A-815-81
Anheuser-Busch, Inc. (appelante) (appelante)
c.
Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited et
Registraire des marques de commerce (intimés)
(intimés)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup
pléant Kelly—Toronto, 28 septembre; Ottawa, 22
novembre 1982.
Marques de commerce — Appel du jugement de la Division
de première instance qui rejetait l'appel de la décision par
laquelle le registraire des marques de commerce avait sus-
pendu les procédures introduites par l'appelante en vertu de
l'art. 44 de la Loi sur les marques de commerce — Il faut
déterminer si l'appel peut être interjeté de la décision d'accor-
der une suspension d'instance — L'art. 44 de la Loi prévoit une
procédure sommaire et expéditive — La règle consistant à
refuser, dans le cadre d'une demande fondée sur l'art. 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, un redressement contre des décisions
interlocutoires d'où ne découle aucun droit ou aucune obliga
tion juridiques est jugée logique et compatible — La Division
de première instance est incompétente pour entendre l'appel —
Le registraire ne tient pas de la loi le pouvoir d'accorder une
suspension — Le but limité de l'art. 44 concernant la preuve
d'emploi se trouve contrecarré par des procédures excessive-
ment longues — C'est un refus d'exercer sa compétence que
d'accorder des suspensions, des ajournements indéfinis —
Appel rejeté sans dépens — Loi sur les marques de commerce,
S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 44 (mod. par S.C. 1980-8/-
82-83, chap. 47, art. 46), 56(l) — Loi sur les marques de
commerce, S.C. 1952-53, chap. 49, art. 36(1), 55(l) — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 28.
Contrôle judiciaire — Appels prévus par la loi — Loi sur
les marques de commerce, art. 56 — La décision de suspendre
les procédures introduites en vertu de l'art. 44 est-elle une
décision dont appel peut être interjeté sous le régime de l'art.
56? — Sens du mot «décision» employé dans la Loi sur la
Cour fédérale, art. 28 — Le droit jurisprudentiel sur l'art. 28
est-il applicable au terme «décision,, employé à l'art. 56 de la
Loi sur les marques de commerce? — Les décisions sur l'art.
28 ne sont pas obligatoires en cas d'appel prévu par la loi —
Explication du raisonnement adopté dans les causes sur l'art.
28 — La procédure prévue à l'art. 44 doit être expéditive — Le
raisonnement adopté dans la jurisprudence sur l'art. 28 est
donc applicable parce qu'il est compatible avec les articles
pertinents de la Loi sur les marques de commerce — La
Division de première instance n'avait pas compétence pour
connaître de l'appel formé en vertu de l'art. 56 — Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 44 (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 46), 56(1)— Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
National Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et
autres (N° I), [1971] C.F. 66 (I" inst.); The Noxzema
Chemical Co. of Canada Ltd. v. Sheran Mfg. et al.
(1968), 38 Fox Pat. C. 89 (C. de
DÉCISION INFIRMÉE:
Skipper's, Inc. c. Le registraire des marques de com
merce et autre, Cour fédérale, T-5863-79, jugement en
date du 25 août 1980.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hoffmann-La Roche Limited v. Delmar Chemicals Limi
ted, [1966] R.C.E. 713; J. K. Smit & Sons International
Limited v. Packsack Diamond Drills Ltd., [1964] R.C.E.
226.
DÉCISION' C I I I I.S:
Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F.
1166 (C.A.); British Columbia Packers Limited, et
autres c. Le Conseil canadien des relations du travail et
autre, [1973] C.F. 1194 (C.A.); In re la Loi antidumping
et in re Danmor Shoe Company Ltd., [1974] 1 C.F. 22
(C.A.); Richard c. La Commission des relations de tra
vail dans la Fonction publique, [1978] 2 C.F. 344
(C.A.); Canadian Air Line Employees' Association c.
Wardair Canada (1975) Ltd., et autres, [1979] 2 C.F. 91
(C.A.); Latif c. La Commission canadienne des droits de
la personne et autre, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.); La
Commission canadienne des droits de la personne c.
British American Bank Note Company, [1981] 1 C.F.
578 (C.A.); Smith Kline & French Inter -American Cor
poration v. Micro Chemicals Limited, [1968] 1 R.C.E.
326; Société Radio-Canada et autre c. Commission de
police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618; Julius v. The
Right Rev. the Lord Bishop of Oxford et al. (1879-80), 5
A.C. 214 (H.L.); Canadian Pacific Railway v. The Pro
vince of Alberta et al., [1950] R.C.S. 25.
AVOCATS:
L. Morphy, c.r. et S. Block pour l'appelante
(appelante).
R. E. Dimock pour Carling O'Keefe Brewe
ries of Canada Limited, intimée (intimée).
R. Levine pour le registraire des marques de
commerce, intimé (intimé).
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour l'ap-
pelante (appelante).
Sim, Hughes, Toronto, pour Carling O'Keefe
Breweries of Canada Limited, intimée (inti-
mée).
Le sous-procureur général du Canada pour le
registraire des marques de commerce, intimé
(intimé).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est formé du jugement
par lequel la Division de première instance [Cour
fédérale, T-2388-81, jugement en date du 22 octo-
bre 1981] a rejeté l'appel que l'appelante avait
interjeté d'une décision rendue par le registraire
des marques de commerce (le registraire), intimé.
Dans cette décision, en date du 25 mars 1981
(D.A. pp. 17 21), le registraire a suspendu les
procédures introduites par l'appelante en vertu de
l'article 44 de la Loi sur les marques de com
merce, S.R.C. 1970, chap. T-10 [mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 47, art. 46], en attendant la
fin des procédures engagées [TRADUCTION] «...
devant la Cour fédérale du Canada entre Carling
O'Keefe Breweries of Canada Limited et Anheu-
ser-Busch Inc. (n° du greffe T-298-80)». La sus
pension a été accordée à la suite d'une requête
préliminaire introduite le 12 mars 1981 par l'avo-
cat de l'intimée, Carling O'Keefe Breweries of
Canada Limited (Carling).
Les faits pertinents ne sont pas contestés et
peuvent être ainsi résumés. Le 19 septembre 1979,
l'appelante a demandé au registraire de donner à
Carling, en sa qualité de propriétaire inscrit de la
marque de commerce n° 185/40809, l'avis prévu
audit article 44'. Le 17 octobre 1979, le registraire
' L'article 44 est ainsi rédigé:
44. (I) Le registraire peut, à tout moment, et doit, sur la
demande écrite présentée après trois années à compter de la
date de l'enregistrement, par une personne qui verse les droits
prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet
contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoi-
gnant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une
déclaration statutaire indiquant, à l'égard de chacune des
marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enre-
gistrement, si la marque de commerce est employée au
Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi
employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi
depuis cette date.
(2) Le registraire ne doit recevoir aucune preuve autre que
cet affidavit ou cette déclaration statutaire, mais il peut
entendre des représentations faites par ou pour le proprié-
taire inscrit de la marque de commerce, ou par ou pour la
personne à la demande de qui l'avis a été donné.
(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve
à lui fournie ou de l'omission de fournir une telle preuve, que
la marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des
marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit
à l'égard de l'une quelconque de ces marchandises ou de l'un
quelconque de ces services, n'est pas employée au Canada, et
(Suite à la page suivante)
a envoyé à Carling un avis visé à l'article 44. On a,
par la suite, accordé à Carling une prolongation du
délai dans lequel elle devait répondre à cet avis
donné par le registraire, ladite prorogation expi-
rant le 17 avril 1980. Le 9 avril 1980, Carling a
présenté une demande de suspension d'instance en
attendant la décision de la Cour fédérale à l'égard
des questions en litige dans l'action T-298-80 entre
elle-même et l'appelante. Le registraire a rejeté
cette requête en suspension d'instance, mais a
accordé à Carling un autre délai pour se conformer
aux exigences de l'article 44. Par la suite, soit le 18
juillet 1980, Carling a déposé, en réponse à l'avis
qui lui avait été donné en vertu de l'article 44,
l'affidavit de Brian Edwards. A la demande de
l'appelante, le registraire a tenu une audience le 12
mars 1981 au sujet des procédures intentées en
vertu de l'article 44. A l'ouverture de cette
audience, Carling a introduit la requête prélimi-
naire en suspension d'instance susmentionnée. Le
registraire a mis en délibéré cette requête et a
entendu au fond les arguments concernant les
procédures fondées sur l'article 44. Le 25 mars
1981, le registraire a accueilli la requête en sus
pension d'instance de Carling comme il a été relaté
ci-dessus. C'est cette «décision» portant suspension
qui fait l'objet du présent appel.
Il convient de souligner que Carling a deux
affaires pendantes devant la Division de première
instance de cette Cour, T-298-80 et T-4900-80,
dans lesquelles elle prétend que l'appelante et ses
usagers inscrits contrefont la marque de commerce
n° 185/40809. Dans chacune de ces actions, les
défenderesses nient la validité de l'enregistrement
n° 185/40809 pour le motif que la marque de
commerce a été abandonnée.
(Suite de la page précédente)
que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circons-
tances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette
marque de commerce est susceptible de radiation ou modifi
cation en conséquence.
(4) Lorsque le registraire en arrive à une décision sur la
question de savoir s'il y a lieu ou non de radier ou de modifier
l'enregistrement de la marque de commerce, il doit notifier
sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit
de la marque de commerce et à la personne à la demande de
qui l'avis a été donné.
(5) Le registraire doit agir en conformité de sa décision si
aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la
présente loi ou, si un appel est interjeté, il doit agir en
conformité du jugement définitif rendu dans cet appel.
(6) Dans le présent article, nregistraire» comprend les
personnes qu'il autorise à agir en son nom aux fins du présent
article.
À l'audition du présent appel, l'avocat de Car-
ling ainsi que celui du registraire ont fait valoir
que la «décision» portant suspension d'instance
n'est pas une décision dont appel peut être interjeté
en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques
de commerce. Le paragraphe 56(1) est ainsi conçu:
56. (I) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous
le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour
fédérale du Canada dans les deux mois qui suivent la date où le
registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai
supplémentaire que la Cour peut accorder, soit avant, soit après
l'expiration des deux mois.
À l'appui de cette prétention, les avocats se sont
appuyés sur la jurisprudence 2 en voie de formation
dans cette Cour à l'égard du sens du mot «déci-
sion» employé à l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10.
D'après cette jurisprudence, la Cour d'appel fédé-
rale a compétence pour examiner, en vertu de
l'article 28, seulement les ordonnances ou décisions
finales, finales en ce sens que la décision ou ordon-
nance en question est celle que le tribunal a le
pouvoir de rendre, et d'où découlent des droits ou
obligations juridiques. Cette jurisprudence précise
que la Cour n'examinera pas la myriade de déci-
sions ou ordonnances habituellement rendues à
l'égard de questions normalement soulevées au
cours d'une période antérieure à cette décision
finale. Selon les avocats, cette jurisprudence
devrait s'appliquer au mot «décision» employé au
paragraphe 56(1) et, par conséquent, puisque la
«décision» faisant l'objet de l'examen ne répond pas
aux critères établis par la jurisprudence susmen-
tionnée en ce qu'elle n'est pas celle que le regis-
traire a le pouvoir de rendre sous le régime de
l'article 44, et qu'elle n'est pas une décision d'où
découlent des droits ou obligations juridiques, la
Division de première instance n'a pas compétence
Z Voir par exemple: National Indian Brotherhood, et autres
c. Juneau, et autres (N° 1), [1971] C.F. 66 (lee inst.) aux pp. 77
à 79; Le procureur général du Canada c. Cylien, [19731 C.F.
1 166 (C.A.); British Columbia Packers Limited, et autres c. Le
Conseil canadien des relations du travail et autre, [1973] C.F.
1 194 (C.A.); In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe
Company Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.); Richard c. La Com
mission des relations de travail dans la Fonction publique,
[1978] 2 C.F. 344 (C.A.); Canadian Air Line Employees'
Association c. Wardair Canada (1975) Ltd., et autres, [ 1979] 2
C.F. 91 (C.A.); Latif c. La Commission canadienne des droits
de la personne et autre, [1980] I C.F. 687 (C.A.); La Commis
sion canadienne des droits de la personne c. British American
Bank Note Company, [198I] 1 C.F. 578 (C.A.).
pour statuer sur un appel formé contre cette déci-
sion sous le régime du paragraphe 56(1). Bien que
les décisions sur l'article 28 puissent avoir une
valeur persuasive, je fais remarquer qu'elles ne
sauraient être décisives ni obligatoires lorsque,
comme en l'espèce, le mot «décision» est employé
dans un appel statutaire. Il découle d'une lecture
attentive de la jurisprudence sur l'article 28 que
dans ces décisions, l'accent a été mis sur les consé-
quences peu souhaitables qui pourraient s'ensuivre
si la Cour devait accueillir les demandes fondées
sur l'article 28 relativement aux innombrables
questions interlocutoires soulevées au cours d'une
procédure. Dans l'affaire Juneau (susmentionnée),
le juge en chef Jackett dit ceci à la page 78 du
recueil:
Cependant, si une partie intéressée a le droit de s'adresser à
cette Cour en vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision de
ce genre est rendue, il semble qu'on ait mis entre les mains de
parties peu disposées à ce qu'un tribunal exerce sa compétence
un moyen dilatoire et frustratoire incompatible avec l'esprit de
l'art. 28(5).
La Cour a exprimé de semblables points de vue
dans ses décisions ultérieures à l'égard de l'article
28. Ce qui semble clair, c'est que les causes sur le
sens du mot «décision» employé dans la Loi sur la
Cour fédérale ont été jugées en tenant compte de
l'économie de cette Loi. J'estime qu'il s'agit là de
la bonne façon d'aborder la question et que c'est de
cette façon qu'on devrait envisager l'interprétation
du mot «décision» employé dans la Loi sur les
marques de commerce. En l'espèce, il a été rendu,
au cours d'une procédure prévue à l'article 44 de la
Loi sur les marques de commerce, une «décision»
qui est, dit-on, susceptible d'appel sous le régime
du paragraphe 56(1) de cette Loi. À mon avis, le
législateur a clairement voulu que la procédure
prévue à l'article 44 soit sommaire et expéditive.
Cela étant, il me semble clair qu'un raisonnement
semblable à celui adopté dans la jurisprudence sur
l'article 28 devrait s'appliquer à une «décision»
rendue sous le régime de l'article 44 de la Loi sur
les marques de commerce. J'applique toutefois ce
raisonnement parce qu'il est conforme aux articles
pertinents de la Loi sur les marques de commerce
et non simplement parce qu'il forme la raison
d'être de décisions portant sur la Loi sur la Cour
fédérale. À mon avis, il se peut qu'il existe d'autres
lois qui confèrent un droit d'appel où, étant donné
l'économie de cette loi, le mot «décision» y employé
peut avoir une connotation différente nécessitant
une interprétation différente. Dans le contexte des
articles 44 et 56 de la Loi sur les marques de
commerce, j'arrive toutefois à la conclusion que le
mot «décision» y employé signifie la décision finale
rendue par le registraire sous le régime du para-
graphe 44(4), c'est-à-dire sa décision finale sur la
question de savoir s'il y a lieu ou non de radier ou
de modifier l'enregistrement de la marque de com
merce, et n'englobe pas de «décision» telle que celle
de suspendre les procédures prévues à l'article 44.
Le président Jackett de la Cour de l'Échiquier
(tel était alors son titre) a adopté un point de vue
semblable dans l'affaire Hoffmann-La Roche
Limited v. Delmar Chemicals Limited 3 pour
déterminer si la Cour était compétente pour sta-
tuer sur un appel formé contre une «décision»
rendue par le commissaire des brevets en vertu de
la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, chap. 203.
Après examen de l'ensemble de la Loi sur les
brevets, le président a jugé que la seule «décision»
susceptible d'appel était la décision finale tran-
chant définitivement la demande malgré le fait
que, dans l'exercice des pouvoirs que lui conférait
la loi, il était nécessairement appelé à décider de
beaucoup de questions préliminaires. En outre, le
juge Thurlow (tel était alors son titre) a eu l'occa-
sion d'examiner, dans le contexte de -la Loi sur les
marques de commerce, S.C. 1952-53, chap. 49, un
problème semblable dans l'affaire J. K. Smit &
Sons International Limited v. Packsack Diamond
Drills Ltd. ° I1 a été décidé dans cette affaire que la
décision, rendue par le registraire en vertu du
paragraphe 36(1), de faire annoncer la demande
d'enregistrement d'une marque n'était pas une
décision dont la requérante avait le droit d'interje-
ter appel. Le texte du paragraphe 55(1) de cette
Loi, qui confère un droit d'appel «... de toute
décision rendue par le registraire, sous le régime de
la présente loi ...», est identique à celui du para-
graphe 56(1) actuel.
Par ces motifs, je conclus donc que la Division
de première instance n'avait pas compétence pour
connaître de l'appel formé en vertu de l'article 56
de la Loi sur les marques de commerce. Cette
conclusion suffit pour trancher l'appel, mais étant
3 [1966] R.C.É. 713—Note: Cette décision a été suivie par le
président Jackett dans l'affaire Smith Kline & French Inter -
American Corporation v. Micro Chemicals Limited, [1968] 1
R.C.É. 326.
[1964] R.C.É. 226.
donné que la Division de première instance a, en
l'espèce comme dans l'affaire Skipper's' (sur
laquelle le registraire s'est appuyé en l'espèce),
estimé que le registraire a compétence pour accor-
der une suspension d'instance, je considère qu'il
s'agit là d'une situation où la Cour devrait se
prononcer fermement sur cette question, puisqu'il
se pourrait que le seul recours ouvert à l'appelante
soit de solliciter de la Division de première ins
tance un bref de mandamus, et puisque la question
de la compétence qu'a le registraire pour ordonner
une suspension d'instance a été pleinement débat-
tue devant nous.
J'aborde cette question en tenant pour acquis
qu'un «tribunal», tel que le registraire des marques
de commerce, puisqu'il est créé par une loi, n'a
aucun pouvoir inhérent 6 . Le pouvoir d'accorder la
suspension de toute procédure tenue devant le
registraire doit être prévu expressément dans la
Loi sur les marques de commerce ou dans le
Règlement pris en application de celle-ci ou en
découler [TRADUCTION] «de façon nettement
implicite»'. Après lecture attentive de la Loi et du
Règlement, je ne trouve aucune disposition qui,
soit expressément soit de façon nettement impli-
cite, autorise le registraire à faire ce qu'il a fait en
l'espèce. La Loi sur la concurrence déloyale,
S.R.C. 1952, chap. 274, le prédécesseur de l'ac-
tuelle Loi sur les marques de commerce, ne conte-
nait aucune procédure simple pour la radiation, du
registre, de marques de commerce non employées.
L'article 44 de l'actuelle Loi établit un code de
procédure conférant au registraire le pouvoir de
radier du registre ces marques non employées ou
de restreindre leur effet aux marchandises ou ser
vices en liaison avec lesquels elles ont été
employées. Cet article n'envisage pas une décision
sur la question d'abandon, mais il constitue simple-
ment une procédure sommaire par laquelle on
demande au propriétaire inscrit d'une marque de
fournir soit quelque preuve d'emploi au Canada,
soit la preuve de circonstances spéciales qui justi-
Skipper's, Inc. c. Le registraire des marques de commerce
et autre (Cour fédérale, T-5863-79, jugement en date du 25
août 1980).
6 À ce sujet, voir: Société Radio-Canada et autre c. Com
mission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618, la p. 639,
le juge Beetz.
' Voir: Reid et David, Administrative Law and Practice, 2'
éd., 1978, p. 303.
fient le défaut d'emploi. Compte tenu du fait que
la preuve que le registraire peut examiner se
limite, en vertu du paragraphe 44(2), un affida
vit ou à une déclaration du propriétaire inscrit, il
est évident, à mon avis, qu'on n'a pas voulu que le
registraire rende, en vertu de l'article 44, une
décision quant à l'abandon. La seule question que
le registraire avait à trancher en vertu de l'article
44 était de savoir si le propriétaire inscrit avait
déposé une déclaration d'emploi au Canada ou une
explication du défaut d'emploi'.
Le président Jackett (tel était alors son titre)
présente succinctement la question comme suit à la
page 97 des motifs dans l'affaire Noxzema
susmentionnée:
[TRADUCTION] ... l'article 44 fournit un moyen de débarrasser
le registre des enregistrements dont les propriétaires inscrits ont
cessé de revendiquer l'emploi. Un propriétaire inscrit peut
éviter qu'un tel sort soit réservé à son enregistrement en
déposant soit une simple déclaration d'emploi de la marque de
commerce, soit la raison du défaut d'emploi de cette marque s'il
avoue ne pas l'employer.
Compte tenu de la portée de l'article 44 exposé
ci-dessus, du but limité pour lequel cet article a été
promulgué, et de l'intention claire du Parlement
que la procédure prévue à l'article 44 soit simple,
sommaire et expéditive, je ne suis pas disposé à
admettre que le registraire ait un pouvoir inhérent
de prolonger excessivement ces procédures en
imposant une suspension d'instance jusqu'à l'issue
de litiges devant la Cour. L'imposition d'une sus
pension d'instance en ces termes fait qu'il est
possible et même plus que probable que la suspen
sion soit passablement longue. À mon humble avis,
le législateur n'a jamais voulu une telle consé-
quence lorsqu'il a ajouté la procédure de l'article
44 la loi.
Comme il a été souligné plus haut, le registraire,
en ordonnant la suspension dans ces procédures,
s'est appuyé sur une décision rendue par la Divi
sion de première instance dans l'affaire Skipper's
(susmentionnée). On peut trouver à la page 7 des
motifs du juge Cattanach le passage sur lequel le
registraire s'est appuyé et qui est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Tout tribunal a le pouvoir inhérent de sus-
pendre les procédures, mais l'exercice de ce pouvoir, en cas de
demande de suspension, est toujours à sa discrétion.
8 Voir: The Noxzema Chemical Co. of Canada Ltd. v.
Sheran Mfg. et al. (1968), 38 Fox Pat. C. 89 (C. de l'É.), aux
pp. 96 et 97.
J'admets que ce pouvoir discrétionnaire est également con-
féré au registraire des marques de commerce, et, en vertu du
paragraphe 37(9), une commission des oppositions.
Comme je l'ai dit plus haut, j'estime que le regis-
traire n'a aucun pouvoir inhérent pour accorder
une suspension, que ce pouvoir n'est conféré que
lorsqu'il est énoncé expressément dans la loi ou
qu'il découle de façon nettement implicite du
libellé de celle-ci, et que ni l'une ni l'autre de ces
circonstances ne se présente en l'espèce.
Par ces motifs, je conclus que le registraire a eu
tort d'accorder la suspension en l'espèce. Dans ses
motifs, le juge de première instance a fait remar-
quer que le registraire n'avait pas réellement
accordé de suspension, mais avait plutôt mis sa
décision en délibéré en attendant l'issue du litige
devant la Cour fédérale. Toutefois, le registraire
lui-même a dit qu'il accordait une suspension et
son ordonnance a très certainement eu pour effet
une suspension de facto. De plus, si le juge de
première instance a raison dans sa qualification de
ce que le registraire a réellement fait en l'espèce,
alors, à mon avis, ces actions étaient abusives
puisqu'elles ont entraîné un ajournement indéfini
de la décision qu'il fallait rendre en vertu de
l'article 44, ce qui équivaut à un refus, de la part
du registraire, d'exercer sa compétence 9 .
Étant donné la conclusion tirée plus haut en
l'espèce et selon laquelle la Division de première
instance était incompétente pour connaître de l'ap-
pel formé contre la «décision» du registraire en
vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de
commerce, il s'ensuit que le présent appel doit être
rejeté. Toutefois, compte tenu des circonstances, il
n'y aura pas d'adjudication de dépens.
LE JUGE LE DAIN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
9 Voir: Julius v. The Right Rev. the Lord Bishop of Oxford
et al. (1879-80), 5 A.C. 214 (H.L.). Voir également: Canadian
Pacific Railway v. The Province of Alberta et al., [ 1950]
R.C.S. 25, à la p. 33.
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