction dans
le territoire la saisie a été faite de rendre une ordonnance de restitution prévue au paragraphe (6).
(6) Sous réserve des paragraphes (8) et (9), lorsque, après audition de la demande faite selon le paragraphe (5), le magis- trat est convaincu
a) que le requérant a droit à la possession du stupéfiant ou autre chose saisie, et
b) que la chose ainsi saisie n'est pas, ou ne sera pas, requise à titre de preuve dans des poursuites relatives à une infraction à la présente loi,
il doit ordonner que la chose ainsi saisie soit restituée immédia- tement au requérant, et lorsque le magistrat est convaincu que le requérant a droit à la possession de la chose ainsi saisie, mais ne l'est pas quant à la question mentionnée à l'alinéa b), il doit ordonner que la chose ainsi saisie soit restituée au requérant
c) à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la date de cette saisie, si aucune poursuite relative à une infraction à la présente loi n'a été entamée avant l'expiration dudit délai, ou
d) dans tout autre cas, lorsqu'il a été définitivement statué sur ces poursuites.
(7) Lorsqu'il n'a été fait aucune demande concernant la remise de tout stupéfiant ou autre chose saisie conformément au paragraphe (1) dans un délai de deux mois à compter de la date de cette saisie, ou qu'une demande à cet égard a été faite mais, qu'après audition de la demande, aucune ordonnance de restitution n'a été rendue, la chose ainsi saisie doit être livrée au Ministre qui peut en disposer de la façon qu'il juge opportune.
(8) Lorsqu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction à l'article 3, 4 ou 5, tout stupéfiant saisi en confor- mité du paragraphe (1), au moyen ou à l'égard duquel l'infrac- tion a été commise, tout argent ainsi saisi qui a été utilisé pour l'achat de ce stupéfiant ainsi que toute aiguille ou seringue hypodermique, toute machine pour la mise en capsules ou autre appareil ainsi saisis qui ont été utilisés de quelque façon en rapport avec l'infraction sont confisqués au profit de Sa Majesté et il doit en être disposé ainsi qu'en ordonne le Ministre.
Je ne cite pas le paragraphe (9) parce qu'il n'est d'aucun intérêt dans la présente action.
Le mot «chose», utilisé dans les différents para- graphes de l'article 10, comprend une «somme d'argent»: voir la décision rendue par le juge Addy de la Division de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Smith c. La Reine, [1976] 1 C.F. 196; 27 C.C.C. (2d) 252 (lie inst.), décision dont je parlerai plus amplement.
Le paragraphe 10(8) ne s'applique que si les sommes d'argent saisies ont été utilisées pour l'achat de «ce stupéfiant» qui a été l'objet de l'infraction dont le demandeur a été déclaré coupa- ble. Dans ce cas, la somme d'argent est confisquée au profit de Sa Majesté et il en est disposé ainsi qu'en ordonne le Ministre. Cette situation diffère
cependant du présent cas. Comme nous l'avons déjà souligné, il n'a pas été établi que la somme d'argent saisie avait été utilisée pour l'achat de ce stupéfiant. En fait, il est manifeste que la somme d'argent n'a pas été utilisée à cette fin. Si elle l'avait été, le demandeur n'en aurait plus eu la possession au moment de la saisie.
Le paragraphe 10(7) est la disposition impor- tante en l'espèce. Ce paragraphe ne confère aucun droit de confiscation de sorte que la disposition prévoyant que «la chose ainsi saisie [comme nous l'avons fait remarquer, "chose" comprend "argent"] doit être livrée au Ministre qui peut en disposer de la façon qu'il juge opportune» fait de ce dernier un simple gardien de ladite somme d'ar- gent et ne l'autorise pas à décider qui en est le propriétaire. Cette question du droit de propriété relève des tribunaux civils.
En arrivant à cette conclusion, je m'appuie sur les motifs du juge Addy dans l'affaire Smith c. La Reine, précitée. Les faits qui nous intéressent dans cette affaire ne diffèrent pas beaucoup de ceux de la présente cause, sauf que dans l'affaire Smith, il n'y a pas eu de demande de restitution présentée en vertu du paragraphe 10(5) et les parties ont produit un exposé conjoint des faits indiquant que l'accusé avait été inculpé de possession de stupé- fiants pour en faire le trafic, en violation du para- graphe 4(2) de la Loi et qu'il avait subséquem- ment plaidé coupable à cette accusation. Au moment de l'arrestation de l'accusé, on a trouvé la somme de 5 030 $ sur lui et 8 090 $ dans les locaux qu'il occupait. La GRC a saisi ces deux sommes en vertu d'un mandat de main-forte et celles-ci ont été produites à titre de pièces au procès de l'ac- cusé. Voici ce qu'a déclaré le juge Addy à la page 197 du jugement [Recueil des arrêts de la Cour fédérale] :
Bien qu'il n'en soit pas spécifiquement fait mention dans l'exposé conjoint des faits, les avocats des deux parties admirent au cours de l'audience tenue devant moi qu'au moment de la saisie, le demandeur était propriétaire des $13,110 susmention- nés. Il n'a été aucunement démontré ou décidé que ces sommes d'argent avaient un rapport quelconque avec l'infraction dont l'accusé s'est reconnu coupable ni qu'elles avaient été utilisées à cette fin.
Une demande présentée au Ministre en vue d'obtenir la restitution des sommes d'argent saisies a été rejetée et il s'agissait de savoir si le deman- deur, qui n'avait pas demandé la restitution des
sommes d'argent saisies en vertu du paragraphe 10(5), pouvait alors intenter une action en restitu tion de ces sommes ou si le paragraphe 10(7) faisait en sorte que ces sommes d'argent étaient confisquées au profit de la Couronne.
Une demande d'examen de la décision du Minis- tre ordonnant que les sommes d'argent soient déposées dans le compte du receveur général a été initialement présentée à la - Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10. Voici ce que le juge de première instance a déclaré aux pages 198 et 199:
Par un jugement rendu le 25 octobre 1974 ([1974] 2 C.F. 43), la Cour d'appel fédérale rejeta cette demande aux motifs que la directive du Ministre, prise en vertu de l'article 10(7) de la Loi sur les stupéfiants, ne constituait pas une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire et, par conséquent, n'était pas sujette à examen en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale; la Cour décida en outre que le pouvoir conféré au Ministre par ce paragraphe et par le para- graphe (8) dont je ferai mention, constituait un simple pouvoir de garde et non un pouvoir de trancher une question relative au titre de propriété.
Il semble manifeste que l'article 10(7) ne prévoit pas la prescription de l'action en restitution, car, pour constituer une restriction à un droit d'action, l'article doit l'énoncer expressément.
Le juge Addy ajoute aux pages 199 et 200:
Ainsi que l'affirma la Cour d'appel lorsqu'elle entendit l'af- faire, le pouvoir conféré au Ministre par l'article 10(7) (de même que par l'article 10(8)) constitue un simple pouvoir de garde et ne permet pas de trancher une question relative à un titre de propriété.
Si pour opposer une fin de non-recevoir à une action, une loi doit le prévoir expressément, c'est a fortiori le cas pour une loi en vertu de laquelle la Couronne déclare l'extinction et la déchéance à son profit d'un droit absolu de propriété. Voici les extraits pertinents de l'article 10(8):
(8) Lorsqu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction à l'article ... 4 ... tout argent ainsi saisi qui a été utilisé pour l'achat de ce stupéfiant ... sont confisqués au profit de Sa Majesté et il doit en être disposé ainsi qu'en ordonne le Ministre.
Il est manifeste que l'article 10(8), en plus de prévoir qu'il peut être disposé de l'argent saisi ainsi qu'en ordonne le Ministre, stipule expressément que tout argent saisi ayant été utilisé pour l'achat d'un stupéfiant est confisqué au profit de Sa Majesté. C'est le seul cas prévu pour la confiscation de sommes d'argent et il ressort clairement des faits admis en l'espèce, que les sommes d'argent en cause n'ont pas été utilisées à cette fin. Mis à part le principe suivant lequel une loi ayant pour objet la déchéance d'un droit de propriété, doit l'énoncer expressément, je dois conclure, compte tenu des dispositions spécifiques du paragraphe (8) relatives à la confiscation que le paragraphe (7)
ne prévoit aucunement la déchéance d'un droit de propriété ou d'un droit de possession puisqu'il n'en fait pas mention. Ainsi, le pouvoir discrétionnaire du Ministre en vertu dudit paragra- phe est sujet à tout droit de propriété des personnes intéressées dans la «chose» saisie. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Addy déclare en outre ce qui suit à la page 201:
Il me paraît évident que les paragraphes (5) et (7) de l'article 10 portent sur de simples questions de procédure et ne prévoient qu'un pouvoir de garde. Ils assurent à un individu un méca- nisme commode pour obtenir, par une nouvelle demande, la restitution d'une chose saisie et ils prévoient en outre la garde de cette chose au cas aucune demande n'est présentée ou lorsqu'une demande est rejetée. Ils n'entraînent ni explicite- ment ni implicitement la déchéance d'un droit de propriété.
Je pourrais ajouter que si le législateur avait voulu prévoir, en adoptant ces paragraphes, qu'une somme d'argent quelcon- que, saisie au cours d'une descente de police en vertu de la Loi sur les stupéfiants, y compris l'argent qui s'avérerait ne pas être relié à la perpétration d'une infraction criminelle, serait confisquée au profit de la Couronne du chef du Canada au cas aucune demande de restitution n'était présentée dans un délai de deux mois, ces dispositions seraient alors ultra vires puisqu'elles empièteraient sur la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils. [C'est moi qui souligne.]
Je souscris entièrement à la décision du juge Addy. Le fait que le demandeur a demandé la restitution de la somme d'argent en vertu du para- graphe 10(5) de la Loi ne lui enlève pas le droit d'engager une procédure civile devant cette Cour afin qu'il soit reconnu que la somme d'argent qu'il réclame dans ses conclusions lui appartient et que ladite somme d'argent lui soit restituée. La réponse à la première question énoncée dans l'avis de requête du demandeur est affirmative.
Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé, je doute qu'il soit nécessaire de me prononcer sur la seconde question de droit formulée dans la requête, celle de savoir si la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir la restitution de la somme d'argent est irrecevable, une demande d'or- donnance de restitution de cette somme ayant déjà été rejetée et la question étant donc chose jugée; mais comme cette question a été posée «subsidiai- rement», je pense qu'il vaut mieux y répondre.
Le principe de la fin de non-recevoir est claire- ment expliqué dans la décision de lord Guest rendue dans l'affaire Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), à la page 935 (citée par le juge Dickson de la Cour suprême dans l'affaire Angle c. Le Ministre du Revenu National, [1975] 2 R.C.S. 248 à la page 254):
[TRADUCTION] ... (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit.
Dans l'arrêt McIntosh v. Parent, [1923-24] 55 O.L.R. 552 (C.A.), à la page 555, le juge d'appel Middleton, parlant au nom de la Cour, a défini la chose jugée de la façon suivante:
[TRADUCTION] Lorsqu'une question est soumise à un tribunal, le jugement de la Cour devient une décision finale entre les parties et leurs ayants droit. Les droits, questions ou faits distinctement mis en cause et directement réglés par un tribu nal compétent comme motifs de recouvrement ou comme réponses à une prétention qu'on met de l'avant, ne peuvent être jugés de nouveau dans une poursuite subséquente entre les mêmes parties ou leurs ayants droit, même si la cause d'action est différente. Le droit, la question ou le fait, une fois qu'on a statué à son égard, doit être considéré entre les parties comme établi de façon concluante aussi longtemps que le jugement demeure. [C'est moi qui souligne.]
La doctrine de la chose jugée a également fait l'objet d'une analyse approfondie dans l'affaire La ville de Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621. Le juge Ritchie, qui a prononcé le jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada, a cité, à la page 634, l'extrait suivant du jugement du juge en chef Dewar de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, dont il partageait les vues:
Plus loin dans ses motifs, le juge en chef Dewar se reporte aux affaires Henderson v. Henderson ((1843), 3 Hare 100) et Ord v. Ord ([1923] 2 K.B. 432), et il cite le passage suivant tiré des motifs du vice chancelier Wigram, à la p. 115 de la première de ces deux décisions:
[TRADUCTION] ... J'espère exprimer correctement la règle que s'est imposée la présente Cour quand j'affirme que si un point donné devient litigieux et qu'un tribunal compétent le juge, on exige des parties qu'elles soumettent toute leur cause et, sauf dans des circonstances spéciales, on n'autorisera pas ces parties à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige, mais qui ne l'a pas été pour l'unique raison qu'elles ont omis de soumettre une partie de leur cause, par négligence, inadvertance ou même par accident. Le plaidoyer de la chose jugée porte, sauf dans des cas spéciaux, non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait demandé au tribunal d'exprimer une opinion et de prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objective- ment partie du litige et que les parties auraient pu soulever à l'époque, si elles avaient fait preuve de diligence.
L'avocat du demandeur a fait valoir que la défenderesse ne pouvait soulever la question de la
chose jugée ou de la fin de non-recevoir parce qu'elle ne l'a pas invoquée dans sa défense.
À la fin des plaidoiries prononcées au cours de l'audition de la requête, j'ai demandé qu'on me soumette d'autres arguments sur la façon de soule- ver la fin de non-recevoir ou la chose jugée.
Voici ce qui est écrit à la page 704 du volume 2 de l'ouvrage intitulé The Law of Civil Procedure de Williston et Rolls:
[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire d'invoquer la doctrine de la chose jugée sous une forme particulière, pourvu que la question constituant la fin de non-recevoir soit énoncée de façon à montrer que la partie qui l'invoque se fonde sur celle-ci.
Dans l'affaire Haynes v. Wilson et al., [ 1914] 6 W.W.R. 1495, le juge Lamont, qui prononçait le jugement au nom de la Cour suprême de la Sas- katchewan siégeant au complet, a déclaré ce qui suit à la page 1496:
[TRADUCTION] Une fin de non-recevoir doit toujours être expressément invoquée à moins qu'elle ne ressorte manifeste- ment de la plaidoirie de la partie adverse ou qu'il ait été impossible de l'alléguer.
Dans sa plaidoirie écrite, l'avocat du demandeur a soutenu qu'il ne ressortait pas clairement de la défense de la Couronne qu'elle entendait faire valoir le plaidoyer de la fin de non-recevoir et qu'elle aurait pu facilement invoquer cette excep tion. Le paragraphe 4 de la défense est ainsi rédigé:
4. En ce qui concerne l'ensemble de la déclaration, la défende- resse déclare que le 7 mars 1979, le demandeur a présenté, en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chap. N-1 (la Loi), une demande de restitution de la somme d'argent, comme en fait foi le paragra- phe 3 de la déclaration. La demande a été entendue le 1" avril 1980 par le juge Kopstein de la Cour provinciale qui a conclu que le demandeur n'avait pas le droit à la possession de ladite somme d'argent parce qu'il n'avait pas convaincu le tribunal que cette somme n'était pas reliée à ses activités criminelles. La demande a donc été rejetée et ladite somme remise au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social qui, conformément au paragraphe 10(7) de la Loi, «peut en disposer de la façon qu'il juge opportune».
L'avocat de la défenderesse a prétendu que l'ex- ception de la fin de non-recevoir ou de la chose jugée ressort clairement des faits allégués et il a ajouté ce qui suit dans sa plaidoirie:
[TRADUCTION] Si l'assertion du demandeur était fondée, ce qui n'est pas admis, la Couronne demanderait l'autorisation de modifier sa défense rétroactivement afin qu'elle corresponde à la seconde question soulevée dans l'avis de requête, en ajoutant
le paragraphe suivant à la défense:
«4A. À cet égard, la défenderesse prétend que la requête présentée en l'espèce par le demandeur en vue d'obtenir une ordonnance de restitution de ladite somme d'argent est irre- cevable pour le motif que le juge de la Cour provinciale a déjà tranché la question en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chap. N-1, et que la question est donc chose jugée.»
L'avocat a ajouté que si on décidait que la fin de non-recevoir ou la chose jugée n'avait pas été alléguée, la Couronne demanderait l'autorisation [TRADUCTION] «de modifier la première ligne du paragraphe 5 de la défense en ajoutant les mots "en outre" après le mot "affirme"«.
La Règle 420(1) et (2)a) des Règles de la Cour fédérale prévoit ce qui suit:
Règle 420. (1) La Cour pourra, aux conditions qui semblent justes le cas échéant, à tout stade d'une action, permettre à une partie d'amender ses plaidoiries, et tous les amendements néces- saires seront faits aux fins de déterminer la ou les véritables questions en litige entre les parties.
(2) Aucun amendement ne doit être permis en vertu de la présente Règle
a) sauf à des conditions destinées à protéger toutes les parties quant à la communication, l'interrogatoire préalable et la préparation de l'instruction ...
Le paragraphe 5 de la défense est rédigé comme suit:
5. À cet égard, la défenderesse affirme que même si le deman- deur est «propriétaire» de la somme d'argent mentionnée au paragraphe 3 de la déclaration, allégation qu'elle rejette, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social peut intervenir pour le priver de son droit de propriété de sorte qu'il détient cette somme d'argent légalement et qu'il ne commet aucun détournement illégal, contrairement à ce qui a été allé- gué ou autrement déclaré.
Je pense que le paragraphe 4 de la défense est suffisamment clair pour permettre le plaidoyer de la fin de non-recevoir ou de la chose jugée; néan- moins, je permets les modifications demandées rétroactivement.
La doctrine de la chose jugée s'applique-t-elle en l'espèce? En rejetant la demande de restitution de la somme d'argent saisie, le juge de la Cour pro- vinciale a uniquement tenu compte du fait que la somme d'argent en question était reliée au trafic de la drogue auquel se livrait le requérant. En rejetant la réclamation du demandeur présentée en vertu du paragraphe 10(5), le juge ne prétendait pas trancher la question de la propriété de ladite somme d'argent, question dont il n'était d'ailleurs
pas saisi. La décision qui a rejeté la demande de restitution a eu pour seul effet de conférer au Ministre et non au demandeur le droit à la posses sion de la somme d'argent. Cette décision ne sta- tuait d'aucune façon sur la question de propriété.
Ce raisonnement est appuyé par le jugement de la Cour d'appel dans l'affaire Aimonetti, précitée, le juge d'appel Huband a déclaré à la page 277:
[TRADUCTION] Si on examine l'article 10 dans son ensemble, il est manifeste, je pense, que les autorités ont le droit de saisir plus d'argent en espèces que ce qui a pu servir dans une opération illicite faisant l'objet d'une inculpation. En vertu du paragraphe (8), l'argent qui a été utilisé pour l'achat d'un stupéfiant doit être confisqué au profit de Sa Majesté à la fin d'un procès. L'argent dont il s'agit dans le cas présent fait partie d'une catégorie différente. Selon moi, la Loi est conçue de façon à permettre à la police de saisir un bien qui est relié au commerce illicite de la drogue, bien dont la possession est ensuite conférée au Ministre, à moins que le requérant ne puisse établir qu'il doit lui être restituté. Les poursuites inten- tées en vertu de l'article 10 de la Loi ne constituent pas le Ministre ou la Couronne propriétaire du bien en question. Le Ministre a droit à la «possession», mais il est loisible à l'accusé ou à toute autre personne d'engager une procédure civile afin que le Ministre lui remette son bien.
Dans la présente action, il s'agit de statuer sur le bien-fondé de la prétention du demandeur selon laquelle il est propriétaire de la somme d'argent et y a droit et que le Ministre ne peut agir qu'à titre de gardien, n'étant pas habilité à trancher une question de droit de propriété. Il devient manifeste que la question faisant l'objet de l'instance portée devant le juge Kopstein de la Cour provinciale et celle qui est formulée dans la déclaration sont distinctes et que, par conséquent, la fin de non- recevoir ou la chose jugée ne s'appliquent pas. La réponse à la deuxième question formulée à titre subsidiaire dans la présente requête est négative.
Le demandeur a droit aux dépens de la requête.
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