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A-507-81
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Bernadette Stuart (intimée)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges sup pléants Kelly et Cowan —Toronto, 14 et 18 juin 1982.
Assurance-chômage Le chômage de l'intimée a été occa- sionné par une maladie contractée alors qu'elle était enceinte, mais n'ayant aucun rapport avec sa grossesse Tant la Commission que le Conseil arbitral ont rejeté la demande de prestations de l'intimée au motif que, n'ayant pas exercé un emploi assurable pendant dix semaines, elle n'avait pas droit aux prestations prévues en cas de grossesse Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle le juge- arbitre a conclu que la demande de l'intimée ne visait pas l'obtention de prestations prévues en cas de grossesse, mais l'obtention de prestations en raison de son chômage causé par une maladie Il échet d'examiner si l'intimée a droit aux prestations ordinaires Le requérant s'appuie sur l'art. 46 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage qui prévoit que les femmes enceintes ne sont pas admissibles au bénéfice des prestations durant la période y précisée à moins d'avoir exercé un emploi assurable pendant dix semaines Le requérant invoque en outre l'affaire Bliss, [1979] 1 R.C.S. 183 La Cour est liée par l'interprétation que la Cour suprême, a donnée de l'art. 46 dans l'affaire Bliss: aucune discrimination en raison du sexe, aucune négation du droit à l'égalité devant la loi L'art. 46 n'est pas rendu inopérant par la Déclaration canadienne des droits Rien ne permet d'établir une distinc tion entre l'affaire Bliss et l'espèce présente L'art. 28 de la Charte ne s'applique pas, celle-ci n'ayant pas d'effet rétroactif La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination ne s'applique pas lorsqu'il s'agit d'articles aux- quels la Cour suprême a donné une interprétation définitive Demande accueillie Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28 Loi de 1971 sur l'assurance- chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 25 (abrogé et rem- placé par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 7; 1976-77, chap. 54, art. 36), 30(1) (abrogé et remplacé idem, chap. 54, art. 38) 30(2) (abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 66, art. 22), 46 Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], art. lb) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15, 28, 32, 52(1) Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimi nation à l'égard des femmes, art. 11.
L'intimée a perdu son emploi alors qu'elle était enceinte. Elle a déposé une demande de prestations en raison d'une cessation de travail causée par une maladie. La Commission d'assurance- chômage et le Conseil arbitral, considérant sa demande comme une demande de prestations en cas de grossesse, l'ont rejetée au motif que l'intimée avait exercé un emploi assurable pendant seulement sept semaines plutôt que pendant les dix semaines requises par le paragraphe 30(1) de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage. Le juge-arbitre a conclu que l'intimée avait
fait une demande pour obtenir des prestations en raison d'une maladie et non en raison d'une grossesse, et il a accueilli sa demande. Le requérant cherche à faire examiner et à faire annuler la décision du juge-arbitre. Il échet d'examiner si la prestataire a droit aux prestations ordinaires. Le requérant invoque l'article 46 de la Loi, lequel prévoit qu'une femme enceinte n'est pas admissible, à moins qu'elle n'ait exercé un emploi assurable pendant dix semaines comme I'exige le para- graphe 30(1) de la Loi, au bénéfice des prestations durant la période qui débute huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement et se termine six semaines après celle de son accouchement. Le requérant s'appuie en outre sur l'affaire Bliss, [1979] 1 R.C.S. 183, la Cour a décidé que l'article 46 ne constituait pas une négation du droit à l'«égalité devant la loi», et qu'il n'était donc pas rendu inopérant par la Déclaration canadienne des droits. L'intimée fait valoir que le raisonnement adopté dans l'affaire Bliss ne s'applique pas en I'espèce pré- sente, puisque le chômage de la prestataire dans l'arrêt Bliss avait été occasionné par la grossesse. L'intimée soutient aussi que l'interprétation par le requérant de l'article 46 va à l'encon- tre de I'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits (égalité devant la loi), à l'article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés (égalité de garantie des droits pour Ies deux sexes) et à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.
Arrêt: la demande devrait être accueillie. La Cour est tenue d'accepter et d'appliquer le raisonnement adopté par la Cour suprême dans l'affaire Bliss relativement à l'interprétation de l'article 46 de la Loi. En vertu de l'article 46, une femme enceinte n'est pas admissible au bénéfice des prestations durant la période y précisée, à moins que ne soit respectée la condition imposée par le paragraphe 30(1) de la Loi (c.-à-d. dix semaines d'emploi assurable). La Cour suprême a décidé que l'article 46 n'était pas rendu inopérant par la Déclaration canadienne des droits parce qu'iI constituait une discrimination en raison du sexe entraînant la négation du droit à l'égalité devant la loi aux femmes enceintes qui ne remplissaient pas les conditions pré- vues au paragraphe 30(1). Le fait que le chômage de la prestataire ait été causé par la maladie n'ayant aucun rapport avec la grossesse ne justifie pas que I'on établisse une distinc tion entre sa situation et celle de la prestataire dans l'arrêt Bliss. L'argument de l'intimée reposant sur la Charte doit également être rejeté. La prestataire a déposé sa demande le 5 septembre 1980. À cette époque, la Charte n'avait pas été proclamée et n'était pas encore entrée en vigueur. Comme la Charte n'a pas d'effet rétroactif, la prestataire ne peut préten- dre à aucun droit que confère ladite Charte. Finalement, la Cour ne peut recourir à la Convention pour interpréter des articles de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, particuliè- rement lorsqu'il s'agit d'articles auxquels la Cour suprême du Canada a donné une interprétation définitive.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Bliss c. Le procureur général du Canada, [1979] I R.C.S. 183.
DÉCISION APPLIQUÉE:
Affaire intéressant la Loi constitutionnelle de 1981, annexe B, la Loi sur l'immigration de 1976, et l'exécu-
Lion d'une ordonnance d'expulsion rendue le 20 février 1981 à l'égard de Robert Joseph Gittens, [1983] 1 C.F. 152 (1' inst.).
DÉCISION CITÉE:
Latlf c. La Commission canadienne des droits de la personne et autre, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.).
AVOCATS:
Marlene I. Thomas pour le requérant. M. Eberts pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: La Cour est saisie d'une demande d'examen et d'annulation de la décision d'un juge-arbitre nommé en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970- 71-72, chap. 48, décision qui accueillait l'appel interjeté par l'intimée contre la décision du Conseil arbitral confirmant la décision de la Commission d'assurance-chômage de rejeter sa demande de prestations.
Le 5 septembre 1980, l'intimée, Bernadette Stuart, a formulé une demande en vue d'obtenir les prestations prévues par la Loi, demande dans laquelle elle déclarait avoir exercé un emploi à compter du 15 février 1980 jusqu'au 22 août 1980 inclusivement. Elle précisait qu'elle avait quit ter cet emploi par suite d'une maladie, soit l'ap- pendicite, pour laquelle elle avait être hospitali sée et opérée. Le premier jour elle avait été incapable de travailler était le 25 août 1980. En réponse à la question de savoir si elle était enceinte à ce moment-là, elle déclarait qu'elle l'était effecti- vement et que la date présumée de son accouche- ment était le 3 novembre 1980. Elle ajoutait qu'elle n'avait pas été remerciée de ses services en raison de l'attitude de son employeur à l'égard du travail en cas de grossesse et qu'elle ne comptait pas reprendre ce travail après la période de mater- nité puisqu'elle ne savait pas quand elle serait rétablie et que l'entreprise de son employeur devait faire l'objet d'une fermeture prochaine.
Le bureau de district du ministère de l'Emploi et de l'Immigration a rejeté sa demande de presta- tions et lui a fait parvenir un avis d'inadmissibilité en ce qui a trait aux prestations versées en cas de grossesse pour le motif qu'elle avait exercé un emploi assurable pendant seulement sept semaines entre la cinquantième et la trentième semaine précédant la date présumée de son accouchement, alors que la Loi exigeait qu'elle ait exercé un emploi assurable pendant au moins dix semaines au cours de cette période.
L'intimée prétend que sa demande ne visait pas les prestations spéciales prévues en cas de grossesse mais les prestations ordinaires d'assurance-chô- mage payables en cas de maladie. Elle soutient qu'elle a droit à ces prestations ordinaires et qu'elle ne devrait pas en être privée pour le seul motif de sa grossesse.
L'intimée aurait normalement eu droit aux pres- tations ordinaires en raison de l'arrêt de la rému- nération provenant de son emploi qu'a occasionné sa maladie, puisqu'elle avait exercé un emploi assurable pendant une période plus longue que la période exigée au cours de la période de cinquante- deux semaines qui précède immédiatement la période de prestations applicable.
Le requérant invoque l'article 46 de la Loi lequel se lit comme suit:
46. Sous réserve de l'article 30, une prestataire, en cas de grossesse, n'est pas admissible au bénéfice des prestations durant la période qui débute huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement et se termine six semaines après celle de son accouchement.
Voici le texte de l'article 25 et des paragraphes 30(1) et (2):
25. Un prestataire n'est pas admissible au service des presta- tions initiales pour tout jour ouvrable d'une période de presta- tions pour lequel il ne peut prouver qu'il était
a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d'obtenir un emploi convenable ce jour-là,
b) soit incapable de travailler ce jour-là par suite d'une maladie, blessure ou mise en quarantaine prévue par les règlements et qu'il aurait été sans cela disponible pour travailler.
30. (1) Nonobstant les articles 25 et 46 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont paya- bles à une prestataire de la première catégorie qui fait la preuve de sa grossesse, si elle a exercé un emploi assurable pendant au moins dix semaines au cours de la période de vingt semaines immédiatement antérieure à la trentième semaine précédant la
date présumée de son accouchement. Aux fins du présent article, les semaines pour lesquelles la prestataire de la pre- mière catégorie a reçu des prestations en vertu de la présente loi ou toutes semaines, visées dans un règlement, qui sont antérieu- res de plus de trente semaines à la date présumée de son accouchement sont censées être des semaines d'emploi assurable.
(2) Les prestations prévues au présent article sont payables à une prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui, en retenant la première en date des semaines en question,
a) commence
(i) huit semaines avant la semaine présumée de son accou- chement, ou
(ii) la semaine de son accouchement
et
b) se termine
(i) dix-sept semaines après celle de l'accouchement, ou
(ii) quatorze semaines après la première semaine les prestations sont demandées et payables au cours de toute période de prestations en vertu du présent article,
si cette semaine de chômage est l'une des quinze premières pour lesquelles les prestations sont demandées et payables au cours de sa période de prestations.
L'intimée a interjeté appel de la décision de la Commission d'assurance-chômage. Le Conseil arbitral a rejeté cet appel et l'intimée a porté cette décision en appel devant le juge-arbitre qui a accueilli sa demande. Le juge-arbitre a conclu que Mme Stuart avait fait une demande pour obtenir des prestations parce qu'il y avait eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi en raison d'une maladie et non d'une grossesse, et que sa demande ne visait pas l'obtention de prestations spéciales prévues en cas de grossesse. Il a déclaré que la Commission avait substitué la grossesse au fondement de la demande qui était la maladie. Voici ce qu'il a déclaré à ce sujet:
[TRADUCTION] Si une femme mariée qui est atteinte d'une maladie quelconque devient enceinte, la Commission n'exami- nera qu'une demande de prestations spéciales prévues en cas de grossesse. C'est cette ligne de conduite que la Commission semble avoir adoptée. J'ai étudié la Loi dans le but d'y trouver des règlements et celle-ci ne comporte aucune disposition qui puisse justifier cette ligne de conduite.
Dans sa décision de rejeter l'appel de l'intimée, le Conseil arbitral déclarait:
[TRADUCTION] Suivant l'interprétation de la Loi, l'appelante ne remplit pas les conditions requises pour recevoir les presta- tions payables en cas de maladie pour les huit (8) semaines qui précèdent la date présumée de son accouchement. Sa demande
est considérée comme ayant été formulée le 7 septembre 1980. La Commission a également décidé que l'appelante aurait requérir que sa demande soit antidatée si elle voulait remplir les conditions prévues pour recevoir les prestations payables en cas de maladie. De plus, suivant les commissaires, la question qu'il leur incombait de trancher était celle de déterminer si l'appe- lante avait exercé un emploi assurable pendant dix (10) semai- nes. Ils ont été unanimes à déclarer que l'appelante n'a pas exercé un emploi assurable pendant plus de sept (7) semaines et que, par conséquent, elle ne remplit pas les conditions requises pour recevoir les prestations.
Voici un passage de la décision du juge-arbitre:
[TRADUCTION] Je n'hésite aucunement à accueillir cet appel. Bien que je ne doute pas qu'une commission chargée de l'appli- cation d'une loi complexe doive établir certaines lignes de conduite pour régler diverses situations qui se présentent sou- vent, je ne doute pas non plus que ces lignes de conduite doivent être écartées lorsqu'elles produisent un résultat manifestement injuste comme elles le font en l'espèce. Dans le cas qui nous occupe, ces lignes de conduite ont pour effet de priver une femme qui y avait droit en raison de l'inflammation de son appendice des prestations d'assurance-chômage et ce, unique- ment parce qu'elle était enceinte au même moment. Ces lignes de conduite donnent encore plus de latitude à la Commission. Outre le fait que sa grossesse a été substituée au fondement de sa demande et ce, sans son autorisation, l'intervention chirurgi- cale qu'elle a subie la rend inadmissible à recevoir les presta- tions prévues en cas de grossesse parce qu'elle n'a pas exercé un emploi assurable pendant au moins 10 semaines comme l'exige la loi.
L'appel est accueilli.
Le requérant soutient:
a) que le juge-arbitre a fait erreur dans l'inter- prétation qu'il a donnée aux dispositions de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage intéres- sant l'admissibilité de l'intimée à recevoir des prestations d'assurance-chômage alors qu'elle était enceinte;
b) que le juge-arbitre a erré en droit en quali- fiant de «ligne de conduite de la Commission» une procédure que celle-ci est tenue de suivre aux termes de la loi qui en assure l'existence;
c) que le juge-arbitre a erré en droit en décidant, quoique l'intimée ne remplisse pas les conditions requises pour recevoir les prestations prévues en cas de grossesse, ce qui n'a pas été contredit, que celle-ci avait droit aux prestations prévues en cas de maladie et ce, contrairement aux disposi tions des articles 30 et 46 de la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage.
Le requérant invoque l'article 46 de la Loi lequel prévoit que «Sous réserve de l'article 30, une prestataire, en cas de grossesse, n'est pas admissi-
ble au bénéfice des prestations durant la période qui débute huit semaines avant la semaine présu- mée de son accouchement et se termine six semai- nes après celle de son accouchement.» Il reconnaît que la première semaine au cours de laquelle l'intimée aurait été admissible au bénéfice des prestations était celle qui commençait le 7 septem- bre 1980, que le 7 septembre 1980 était une jour- née comprise dans les huit semaines avant le jour présumé de son accouchement lequel avait été fixé au 3 novembre 1980 et que l'intimée ne remplissait pas les conditions requises pour recevoir les presta- tions prévues en cas de grossesse en vertu des paragraphes 30(1) et (2) de la Loi puisqu'elle n'avait exercé un emploi assurable que pendant sept semaines au lieu des dix semaines exigées.
Le requérant prétend que les seules prestations auxquelles une prestataire enceinte a droit, en vertu de l'article 46, au cours de la période visée, sont les prestations payables en cas de grossesse aux termes des paragraphes 30(1) et (2) de la Loi. Celle-ci ne peut pas demander les prestations ordi- naires auxquelles elle aurait par ailleurs droit en raison de sa maladie si elle n'était pas enceinte. Le requérant soutient que le fait que l'intimée ne soit pas admissible aux prestations payables en cas de grossesse en l'espèce ne change rien à cet état de choses.
L'avocate du requérant a invoqué la décision du juge Ritchie dans l'arrêt Bliss c. Le procureur général du Canada, [ 1979] 1 R.C.S. 183. Il s'agis- sait de l'appel d'un jugement de la Cour d'appel fédérale annulant la décision du juge Collier, nommé juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, décision par laquelle il accueillait l'appel d'une décision du Conseil arbi- tral et déclarait que l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], rendait l'article 46 de la Loi inopérant.
La Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi et a statué que l'article 46 n'était pas rendu inopé- rant par la Déclaration canadienne des droits parce qu'il constituait une discrimination en raison du sexe entraînant la négation du droit à l'égalité devant la loi à une catégorie particulière d'indivi- dus à laquelle appartenait l'appelante, savoir les femmes enceintes qui ne remplissaient pas les con-
ditions prévues au paragraphe 30(1). L'appelante avait soutenu que cet article enlève à cette catégo- rie d'individus le droit aux prestations payables à tous les autres prestataires, hommes et femmes, qui ont exercé un emploi assurable pendant huit semaines, qui sont capables de travailler et dispo- nibles à cette fin.
Dans cet arrêt, le juge Ritchie a fait l'historique de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et a parlé de son but. Il a également examiné le sens et l'effet des articles pertinents, y compris les articles 25 et 46 et les paragraphes 30(1) et (2). Voici ce qu'il déclarait aux pages 188 et 189 de son jugement:
Ces articles ont inversé la situation antérieure de sorte que les femmes enceintes qui peuvent remplir les conditions fixées par le par. 30(1), peuvent recevoir les prestations spéciales prévues par ce paragraphe pour la période fixée au par. 30(2). Elle commence huit semaines avant la semaine présumée de l'accou- chement et se termine six semaines après la semaine de l'accou- chement. Ces prestations sont payables que la prestataire soit ou non capable de travailler et disponible à cette fin pendant cette période.
Toutefois, l'art. 46 prévoit clairement que les prestations supplémentaires payables à toutes les femmes enceintes aux termes de l'art. 30 sont assorties d'une restriction correspon- dante qui exclut une femme enceinte de toutes prestations payables en vertu de la Loi pendant la période d'au plus 15 semaines qui commence 8 semaines avant la semaine présumée de l'accouchement et se termine 6 semaines après la semaine de l'accouchement, si elle ne remplit pas la condition requise au par. 30(1). Ces deux articles lus ensemble, comme, à mon avis, ils doivent l'être, montrent bien que la condition principale du droit aux prestations en cas de «chômage causé par la grossesse» est la condition fixée par le par. 30(1) et qu'à moins d'avoir exercé «un emploi assurable pendant les dix semaines» requises, la prestataire n'a droit à aucune prestation pendant la période spécifiée à l'art. 46.
Pour l'appelante, «l'arrêt de la rémunération provenant de son emploi» est survenu quatre jours avant la naissance de son enfant, ce qui constitue manifestement un cas de «chômage causé par la grossesse», mais elle ne remplissait pas les condi tions requises au par. 30(1) lorsqu'elle a demandé les presta- tions d'assurance-chômage six jours plus tard. C'est pourquoi on les lui a refusées.
L'appelante soutient cependant qu'elle ne prétend pas aux prestations de grossesse en vertu de l'art. 30, mais qu'elle était capable de travailler et disponible à cette fin sans pour autant réussir à trouver un emploi convenable au moment de sa demande, de sorte que, n'eût été l'art. 46, elle aurait eu droit aux prestations ordinaires payables aux autres prestataires capables de travailler et disponibles à cette fin. Elle prétend donc que, dans la mesure cet article lui enlève le droit aux prestations, il doit être déclaré inopérant car il enfreint l'al. l b) de la Déclaration canadienne des droits puisqu'il constitue une discrimination en raison du sexe entraînant la négation du droit à l'égalité devant la loi à une catégorie particulière d'individus à laquelle appartient l'appelante.
Le passage suivant figure à la page 193 de son jugement:
Dans ses motifs de jugement en première instance, le juge Collier mentionne que l'on avait pris pour acquis avant 1971 «qu'au cours de la période de huit semaines avant l'accouche- ment et de six semaines après, les femmes n'étaient en général pas capables de travailler», et que pour mettre en oeuvre sa politique visant à encourager les femmes à profiter des presta- tions de grossesse prévues à l'art. 30, le Parlement, par l'art. 46, empêche toutes celles qui ne se prévalent pas de ces prestations, ou ne peuvent le faire, de bénéficier de l'assurance-chômage pendant la période définie dans cet article.
Quoi que l'on puisse penser de la sagesse de cette disposition, on ne peut douter à mon avis que la période mentionnée à l'art. 46 est pertinente pour déterminer les conditions auxquelles les femmes enceintes ont droit aux prestations dans le cadre de la législation sur l'assurance-chômage adoptée dans la poursuite d'un objectif fédéral valide, soit s'acquitter de la responsabilité imposée au Parlement par le par. 91(2A) de [l'Acte de] l'Amé- rique du Nord britannique.
C'est l'interprétation que le juge Ritchie a donnée à l'article 46 dans ce jugement que la Commission a adoptée pour déclarer que l'intimée n'avait pas droit aux prestations ordinaires d'assu- rance-chômage, après qu'il eut été décidé qu'elle n'était pas admissible au bénéfice des prestations spéciales prévues en cas de grossesse.
L'avocate de l'intimée prétend que celle-ci a droit aux prestations ordinaires payables en cas de chômage causé par la maladie et non par la gros- sesse. L'avocate a soutenu que le raisonnement du juge Ritchie dans l'arrêt Bliss, précité, ne s'appli- quait pas en l'espèce, puisque le chômage de la prestataire dans l'affaire Bliss avait été occasionné par la grossesse. Il a déclaré que la Cour n'était pas tenue, vu les circonstances du cas qui nous occupe, de suivre l'arrêt Bliss, et qu'elle était libre de rendre une décision différente de celle qu'a rendue la Cour suprême dans cette affaire.
À mon avis, le juge Ritchie donne dans les motifs du jugement qu'il a rendu dans l'arrêt Bliss une interprétation des articles pertinents de la Loi, et plus particulièrement de l'article 46, que cette Cour est tenue d'accepter et d'adopter en l'espèce. Le simple fait que le chômage de la prestataire dans le cas qui nous occupe ait été causé par la maladie et non par la grossesse ne suffit pas, à mon avis, à justifier que l'on établisse une distinc tion entre sa situation et celle de la prestataire dans l'arrêt Bliss. Le raisonnement du juge Ritchie dans l'arrêt Bliss s'applique aussi en l'espèce, et la Cour est tenue d'arriver au même résultat.
L'intimée a en outre soutenu que l'interprétation du paragraphe 30(1) et de l'article 46 de la Loi qui priverait la prestataire des prestations auxquelles elle aurait par ailleurs droit pour cause de maladie pour le motif qu'elle est enceinte constituerait une violation de l'alinéa lb) de la Déclaration cana- dienne des droits et de l'article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.). Elle a également déclaré que la Charte canadienne des droits et libertés enlève toute vali- dité à l'article 46 de la Loi dans la mesure celui-ci exige qu'elle soit privée du droit aux pres- tations payables en cas de maladie en raison de sa grossesse.
L'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits se lit comme suit:
1. II est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
À mon avis, le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bliss, précité, est décisif en ce qui a trait à cette question. Le seul fait que le chômage de la prestataire ait été occasionné par une maladie contractée alors qu'elle était enceinte, mais n'ayant aucun rapport avec sa grossesse, ne permet pas que l'on établisse une distinction entre sa situation et celle de la prestataire dont il est question dans l'arrêt Bliss. Si, suivant la décision rendue dans l'arrêt Bliss, la Déclaration cana- dienne des droits ne rend pas l'article 46 inopérant dans le cas de la prestataire dont il est question dans cet arrêt, elle ne le rend pas inopérant non plus dans le cas de la prestataire dont il est ques tion en l'espèce. À mon avis, il est impossible d'établir une distinction entre ces deux cas.
Voici quelques passages de la Charte canadienne des droits et libertés:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'in- dividus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.
28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.
32. (1) La présente charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
(2) Par dérogation au paragraphe (1), l'article 15 n'a d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du présent article.
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
La Charte a été proclamée le 17 avril 1982 et n'était pas encore entrée en vigueur au moment l'intimée a formulé sa demande de prestations en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Dans l'arrêt Affaire intéressant Gittens*, le juge Mahoney a statué que la Charte n'avait pas d'effet rétroactif. Ce dernier a adopté le principe posé par cette Cour à la page 702 de l'arrêt Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne et autre, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.). Dans l'arrêt Gittens, le requérant a demandé à la Cour de prononcer une ordonnance annulant l'ordonnance d'expulsion rendue à son égard le 20 février 1981. Il a invoqué le paragraphe 24(1) de la Charte et a déclaré qu'il avait été victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui étaient garantis par la Charte et qu'il pouvait, par consé- quent, s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estimait con- venable et juste eu égard aux circonstances.
*Sub nom. Affaire intéressant la Loi constitutionnelle de 1981, annexe B, la Loi sur l'immigration de 1976, et l'exécu- tion d'une ordonnance d'expulsion rendue le 20 février 1981 à l'égard de Robert Joseph Gittens, [1983] 1 C.F. 152 (l'e inst.).
Comme la Charte n'a pas d'effet rétroactif, la prestataire ne peut, en l'espèce, prétendre à aucun droit que confère ladite Charte. Ses droits doivent être établis en conformité des règles de droit qui étaient en vigueur au moment elle a formulé sa demande, c'est-à-dire le 5 septembre 1980. Il con- vient en outre de signaler que l'application de l'article 15 de la Charte, lequel traite du droit pour tous à l'égalité devant la loi, ainsi qu'à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépen- damment de toute discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques, est restreinte par les dispositions du paragraphe 32(2) qui prévoient que l'article 15 n'aura d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du paragraphe 32(2). L'article 15 n'est donc pas encore entré en vigueur.
L'avocate de l'intimée a en outre déclaré que le fait de priver une femme enceinte, comme l'inti- mée, de son droit aux prestations payables en cas de maladie alors qu'elle était atteinte d'une mala- die n'ayant aucun rapport à la grossesse, pour le motif que sa grossesse était parvenue à une cer- taine étape, constitue une violation des engage ments que le Canada a pris auprès d'autres nations. L'avocate a invoqué la convention des Nations Unies appelée Convention sur l'élimina- tion de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes qui a été signée le 17 juillet 1980 et ratifiée le 10 décembre 1981. L'article 11 de la Convention se lit comme suit:
2. Afin de prévenir la discrimination à l'égard des femmes en raison de leur mariage ou de leur maternité et de garantir leur droit effectif au travail, les États parties s'engagent à prendre des mesures appropriées ayant pour objet:
b) d'instituer l'octroi de congés de maternité payés ou ouvrant droit à des prestations sociales comparables, avec la garantie du maintien de l'emploi antérieur, des droits d'ancienneté et des avantages sociaux; [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, si le Canada a signé la Convention, c'est qu'il s'engage à prendre les mesures qui y sont prévues. La Cour ne peut pas recourir à la Convention pour interpréter des articles de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, particulière- ment lorsqu'il s'agit d'articles auxquels la Cour suprême du Canada a donné une interprétation définitive.
Pour ces motifs, j'estime que la décision du juge-arbitre ainsi que l'ordonnance signée le 10 août 1981 devraient être annulées et l'affaire ren- voyée à un juge-arbitre pour qu'il statue en tenant compte du fait que l'intimée n'a pas droit aux prestations d'assurance-chômage pour la période de quinze semaines commençant le 7 septembre 1980.
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces motifs.
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