T-2943-81
Brian L. Aimonetti (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge suppléant
Nitikman—Winnipeg, 5 avril et 27 octobre 1982.
Compétence — Stupéfiants — Demande fondée sur la Règle
474(I)a) en vue de faire trancher une question de droit, savoir
si la Cour fédérale a compétence pour ordonner la restitution
de l'argent saisi par la GRC, en vertu de l'art. 10(1) de la Loi
sur les stupéfiants, au cours d'une perquisition effectuée dans
un domicile — Réponse affirmative — L'argent est confisqué
uniquement dans les cas où il sert à acheter l'objet relié à un
acte criminel — L'argent n'a pas été utilisé à cette fin — Le
Ministre en était le gardien — Il n'était pas autorisé à
trancher la question du titre de propriété — Cette question
ferait l'objet d'une poursuite civile devant la Cour fédérale —
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 4, 10(1),
(5),(6),(7),(8) — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règles 420(1),(2), 474(1)a).
Preuve — Fin de non-recevoir — Argent saisi par la police
qui a perquisitionné à un domicile pour y chercher des stupé-
fiants — Poursuite fondée sur l'art. 10(5) de la Loi et entendue
par un juge de la Cour provinciale — Seul le droit à la
possession a été examiné — La question de la propriété n'est
pas chose jugée — La demande visant à obtenir la restitution
de l'argent par une ordonnance de la Cour fédérale n'est pas
irrecevable — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N- I,
art. 10(5).
Il s'agit d'une demande fondée sur la Règle 474(1)a) visant à
faire trancher deux questions de droit: la première question
étant de savoir si la Cour fédérale a compétence pour ordonner
la restitution d'une somme d'argent saisie par la GRC en vertu
du paragraphe 10(1) de la Loi sur les stupéfiants au cours
d'une perquisition au domicile du demandeur, la question subsi-
diaire étant de savoir si la demande d'ordonnance visant à
obtenir la restitution de l'argent est irrecevable pour le motif
que la question est chose jugée parce qu'elle a été examinée par
un juge de la Cour provinciale qui a entendu la demande fondée
sur le paragraphe 10(5). Après avoir été trouvé en possession
d'une certaine quantité de drogues interdites et du nécessaire
pour les administrer ainsi que d'une somme de 23 440 $ en
espèces, au cours d'une perquisition de la GRC à son domicile,
le demandeur a été déclaré coupable à la suite d'accusations
portées en vertu de la Loi sur les stupéfiants. Il a subséquem-
ment présenté à un juge de la Cour provinciale une demande
fondée sur le paragraphe 10(5) de la Loi en vue d'obtenir la
restitution de l'argent saisi. La Cour a décidé que le demandeur
n'avait pas droit à la possession parce qu'il ne l'a pas convain-
cue que l'argent n'était pas relié à ses activités criminelles.
Celui-ci a demandé, sans succès, à la Cour du Banc de la Reine
du Manitoba de rendre une ordonnance de certiorari en vue de
faire annuler le jugement et c'est de nouveau sans succès qu'il a
interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel de cette
province.
Jugement: la réponse à la première question est affirmative
et la réponse à la seconde question est négative. Le juge de la
Cour provinciale a décidé de refuser la restitution de l'argent
saisi entre les mains du demandeur pour le motif que cet argent
a été obtenu grâce à la perpétration d'un acte criminel. Cepen-
dant, le paragraphe 10(8) de la Loi qui prévoit la confiscation
au profit de la Couronne de tout argent saisi en rapport avec
une enquête sur une infraction relative à un stupéfiant ne
s'applique que si cet argent a été utilisé pour l'achat du
stupéfiant qui a été l'objet de l'infraction dont le demandeur a
été déclaré coupable. En l'espèce, l'argent n'a pas été utilisé à
cette fin. En outre, aucun droit de confiscation n'est conféré par
le paragraphe 10(7) qui prévoit que lorsque aucune demande
n'a été faite concernant la remise d'un objet saisi conformément
au paragraphe 10(1) dans les deux mois de cette saisie, cet
objet doit être livré au Ministre qui peut en disposer de la façon
qu'il juge opportune. Ledit paragraphe fait de ce dernier un
simple gardien et ne l'autorise pas à trancher la question du
droit de propriété. Cette question relève d'un tribunal civil.
L'affaire Smith c. La Reine confirme ce point de vue. Le fait
que le demandeur a tenté d'obtenir la restitution de la somme
d'argent en vertu du paragraphe 10(5) ne lui enlève pas le droit
d'engager une procédure civile devant cette Cour pour faire
trancher la question de la propriété de la somme d'argent et
obtenir une ordonnance de restitution de cette somme. En
outre, l'action intentée par le demandeur n'est pas irrecevable
pour le motif qu'il y a chose jugée. Suivant le principe de la
chose jugée, lorsqu'une question est soumise à un tribunal, le
jugement de la cour devient une décision finale entre les parties
et toute question soulevée directement ne peut être jugée de
nouveau dans une poursuite subséquente. Dans le présent cas, le
juge de la Cour provinciale a examiné uniquement la question
de savoir si l'argent en question était relié au trafic de la drogue
et sa décision a eu pour seul effet de conférer au Ministre et
non au demandeur le droit à la possession de la somme d'ar-
gent. La question de propriété a été passée sous silence. Ce
point de vue est confirmé par le jugement de la Cour d'appel
qui a déclaré que les poursuites intentées en vertu de l'article 10
ne font que conférer au Ministre le droit à la possession et que
l'accusé peut subséquemment engager une procédure civile
pour recouvrer son bien. Il s'agit, en l'espèce, d'une question de
propriété qui est distincte des procédures engagées devant la
Cour provinciale. Les doctrines de la fin de non-recevoir et de
la chose jugée ne s'appliquent donc pas.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Smith c. La Reine, [1976] 1 C.F. 196; 27 C.C.C. (2d)
252 (1's inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. v. Aimonetti (1981), 8 Man.R.(2d) 271 (C.A.); Stif-
tung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853
(H.L.); McIntosh v. Parent, [1923-24] 55 O.L.R. 552
(C.A.); La ville de Grandview c. Doering, [1976] 2
R.C.S. 621; Haynes v. Wilson et al., [1914] 6 W.W.R.
1495 (C.S. Sask.).
DÉCISION CITÉE:
Angle c. Le Ministre du Revenu National, [1975] 2
R.C.S. 248.
AVOCATS:
Martin Corne, c.r. et I. Isenstein pour le
demandeur.
Harry Glinter pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Corne & Corne, Winnipeg, pour le deman-
deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT NITIKMAN: Il s'agit d'une
requête présentée au nom de la défenderesse en
vertu de l'alinéa 474(1)a) des Règles de la Cour
fédérale [C.R.C., chap. 663], demandant à celle-ci
de statuer sur les questions de droit suivantes:
[TRADUCTION] 1. La Cour fédérale du Canada a-t-elle compé-
tence pour ordonner la restitution de la somme d'argent qui fait
l'objet du présent litige alors que dans une demande de restitu
tion antérieure fondée sur le paragraphe 10(5) de la Loi sur les
stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chapitre N-1, le
juge de la Cour provinciale a décidé que le demandeur n'avait
pas droit à la possession de ladite somme d'argent; ou
2. Subsidiairement, la requête présentée par le demandeur en
l'espèce en vue d'obtenir une ordonnance de restitution de
ladite somme d'argent est-elle irrecevable pour le motif que la
question a déjà été tranchée par le juge de la Cour provinciale
en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants,
Statuts revisés du Canada 1970, chapitre N-1, et que la ques
tion est donc chose jugée.
La déclaration qui se rapporte à la présente
demande et dans laquelle Brian L. Aimonetti est
désigné à titre de demandeur et Sa Majesté La
Reine à titre de défenderesse a été produite le 27
mai 1981. Les paragraphes 3, 4, 5, 6, 7 et 8 sont
ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 3. Le demandeur déclare que vers le 15 février
1980 [sic], la GRC a perquisitionné à sa résidence sise au 323
avenue Collegiate, Winnipeg (Manitoba), et saisi la somme de
23 440 $ en vertu de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970,
chap. N-1 et ses modifications (ci-après appelée «ladite Loi„).
4. Le demandeur affirme que ladite somme a été livrée au
ministre de la Santé nationale et du Bien-être social conformé-
ment au par. 10(7) de ladite Loi.
5. Le demandeur prétend que ladite Loi ne confère au Ministre
que la garde des choses saisies et ne l'autorise pas à trancher
une question de droit de propriété.
6. Le demandeur soutient que ladite somme d'argent lui appar-
tient et que le Ministre ne peut intervenir pour le priver de son
droit de propriété.
7. Le demandeur fait valoir qu'il n'est assujetti à aucun délai de
prescription l'empêchant de demander la restitution de cette
somme d'argent et que la loi n'a pas pour effet de le priver de
son droit de propriété ou de poursuite.
8. Le demandeur prétend qu'on ne peut porter atteinte à son
droit de propriété dans la somme d'argent et que le Ministre
détient illégalement cette somme à son détriment, commettant
ainsi un détournement de fonds.
Voici ce que le demandeur réclame dans sa
demande de redressement:
[TRADUCTION] 9. Le demandeur réclame par conséquent:
a) un jugement condamnant la défenderesse à lui restituer la
somme de 23 440 $;
b) les intérêts sur ladite somme de 23 440 $, jusqu'à la date
du paiement;
c) les dépens de la présente action.
Dans sa défense, produite le 18 août 1981, la
défenderesse prétend que le demandeur n'a pas
droit à la restitution de la somme d'argent en
précisant ce qui suit aux paragraphes 4, 5 et 6:
[TRADUCTION] 4. En ce qui concerne l'ensemble de la déclara-
tion, la défenderesse déclare que le 7 mars 1979, le demandeur
a présenté, en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les
stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chap. N-1 (la
Loi), une demande de restitution de la somme d'argent, comme
en fait foi le paragraphe 3 de la déclaration. La demande a été
entendue le le' avril 1980 par le juge Kopstein de la Cour
provinciale qui a conclu que le demandeur n'avait pas droit à la
possession de ladite somme d'argent parce qu'il n'avait pas
convaincu le tribunal que cette somme n'était pas reliée à ses
activités criminelles. La demande a donc été rejetée et ladite
somme remise au ministre de la Santé nationale et du Bien-être
social qui, conformément au paragraphe 10(7) de la Loi, »peut
en disposer de la façon qu'il juge opportune».
5. À cet égard, la défenderesse affirme que même si le deman-
deur est «propriétaire» de la somme d'argent mentionnée au
paragraphe 3 de la déclaration, allégation qu'elle rejette, le
ministre de la Santé nationale et du Bien-être social peut
intervenir pour le priver de son droit de propriété de sorte qu'il
détient cette somme d'argent légalement et qu'il ne commet
aucun détournement illégal, contrairement à ce qui a été allé-
gué ou autrement déclaré.
6. Subsidiairement, la défenderesse prétend que la somme
d'argent mentionnée au paragraphe 3 de la déclaration était
reliée aux activités criminelles du demandeur, (notamment) le
trafic de stupéfiants, ou qu'elle en provenait, et qu'il serait par
conséquent contraire à la loi et à l'ordre public de remettre
cette somme au demandeur, ce qui lui permettrait de tirer
profit de son méfait.
Dans la présente affaire, le demandeur dési-
gnera Aimonetti et lorsque celui-ci sera désigné
sous le nom de requérant dans les documents que
je citerai, il s'agira du demandeur dans la présente
action.
La suite des événements qui a donné lieu à la
production de la déclaration apparaît dans l'affida-
vit de Bruce A. MacFarlane qui déclare notam-
ment ce qui suit:
[TRADUCTION] Je, BRUCE A. MACFARLANE, résidant à
Winnipeg (Manitoba),
DÉCLARE SOUS SERMENT CE QUI SUIT:
1. Je suis avocat au service du bureau régional du ministère
fédéral de la Justice à Winnipeg et à ce titre, je suis au courant
des faits ci-après mentionnés.
2. Le 15 février 1979, des membres de la Gendarmerie royale
du Canada, faisant partie de la section antidrogue de Winni-
peg, se sont rendus à la résidence de Brian L. Aimonetti, sise au
323 avenue Collegiate, Winnipeg (Manitoba), et ils ont procédé
à une perquisition dans le but de trouver des stupéfiants.
3. Parmi les objets saisis, il y avait:
a) 3 petites boîtes qui contenaient 30 récipients renfermant
chacun une once de résine de cannabis, qui aurait une valeur
de plus de 17 500 $ si elle était vendue à l'once;
b) 2 récipients en verre contenant 54 grammes de résine de
cannabis;
c) 1 récipient en verre contenant 27 grammes de résine de
cannabis;
d) des balances, des récipients vides et des seringues;
e) 360 $ en espèces trouvés sur la personne de Brian L.
Aimonetti;
f) des gants tachés de résine de cannabis trouvés sur la
personne de Brian L. Aimonetti;
g) 22 000 $ en espèces trouvés dans le placard de la chambre
principale, dont 460 $ étaient tachés de résine de cannabis;
h) 1 080 $ en espèces trouvés dans la table de toilette de la
chambre principale;
i) un feuillet de renseignements T-4 au nom de Brian L.
Aimonetti au montant de 3 554,02 $.
4. Une analyse d'empreintes digitales effectuée sur les réci-
pients d'une once contenant la résine de cannabis a révélé
l'existence de nombreuses empreintes digitales identifiées
comme étant celles de Brian L. Aimonetti.
5. A la suite de la perquisition et des saisies, Brian L. Aimonetti
a été accusé:
Vers le 15 février 1979, Winnipeg ou près de Winnipeg,
dans le district judiciaire de l'Est, (Manitoba), d'avoir été en
possession illégale d'un stupéfiant, c'est-à-dire de la résine de
cannabis pour en faire le trafic, en violation des dispositions
de la Loi sur les stupéfiants et de ses modifications.
6. Le 10 janvier 1980, après avoir entendu l'ensemble de la
preuve, le juge Dureault de la Cour de comté de Saint-Boni-
face, division criminelle, a déclaré Brian L. Aimonetti coupable
de l'infraction dont il était accusé. Les copies du certificat de
condamnation portant la date du 19 février 1980 et des motifs
du jugement du juge A. Dureault prononcés le 10 janvier 1980
sont jointes aux présentes sous les cotes «A» et «B».
7. Le 23 janvier 1980, le juge Dureault a condamné Brian L.
Aimonetti à une peine d'emprisonnement d'une durée de deux
ans moins un jour.
8. À la suite d'une demande de restitution présentée le 7 mars
1979, une audience a eu lieu devant le juge Kopstein de la Cour
provinciale de Winnipeg (division criminelle) le 1°' avril 1980.
Une copie de l'avis de demande de restitution en date du 7 mars
1979 est jointe aux présentes sous la cote «C».
9. Après avoir entendu la preuve de Brian L. Aimonetti et celle
de la Couronne, le juge Kopstein a rejeté la demande de
restitution d'Aimonetti. Une copie de la transcription des
témoignages et des débats relatifs à la demande de restitution
entendue le 1" avril 1980 est jointe aux présentes sous la cote
«D».
10. Dans un avis de requête introductif d'instance déposé le 29
avril 1980 devant la Cour du Banc de la Reine, Brian L.
Aimonetti a demandé une ordonnance de certiorari en vue
d'annuler l'ordonnance du juge Kopstein. Une copie de cet avis
est jointe aux présentes sous la cote «E».
11. Le 20 juin 1980, le juge Wright de la Cour du Banc de la
Reine a rejeté la demande après avoir entendu les arguments de
l'avocat de Brian L. Aimonetti et ceux du procureur de la
Couronne. Les copies de l'ordonnance du juge Wright rejetant
la demande et de la transcription des motifs du jugement,
toutes deux en date du 20 juin 1980, sont jointes aux présentes
sous les cotes «F» et «G» respectivement.
12. Dans un avis d'appel en date du 17 juillet 1980, Brian L.
Aimonetti a interjeté appel de la décision du juge Wright
devant la Cour d'appel du Manitoba. Une copie de l'avis
d'appel de Brian L. Aimonetti en date du 17 juillet 1980 est
jointe aux présentes sous la cote «H».
13. La Cour d'appel du Manitoba a entendu l'appel le 10
décembre 1980 et le 28 janvier 1981, elle a rejeté, avec motifs
écrits à l'appui, l'appel de Brian L. Aimonetti de la décision du
juge Wright. Une copie de la décision de la Cour d'appel du
Manitoba publiée dans le recueil 8 M.R. (2nd) 271 est jointe
aux présentes sous la cote «I».
14. Peu après, Brian L. Aimonetti a demandé à la Cour
suprême du Canada l'autorisation d'interjeter appel de la déci-
sion de la Cour d'appel du Manitoba. Les copies des exposés
des points d'argument déposés au nom de Brian L. Aimonetti et
de Sa Majesté la Reine devant la Cour suprême du Canada
sont jointes aux présentes sous les cotes «J» et «K»
respectivement.
15. La Cour suprême du Canada a entendu, le lundi 27 avril
1981, la requête de Brian L. Aimonetti visant à obtenir l'autori-
sation d'interjeter appel du jugement de la Cour d'appel du
Manitoba rendu le 28 janvier 1981 et elle l'a rejetée. Une copie
des minutes du jugement en date du 7 décembre 1981 est jointe
aux présentes sous la cote «L».
Aimonetti et un certain James Aiken McMullen
ont été inculpés de possession illégale de stupé-
fiants, c'est-à-dire de la résine de cannabis en vue
d'en faire le trafic, en violation des dispositions de
la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap.
N-1] et de ses modifications. Le 10 janvier 1980,
les deux accusés ont été jugés en rapport avec
l'accusation susmentionnée. Aimonetti a été
déclaré coupable de l'infraction et McMullen
acquitté. Le 23 janvier 1980, Aimonetti a été
condamné à purger une peine d'emprisonnement
de deux ans moins un jour dans un établissement
correctionnel du Manitoba.
Aimonetti n'a pas interjeté appel de sa condam-
nation prononcée par le juge Dureault.
Tel qu'indiqué dans l'affidavit de MacFarlane,
le juge Robert Kopstein de la Cour provinciale a
entendu, le ler avril 1980, une demande présentée
par le demandeur et son épouse en vue d'obtenir la
restitution de l'argent saisi.
Au début de l'audience, Me Norman Cuddy, qui
avait représenté les époux Aimonetti au cours du
procès devant le juge Dureault, a fait savoir au
tribunal qu'Aimonetti l'avait avisé qu'il ne voulait
pas être représenté au cours de l'audience et l'avo-
cat en question a donc demandé à la Cour l'autori-
sation de cesser d'occuper pour son client. Lorsque
le tribunal lui a demandé [TRADUCTION] «Est-ce
là votre désir?», le demandeur a répondu par l'af-
firmative. Mme Aimonetti, qui demandait la resti
tution de 200 $ saisis, était présente à l'audience.
Après avoir entendu la preuve, la Cour s'est
adressée au demandeur dans les termes suivants:
[TRADUCTION] LA COUR: Il s'agit d'une somme d'argent
importante et j'ai écouté votre témoignage et les autres témoi-
gnages avec la plus grande sympathie possible; j'aimerais être
en mesure de rendre une ordonnance de restitution en votre
faveur mais votre récit ne me convainc pas que cet argent
n'était pas relié à la vente de drogues. Une partie de cet argent
portait des traces de résine de cannabis. Les gants qui ont été
trouvés en portaient aussi. Vous aviez, selon votre propre
témoignage ou selon la déclaration que vous avez faite, 7 000 $
pour—non, ce n'est pas ce que vous avez dit. Vous aviez
l'argent nécessaire pour acheter ces trois livres, qui, suivant
l'estimation de Storey, valent environ 7 000 $. Même si vous
l'avez obtenu pour moins, à quelque endroit que ce soit, il s'agit
quand même d'une somme d'argent importante. Vous avez, M.
Aimonetti, vécu à la limite de la légalité et vous voulez mainte-
nant me faire croire que ces sommes d'argent, ces sommes
importantes qui ont été trouvées et gardées dans une maison ou
dans un appartement ont été obtenues par le jeu, d'une façon
légale. Il n'y a personne, car vous avez dû avoir des relations ou
des associés, il n'y a personne, dis-je, qui puisse corroborer ce
que vous avez dit.
Le juge ajoute plus loin dans son jugement:
[TRADUCTION] Je mets en doute votre témoignage; celui-ci ne
me convainc pas, M. Aimonetti, que cet argent n'était pas relié
au commerce de la drogue. Je rejette donc votre demande.
La demande de Mme Aimonetti visant à obtenir
la restitution des 200 $ saisis a été accueillie, le
juge déclarant:
[TRADUCTION] Je suis disposé à admettre qu'il s'agissait de son
chèque de paie de Safeway et à ordonner que cette somme
d'argent lui soit remboursée.
Il est admis que le demandeur et son épouse ont
présenté leur demande en vertu du paragraphe
10(5) de la Loi sur les stupéfiants, (la «Loi»).
Le juge W. Scott Wright de la Cour du Banc de
la Reine du Manitoba a rejeté une requête visant à
obtenir un bref de certiorari.
En rejetant cette requête, le juge Wright a
notamment déclaré dans ses motifs de jugement:
[TRADUCTION] À titre d'élément constitutif du dossier dont
je suis saisi, comme je l'ai dit, les deux avocats m'ont demandé
de lire la transcription des débats devant le juge Kopstein de la
Cour provinciale, laquelle contient les éléments de preuve qui
lui ont été soumis et ses motifs de jugement. Il était entendu
que je lirais cette transcription en tenant compte du fait que je
suis saisi d'une requête en certiorari, ce que j'ai fait. Je ne vois
rien dans la transcription qui puisse m'amener à conclure que le
juge de la Cour provinciale n'a pas examiné la question en litige
d'une façon juste et équitable ou qu'il n'existait aucun élément
de preuve ni aucun fondement à l'appui de sa décision. A mon
avis, il y avait en fait un grand nombre d'éléments de preuve
sur lesquels il pouvait se fonder pour adopter un point de vue
contraire à celui du requérant, et cette preuve a vraisemblable-
ment amené le savant juge à conclure que la somme réclamée
provenait très probablement d'un crime ou qu'elle y était reliée,
et qu'en vertu de la loi, elle ne pouvait être restituée au
requérant.
Comme il a été dit dans l'affidavit de MacFar-
lane, le demandeur a interjeté appel de la décision
du juge Wright devant la Cour d'appel du Mani-
toba. Dans l'affaire R. v. Aimonetti (1981), 8
Man.R.(2d) 271, le juge d'appel Huband a pro-
noncé le jugement majoritaire auquel a souscrit le
juge en chef Freedman. L'un des arguments
soumis au nom de l'accusé au cours de l'appel
porte qu'à l'audition de la demande de restitution,
la Couronne n'avait pas prouvé que la saisie ini-
tiale de résine de cannabis, de l'argent en espèces
et des autres objets avait été effectuée en vertu
d'un mandat de main-forte ou d'un mandat délivré
en vertu du paragraphe 10(1) (de la Loi) et que,
par conséquent, le juge Kopstein de la Cour pro-
vinciale avait compétence uniquement pour rendre
une ordonnance restituant au demandeur son bien.
A cet égard, voici ce que le juge Huband a déclaré
à la page 276:
[TRADUCTION] Il convient de remarquer que durant le
procès au terme duquel il a été déclaré coupable de l'infraction
reprochée, l'accusé n'a aucunement contesté la validité de la
perquisition et de la saisie effectuées à sa résidence, ni a-t-il
soulevé cette question devant le juge Kopstein de la Cour
provinciale. Elle a été soulevée pour la première fois à l'occa-
sion de la requête en certiorari présentée devant le juge Wright,
sans aucune preuve à l'appui, et l'argument est soulevé de
nouveau devant cette Cour. La question ne lui ayant pas été
soumise, selon moi, le juge Kopstein de la Cour provinciale,
comme le juge Wright et cette Cour, était en droit de présumer
que les mesures prises par la police avant le procès étaient
valides. Omnia praesumuntur esse rite acta, toutes choses sont
présumées avoir été faites correctement.
En ce qui concerne la possession de ladite
somme d'argent, voici ce que le juge d'appel a
déclaré au paragraphe 23 [à la page 278]:
[TRADUCTION] Lorsque le bien en question est une somme
d'argent, la demande de restitution doit être rejetée si cette
somme semble provenir du commerce illégal de stupéfiants. La
Loi veut que ces sommes ne soient pas restituées à une personne
accusée et subséquemment déclarée coupable d'avoir participé
à un commerce illégal (sous réserve du droit de cette personne
d'en revendiquer la propriété dans une instance civile distincte).
Il serait contraire à l'esprit de la Loi d'en permettre la restitu
tion pour le motif restreint que l'argent ne pouvait être identifié
comme étant le fruit du trafic du stupéfiant trouvé sur les lieux.
A mon avis, le juge Kopstein de la Cour provinciale avait
compétence pour rejeter la demande de restitution en dépit du
fait que l'argent en question n'a pas été directement identifié
comme étant le fruit du trafic de la résine de cannabis saisie sur
les lieux. Dans la mesure où la preuve lui permettait raisonna-
blement de conclure que l'argent provenait du commerce illégal
de stupéfiants, il avait le droit de considérer cet argent comme
une chose "à l'égard de laquelle ... une infraction ... a été
commise», pour reprendre les termes de l'al. 10(1)c).
Quoi qu'il en soit, la preuve soumise lui permettait amplement
de conclure que l'argent trouvé dans la résidence (sauf les 200 $
de M"" Aimonetti) était relié à la vente illicite de drogues.
[C'est moi qui souligne.]
Après avoir examiné attentivement la preuve pro-
duite au cours de l'audience devant le juge
Kopstein de la Cour provinciale, le juge d'appel
Huband a conclu à la page 280:
[TRADUCTION] Il n'est guère étonnant que le juge de pre-
mière instance ait conclu que l'argent en question était le fruit
du commerce illicite de drogue.
Tel qu'indiqué dans l'affidavit de MacFarlane,
la requête du demandeur visant à obtenir l'autori-
sation d'interjeter appel devant la Cour suprême
du Canada a été rejetée.
J'ai cité de longs extraits des jugements du juge
Wright et du juge d'appel Huband et de l'ordon-
nance du juge Kopstein de la Cour provinciale
pour montrer que celui-ci a décidé de rejeter l'or-
donnance de restitution de l'argent saisi parce que
cette somme d'argent était reliée au commerce de
la drogue et que cette conclusion a été confirmée
dans la décision sur la requête en certiorari. Je
répète ce que le juge d'appel Huband a déclaré à la
page 278:
Quoi qu'il en soit, la preuve soumise lui permettait amplement
de conclure que l'argent trouvé dans la résidence (sauf les 200 $
de Mm' Aimonetti) était relié à la vente illicite de drogues.
Cependant, ni dans l'ordonnance du juge
Kopstein de la Cour provinciale ni dans la décision
sur la requête en certiorari est-on arrivé à la
conclusion que l'argent saisi avait servi à acheter
les stupéfiants saisis.
Les articles 4(1), (2) et (3), 10(1)a), b) et c) et
(5), (6), (7) et (8) de la Loi prévoient ce qui suit:
4. (1) Nul ne peut faire le trafic d'un stupéfiant ou d'une
substance quelconque qu'il prétend être ou estime être un
stupéfiant.
(2) Nul ne peut avoir en sa possession un stupéfiant pour en
faire le trafic.
(3) Quiconque enfreint le paragraphe (1) ou (2) est coupable
d'un acte criminel et encourt l'emprisonnement à perpétuité.
10. (1) Un agent de la paix peut, à toute époque,
a) sans mandat, entrer et perquisitionner dans tout endroit
autre qu'une maison d'habitation, et, sous l'autorité d'un
mandat de main-forte ou d'un mandat délivré aux termes du
présent article, entrer et perquisitionner dans toute maison
d'habitation où il croit, en se fondant sur des motifs raisonna-
bles, qu'il se trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard
duquel une infraction à la présente loi a été commise;
b) fouiller toute personne trouvée dans un semblable endroit;
et
c) saisir et enlever tout stupéfiant découvert dans un tel
endroit, toute chose qui s'y trouve et dans laquelle il soup-
çonne en se fondant sur des motifs raisonnables qu'un stupé-
fiant est contenu ou caché, ou toute autre chose au moyen ou
à l'égard de laquelle il croit en se fondant sur des motifs
raisonnables qu'une infraction à la présente loi a été com-
mise, ou qui peut constituer une preuve établissant qu'une
semblable infraction a été commise.
(5) Lorsqu'un stupéfiant ou une autre chose a été saisi en
vertu du paragraphe (1), toute personne beut, dans un délai de
deux mois à compter de la date d'une telle saisie, moyennant
avis préalable donné à la Couronne de la manière prescrite par
les règlements, demander à un magistrat ayant juridiction dans
le territoire où la saisie a été faite de rendre une ordonnance de
restitution prévue au paragraphe (6).
(6) Sous réserve des paragraphes (8) et (9), lorsque, après
audition de la demande faite selon le paragraphe (5), le magis-
trat est convaincu
a) que le requérant a droit à la possession du stupéfiant ou
autre chose saisie, et
b) que la chose ainsi saisie n'est pas, ou ne sera pas, requise à
titre de preuve dans des poursuites relatives à une infraction
à la présente loi,
il doit ordonner que la chose ainsi saisie soit restituée immédia-
tement au requérant, et lorsque le magistrat est convaincu que
le requérant a droit à la possession de la chose ainsi saisie, mais
ne l'est pas quant à la question mentionnée à l'alinéa b), il doit
ordonner que la chose ainsi saisie soit restituée au requérant
c) à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la
date de cette saisie, si aucune poursuite relative à une
infraction à la présente loi n'a été entamée avant l'expiration
dudit délai, ou
d) dans tout autre cas, lorsqu'il a été définitivement statué
sur ces poursuites.
(7) Lorsqu'il n'a été fait aucune demande concernant la
remise de tout stupéfiant ou autre chose saisie conformément
au paragraphe (1) dans un délai de deux mois à compter de la
date de cette saisie, ou qu'une demande à cet égard a été faite
mais, qu'après audition de la demande, aucune ordonnance de
restitution n'a été rendue, la chose ainsi saisie doit être livrée au
Ministre qui peut en disposer de la façon qu'il juge opportune.
(8) Lorsqu'une personne a été déclarée coupable d'une
infraction à l'article 3, 4 ou 5, tout stupéfiant saisi en confor-
mité du paragraphe (1), au moyen ou à l'égard duquel l'infrac-
tion a été commise, tout argent ainsi saisi qui a été utilisé pour
l'achat de ce stupéfiant ainsi que toute aiguille ou seringue
hypodermique, toute machine pour la mise en capsules ou autre
appareil ainsi saisis qui ont été utilisés de quelque façon en
rapport avec l'infraction sont confisqués au profit de Sa
Majesté et il doit en être disposé ainsi qu'en ordonne le
Ministre.
Je ne cite pas le paragraphe (9) parce qu'il n'est
d'aucun intérêt dans la présente action.
Le mot «chose», utilisé dans les différents para-
graphes de l'article 10, comprend une «somme
d'argent»: voir la décision rendue par le juge Addy
de la Division de première instance de la Cour
fédérale dans l'affaire Smith c. La Reine, [1976] 1
C.F. 196; 27 C.C.C. (2d) 252 (lie inst.), décision
dont je parlerai plus amplement.
Le paragraphe 10(8) ne s'applique que si les
sommes d'argent saisies ont été utilisées pour
l'achat de «ce stupéfiant» qui a été l'objet de
l'infraction dont le demandeur a été déclaré coupa-
ble. Dans ce cas, la somme d'argent est confisquée
au profit de Sa Majesté et il en est disposé ainsi
qu'en ordonne le Ministre. Cette situation diffère
cependant du présent cas. Comme nous l'avons
déjà souligné, il n'a pas été établi que la somme
d'argent saisie avait été utilisée pour l'achat de ce
stupéfiant. En fait, il est manifeste que la somme
d'argent n'a pas été utilisée à cette fin. Si elle
l'avait été, le demandeur n'en aurait plus eu la
possession au moment de la saisie.
Le paragraphe 10(7) est la disposition impor-
tante en l'espèce. Ce paragraphe ne confère aucun
droit de confiscation de sorte que la disposition
prévoyant que «la chose ainsi saisie [comme nous
l'avons fait remarquer, "chose" comprend
"argent"] doit être livrée au Ministre qui peut en
disposer de la façon qu'il juge opportune» fait de ce
dernier un simple gardien de ladite somme d'ar-
gent et ne l'autorise pas à décider qui en est le
propriétaire. Cette question du droit de propriété
relève des tribunaux civils.
En arrivant à cette conclusion, je m'appuie sur
les motifs du juge Addy dans l'affaire Smith c. La
Reine, précitée. Les faits qui nous intéressent dans
cette affaire ne diffèrent pas beaucoup de ceux de
la présente cause, sauf que dans l'affaire Smith, il
n'y a pas eu de demande de restitution présentée
en vertu du paragraphe 10(5) et les parties ont
produit un exposé conjoint des faits indiquant que
l'accusé avait été inculpé de possession de stupé-
fiants pour en faire le trafic, en violation du para-
graphe 4(2) de la Loi et qu'il avait subséquem-
ment plaidé coupable à cette accusation. Au
moment de l'arrestation de l'accusé, on a trouvé la
somme de 5 030 $ sur lui et 8 090 $ dans les locaux
qu'il occupait. La GRC a saisi ces deux sommes en
vertu d'un mandat de main-forte et celles-ci ont
été produites à titre de pièces au procès de l'ac-
cusé. Voici ce qu'a déclaré le juge Addy à la page
197 du jugement [Recueil des arrêts de la Cour
fédérale] :
Bien qu'il n'en soit pas spécifiquement fait mention dans
l'exposé conjoint des faits, les avocats des deux parties admirent
au cours de l'audience tenue devant moi qu'au moment de la
saisie, le demandeur était propriétaire des $13,110 susmention-
nés. Il n'a été aucunement démontré ou décidé que ces sommes
d'argent avaient un rapport quelconque avec l'infraction dont
l'accusé s'est reconnu coupable ni qu'elles avaient été utilisées à
cette fin.
Une demande présentée au Ministre en vue
d'obtenir la restitution des sommes d'argent saisies
a été rejetée et il s'agissait de savoir si le deman-
deur, qui n'avait pas demandé la restitution des
sommes d'argent saisies en vertu du paragraphe
10(5), pouvait alors intenter une action en restitu
tion de ces sommes ou si le paragraphe 10(7)
faisait en sorte que ces sommes d'argent étaient
confisquées au profit de la Couronne.
Une demande d'examen de la décision du Minis-
tre ordonnant que les sommes d'argent soient
déposées dans le compte du receveur général a été
initialement présentée à la - Cour d'appel fédérale
en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10. Voici
ce que le juge de première instance a déclaré aux
pages 198 et 199:
Par un jugement rendu le 25 octobre 1974 ([1974] 2 C.F. 43),
la Cour d'appel fédérale rejeta cette demande aux motifs que la
directive du Ministre, prise en vertu de l'article 10(7) de la Loi
sur les stupéfiants, ne constituait pas une décision légalement
soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire et, par
conséquent, n'était pas sujette à examen en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale; la Cour décida en outre que le
pouvoir conféré au Ministre par ce paragraphe et par le para-
graphe (8) dont je ferai mention, constituait un simple pouvoir
de garde et non un pouvoir de trancher une question relative au
titre de propriété.
Il semble manifeste que l'article 10(7) ne prévoit pas la
prescription de l'action en restitution, car, pour constituer une
restriction à un droit d'action, l'article doit l'énoncer
expressément.
Le juge Addy ajoute aux pages 199 et 200:
Ainsi que l'affirma la Cour d'appel lorsqu'elle entendit l'af-
faire, le pouvoir conféré au Ministre par l'article 10(7) (de
même que par l'article 10(8)) constitue un simple pouvoir de
garde et ne permet pas de trancher une question relative à un
titre de propriété.
Si pour opposer une fin de non-recevoir à une action, une loi
doit le prévoir expressément, c'est a fortiori le cas pour une loi
en vertu de laquelle la Couronne déclare l'extinction et la
déchéance à son profit d'un droit absolu de propriété. Voici les
extraits pertinents de l'article 10(8):
(8) Lorsqu'une personne a été déclarée coupable d'une
infraction à l'article ... 4 ... tout argent ainsi saisi qui a été
utilisé pour l'achat de ce stupéfiant ... sont confisqués au
profit de Sa Majesté et il doit en être disposé ainsi qu'en
ordonne le Ministre.
Il est manifeste que l'article 10(8), en plus de prévoir qu'il peut
être disposé de l'argent saisi ainsi qu'en ordonne le Ministre,
stipule expressément que tout argent saisi ayant été utilisé pour
l'achat d'un stupéfiant est confisqué au profit de Sa Majesté.
C'est le seul cas prévu pour la confiscation de sommes d'argent
et il ressort clairement des faits admis en l'espèce, que les
sommes d'argent en cause n'ont pas été utilisées à cette fin. Mis
à part le principe suivant lequel une loi ayant pour objet la
déchéance d'un droit de propriété, doit l'énoncer expressément,
je dois conclure, compte tenu des dispositions spécifiques du
paragraphe (8) relatives à la confiscation que le paragraphe (7)
ne prévoit aucunement la déchéance d'un droit de propriété ou
d'un droit de possession puisqu'il n'en fait pas mention. Ainsi,
le pouvoir discrétionnaire du Ministre en vertu dudit paragra-
phe est sujet à tout droit de propriété des personnes intéressées
dans la «chose» saisie. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Addy déclare en outre ce qui suit à la page
201:
Il me paraît évident que les paragraphes (5) et (7) de l'article
10 portent sur de simples questions de procédure et ne prévoient
qu'un pouvoir de garde. Ils assurent à un individu un méca-
nisme commode pour obtenir, par une nouvelle demande, la
restitution d'une chose saisie et ils prévoient en outre la garde
de cette chose au cas où aucune demande n'est présentée ou
lorsqu'une demande est rejetée. Ils n'entraînent ni explicite-
ment ni implicitement la déchéance d'un droit de propriété.
Je pourrais ajouter que si le législateur avait voulu prévoir,
en adoptant ces paragraphes, qu'une somme d'argent quelcon-
que, saisie au cours d'une descente de police en vertu de la Loi
sur les stupéfiants, y compris l'argent qui s'avérerait ne pas
être relié à la perpétration d'une infraction criminelle, serait
confisquée au profit de la Couronne du chef du Canada au cas
où aucune demande de restitution n'était présentée dans un
délai de deux mois, ces dispositions seraient alors ultra vires
puisqu'elles empièteraient sur la compétence des provinces en
matière de propriété et de droits civils. [C'est moi qui souligne.]
Je souscris entièrement à la décision du juge
Addy. Le fait que le demandeur a demandé la
restitution de la somme d'argent en vertu du para-
graphe 10(5) de la Loi ne lui enlève pas le droit
d'engager une procédure civile devant cette Cour
afin qu'il soit reconnu que la somme d'argent qu'il
réclame dans ses conclusions lui appartient et que
ladite somme d'argent lui soit restituée. La réponse
à la première question énoncée dans l'avis de
requête du demandeur est affirmative.
Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé, je
doute qu'il soit nécessaire de me prononcer sur la
seconde question de droit formulée dans la requête,
celle de savoir si la demande présentée par le
demandeur en vue d'obtenir la restitution de la
somme d'argent est irrecevable, une demande d'or-
donnance de restitution de cette somme ayant déjà
été rejetée et la question étant donc chose jugée;
mais comme cette question a été posée «subsidiai-
rement», je pense qu'il vaut mieux y répondre.
Le principe de la fin de non-recevoir est claire-
ment expliqué dans la décision de lord Guest
rendue dans l'affaire Stiftung v. Rayner & Keeler
Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), à la page
935 (citée par le juge Dickson de la Cour suprême
dans l'affaire Angle c. Le Ministre du Revenu
National, [1975] 2 R.C.S. 248 à la page 254):
[TRADUCTION] ... (1) que la même question ait été décidée;
(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de
non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision
judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que
les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est
soulevée, ou leurs ayants droit.
Dans l'arrêt McIntosh v. Parent, [1923-24] 55
O.L.R. 552 (C.A.), à la page 555, le juge d'appel
Middleton, parlant au nom de la Cour, a défini la
chose jugée de la façon suivante:
[TRADUCTION] Lorsqu'une question est soumise à un tribunal,
le jugement de la Cour devient une décision finale entre les
parties et leurs ayants droit. Les droits, questions ou faits
distinctement mis en cause et directement réglés par un tribu
nal compétent comme motifs de recouvrement ou comme
réponses à une prétention qu'on met de l'avant, ne peuvent être
jugés de nouveau dans une poursuite subséquente entre les
mêmes parties ou leurs ayants droit, même si la cause d'action
est différente. Le droit, la question ou le fait, une fois qu'on a
statué à son égard, doit être considéré entre les parties comme
établi de façon concluante aussi longtemps que le jugement
demeure. [C'est moi qui souligne.]
La doctrine de la chose jugée a également fait
l'objet d'une analyse approfondie dans l'affaire La
ville de Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S.
621. Le juge Ritchie, qui a prononcé le jugement
majoritaire de la Cour suprême du Canada, a cité,
à la page 634, l'extrait suivant du jugement du
juge en chef Dewar de la Cour du Banc de la
Reine du Manitoba, dont il partageait les vues:
Plus loin dans ses motifs, le juge en chef Dewar se reporte
aux affaires Henderson v. Henderson ((1843), 3 Hare 100) et
Ord v. Ord ([1923] 2 K.B. 432), et il cite le passage suivant tiré
des motifs du vice chancelier Wigram, à la p. 115 de la
première de ces deux décisions:
[TRADUCTION] ... J'espère exprimer correctement la règle
que s'est imposée la présente Cour quand j'affirme que si un
point donné devient litigieux et qu'un tribunal compétent le
juge, on exige des parties qu'elles soumettent toute leur cause
et, sauf dans des circonstances spéciales, on n'autorisera pas
ces parties à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être
soulevé lors du litige, mais qui ne l'a pas été pour l'unique
raison qu'elles ont omis de soumettre une partie de leur
cause, par négligence, inadvertance ou même par accident.
Le plaidoyer de la chose jugée porte, sauf dans des cas
spéciaux, non seulement sur les points sur lesquels les parties
ont en fait demandé au tribunal d'exprimer une opinion et de
prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objective-
ment partie du litige et que les parties auraient pu soulever à
l'époque, si elles avaient fait preuve de diligence.
L'avocat du demandeur a fait valoir que la
défenderesse ne pouvait soulever la question de la
chose jugée ou de la fin de non-recevoir parce
qu'elle ne l'a pas invoquée dans sa défense.
À la fin des plaidoiries prononcées au cours de
l'audition de la requête, j'ai demandé qu'on me
soumette d'autres arguments sur la façon de soule-
ver la fin de non-recevoir ou la chose jugée.
Voici ce qui est écrit à la page 704 du volume 2
de l'ouvrage intitulé The Law of Civil Procedure
de Williston et Rolls:
[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire d'invoquer la doctrine
de la chose jugée sous une forme particulière, pourvu que la
question constituant la fin de non-recevoir soit énoncée de façon
à montrer que la partie qui l'invoque se fonde sur celle-ci.
Dans l'affaire Haynes v. Wilson et al., [ 1914] 6
W.W.R. 1495, le juge Lamont, qui prononçait le
jugement au nom de la Cour suprême de la Sas-
katchewan siégeant au complet, a déclaré ce qui
suit à la page 1496:
[TRADUCTION] Une fin de non-recevoir doit toujours être
expressément invoquée à moins qu'elle ne ressorte manifeste-
ment de la plaidoirie de la partie adverse ou qu'il ait été
impossible de l'alléguer.
Dans sa plaidoirie écrite, l'avocat du demandeur
a soutenu qu'il ne ressortait pas clairement de la
défense de la Couronne qu'elle entendait faire
valoir le plaidoyer de la fin de non-recevoir et
qu'elle aurait pu facilement invoquer cette excep
tion. Le paragraphe 4 de la défense est ainsi
rédigé:
4. En ce qui concerne l'ensemble de la déclaration, la défende-
resse déclare que le 7 mars 1979, le demandeur a présenté, en
vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants, Statuts
revisés du Canada 1970, chap. N-1 (la Loi), une demande de
restitution de la somme d'argent, comme en fait foi le paragra-
phe 3 de la déclaration. La demande a été entendue le 1" avril
1980 par le juge Kopstein de la Cour provinciale qui a conclu
que le demandeur n'avait pas le droit à la possession de ladite
somme d'argent parce qu'il n'avait pas convaincu le tribunal
que cette somme n'était pas reliée à ses activités criminelles. La
demande a donc été rejetée et ladite somme remise au ministre
de la Santé nationale et du Bien-être social qui, conformément
au paragraphe 10(7) de la Loi, «peut en disposer de la façon
qu'il juge opportune».
L'avocat de la défenderesse a prétendu que l'ex-
ception de la fin de non-recevoir ou de la chose
jugée ressort clairement des faits allégués et il a
ajouté ce qui suit dans sa plaidoirie:
[TRADUCTION] Si l'assertion du demandeur était fondée, ce
qui n'est pas admis, la Couronne demanderait l'autorisation de
modifier sa défense rétroactivement afin qu'elle corresponde à
la seconde question soulevée dans l'avis de requête, en ajoutant
le paragraphe suivant à la défense:
«4A. À cet égard, la défenderesse prétend que la requête
présentée en l'espèce par le demandeur en vue d'obtenir une
ordonnance de restitution de ladite somme d'argent est irre-
cevable pour le motif que le juge de la Cour provinciale a
déjà tranché la question en vertu du paragraphe 10(5) de la
Loi sur les stupéfiants, Statuts revisés du Canada 1970, chap.
N-1, et que la question est donc chose jugée.»
L'avocat a ajouté que si on décidait que la fin de
non-recevoir ou la chose jugée n'avait pas été
alléguée, la Couronne demanderait l'autorisation
[TRADUCTION] «de modifier la première ligne du
paragraphe 5 de la défense en ajoutant les mots
"en outre" après le mot "affirme"«.
La Règle 420(1) et (2)a) des Règles de la Cour
fédérale prévoit ce qui suit:
Règle 420. (1) La Cour pourra, aux conditions qui semblent
justes le cas échéant, à tout stade d'une action, permettre à une
partie d'amender ses plaidoiries, et tous les amendements néces-
saires seront faits aux fins de déterminer la ou les véritables
questions en litige entre les parties.
(2) Aucun amendement ne doit être permis en vertu de la
présente Règle
a) sauf à des conditions destinées à protéger toutes les parties
quant à la communication, l'interrogatoire préalable et la
préparation de l'instruction ...
Le paragraphe 5 de la défense est rédigé comme
suit:
5. À cet égard, la défenderesse affirme que même si le deman-
deur est «propriétaire» de la somme d'argent mentionnée au
paragraphe 3 de la déclaration, allégation qu'elle rejette, le
ministre de la Santé nationale et du Bien-être social peut
intervenir pour le priver de son droit de propriété de sorte qu'il
détient cette somme d'argent légalement et qu'il ne commet
aucun détournement illégal, contrairement à ce qui a été allé-
gué ou autrement déclaré.
Je pense que le paragraphe 4 de la défense est
suffisamment clair pour permettre le plaidoyer de
la fin de non-recevoir ou de la chose jugée; néan-
moins, je permets les modifications demandées
rétroactivement.
La doctrine de la chose jugée s'applique-t-elle en
l'espèce? En rejetant la demande de restitution de
la somme d'argent saisie, le juge de la Cour pro-
vinciale a uniquement tenu compte du fait que la
somme d'argent en question était reliée au trafic
de la drogue auquel se livrait le requérant. En
rejetant la réclamation du demandeur présentée en
vertu du paragraphe 10(5), le juge ne prétendait
pas trancher la question de la propriété de ladite
somme d'argent, question dont il n'était d'ailleurs
pas saisi. La décision qui a rejeté la demande de
restitution a eu pour seul effet de conférer au
Ministre et non au demandeur le droit à la posses
sion de la somme d'argent. Cette décision ne sta-
tuait d'aucune façon sur la question de propriété.
Ce raisonnement est appuyé par le jugement de
la Cour d'appel dans l'affaire Aimonetti, précitée,
où le juge d'appel Huband a déclaré à la page 277:
[TRADUCTION] Si on examine l'article 10 dans son ensemble,
il est manifeste, je pense, que les autorités ont le droit de saisir
plus d'argent en espèces que ce qui a pu servir dans une
opération illicite faisant l'objet d'une inculpation. En vertu du
paragraphe (8), l'argent qui a été utilisé pour l'achat d'un
stupéfiant doit être confisqué au profit de Sa Majesté à la fin
d'un procès. L'argent dont il s'agit dans le cas présent fait
partie d'une catégorie différente. Selon moi, la Loi est conçue
de façon à permettre à la police de saisir un bien qui est relié au
commerce illicite de la drogue, bien dont la possession est
ensuite conférée au Ministre, à moins que le requérant ne
puisse établir qu'il doit lui être restituté. Les poursuites inten-
tées en vertu de l'article 10 de la Loi ne constituent pas le
Ministre ou la Couronne propriétaire du bien en question. Le
Ministre a droit à la «possession», mais il est loisible à l'accusé
ou à toute autre personne d'engager une procédure civile afin
que le Ministre lui remette son bien.
Dans la présente action, il s'agit de statuer sur le
bien-fondé de la prétention du demandeur selon
laquelle il est propriétaire de la somme d'argent et
y a droit et que le Ministre ne peut agir qu'à titre
de gardien, n'étant pas habilité à trancher une
question de droit de propriété. Il devient manifeste
que la question faisant l'objet de l'instance portée
devant le juge Kopstein de la Cour provinciale et
celle qui est formulée dans la déclaration sont
distinctes et que, par conséquent, la fin de non-
recevoir ou la chose jugée ne s'appliquent pas. La
réponse à la deuxième question formulée à titre
subsidiaire dans la présente requête est négative.
Le demandeur a droit aux dépens de la requête.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.