T-167-80
Baxter Travenol Laboratories of Canada, Limited,
Travenol Laboratories Inc. et Baxter Travenol
Laboratories Inc. (demanderesses)
c.
Cutter (Canada), Ltd. (défenderesse)
Division de première instance, juge Marceau—
Ottawa, 17 et 18 juin 1982.
Pratique — Contrefaçon de brevet — Demande en réouver-
ture de l'instruction et en modification des écritures au sujet
des dommages-intérêts sur le fondement de renseignements
obtenus après jugement au sujet de tractations anormales
qu'aurait faites la défenderesse pendant et après l'instruction
pour se débarrasser des produits contrefaits qu'elle détenait —
Les demanderesses se fondant sur ces renseignements deman-
dent des dommages punitifs et exemplaires, lesquels n'avaient
pas été réclamés à l'instruction — Selon les demanderesses, les
Règles 496 et 420 autorisent la réouverture de l'instruction et
la modification des écritures à cette fin — Subsidiairement,
les demanderesses soutiennent que la Règle 1733 autorise la
révision, pour fraude, des parties du jugement traitant de la
question des dommages et des références à tenir à cet égard —
Requête rejetée — Règles 420, 496, 1733 de la Cour fédérale.
Il s'agit d'une requête présentée par les demanderesses après
jugement, dans une action en contrefaçon de brevet, en vue
d'obtenir une ordonnance, sur le fondement de la Règle 496,
portant réouverture de l'instruction sur la question des domma-
ges et, sur le fondement de la Règle 420, modification de la
déclaration ou, subsidiairement, une ordonnance, sur le fonde-
ment de la Règle 1733, portant révision, pour fraude, des
parties du jugement de première instance traitant de la question
des dommages et de la tenue de références.
Après le procès, la défenderesse a fait appel du jugement et
demandé par requête de surseoir à la procédure de référence
qui devait être engagée conformément au jugement. Les
demanderesses, au cours du contre-interrogatoire d'un dirigeant
de la compagnie défenderesse au sujet d'un affidavit appuyant
cette requête, ont découvert certaines tractations anormales
qu'aurait faites la défenderesse, pendant et après le procès,
pour se débarrasser de tous les produits contrefaits qu'elle
détenait. S'appuyant sur ces renseignements, les demanderes-
ses, dans l'exercice formel de leur choix entre des dommages-
intérêts et une reddition de compte des profits réalisés, confor-
mément au jugement de première instance, ont réclamé des
dommages punitifs et exemplaires. Lorsque les demanderesses
ont cherché à obtenir des réponses, lors d'un interrogatoire
préalable à ce sujet, la Cour a statué que le jugement initial
n'accordait pas de dommages punitifs ou exemplaires et donc
que le choix qui pouvait être exercé sur son fondement ne
pouvait donner un tel droit.
Jugement: la requête est rejetée. La Cour est liée par sa
décision de refuser tout débat sur la question des dommages
punitifs et exemplaires. Les plaidoiries d'une action qui a été
instruite et tranchée par jugement ne peuvent être modifiées
afin d'introduire un point litigieux entièrement nouveau. En
l'espèce, les faits donnant lieu à responsabilité se sont produits
au cours de l'instruction et après. Ils n'étaient donc pas inclus
dans les plaidoiries, ni dans la preuve administrée, ni dans les
points litigieux dont le juge du fond était saisi, et ne peuvent
donc pas maintenant être soumis à l'appréciation de la Cour.
Quant à la Règle 1733, elle ne peut servir dans le cas d'une
cause de demande non soulevée dans l'action, ni lorsque la
validité du jugement n'est pas mise en cause. Elle prévoit la
possibilité de présenter une requête en révision d'un jugement
en cas de découverte de faits nouveaux ou de fraude; mais la
Cour n'a été en l'espèce victime d'aucune fraude et la régularité
du jugement rendu n'est pas attaquée.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Lesyork Holdings Ltd. et al. v. Munden Acres Ltd. et al.
(1977), 13 O.R. (2d) 430 (C.A.).
AVOCATS:
D. F. Sim, c.r. et C. E. R. Spring pour les
demanderesses.
G. E. Fisk pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour les demanderes-
ses.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MARCEAU: Il s'agit en l'espèce d'une
demande des plus inhabituelles, présentée dans une
instance fort embrouillée, qui a déjà suscité trois
appels, toujours pendants; elle doit être replacée
dans son contexte si on veut en comprendre l'objet
et le sens.
Les demanderesses intentèrent une action en
contrefaçon de brevet contre la défenderesse en
janvier 1980. L'action fut instruite le 19 novembre
1980, sous réserve d'une ordonnance du genre visé
par la Règle 480. Le 11 décembre 1980, le juge de
première instance donnait les motifs de son juge-
ment: le brevet en cause était valide et avait été
contrefait, aussi les avocats rédigeraient un projet
de jugement approprié, donnant effet à ses conclu
sions, et ils en demanderaient l'approbation. Le
jugement formel fut signé le 18 décembre 1980.
Appel fut immédiatement formé de ce jugement.
Le jugement, naturellement, comporte des dis
positions portant sur la responsabilité de la défen-
deresse en matière de dommages et sur les référen-
ces qui devaient avoir lieu à cet égard. Ces
références devaient passer par quatre phases: (1)
un interrogatoire préalable sur l'étendue de la
contrefaçon, sur les dommages subis par les
demanderesses et sur les profits réalisés par la
défenderesse; (2) une référence pour établir si les
demanderesses étaient en droit de réclamer les
profits de la défenderesse; (3) selon que les deman-
deresses ont droit ou non aux profits, le droit de
choisir soit une réparation en dommages-intérêts,
soit une reddition de compte des profits; (4) et,
enfin, une référence pour décider du quantum des
dommages ou des profits en fonction du choix, le
cas échéant, exercé. La défenderesse a demandé
aussitôt de surseoir à la procédure de référence
tant qu'on n'aurait pas statué sur l'appel formé
contre le jugement et, à l'appui de sa requête, a
soumis la déposition sous serment d'un certain
Thomas Maxwell, son vice-président et président-
directeur général. Cette requête fut rejetée, mais
elle a fourni aux demanderesses la possibilité de
contre-interroger M. Maxwell à l'égard de sa
déposition sous serment. Au cours du contre-inter-
rogatoire de M. Maxwell, on découvrit que pen
dant le procès, et par la suite, la défenderesse était
parvenue à se débarrasser de tous les produits
contrefaits qu'elle détenait encore en haussant
anormalement ses ventes à la Croix-Rouge cana-
dienne (seul acheteur des produits au Canada) et
en expédiant le reste de son stock au bureau de sa
compagnie mère, en Californie, aux États-Unis.
Apparemment, les demanderesses avaient déjà eu
vent de certaines tractations anormales de la
défenderesse à la suite du procès mais, néanmoins,
c'était là la première occasion qu'elles avaient de
vérifier les faits. A leur avis, non seulement la
conduite de la défenderesse était-elle insolente et
malveillante; elle leur portait préjudice et outra-
geait la Cour elle-même.
La première réaction des demanderesses, lors-
que ces faits furent connus, fut de tenter d'accuser
la défenderesse d'outrage au tribunal. Elles furent
déboutées: les faits, même établis, n'équivalaient
pas à un outrage au tribunal, ce que confirma
l'appel; autorisation de ce pourvoir en Cour
suprême a cependant été accordée. La seconde
réaction des demanderesses fut d'aviser, dans
l'exercice formel de leur choix, qu'elles estimaient
avoir droit à des dommages punitifs et exemplai-
res. Une fois encore, ce devait être en vain. Lors-
qu'elles cherchèrent à obtenir des réponses, lors
d'un interrogatoire préalable, au sujet de domma-
ges punitifs et exemplaires éventuels, une ordon-
nance de la Cour décida que le jugement n'accor-
dait pas de dommages punitifs et exemplaires et
que le choix qui pouvait être exercé sur son fonde-
ment ne pouvait donner un tel droit. Cette ordon-
nance fait, naturellement, l'objet du troisième
appel mentionné ci-dessus.
On comprend mieux ainsi la demande dont est
saisie la Cour aujourd'hui. D'après les termes
mêmes de l'avis de requête, on conclut:
[TRADUCTION] 1) Sur le fondement des Règles de la Cour,
notamment de la Règle 420, à modification de la déclaration
conformément au projet de déclaration révisée joint à titre
d'annexe «A».
2) Sur le fondement des Règles de la Cour, notamment de la
Règle 496, réouverture de l'instruction, tenue les 19, 20, 21,
24, 25 et 26 novembre 1980, devant un juge siégeant en
première instance, afin d'élargir la question des dommages à
déterminer par référence, comme le premier juge l'avait
demandé aux alinéas 4 et 5 de son jugement du 18 décembre
1980.
3) À des directives pour la réouverturede l'instruction sur la
question des dommages et à la fixation d'un calendrier à cet
égard.
4) Ou, subsidiairement, sur le fondement des Règles de la
Cour, notamment de la Règle 1733, révision du jugement,
motif pris d'un fait nouveau découvert après son prononcé ou à
révision des parties du jugement traitant de la question des
dommages Io? s ide la tenue de la référence, motif pris de fraude.
5) À des directives sur la procédure à suivre et à la fixation
d'un calendrier à cet égard.
6) À toute autre ordonnance supplémentaire qui pourrait sem-
bler juste à la Cour.
L'avocat des demanderesses a fort habilement
présenté la requête mais, néanmoins, 11 n'est pas
parvenu à me convaincre que la Cour était habili-
tée à connaître de celle-ci.
La décision de la Cour du 4 décembre 1981,
T-167-80, qui refuse de laisser débattre des ques
tions relatives aux dommages punitifs et exemplai-
res, bien entendu, me lie. On trouvera le fonde-
ment de cette décision dans le passage suivant des
motifs du juge:
[TRADUCTION] Le litige dont je suis saisi se trouve simplifié du
fait que nous sommes en face d'un jugement de notre juridic-
tion, déjà prononcé, qui, bien entendu, ne fait aucune mention
de dommages exemplaires ou punitifs. Rien de surprenant à
cela puisque ces dommages ne sont pas articulés dans les
écritures. Plus important, de l'aveu même des demanderesses,
certains des faits, qui serviraient de fondement à l'exercice
contre la défenderesse de ce recours extraordinaire, se sont
produits au cours de l'instruction sans être inclus dans la preuve
qui était alors administrée, et d'autres se sont produits après le
procès. De toute évidence donc, le jugement ne pouvait, à bon
droit, influer sur cette responsabilité de la défenderesse.
La question des dommages punitifs ou exemplai-
res ne pouvait donc être instruite et le jugement ne
pouvait statuer là-dessus. C'est un litige entière-
ment nouveau. Il me semble inconcevable que les
écritures d'une action, qui a non seulement été
instruite mais pour laquelle jugement a déjà été
rendu, puissent être modifiées afin d'introduire un
nouveau point litigieux et le soumettre à l'appré-
ciation de la Cour. Les Règles 420 et 496 qu'ont
mentionnées les demanderesses dans leur avis de
requête ne sauraient s'appliquer une fois le juge-
ment rendu. Il est vrai que la Règle 1733' prévoit
la possibilité de présenter une requête (au lieu
d'une demande nouvelle, comme dans d'autres
juridictions) en révision d'un jugement en cas de
découverte de faits nouveaux ou de fraude. Mais la
Cour n'a été, en l'espèce, victime d'aucune fraude
et la régularité du jugement rendu n'est pas atta-
quée. Ce que l'on veut, c'est une modification du
jugement afin qu'il règle un litige nouveau, un
litige qui, de toute façon, n'a pas été articulé dans
les écritures, et ne pouvait l'être. La Règle 1733,
comme je la comprends, ne peut servir dans le cas
d'une cause de demande non soulevée dans l'ac-
tion, ni lorsque la validité du jugement n'est pas
mise en cause. La nécessité d'apporter une solution
définitive à tout litige exige qu'il en soit ainsi.
(Comparer avec l'arrêt Lesyork Holdings Ltd. et
al. v. Munden Acres Ltd. et al. (1977), 13 O.R.
(2d) 430 (C.A.).)
La Cour donc, à mon avis, n'est pas habilitée à
rendre l'ordonnance réclamée; aussi n'ai-je d'autre
choix que de rejeter la requête, sans frais toutefois;
1 Règle 1733. Une partie qui a droit de demander en justice
l'annulation ou la modification d'un jugement ou d'une ordon-
nance en s'appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce
jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la
suite, ou qui a droit d'attaquer un jugement ou une ordonnance
pour fraude, peut le faire, sans intenter d'action, par simple
demande à cet effet dans l'action ou autre procédure dans
laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance.
je ne crois pas, dans les circonstances, qu'il soit
approprié de les allouer.
ORDONNANCE
La requête est rejetée sans frais.
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