A-564-81
La Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Delbert Guerin, Joseph Becker, Eddie Campbell,
Mary Charles, Gertrude Guerin et Gail Sparrow,
en leur nom propre et au nom de tous les autres
membres de la bande indienne Musqueam (inti-
més) (demandeurs)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup
pléant Culliton—Vancouver, 10, 11, 14, 15, 16,
17, 18 juin; Ottawa, 10 décembre 1982.
Couronne — Fiducies — Appel de la décision de la Division
de première instance déclarant la Couronne responsable d'un
manquement à une fiducie — La bande indienne a cédé à la
Couronne des terrains non utilisés de la réserve située à
Vancouver en vue de les louer à un club de golf — Le juge de
première instance a conclu que la cession avait créé une fiducie
expresse, obligeant la Couronne en tant que fiduciaire à louer
selon des conditions verbales précises — La Couronne a loué à
des conditions assez différentes de celles qui avaient été discu-
tées avec la bande avant la cession, sans l'autorisation des
Indiens pour ces modifications — La Couronne peut agir
comme fiduciaire mais doit choisir expressément de le faire —
Il est peu probable que la Couronne puisse être l'objet d'une
fiducie par interprétation — Il est incorrect de retenir les
conditions verbales puisque les formalités, d'intérêt public,
prescrites par la Loi n'ont pas été respectées — Une autorité
subalterne ne peut s'acquitter des responsabilités du gouver-
neur en conseil que prévoit la loi — Subsidiairement, les
intimés soutiennent qu'il y a eu constitution d'une fiducie par
la Loi et par l'acte de cession — Distinction faite dans Kinloch
entre vraie fiducie (au sens strict) et obligation gouvernemen-
tale (fiducie au sens large) où la Couronne exerce des fonctions
gouvernementales — Seule la vraie fiducie est une obligation
d'equity sanctionnée par les tribunaux — L'art. 18 et la
cession créent une obligation gouvernementale et n'appuient
pas une action fondée sur le manquement à une fiducie —
Dans un contexte de droit public, ni l'emploi de l'expression
»en fiducie», ni la saisine d'un bien devant être employé au
profit d'un tiers, ne permettent de conclure à l'intention de
créer une fiducie au sens strict — Les termes »à l'usage et au
profit» à l'art. 18 visent l'objet de l'acte de l'exécutif par
lequel les terres sont réservées pour les Indiens — Le pouvoir
discrétionnaire que prévoit l'art. 18 indique que c'est au gou-
vernement de décider de l'usage des terres et est incompatible
avec l'obligation sanctionnée par les tribunaux, d'employer le
terrain d'une certaine manière — Le pouvoir que confère la
cession quant à la location pour le bien-être des Indiens est
une restriction au pouvoir légal du gouvernement — La res
triction fait partie de l'économie de la loi et n'impose pas
l'obligation de louer car elle entraînerait une modification
fondamentale de la responsabilité de la Couronne — L'expres-
sion «en fiducie» dans la cession signifie que celle-ci et les
arrangements ultérieurs étaient faits au profit des Indiens,
parce qu'on la trouve également dans les dispositions donnant
à la Couronne son titre légal, sans aucune intention de rendre
la Couronne fiduciaire, compte tenu du pouvoir discrétionnaire
conféré - Appel accueilli et action rejetée - Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 2, 4(2), 18(1),(2), 19, 36,
37, 38, 39 (mod. par S.C. 1956, chap. 40, art. 11), 40, 41,
53(1), 57, 58, 60(1), 61(1), 73(1), 81 - Loi sur les Indiens,
S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 18(1), 37, 38, 39, 40, 41, 61(1) -
Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant la Colombie Bri-
tannique, S.R.C. 1970, Appendice II, n° 10, cédule, art. 13 -
Indian Affairs Settlement Act, S.B.C. 1919, chap. 32, art. 2
Land Act, R.S.B.C. 1936, chap. 144, art. 93(1) - Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 409.
Indiens - Terrains de la réserve à Vancouver - Club de
golf intéressé à les louer - Les Affaires indiennes font faire
l'évaluation - Le club fait des propositions de bail désavanta-
geuses pour la bande - Le gouvernement n'informe pas
l'évaluateur de tous les détails de la proposition - L'évalua-
leur estime que l'offre est satisfaisante - La bande n'est pas
entièrement informée de la proposition ni du rapport de l'éva-
luateur - La bande n'a reçu aucun avis juridique indépendant
- La bande vote pour la cession - Le gouvernement accorde
au club un bail dont les conditions diffèrent de celles discutées
à l'assemblée de cession - La bande poursuit la Couronne
pour manquement à une fiducie - La Couronne est-elle
obligée de louer à des conditions précises? - Les formalités
légales quant à la cession, nécessaires pour que les conditions
soient valides, n'ont pas été observées - Les Indiens ont un
titre équivalent à un droit de propriété en equity très proche du
droit de propriété - Il peut y avoir fiducie - L'art. 18
confère au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire
incompatible avec l'imposition d'une obligation d'equity sanc-
tionnée par les tribunaux - Appel accueilli - Action rejetée
- Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1).
La réserve indienne Musqueam n° 2, située à l'intérieur des
limites de la ville de Vancouver, était constituée en grande
partie de terrains non utilisés. Un club de golf était intéressé à
louer une partie de ces terrains, pour l'aménager en terrain de
golf, avec pavillon. En octobre 1956, la Direction des affaires
indiennes a chargé M. Howell, qui était un évaluateur compé-
tent mais pas un expert en aménagement immobilier, d'évaluer
les terrains de la réserve. Son rapport qualifiait les terres
comprenant le terrain intéressant le club de golf de terrains
résidentiels de première classe. De plus, il les évaluait à 5 500 $
l'acre et fixait à 6 % le taux de rendement équitable pour cette
étendue de terrain. La Direction a donné peu de renseignements
aux membres de la bande quant au contenu du rapport Howell,
quoique le club de golf eût été informé des conclusions du
rapport. En avril 1957, le club a fait parvenir à M. Anfield,
surintendant de district de la Direction, une proposition détail-
lée pour la location, prévoyant une durée initiale de quinze ans
avec la possibilité de reconduire le bail pour soixante ans.
Plusieurs aspects de la proposition étaient incontestablement ou
probablement désavantageux pour la bande, notamment, un
loyer annuel initial inférieur à celui qui ressortait des données
du rapport Howell. Anfield a demandé à Howell si, à son avis,
le projet de location et le taux de rendement en résultant
étaient satisfaisants. Howell a répondu par l'affirmative; toute-
fois, Anfield ne l'a pas informé de certains aspects importants
de la proposition et, en première instance, Howell a indiqué que
son opinion aurait été très différente s'il avait été au courant
des renseignements supplémentaires. Néanmoins, les fonction-
naires du gouvernement se sont fondés sur son avis pour
accepter l'offre du club. La bande n'a pas été entièrement
informée de la proposition. Elle n'a pas non plus reçu de copie
de la lettre de Howell. Les membres de la bande se sont opposés
à certaines caractéristiques de la proposition mais ont cédé
après que Anfield eut exercé certaines pressions. Le 6 octobre
1957, il y a eu une assemblée de la bande pour voter sur la
cession à la Couronne des terrains de la réserve, pour accorder
un bail au club. Avant l'assemblée, la bande indienne n'avait
obtenu aucun avis juridique indépendant ni aucun avis indépen-
dant d'expert, car on lui avait dit qu'il ne lui était pas permis de
le faire. Il y a eu certaines oppositions à la proposition mais, au
moment du vote, les membres de la bande n'avaient toujours
pas été informés de certaines conditions contraires à leurs
intérêts et avaient la fausse impression que certains points
avaient été modifiés en leur faveur ou allaient l'être. Après
avoir été lu, l'acte de cession a été ratifié. Il a été par la suite
accepté par le gouverneur en conseil. Les discussions et les
négociations se sont poursuivies entre des fonctionnaires de la
Direction et des représentants du club. La Direction n'a pas
consulté la bande ni son conseil et ne leur a pas donné d'autres
renseignements avant janvier 1958. La modification au projet
du bail sur laquelle insistait le conseil n'a jamais été apportée et
les autres conditions défavorables n'ont pas été supprimées. Le
22 janvier 1958, la Direction a conclu un bail avec le club dont
les conditions ressemblaient peu à celles qui avaient été discu-
tées à l'assemblée de cession. Les Indiens n'ont pas reçu de
copie du bail avant 1970. En 1975, le chef et les conseillers de
la bande ont engagé la présente action, en alléguant que la
Couronne avait commis un manquement à une fiducie «en
approuvant le bail et en acceptant de le conclure». Le juge de
première instance a conclu que la cession avait emporté consti
tution d'une fiducie, en vertu de laquelle la Couronne, en tant
que fiduciaire, était obligée de louer au club, à des conditions
précises, même si ces conditions n'étaient pas stipulées dans le
texte même de la cession. Il a en outre été jugé que la Couronne
avait omis d'obtenir l'autorisation de la bande pour les modifi
cations importantes apportées à ces conditions et inscrites dans
le bail. Le juge de première instance a déclaré que la Couronne
avait commis un manquement à une fiducie et a accordé aux
intimés des dommages-intérêts de 10 millions de dollars. La
Couronne a interjeté appel de cette décision.
Arrêt: l'appel est accueilli et l'action est rejetée.
En principe, il n'y a rien qui interdise à la Couronne d'agir
comme fiduciaire; toutefois elle doit choisir expressément de le
faire. Il n'était pas évident que la Couronne pouvait être l'objet
d'une fiducie par interprétation. De toute façon, le juge de
première instance n'a pas jugé qu'il existait une fiducie de ce
genre. Il a conclu qu'une fiducie expresse avait été créée par la
cession, comprenant les conditions verbales qu'il a énoncées.
Toutefois, de telles conditions ne peuvent être déduites en
l'espèce et ne permettent donc pas de conclure à la responsabi-
lité. Les articles 37 41 de la Loi (S.R.C. 1952, chap. 149)
établissent certaines formalités qui doivent être remplies pour
assurer la validité des conditions contenues dans une cession.
Ces formalités d'intérêt public ont été prévues pour la protec
tion de la bande indienne et pour assurer que le gouvernement
s'acquitte régulièrement de ses responsabilités envers les
Indiens. Elles permettent aussi de connaître avec certitude
l'effet de la cession et assurent la validité de l'aliénation
subséquente du bien-fonds. En ce qui concerne les conditions
verbales retenues par le juge de première instance, les formali-
tés n'ont pas été remplies: ni la bande ni le gouverneur en
conseil n'ont accepté ces conditions. La jurisprudence indique
qu'un fonctionnaire d'un ministère ne peut s'acquitter des
responsabilités très importantes que la Loi impose au gouver-
neur, et, même si la situation était différente, la preuve ne
révèle pas et le juge de première instance n'a pas conclu que les
conditions verbales avaient été acceptées par un fonctionnaire.
En outre, en disposant qu'une cession peut être condition-
nelle, la Loi prévoit que toutes conditions approuvées par une
bande seront incluses dans l'acte de cession expressément ou
par renvoi. En l'espèce il n'y a pas eu de telle inclusion.
En plus de s'appuyer sur les présumées conditions verbales,
les intimés soutiennent qu'il y a eu constitution de fiducie par
l'acte de cession et que la Couronne a manqué à cette fiducie en
n'apportant pas la diligence et le soin requis à la location du
terrain. Ils soutiennent également que les dispositions de la Loi,
notamment les paragraphes 18(1) et 61(1) ont imposé une
fiducie à la Couronne.
Toutefois, il ne peut y avoir de fiducie sans une certaine
forme de bien qui fasse l'objet de celle-ci. À cet égard, l'appe-
lante soutient que le droit indien grevant les terrains réservés
n'était pas en fait un droit de propriété et ne pouvait donc faire
l'objet d'une fiducie.
La nature et le contenu de ce genre d'intérêt ont fait l'objet
d'une abondante jurisprudence, avec des renvois à la Loi et
autrement, mais ils n'ont pas été déterminés de façon définitive.
L'intérêt ne constitue pas la propriété en common law car
celle-ci est dévolue à la Couronne. Même s'il ne peut être
qualifié de droit de propriété sur le terrain, cet intérêt équivaut
à la même chose. Il enlève à la Couronne les principaux
attributs de la propriété. Ainsi, il grève le titre de la Couronne à
tel point qu'il est très proche du droit de propriété. Par consé-
quent il peut y avoir fiducie.
Toutefois, il faut encore déterminer si la Loi ou la cession
impose une fiducie à la Couronne. D'après un certain nombre
de décisions, en particulier selon celle de la Chambre des lords
dans Kinloch il faut, lorsque la Couronne exerce des fonctions
gouvernementales, établir une distinction entre une «vraie fidu-
cie» (ou fiducie au sens «strict» ou au sens du droit privé) et une
«obligation gouvernementale» (ou fiducie «au sens large»). Seule
une fiducie au sens, strict crée une obligation d'equity sanction-
née par les tribunaux.
Toutefois, l'article 18 crée une obligation gouvernementale.
Bien que l'article contienne l'expression «en fiducie», ni l'emploi
de cette expression ni la saisine d'un bien devant être employé
de quelque manière au profit d'un tiers, ne permettent, dans un
contexte de droit public, de conclure à l'intention de créer une
fiducie au sens strict. Les termes «à l'usage et au profit» se
retrouvent non seulement à l'article 18, mais aussi dans plu-
sieurs autres dispositions de la Loi et visent l'objet de l'acte de
l'exécutif par lequel les terres sont réservées pour les Indiens.
Par ailleurs, l'article 18 confère au gouverneur en conseil le
pouvoir discrétionnaire de décider «si tout objet, pour lequel des
terres dans une réserve ... doivent être utilisées, se trouve à
l'usage et au profit de la bande». Ceci montre bien que c'est au
gouvernement et non aux tribunaux qu'il appartient de prendre
cette décision. En effet, l'article est incompatible avec l'inten-
tion d'imposer à la Couronne une obligation d'equity, sanction-
née par les tribunaux, d'employer le terrain d'une réserve d'une
certaine manière. La Loi indique en d'autres occasions que la
responsabilité de la réserve est de nature gouvernementale.
L'article 18 ne constitue pas le fondement d'une action pour
manquement à une fiducie dans l'administration ou l'aliénation
de terrains réservés.
La même conclusion s'applique en ce qui a trait à la cession.
Le pouvoir de louer les terrains cédés dans l'intérêt du bien-être
des Indiens est un pouvoir accordé au gouvernement par les
conditions de la cession, qui équivaut à une restriction apportée
au pouvoir légal de saisine du gouvernement. Toutefois, la
restriction en elle-même fait partie de l'économie de la loi. Par
conséquent, elle n'impose pas l'obligation de louer car, selon
l'économie de la loi, l'intention ne pouvait pas être de modifier
fondamentalement, par la cession conditionnelle, la nature de la
responsabilité de la Couronne. En outre, les mots «en fiducie»
sont employés dans la cession mais ils apparaissent également
dans les dispositions importantes des décrets et de la loi provin-
ciale en vertu de laquelle le gouvernement fédéral a obtenu le
titre légal des terrains de la réserve. Dans ces dispositions,
l'expression «en fiducie» ne pouvait avoir pour but de faire de la
Couronne fédérale un véritable fiduciaire, surtout que les con
ditions de l'octroi donnent expressément au gouvernement fédé-
ral le pouvoir discrétionnaire de déterminer quel usage du
bien-fonds sert au mieux l'intérêt des Indiens. Dans le contexte
de cette loi et de l'accord entre les gouvernements, les termes
«en fiducie» dans l'acte de cession doivent simplement être
interprétés comme signifiant que la cession et toute opération
subséquente sont faites pour le profit des Indiens.
Il n'est pas nécessaire en l'espèce de décider de l'existence
d'une obligation, pouvant être sanctionnée par les tribunaux, en
ce qui concerne l'utilisation du loyer des terrains de la réserve.
Il n'est pas non plus nécessaire de décider quelles seraient la
nature et la portée d'une telle obligation. Ces questions soulè-
vent des considérations différentes de celles qui s'appliquent en
l'espèce. Elles porteraient sur les articles 61 et suivants et sur
les conditions pertinentes de la cession.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Rustomjee v. The Queen (1876), 2 Q.B.D. 69 (C.A.);
Civilian War Claimants Association, Limited v. The
King, [ 1932] A.C. 14 (H.L.); Kinloch v. The Secretary of
State for India in Council (1882), 7 App. Cas. 619
(H.L.); The Hereford Railway Co. v. The Queen (1894),
24 R.C.S. 1; Tito and others v. Waddell and others (No
2), [1977] 3 All ER 129 (Ch.D.); Town Investments Ltd.
and Others v. Department of the Environment, [1978]
A.C. 359 (H.L.); Amodu Tijani v. The Secretary, South
ern Nigeria, [1921] 2 A.C. 399 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Regina v. Taylor et al. (1981), 62 C.C.C. (2d) 227 (C.A.
Ont.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited v.
The King, [1950] R.C.S. 211, confirmant [1950] R.C.E.
185; Ontario Mining Company, Limited v. Seybold and
Others, [1903] A.C. 73 (P.C.); St. Catherine's Milling
and Lumber Company v. The Queen (1888), 14 App.
Cas. 46 (P.C.); Attorney -General for the Province of
Quebec and Others v. Attorney -General for the Domi
nion of Canada and Another, [1921] 1 A.C. 401 (P.C.);
Calder, et autres c. Le Procureur Général de la Colom-
bie-Britannique, [1973] R.C.S. 313; Tee -Hit -Ton
Indians v. United States, 348 U.S. 272 (1955); United
States v. Sioux Nation of Indians et al., 448 U.S. 371; 65
LEd2d 844 (1980); The Queen v. Devereux, [1965]
R.C.S. 567, infirmant [1965] 1 R.C.E. 602; Joe et al. v.
Findlay (1981), 122 D.L.R. (3d) 377 (C.A.C.-B.), confir-
mant (1978), 87 D.L.R. (3d) 239 (C.S.C.-B. en cabinet);
Brick Cartage Limited v. The Queen, [1965] 1 R.C.E.
102; Miller v. The King, [1950] R.C.S. 168.
DÉCISIONS CITÉES:
Reference re Stony Plain Indian Reserve No. 135 (1981),
130 D.L.R. (3d) 636 (C.A. Alb.); Attorney -General for
the Dominion of Canada v. Attorney -General for Onta-
rio, [1897] A.C. 199 (P.C.); Shoshone Tribe of Indians
v. United States, 299 U.S. 476 (1937).
AVOCATS:
W. I. C. Binnie, c.r., G. O. Eggertson et M.
Taylor pour l'appelante (défenderesse).
M. R. V. Storrow, S. R. Schachter, J. I.
Reynolds et L. F. Harvey pour les intimés
(demandeurs).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Davis & Company, Vancouver, pour les inti-
més (demandeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est formé d'un juge-
ment de la Division de première instance [[1982] 2
C.F. 385] déclarant la Couronne responsable d'un
manquement à une fiducie en ce qui concerne la
location, le 22 janvier 1958, de quelque 162 acres
d'un terrain de la réserve indienne Musqueam n° 2,
près de Vancouver, au club de golf Shaughnessy
Heights, et accordant aux intimés 10 000 000 $ de
dommages-intérêts. Les intimés forment appel
incident, demandant l'augmentation des domma-
ges-intérêts, la réformation du refus de la Division
de première instance d'accorder un intérêt avant
jugement, la hausse du taux d'intérêt d'après juge-
ment et des dépens sous forme forfaitaire.
Selon la déclaration, l'intimé Delbert Guerin est
le chef de la bande indienne Musqueam et les
intimés Joseph Becker, Eddie Campbell, Mary
Charles, Gertrude Guerin et Gail Sparrow, sont
membres du conseil de bande. Les intimés agissent
en leur nom propre et au nom de tous les membres
passés, présents et futurs de la bande.
La bande indienne Musqueam est une «bande»
aux termes de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970,
chap. I-6, et la réserve indienne Musqueam n° 2,
une «réserve» au sens de cette Loi.
L'article 13 des Conditions de l'Union de la
Colombie-Britannique au Canada, opérée par le
décret impérial du 16 mai 1871 ([Arrêté en conseil
de Sa Majesté admettant la Colombie Britanni-
que] S.R.C. 1970, Appendice II, n° 10, aux pages
284 et 285) stipule ce qui suit au sujet de la prise
en charge des Indiens de Colombie-Britannique:
13. Le soin des Sauvages, et la garde et l'administration des
terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au
Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale
que celle suivie jusqu'ici par le gouvernement de la Colombie
Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après
l'Union.
Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres
ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colom-
bie Britannique a, jusqu'à présent, affectées à cet objet, seront
de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au
Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauva-
ges, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il
y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la
quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées,
on devra en référer à la décision du Secrétaire d'État pour les
Colonies.
La réserve Musqueam, d'une superficie de
416,82 acres, réservée à l'usage et au profit de la
bande Musqueam a été transférée par la province
de Colombie-Britannique au Dominion du Canada
par le décret 1036 du 29 juillet 1938, pris en
application de l'article 2 de l'Indian Affairs Set
tlement Act, S.B.0 1919, chap. 32, et de l'article
93 du Land Act, R.S.B.C. 1936, chap. 144, dont
voici le paragraphe (1):
[TRADUCTION] 93. (1.) Le lieutenant-gouverneur en Conseil
peut, à tout moment, par avis signé de la main du Ministre et
publié dans la Gazette, réserver toute terre domaniale que ne
grèverait aucun droit de préemption, qui n'a été ni achetée ni
louée et qui n'a fait l'objet d'aucune concession forestière ou
autre de la part de la Couronne, afin de les céder au Gouverne-
ment du Dominion, en fiducie, au bénéfice des Indiens, sous
condition de rétrocession audit gouvernement provincial adve-
nant que ces biens-fonds cessent d'être utilisés par les Indiens;
le lieutenant-gouverneur en Conseil peut de même réserver
certains de ces biens-fonds pour les chemins de fer ou pour
toute fin jugée opportune.
Le décret provincial dispose notamment:
[TRADUCTION] ... les terrains décrits en l'annexe ci-jointe sont
cédés à Sa Majesté le Roi du chef du Dominion du Canada, en
fiducie, pour l'usage et le bénéfice des Indiens de la province de
Colombie-Britannique, sous réserve toutefois du droit du Gou-
vernement du Dominion d'administrer lesdits biens-fonds de la
manière qu'il considérera la plus appropriée aux Indiens, y
compris le droit d'aliéner lesdits biens-fonds et d'employer les
sommes réalisées au profit des Indiens, sous réserve encore
qu'advenant qu'une bande ou tribu indienne de Colombie-Bri-
tannique soit frappée d'extinction, les biens-fonds ainsi cédés
pour elle, qui ne sont pas aliénés comme il est prévu ci-dessus,
ou le reliquat des sommes réalisées lors des aliénations, retour-
neront ou seront remboursés au donateur ...
Pendant les années cinquante, les fonctionnaires
de la Direction des affaires indiennes du ministère
de la Citoyenneté et de l'Immigration s'interro-
gaient sur la façon d'employer les terrains de la
réserve Musqueam au meilleur intérêt de la bande
indienne. La progression du lotissement individuel
dans la réserve et ses incidences sur l'aménage-
ment global de la réserve et le bien-être de l'en-
semble de la bande indienne les inquiétaient. Les
deux fonctionnaires les plus directement concernés
étaient Frank E. Anfield, surintendant de district
(auquel on donne parfois le titre de responsable de
l'agence de Vancouver) et son supérieur, William
S. Arneil, commissaire aux Indiens pour la Colom-
bie-Britannique. Ni Anfield ni Arneil n'étaient en
vie au moment du procès de sorte que nous n'avons
pas leurs témoignages sur les débats de certaines
assemblées importantes; néanmoins, le rôle qu'ils
ont joué ressort assez bien des pièces littérales dont
nous disposons. Le 11 octobre 1955, Anfield écrivit
à Arneil au sujet d'une résolution adoptée par le
conseil de bande le 7 mai 1952, qui approuvait
l'allocation de 396 acres, sur un total de 416, de la
réserve Musqueam à certains membres de la
bande. Cette lettre comporte les passages suivants
qui traitent du morcellement de la réserve en lots
individuels et de ses incidences sur son aménage-
ment au profit de l'ensemble de la bande:
[TRADUCTION] L'avenir de cette réserve dont la valeur est
incontestable, située comme elle est dans les limites de la ville
de Vancouver, est de la plus haute importance pour les Indiens
comme pour les tiers. Les dossiers recèlent de nombreuses
demandes d'achat ou de location de larges superficies, utilisées
ou non, de cette réserve, mais il est pratiquement impossible
d'engager des négociations qui aient un sens tant que la ques
tion de la propriété individuelle du bien-fonds ne sera pas
définitivement réglée.
Le Ministère ne peut à la légère refuser de louer des terrains
aux membres de la bande individuellement. C'est là leur droit.
Mais autoriser l'appropriation privée de larges superficies inuti-
lisées, avec droit de louer sur une base individuelle, ne peut que
conduire au désastre économique pour l'ensemble de la bande.
La réglementation de zonage du secteur interdit actuellement
l'implantation d'industries, n'autorisant que l'agriculture, mais
elle pourrait facilement être modifiée de façon à permettre
certaines utilisations comme les clubs de golf et même, éven-
tuellement, l'occupation résidentielle: ces usages, naturelle-
ment, ne seraient possibles qu'après aliénation de la réserve par
vente ou location. Le développement à long terme de la réserve
pour le plus grand profit de la bande devrait se faire par la
location de larges superficies aux meilleures conditions.
Il pourrait être nécessaire de reconstituer à un autre endroit,
dans la réserve ou ailleurs, le village actuel, dont les habitations
sont dispersées. En conséquence, les tenures foncières indivi-
duelles devraient être confinées aux aires actuellement utilisées
et tout devrait être mis en œuvre pour que l'ensemble de la
bande Musqueam conserve entièrement le contrôle des secteurs
encore vierges.
Le 16 novembre 1955, William C. Bethune,
surintendant par intérim, réserves et fidéicommis,
à Ottawa, écrivit à Arneil au sujet de la politique à
suivre à l'égard du morcellement de la réserve en
lots individuels, disant:
[TRADUCTION] Vos remarques au sujet d'un projet éventuel
de location d'une certaine superficie à un club de golf, d'un
projet de village indien pilote et de l'aménagement d'un parc,
ont suscité beaucoup d'intérêt. Vous parlez de loyer satisfaisant
et je présume que personne ne songe à acquérir une portion de
la réserve à un prix inférieur à sa pleine valeur.
Dans un rapport adressé à Arneil, en date du 17
septembre 1956, Anfield recommandait une étude
détaillée des divers besoins fonciers de la réserve:
un expert ferait une évaluation foncière et on
retiendrait les services d'un expert en planification
foncière pour déterminer le meilleur emploi pou-
vant être fait de la réserve. À ce sujet, il dit:
[TRADUCTION] Il semble que ce qu'il faut surtout ici, ce sont
les services d'un expert en planification foncière courageux,
visionnaire et prenant à cœur tant l'avenir des Indiens Mus-
queam que le revenu que pourraient générer les terrains dont
les Indiens n'ont pas besoin. Il est essentiel que tout nouveau
village soit un village modèle. Le personnel actuel ou futur de
l'agence n'est pas à même de gérer un projet semblable; il
importe de faire au plus tôt des plans on ne peut plus pratiques
pour réaliser la volonté expresse des Musqueams, faire le
meilleur usage et le meilleur aménagement possible, à leur
profit, de ce qui constitue sans doute les 400 acres ayant,
potentiellement, la plus grande valeur dans le grand Vancouver
d'aujourd'hui.
Anfield proposa aussi que les terrains non utilisés
de la réserve soient «publiquement offerts en loca
tion», faisant allusion à la possibilité d'un aména-
gement analogue aux «British Properties».
Le ler octobre 1956, le conseil de bande résolut
de faire procéder à une évaluation foncière de la
réserve, aux frais de la bande, par le personnel de
l'Administration des terres destinées aux anciens
combattants, afin de connaître la valeur locative
totale des terrains.
Dans une note de service envoyée à Arneil le 12
octobre 1956, Anfield rapporte avoir rencontré
certains fonctionnaires de la ville de Vancouver au
sujet de la location éventuelle à la ville de 184
acres des «basses terres» de la réserve comme
dépotoir. Il parle aussi de la location possible des
«hautes terres» (232 acres) au club de golf
Shaughnessy:
[TRADUCTION] Il a été convenu que toutes les démarches
visant à louer les hautes terres comme terrain de golf au club
Shaughnessy ou les basses terres à la ville, devaient être
simultanées, c'est-à-dire qu'il fallait mener de front les
pourparlers.
M. Oliver a indiqué que la ville était prête à louer, au loyer
qui serait éventuellement convenu; la ville avancerait alors les
fonds nécessaires à la réinstallation des propriétaires des mai-
sons actuelles sur le site du village pilote, contre rembourse-
ment à plus ou moins long terme. Il pourrait n'y avoir à payer
qu'un loyer minime au cours de la période de remboursement.
Si, au même moment, 150 acres étaient loués au club
Shaughnessy pour l'aménagement d'un terrain de golf et d'un
pavillon pour un loyer de 20 000 $ à 25 000 $ l'an, la bande
disposerait d'un revenu au moment même où elle aurait à
rembourser le coût du village pilote.
Cela semblerait devoir profiter à tous les intéressés, aussi
a-t-il été convenu que chaque partie resterait en contact avec
les autres et que, dès que l'évaluation aurait été faite, les trois
groupes intéressés seulement, la ville, le club de golf Shaugh-
nessy et le Ministère, se rencontreraient pour parvenir à une
entente.
Comme le dit la lettre d'Anfield du 11 octobre
1955, plusieurs personnes s'étaient déjà dites inté-
ressées à acheter ou à louer certains terrains de la
réserve Musqueam. C'est ce que confirme d'ail-
leurs une lettre du 25 octobre 1956, adressée par
Bethune à W. Strojick, surintendant de la division
des biens à l'Administration des terres destinées
aux anciens combattants, demandant que l'évalua-
tion de la réserve distingue les «hautes terres», où
serait aménagé le terrain de golf, des «basses
terres». Il dit: [TRADUCTION] «Les rapports qui
nous sont parvenus indiquent que plusieurs deman-
des on été présentées au bureau du commissaire, à
Vancouver, concernant l'appropriation d'une
partie de la réserve ...»»
L'évaluation de la réserve Musqueam a été
effectuée par Alfred Howell, évaluateur de l'Ad-
ministration des terres destinées aux anciens com-
battants, qui, malgré ses compétences, n'était pas
un expert en aménagement immobilier. Son rap
port, en date du 28 décembre 1956, qualifie les
hautes terres (le futur emplacement du club de
golf) de terrains résidentiels de première classe; il
les évalue à 5 500 $ l'acre. La valeur totale de
1 360 000 $ attribuée au bien-fonds, suppose un
taux de rendement de 6 %.
L'évaluation d'Howell date de la même époque
que la rédaction du «rapport Turner» portant sur
les terrains adjacents de la Fondation de l'Univer-
sité de Colombie-Britannique. Ce rapport recom-
mandait la location à long terme des terrains de la
Fondation à des fins d'aménagement résidentiel, et
leur attribuait une valeur de 13 000 $ l'acre. Les
auteurs du rapport recommandaient un bail de 99
ans à des fins résidentielles, tout en admettant que
cette formule n'était pas encore très bien comprise;
mais ils étaient convaincus qu'elle attirerait éven-
tuellement des preneurs. À la rubrique des remer-
ciements, le rapport indique que le personnel de la
Direction des affaires indiennes de Vancouver a
été consulté au moment de sa rédaction.
Aucune copie du rapport Howell n'a été remise
à la bande Musqueam. Ce n'est qu'après avoir
engagé l'action, en décembre 1975, qu'elle en
obtint une. Anfield fit connaître aux membres de
la bande une partie de son contenu à diverses
assemblées du conseil de bande ou de la bande
elle-même. Il informa aussi le club de golf des
conclusions du rapport Howell.
En 1957, Anfield entra en pourparlers avec R.
T. Jackson, alors président du club de golf
Shaughnessy, et E. L. Harrison, un administrateur
du club, qui succéda à Jackson à la présidence au
cours de cette année-là; ils discutèrent de la loca
tion éventuelle des hautes terres Musqueam au
club. C'est au cours de ces pourparlers que l'on
informa le club de l'évaluation du bien-fonds par
Howell, qui pourtant n'avait pas encore été com
muniquée à la bande. Manifestement, Anfield était
très inquiet de la réaction que pouvait avoir le club
devant l'estimation par Howell de la valeur loca-
tive du bien-fonds. Cela ressort d'un projet de
lettre, en date du 13 février 1957, qu'Anfield
adressait à Jackson, mais qu'il décida de ne pas
envoyer. Anfield l'informait de la valeur attribuée
au terrain dans le rapport Howell et concluait:
[TRADUCTION] L'emploi de ce bien-fonds, même avec un
rendement minimum de 5 %, produira un loyer, pour 150 acres,
de l'ordre de 37 500 $.
Nous tenions à vous prévenir immédiatement de façon à vous
permettre de réfléchir à ce sujet, avant nos discussions prochai-
nes sur votre intention de donner ou non suite à l'affaire.
Vous comprendrez qu'une évaluation officielle nous interdit
d'employer le bien-fonds à un taux moindre que le taux cou-
rant; le contenu de la présente, je l'espère, ne vous surprendra
pas trop.
Les notes rédigées par Anfield le 13 mars 1957
au sujet des pourparlers avec le club de golf com-
portent le commentaire suivant: [TRADUCTION]
«Loyer minimum prévu pour les 150 acres serait
dans le voisinage de 40 000 $ l'an.»
Dans une lettre adressée à Jackson le 10e avril
1957, Anfield dit:
[TRADUCTION] L'évaluateur a expressément déclaré qu'une
diminution des valeurs locatives pourrait intervenir dans les
secteurs bordés de jaune mais il a indiqué, en insistant sur ce
point, que nous ne devions pas oublier que le chiffre global de
5 500 $ l'acre qu'il a attribué aux 220 acres situés au-dessus de
la cote 125, est une moyenne; il estime que si nous commençons
à réduire cette valeur moyenne de 5 500 $ l'acre, nous abouti-
rons à une valeur très inférieure à la valeur réelle des terres. Il
ne pense pas avoir à se prononcer sur des réductions en
pourcentage ou en dollars, il pense que nous serions bien avisés
de nous en tenir à 5 500 $ l'acre comme valeur, capitalisée à
6 %, afin de fixer la valeur locative de part et d'autre de la
ligne.
J'ai pensé porter à votre connaissance cette information car
je sais fort bien que l'aspect financier de cette affaire consti-
tuera sans doute pour vous le facteur déterminant. J'espère que
ces renseignements vous aideront, vous et votre comité, à
considérer toute offre que le club de golf Shaughnessy pourrait
faire au Ministère au nom des Indiens Musqueam auxquels,
évidemment, l'offre devra être présentée et dont la décision sera
déterminante.
Le 4 avril 1957, Harrison, devenu alors prési-
dent du club de golf Shaughnessy, écrivit à Anfield
pour lui faire part des conditions qu'il était prêt à
soumettre aux membres du club pour la location
des terres de la réserve:
[TRADUCTION] 1. La superficie à louer devra comprendre
environ 160 acres de la réserve indienne et être située comme
indiqué lors de notre discussion d'hier.
2. Nous aurons le droit d'aménager sur le terrain loué un
terrain de golf, un club et les autres bâtiments et installations
que nous considérerons appropriés pour nos membres.
3. Nous aurons besoin d'un droit de passage sur une partie de la
réserve entre la rue Marine et la superficie louée afin d'avoir
l'accès dont nous avons besoin.
4. La durée initiale du bail sera de quinze ans à compter du 1"
mai 1957, mais le club pourra opter pour quatre reconductions
de quinze ans chacune, soit une durée globale de soixante-
quinze ans.
5. Le loyer pour les premiers «quinze ans» s'élèvera à 25 000 $
l'an, payable d'avance chaque année à la date anniversaire de la
signature du bail, le premier paiement de 25 000 $ devant être
fait dès le bail rédigé, signé et remis.
6. Le loyer pour chaque reconduction de quinze ans sera fixé de
gré à gré entre votre Ministère et le club ou, à défaut d'accord,
par arbitrage conformément à la «Arbitration Act» de la pro
vince de Colombie-Britannique, mais ce loyer, pour toute
reconduction de quinze ans, ne saurait en aucun cas être haussé
ou abaissé par rapport aux précédents quinze ans, de 15 %
environ du loyer initial stipulé au point 5 ci-dessus.
7. Le loyer de chaque reconduction successive de quinze ans
devra être convenu avant que nous ayons à exercer notre option
de reconduire ou non.
8. Nous paierons toutes les taxes grevant la superficie louée.
9. Nous paierons le coût raisonnable de relocalisation sur la
réserve des maisons des Indiens sises actuellement sur la super-
ficie louée.
10. À tout moment au cours du bail, et pour six mois après
l'arrivée du terme définitif, nous conserverons le droit d'enlever
tout bâtiment et autre structure construits ou érigés par nous
sur la superficie louée et toute amélioration et autres
installations.
Le 7 avril 1957, une assemblée du conseil de
bande, Anfield fit part, pour la première fois, aux
membres de la bande indienne des pourparlers en
cours avec le club de golf. Il ne fit pas circuler la
proposition du club et n'en fit pas la lecture inté-
grale. Il la mentionna en termes généraux, disant
qu'il s'agissait d'un projet de location de certains
terrains de la réserve, pour 15 ans, avec possibilité
de reconductions pour des périodes additionnelles
de 15 ans, à des conditions qui restaient encore à
convenir. Procès-verbal de l'assemblée fut dressé
par Andrew Charles Jr., le secrétaire de la bande,
et par Anfield. Le procès-verbal de Charles com-
porte la déclaration suivante au sujet du projet de
bail du club de golf:
[TRADUCTION] M. Anfield a aussi présenté au conseil une offre
ferme de location de 160 acres de la réserve indienne Mus-
queam n° 2 faite par le club de golf Shaughnessy Heights. La
durée initiale du bail serait de 15 ans à compter du le' mai
1957, le club pouvant le reconduire quatre fois, pour 15 ans à
chaque fois, soit pour une durée maximale de soixante-quinze
ans.
Le procès-verbal d'Anfield contient la mention
suivante sur le projet de bail:
2. Le surintendant déposa alors devant le conseil l'offre du club
de golf Shaughnessy de Vancouver pour la location à long
terme d'environ 160 acres de terrain délimitées à peu près
comme dans le plan McGuigan, pour un loyer, pour les pre
miers 15 ans, de 25 000 $ l'an, avec quatre reconductions
optionnelles additionnelles de 15 autres années chacune, aux
conditions qui seront convenues.
Voici quelles ont été les constatations du juge de
première instance sur les détails fournis en cette
occasion à l'assemblée du conseil de bande, au
sujet du projet de bail [à la page 398]:
La preuve qu'ont administrée les demandeurs tend à démon-
trer que toutes les conditions de l'offre Shaughnessy n'ont pas
été fournies au conseil de bande au cours de cette assemblée.
William Guerin a déclaré qu'aucune copie de l'offre ne leur
avait été donnée. Il ne se souvient pas qu'on ait mentionné un
loyer de $25,000 l'an. Il décrit l'assemblée comme une présen-
tation fort vague où on se référait à des durées de 15 ans. Le
chef Edward Sparrow a dit ne pas se rappeler que l'offre du
club de golf ait été lue en entier.
J'accepte comme avéré le témoignage de William Guerin et
du chef Sparrow à cet égard. Les procès-verbaux de Charles Jr.
et d'Anfield me portent à croire qu'on n'a donné que des
renseignements généraux sur l'offre du club de golf de louer
environ 160 acres, pour une durée initiale de 15 ans, avec des
reconductions optionnelles additionnelles de 15 ans. Je note que
le procès-verbal de Charles Jr. rapporte les termes exacts du
quatrième paragraphe de l'offre du club de golf. Si les autres
stipulations, dont celles relatives aux loyers, avaient été lues, je
suis sûr que Charles Jr. en aurait pris note. Je remarque que le
procès-verbal Anfield à ce sujet conclut comme suit: « ... aux
conditions qui seront convenues».
Les procès-verbaux de Charles et d'Anfield rap-
portent que le conseil de bande a adopté la résolu-
tion suivante:
[TRADUCTION] Que nous approuvons la location des terrains
non requis de notre réserve indienne Musqueam n° 2 et, au
sujet de la demande du club de golf Shaughnessy, que nous
approuvons la soumission à notre bande indienne Musqueam
d'actes de cession pour la location de 160 acres environ tels que
délimités, grosso modo, par l'arpentage McGuigan au crayon
rouge et que, en outre, nous autorisons la présence de ladite
requérante, pour fins d'arpentage uniquement, en vue de ladite
cession, lesdits arpentages devant être aux frais et risques de la
requérante entièrement.
Le 24 avril 1957, Bethune écrivit à Arneil au
sujet du projet de bail du club de golf. Il accusait
réception d'une lettre du 11 août [sic] 1957, et des
pièces jointes. On n'a pu retrouver cette lettre
d'Arneil, mais il est clair, d'après celle de Bethune,
qu'il avait reçu copie de l'offre du club de golf.
Voici la lettre de Bethune qui s'interroge sur la
justesse du loyer de 25 000 $ l'an proposé pour les
quinze premières années:
[TRADUCTION]
Objet: Offre de location du club
de golf Shaughnessy Heights—Réserve
indienne Musqueam n° 2
J'ai bien reçu votre lettre du 11 avril 1957 et les pièces qui y
sont jointes, concernant une demande de location par les sus-
mentionnés d'environ 160 acres de terrain de la réserve en
contrepartie de 25 000 $ l'an, pour les quinze premières années.
La question de l'arpentage fait l'objet de discussions avec le
bureau de l'Arpenteur général; éventuellement, des instructions
seront données à l'arpenteur, M. D. J. McGuigan.
Le projet du club de golf a ses mérites, mais après examen de
l'évaluation du point de vue du loyer, nous entretenons quelques
doutes au sujet du montant offert pour la première période. Le
club, comme l'indique sa proposition, entend utiliser 160 acres
des meilleurs terrains résidentiels qui couvrent en tout 220
acres seulement. Le bail bloquerait le secteur pendant 75 ans.
L'évaluation, vous le remarquerez, donne aux superficies
destinées à être louées une valeur nette de 5 500 $ l'acre; or,
comme nous devons obtenir pour le terrain un rendement de 5 à
6 %, la valeur locative de l'acre devrait être de 250 $ à 300 $
l'an. L'offre du club est de 156 $ l'acre par an, ce qui est
considérablement inférieur à ce à quoi nous pourrions nous
attendre.
Il se peut que l'offre comporte des avantages à long terme
que nous ignorons; peut-être avez-vous intérêt à en discuter
avec l'évaluateur afin de connaître son avis sur le loyer que
nous pouvons demander pour la location de cette superficie,
pour la durée qu'envisage le club de golf. Nous aimerions
connaître vos commentaires et recommandations sur ce qui
vous paraît un loyer annuel acceptable dans le cas d'un bail de
ce genre.
Le 16 mai 1957, Anfield écrivit à l'évaluateur
Howell. Sa lettre mentionne une conversation qu'il
aurait eue avec Howell le 16 mai 1957 et elle est
accompagnée de copies de la lettre de Bethune à
Arneil du 24 avril 1957. La lettre d'Anfield com-
porte les passages suivants:
[TRADUCTION] Compte tenu de l'évaluation de notre service
en date du 28 décembre 1956, des questions précises soulevées
dans la lettre du Ministère à M. Arneil et de notre discussion
qui y est mentionnée, je vous saurais gré d'examiner cette
affaire en détail, à la lumière de l'évaluation, et de soumettre,
en quatre exemplaires, dès que vous le pourrez, votre avis sur la
justesse d'un loyer de 25 000 $ pour les quinze premières
années, dans un bail de soixante-quinze ans. N'oublions pas que
les premiers pourparlers ne visaient que 150 acres, lesquels sont
maintenant devenus 160. De toute façon nous devrions peut-
être exiger du club de golf Shaughnessy une hausse au prorata
afin de convaincre le Ministère que l'offre de 156 $ l'acre n'est
pas déraisonnable malgré l'évaluation qui donne une valeur
locative variant entre 250 $ et 300 $ l'acre par année, selon
votre évaluation de 5 500 $ l'acre.
Il est évidemment inutile de rappeler à un homme de votre
expérience que dans le cas d'un bail à long terme de soixante-
quinze ans, nous ne pouvons nous attendre à un rendement du
terrain supérieur à cinq pour cent. Nous vous serions obligés de
nous faire connaître vos observations sur ce point.
Le juge de première instance a estimé qu'Howell
n'avait pas été informé de tous les détails de l'offre
du club de golf; il dit [à la page 399]:
On n'a pas fourni à Howell tous les détails de l'offre Shaugh-
nessy. Il ne connaissait pas le paragraphe 6 qui limitait les
hausses et les baisses de loyer pour les reconductions de 15 ans
à 15 % du loyer initial de $25,000, soit à $3,750. On ne lui dit
pas non plus que le club de golf voulait obtenir le droit, à tout
moment au cours du bail, et même jusqu'à 6 mois après
l'arrivée du terme, d'enlever tout bâtiment ou toute améliora-
tion se trouvant sur le terrain.
La bande indienne ne fut pas informée qu'An-
field avait écrit à Howell pour lui demander de
réexaminer son évaluation et de donner son avis
sur le bien-fondé du loyer demandé.
Le 23 mai 1957, Howell écrivit à Anfield pour
lui dire qu'à son avis un rendement de 3 % sur la
valeur qu'il avait attribuée aux hautes terres serait
juste et équitable dans les circonstances et lui
recommander d'accepter le projet de bail du club
de golf. Vu le rôle que cet avis parait avoir joué
lorsqu'il a été décidé de louer le terrain au club, je
le cite en entier:
[TRADUCTION] À la lecture de votre lettre, je me suis tout
d'abord deihandé si je n'avais pas attribué une valeur trop
élevée aux hautes terres de la réserve mais l'étude des valeurs
données dans la ville de Vancouver m'a rassuré à ce sujet.
Toutefois le seul moyen de le vérifier serait de mettre le terrain
en vente, aux fins d'une mise en valeur, et de voir quelles offres
en résulteraient.
Toutefois, si la valeur estimative est juste, il reste à se
demander si l'offre actuelle, qui correspond à un rendement de
3 % de la valeur évaluée, peut être considérée comme équitable.
La question de savoir si la bande devrait aliéner cette terre,
héritage de leur postérité, plutôt que de la louer, est une
question d'éthique qui sort du cadre de cette évaluation.
Un bail de soixante-quinze ans révisé tous les quinze ans et
conclu avec une entreprise financièrement saine, élimine le
facteur risque; de plus, un rendement supérieur au taux de
rendement actuellement assuré (obligation du gouvernement,
etc.) d'environ 3,75 %, ne conviendrait pas, ni ne serait vrai-
ment envisageable.
Il s'agit ici d'un terrain en friche qui jusqu'à présent n'a
pratiquement rien produit. Les quelques superficies actuelle-
ment louées ne rapportent que 35 $ et 40 $ l'acre. L'offre en
cause, de 156 $ l'acre, pour 160 acres de ce terrain, serait une
grande amélioration. A supposer que le taux de rendement
assuré soit de 3,75 %, comment l'offre actuelle de 3 % peut-elle
compenser cette perte de 0,75 %?
Il faut tenir compte des améliorations que le locataire appor-
tera à la propriété. Nous en avons parlé avec le secrétaire du
club qui, tout en ne voulant pas s'engager, a estimé qu'au cours
du bail, près de 1 000 000 $ seraient dépensés en bâtiments et
en améliorations. Le défrichage à lui seul coûterait environ
100 000 $ et le pavillon du club, plus de 200 000 $. Ces amélio-
rations reviendront avec le bien-fonds à la fin du bail.
En outre, la propriété convient parfaitement au projet; il se
peut que ce ne soit pas le meilleur usage que l'on puisse en
faire, c'est un usage qui s'intègre dans le secteur, dont une
partie doit être consacrée à des fins récréatives. L'établissement
d'un terrain de golf augmentera la valeur de l'ensemble des
propriétés avoisinantes, et en particulier celle des hautes terres
restantes de la réserve. Les canalisations d'eau et les égouts qui
desserviront le pavillon du club pourront aussi les desservir.
Autre point à considérer, il y a une limite à ce que le club
peut payer. Certes, il se peut que l'offre actuelle ne l'atteigne
pas, mais il y a d'autres terrains disponibles que le club pourrait
décider de louer plutôt que de payer un prix supérieur. Toute-
fois, si leur offre est acceptée, le Ministère sera dans une
position beaucoup plus favorable pour négocier une hausse de
loyer dans quinze ans, lorsque le club aura investi un capital
considérable, dont il devra assurer la protection, dans la
propriété.
Tenant compte de cela, je considère l'offre comme saine.
Trouver un acheteur pour 220 acres, à 5 500 $ l'acre, peut
prendre un temps considérable, pendant lequel votre revenu est
nul. L'acceptation du bail vous assure un revenu de 25 000 $
l'an pour 160 acres, et il vous sera beaucoup plus facile de
disposer des 60 acres restants lorsque le club aura commencé
les aménagements.
Je suis donc d'avis que la voie la plus sage serait d'accepter
l'offre actuelle qui oblige le club à aménager la propriété, puis
de mettre en vente le reste des hautes terres.
Comme l'indique ce qui précède, Howell a fondé
son avis révisé sur ce qui devait être un rendement
convenable pour la période locative initiale, le
réduisant de 6 à 3 % sur la base de deux conditions
du projet de bail qui se sont révélées fausses: a)
que les améliorations reviendraient à la bande
indienne au terme du bail et b) qu'à la fin du
premier terme, le Ministère serait mieux placé
pour négocier une hausse du loyer. Manifestement,
il ignorait la clause de l'offre du club de golf du 4
avril 1957 stipulant que le club aurait le droit
d'enlever les améliorations, ainsi que les modalités
relatives aux hausses du loyer, notamment la
clause compromissoire et le plafonnement des
hausses à 15 %. Il ignorait aussi, bien entendu, la
condition finalement stipulée dans le bail voulant
que, aux fins des hausses du loyer, le terrain soit
considéré comme non amélioré, c'est-à-dire comme
une terre défrichée ne pouvant servir qu'à un
terrain de golf. C'est ce qu'a confirmé le témoi-
gnage d'Howell à l'instruction. Il a reconnu que le
plafonnement des hausses de loyer à 15 % était une
stipulation «choquante». Il s'en est tenu à son
opinion première, que le meilleur usage du terrain
était d'ordre résidentiel et qu'il fallait en tenir
compte dans le calcul du loyer après le premier
terme.
Voici ce que constate le juge de première ins
tance au sujet du témoignage d'Howell [à la page
400] :
Howell a témoigné au procès. Il a déclaré avoir approuvé en
1957 le taux de rendement de 3 % pour les motifs donnés dans
sa lettre: le taux des obligations d'alors était de 3.75 %; le club
de golf ne constituait pas un risque financier; les améliorations
reviendraient à la bande. En contre-interrogatoire, il a admis
que s'il avait su que les améliorations ne reviendraient pas à la
bande, il aurait recommandé un taux de rendement de 4 à 6 %.
Il avait présumé, en donnant son opinion aux fonctionnaires
locaux des affaires indiennes, que la renégociation du loyer
serait fondée sur la condition améliorée du terrain et sur le
principe du meilleur et du plus rentable usage possible. Il s'est
dit choqué de la clause limitative de 15 % que l'on retrouvait
dans le bail signé.
Howell s'est révélé, à mon avis, un témoin honnête. Je
considère comme avéré son témoignage tel que rapporté au
paragraphe précédent. Je suis convaincu qu'il n'aurait pas
exprimé l'avis donné en pièce 33 s'il avait connu tous les faits.
Le 4 juin 1957, Arneil écrivit à la Direction des
affaires indiennes à Ottawa pour recommander
l'acceptation de l'offre du club de golf. Il se fon-
dait sur le deuxième avis d'Howell, comme le
montre sa lettre, que voici:
[TRADUCTION] J'ai eu l'occasion de discuter de l'arrange-
ment locatif proposé ci-dessus avec M. Anfield; par la suite,
l'affaire a été soumise à M. Howell, évaluateur de l'Adminis-
tration des terres destinées aux anciens combattants.
Le rapport de M. Howell, en date du 23 mai 1957, propose
l'acceptation de la présente offre, soit un loyer annuel de
25 000 $; je recommande donc que soient rédigés des actes de
cession, à des fins locatives, pour soumission à la bande
indienne.
Selon la recommandation d'Arneil et l'avis
révisé d'Howell, le directeur des affaires indiennes
à Ottawa proposa au sous-ministre d'accepter l'of-
fre du club de golf. Le 13 juin 1957, le sous-minis-
tre donna son agrément.
Le 3 juillet 1957, Bethune envoya les actes de
cession à Arneil. Il déclarait que les conditions du
projet de bail étaient acceptables, sauf le plafonne-
ment à 15 % des hausses de loyer après les quinze
premières années. A ce sujet, il disait:
[TRADUCTION] Cette clause pourrait être à notre avantage
advenant des conditions défavorables au terme de la période,
mais elle peut également jouer contre nous si les valeurs
foncières poursuivent leur hausse au rythme actuel dans la
région de Vancouver.
Si possible, nous aimerions que le plafonnement soit sup-
primé, pour que le loyer soit fixé de gré à gré ou, à défaut, par
arbitrage.
Le 16 juillet 1957, Anfield écrivit au chef Spar
row qui lui avait demandé certains chiffres concer-
nant l'évaluation de la réserve. Anfield disait que
la valeur totale du bien-fonds était estimée à
1 360 000 $ et qu'en ce qui concernait le projet de
bail:
[TRADUCTION] Les gens du club de golf veulent 162 acres de
hautes terres. Cela, à 5 500 $ l'acre, donne une valeur de
891 000 $; or, l'offre de 25 000 $ l'an comme loyer pour les
premiers dix ans, au cours desquels le club devra dépenser
presque un million de dollars en capital, donne un rendement
pour l'investissement de 3 %, ce que l'évaluateur considère
comme fort élevé pour un tel usage de l'immeuble.
À titre de renseignement, la valeur d'investissement d'un bien-
fonds sur lequel on érige de vastes structures varie entre 5 et
6 %. Notre évaluateur est formel; un investissement de 3 %
pour un club de golf, si on se souvient que le terrain alors
amélioré reviendra finalement à la bande, constitue un rende-
ment fort satisfaisant.
Le juge de première instance commente de la
façon suivante ces déclarations [à la page 401]:
La mention d'une durée de 10 ans était incorrecte. Lors
d'une assemblée du conseil de bande, le 26 juillet, le chef
Sparrow fit remarquer que l'offre Shaughnessy était pour une
durée de 15 ans. Anfield écrivit une lettre où l'erreur était
corrigée.
A mon avis, Anfield a exagéré en rapportant l'opinion d'Ho-
well sur le taux de rendement. La bande n'obtint jamais copie
de la lettre d'Howell du 23 mai 1957, pas plus qu'elle n'apprit,
à l'époque, que le club exigeait d'avoir le droit d'enlever les
améliorations.
Le 25 juillet 1957, fut tenue une assemblée du
conseil de bande pour discuter du projet de cession
et de location au club de golf. Le procès-verbal de
l'assemblée, rédigé par Anfield, comporte la décla-
ration suivante:
[TRADUCTION] Le conseil a repris la discussion des condi
tions du projet de bail à contracter avec le club de golf
Shaughnessy. Les deux conseillers étaient d'avis que les recon-
ductions devaient être de dix ans, y compris la première, plutôt
que de quinze ans. Ils en informeront les administrateurs
lorsqu'ils rencontreront le conseil.
Le 29 juillet 1957, Anfield confirma par lettre
au chef Sparrow que les membres du conseil esti-
maient que les reconductions devraient être de dix
et non de quinze ans.
On discuta aussi à cette assemblée de la politi-
que à suivre vis-à-vis de ceux qui prétendaient ,
avoir apporté des améliorations à la partie de la
réserve qui serait louée alors qu'ils ne détenaient
aucun certificat de possession pour les terrains
qu'ils occupaient.
Le 9 septembre 1957, le conseil décida, par
résolution, que le montant des loyers offert pour la
durée initiale du bail devait être réexaminé et
renégocié avec le club de golf.
Par lettre du 13 septembre 1957, Anfield fit
savoir à Harrison, le président du club de golf, que
le conseil jugeait insuffisant le loyer offert et dési-
rait négocier directement les conditions du bail et
du loyer. La lettre concluait:
[TRADUCTION] Cette lettre peut vous surprendre, vous et vos
administrateurs, mais il vaut mieux aborder de front la ques
tion. Le conseil est formel, le loyer offert est trop bas; il désire
participer aux pourparlers à ce sujet.
Le 27 septembre 1957, fut tenu un conseil de
bande auquel assistèrent des représentants du club
de golf. Etaient présents en leur qualité de mem-
bres du conseil le chef Sparrow, Gertrude Guerin
et William Guerin. Anfield et William Grant,
responsable de l'agence de Vancouver, y assistaient
au nom du Ministère. Le club de golf était repré-
senté par Harrison, Jackson et le secrétaire, Heina.
Andrew Charles Jr. a pris des notes. Voici les
constatations du juge de première instance sur ce
qui s'est passé à cette assemblée [aux pages 403 et
404]:
En présence des représentants du club de golf, le chef
Sparrow a demandé un rendement de 5 % de la valeur des 162
acres; cela équivalait à environ $44,000 l'an. Le conseiller
William Guerin avait effectivement calculé un montant de
$44,000 ou $44,550. Les représentants du club de golf s'opposè-
rent à ce chiffre. On fit lecture de certains extraits de la lettre
de M. Howell du 23 mai 1957. D'après les souvenirs de Grant,
les paragraphes 4, 5 et 6 furent les seuls extraits lus.
A un moment donné au cours de l'assemblée, on demanda
aux représentants du club de golf de sortir. Le conseil de bande
et le personnel des affaires indiennes eurent alors une discussion
privée. Anfield exprima l'avis que les $44,550 demandés étaient
déraisonnables. Après une longue discussion, le conseil de
bande accepta le chiffre proposé de $29,000; il recommanderait
ce prix à l'ensemble de la bande. On invita les représentants du
club de golf à réintégrer l'assemblée. On leur fit part de ce
chiffre de $29,000. Ils déclarèrent qu'ils le recommanderaient à
leur conseil d'administration.
Dans son témoignage, William Guerin a déclaré que les
conseillers acceptèrent ces $29,000 parce qu'ils croyaient com-
prendre que la durée du premier bail serait de 10 ans et que le
loyer serait renégocié tous les 5 ans; le conseil pensait pouvoir
obtenir un loyer de 5% sur la valeur subséquente des terrains.
Les souvenirs de Grant de cette assemblée correspondent
pour l'essentiel à la version que je viens de donner. Il y a
quelques incompatibilités mineures. Il croit se souvenir que le
chiffre de $29,000 fut proposé par Anfield. Anfield aurait
conseillé au conseil de conclure le bail et, dans 10 ans, d'exiger
du club de golf une hausse substantielle. On aurait discuté
aussi, d'après lui, d'un plafonnement quelconque des hausses de
loyer, à la demande du club de golf. Le conseil de bande s'y
serait opposé; Anfield aurait dit qu'il signalerait leur opinion à
ce sujet au ministère des Affaires indiennes. Le témoignage de
Grant, que je reconnais avéré, affirme donc que le conseil de
bande a accepté à regret le chiffre de $29,000.
William Guerin a affirmé dans son témoignage
qu'à l'assemblée du 27 septembre 1957, Anfield lui
avait dit que si la bande indienne se montrait
déraisonnable dans ses demandes, le Ministère
pourrait se passer de cession et louer quand même
le terrain au loyer qu'il fixerait.
Le 6 octobre 1957, la bande indienne fut réunie
pour voter sur la cession du terrain offert en
location au club de golf. Pour faciliter les choses,
nous appellerons cette réunion [TRADUCTION]
«l'assemblée de cession». Anfield présidait. Le chef
Edward Sparrow et les conseillers Gertrude
Guerin et William Guerin étaient présents, ainsi
que Grant qui prenait des notes. Anfield les a
revues avant leur transcription. Charles Jr. a éga-
lement pris des notes à cette assemblée. Le premier
juge a constaté [à la page 404] que «Les notes de
Charles Jr. et de Grant sont, pour l'essentiel,
semblables.»
Avant l'assemblée, la bande indienne n'avait
reçu aucun avis juridique indépendant ni aucun
avis indépendant d'expert en matière d'évaluation
et d'aménagement fonciers. Selon le témoignage
d'Andrew Charles Jr.: [TRADUCTION] «M. Anfield
a dit qu'il ne nous était pas possible, ni permis,
d'engager des professionnels indépendants du
ministère des Affaires indiennes.» Il a ajouté que la
bande indienne n'avait obtenu aucun avis juridique
au sujet de la cession ou de ses effets avant sa
signature.
Pour se préparer à l'assemblée de cession,
Anfield avait rédigé des notes, dont voici quelques
extraits:
[TRADUCTION] 25 000 $ l'an, pour les 15 premières années—
avec des loyers pour les reconductions à convenir de gré à gré
sous réserve d'un plafond ou d'un plancher de 15%—le Minis-
tère est opposé à cette clause—et le conseil a demandé des
reconductions de dix ans au lieu de quinze.
... N'oubliez pas qu'au terme du bail chaque pouce de terrain
vous appartiendra ainsi que tout ce qui y est attaché ...
... Voilà le projet que nous vous soumettons; nous croyons que
c'est une bonne affaire «financièrement»
a) la terre vous appartiendra toujours,
b) les valeurs locatives et le rendement augmenteront réguliè-
rement en votre faveur à chaque reconduction,
c) vos enfants et vos petits-enfants vous seront reconnaissants
de leur avoir laissé ce qui sera devenu une des meilleures
propriétés foncières de Vancouver.
À l'assemblée de cession, les membres de la
bande s'opposèrent aux reconductions proposées de
quinze ans. Ils voulaient des reconductions de dix
ans. Ils s'opposèrent fortement au plafonnement à
15 % des hausses de loyer. Le juge du fond a
constaté ce qui suit au sujet de ce que la bande a
compris ou cru comprendre à l'issue des débats de
l'assemblée [aux pages 405 407]:
A mon avis, les faits suivants sont clairs; je les considère donc
comme avérés:
a) Avant que les membres de la bande ne votent, ceux qui
étaient présents ont présumé ou cru comprendre que le bail
du club de golf serait, le premier terme excepté, d'une durée
de 10 ans, non de 15.
b) Avant que les membres de la bande ne votent, ceux qui
étaient présents ont présumé ou cru comprendre qu'il n'y
aurait aucun plafonnement à 15 % des hausses de loyer.
Aucun renseignement n'a été donné sur le mode de négocia-
tion des futures hausses de loyer. La proposition initiale du club
de golf (pièce 22), prévoyait simplement que les loyers ulté-
rieurs seraient fixés de gré à gré ou par arbitrage.
Je suis convaincu qu'au moment du vote le personnel des
affaires indiennes et la bande s'opposaient à tout plafonnement
du loyer à 15%; la bande a voté parce qu'elle croyait qu'il n'y
aurait pas de plafond.
c) Il n'a pas été divulgué à l'assemblée que le club de golf
proposait d'avoir le droit, à tout moment au cours du bail et,
après son terme, pendant six autres mois, d'enlever tout
bâtiment ou structure et toute amélioration et installation y
érigés.
Le chef Sparrow, William Guerin et Charles Jr. ont tous
déclaré dans leur témoignage qu'ils croyaient avoir compris
d'après ce que leur avait dit Anfield, soit lors de l'assemblée de
la cession, soit lors d'une assemblée du conseil, que toutes les
améliorations, à l'arrivée du terme du bail, reviendraient à la
bande. Grant a déclaré dans son témoignage qu'on avait
affirmé à l'assemblée de la cession que la bande pouvait
conserver toutes les améliorations apportées au terrain de golf.
On a aussi dans les témoignages mentionné deux autres
conditions qui se retrouvèrent dans le bail finalement signé le
22 janvier 1958 (pièce 78).
La première concernait la fixation des loyers futurs. A défaut
d'accord, la question devait être soumise à l'arbitrage. Le
nouveau loyer serait le juste loyer du terrain comme s'il n'avait
été ni défriché ni amélioré et servait comme club de golf.
L'autre condition accordait au club de golf un droit de résilia-
tion du bail au terme de chaque période de 15 ans sous la
simple condition d'un préavis de six mois. Aucune clause
semblable n'était stipulée en faveur de la Couronne.
Ces deux points n'ont pas été, je le constate comme avéré,
commentés lors de l'assemblée de la cession. Ils n'apparaissent
pas dans le projet initial du club de golf (pièce 22). On les
trouve pour la première fois dans les projets de baux rédigés
après l'assemblée de la cession. Mais ces deux conditions n'ont
pas été, par la suite, soumises au conseil de bande, ni à la bande
elle-même, afin d'obtenir ses commentaires ou son aval.
Grant a fait le témoignage suivant sur ce que la
bande croyait autoriser par son vote sur la cession:
[TRADUCTION] Q. La bande n'a jamais dit à M. Anfield,
«M. Anfield, voilà sur quoi nous votons, mais vous pouvez
de toute façon faire ce que vous voulez du bien-fonds» ou
l'équivalent?
R. Non, oh non.
Q. Il est absolument certain que le vote concernait un bail
précis, avec un locataire précis, à des conditions précises?
R. Oui.
Q. L'assemblée avait bien compris qu'aucun bail ne serait
signé sans les conditions que nous venons de passer en
revue?
R. D'après mes souvenirs, M. Anfield a dit qu'il ferait de son
mieux pour obtenir tout ce qu'on voulait, et même plus, si
possible.
Q. Mais, de toute façon, aucun bail ne devait être signé si ce
n'est aux conditions que nous venons de voir?
R. Non, la bande ne lui donnait pas le pouvoir de changer les
choses, après.
Avant le vote, l'acte de cession a été lu à la
bande. La façon d'enregistrer le vote était particu-
lière à la manière d'Anfield de diriger une assem
blée. Les membres de la bande venaient au bureau
ou à la table où il présidait, touchaient le bout de
son crayon, lui disaient à voix basse comment ils
votaient, et Anfield inscrivait le vote.
Voici l'acte de cession, ratifié par un vote de 41
voix contre 2:
[TRADUCTION] SACHEZ TOUS PAR LES PRÉSENTES QUE NOUS:
les soussignés chefs et conseillers de la bande indienne Mus-
queam, résidant en la réserve indienne Musqueam n° 2, en la
province de Colombie-Britannique du Canada, pour et au nom
de l'ensemble du peuple de ladite bande, en conseil assemblé,
par les présentes, cèdent à Sa Majesté la Reine du chef du
Canada, ses hoirs et successeurs, définitivement, TOUS ET
CHACUN de certains lots ou bandes de terre et locaux, sis en la
réserve indienne Musqueam n° 2 de la province de Colombie-
Britannique, d'une superficie de 162 acres environ, soit:
L'ensemble du lot «A», d'une superficie de 162 acres
environ, indiqué sur le plan d'arpentage de D.J. McGuigan,
arpenteur du Dominion et de la Colombie-Britannique, du 18
mai 1957, ou tel que ledit lot apparaît sur le plan d'arpentage
définitif conservé dans les archives d'arpentage des Affaires
indiennes, à Ottawa.
CÉDÉ ledit bien-fonds à Sa Majesté la Reine, ses hoirs et
successeurs, définitivement, en fiducie, pour location à celui ou
à ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada
jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre
peuple.
ET sous la condition supplémentaire que tous les loyers
perçus pour cette location seront versés à notre crédit dans
notre compte en fidéicommis à Ottawa.
ET NOUS, lesdits chefs et conseillers de ladite bande indienne
Musqueam, au nom de notre peuple et en notre nom propre,
par la présente, avalisons et donnons notre agrément, et pro-
mettons d'avaliser et de consentir, à tout ce que ledit gouverne-
ment pourra faire, ou verra à faire faire, licitement, au sujet de
ladite location.
À l'assemblée de cession, la bande vota aussi,
à 25 voix contre 3, l'approbation du partage de
50 % du loyer que produirait le bail entre les
tenanciers des lots individuels qui seraient loués. Il
n'y a eu que deux votes de la bande à l'assemblée:
celui qui approuvait la cession du terrain et celui
qui approuvait le partage du loyer.
Après l'assemblée de cession, les avocats du club
de golf rédigèrent un projet de bail. Le 24 octobre
1957, Anfield écrivit au Ministère à Ottawa et
joignit à la lettre le projet de bail. Voici ce qu'il
disait au sujet des reconductions de quinze ans:
[TRADUCTION] A été discutée avec les Indiens la réduction de
cette durée, à 10 ans peut-être. A ce sujet, on doit dire qu'il
faudra 3 ans pour aménager les lieux et par la suite le club
devra investir un million de dollars en bâtiments et en aména-
gements et améliorations du terrain de golf. Il ne semble guère
juste d'exiger une révision des loyers, présumément à la hausse,
dans un aussi court espace de temps que 10 ans; aussi sommes-
nous enclins à recommander une durée de 15 ans comme juste
et équitable.
Et au sujet de la proposition de plafonner à 15 %
les hausses de loyer:
[TRADUCTION] On remarquera que le projet de bail comporte
une clause d'échelle mobile limitant les hausses et les réduc-
tions de loyer à 15 % du loyer antérieur. Le Ministère, dans sa
lettre du 3 juillet 1957, n'est manifestement pas satisfait de
l'inclusion de cette clause. Aussi l'affaire fut-elle discutée lon-
guement l'été dernier avec les administrateurs du club de golf
Shaughnessy. Ceux-ci font remarquer qu'ils ne forment pas une
entreprise commerciale mais bien un club, dont le nombre de
membres est limité; il est de la plus haute importance que la
charge financière globale en cours de bail soit raisonnablement
déterminée. Ils s'opposent formellement à la suggestion du
Ministère dans la lettre précitée de procéder à la révision des
loyers de consentement mutuel et si nécessaire d'avoir recours à
l'arbitrage. Une telle façon de faire détruirait, pensent-ils, leur
planification globale. Ayant cela à l'esprit, ils produisent l'avis
de M. Douglas W. Reeve, que le club a obtenu; copie de ce
document est annexée. Ce rapport présenterait les vues de M.
Reeve et des administrateurs du club; il mentionne notamment
l'importance d'inclure la clause d'échelle mobile, avec le pla-
fond de 15 %, dans le bail. Les administrateurs insistent dans
leur demande au Ministère pour que ce plafond de 15 % soit
conservé: ils rendront à la bande indienne Musqueam une
propriété d'une valeur immense avec ses nombreuses améliora-
tions et, rappellent-ils, un facteur primordial de tout le projet
demeure la stabilité financière globale du club qui l'entreprend.
Sur le compromis négocié avec le club au sujet
du plafonnement à 15 % des hausses de loyer, le
premier juge a déclaré [à la page 409]:
Me McIntosh a dit dans son témoignage que ce plafonnement
à 15 % des hausses de loyer a été la pierre d'achoppement des
négociations avec la Direction des affaires indiennes. La Direc
tion ne voulait pas de cette clause. Le club la désirait pour
toutes les reconductions. On arriva à un compromis: le plafond
de 15% ne jouerait que lors de la première reconduction. Ce
compromis, d'après Me McIntosh, fut le résultat d'une rencon-
tre entre Harrison, Jackson et Arneil.
Le premier juge a constaté [à la page 409] que:
«Ni les commentaires apparaissant dans la lettre
d'Anfield (pièce 63), ni une copie de la lettre les
contenant, ni enfin aucune copie du projet de bail
n'ont été remis au conseil de bande ... » Il faisait
aussi remarquer [à la page 409] qu'«A dire vrai,
les membres de la bande, hormis l'historique des
tractations et l'information limitée fournie lors de
l'assemblée de la cession, n'ont jamais été
consultés.»
Le 25 novembre 1957, Bethune écrivit à Arneil
et joignit à sa lettre un projet de bail rédigé à
Ottawa qui apportait des modifications au projet
du club de golf. Bethune suggérait une étude
approfondie de la clause de résiliation du bail au
terme de chaque période de quinze ans. Il disait:
[TRADUCTION] Il y a toutefois un point que je voudrais vous
voir sérieusement étudier: la stipulation du troisième paragra-
phe où l'on prévoit la résiliation du bail au terme de chaque
période de quinze ans. Cette clause a été retenue simplement
pour fin de discussion. Il semble paradoxal qu'un club désirant
un bail de soixante-quinze ans insère une clause lui permettant
de le résilier après quinze ans. A l'examen, vous vous rendrez
compte que les Indiens n'ont rien à perdre même si le bail est
résilié après les premiers quinze ans.
Le juge de première instance a constaté [aux
pages 409 et 410] les faits suivants pour ce qui est
du défaut d'informer la bande de cette lettre ainsi
que de toute autre communication intervenue entre
les parties à la négociation du bail:
La preuve administrée montre qu'une copie de cette lettre fut
remise à M. Grant et à M° McIntosh, l'avocat du club de golf,
mais pas à la bande.
Je me permettrai, à ce stade-ci, le commentaire suivant. La
preuve qu'ont administrée les demandeurs cherche à établir
qu'Anfield n'a eu aucune discussion avec le conseil de bande, ni
avec la bande, après l'assemblée de la cession. Aucune des
pièces ou des lettres échangées entre le club et les affaires
indiennes n'a été remise au conseil de bande ou à la bande
elle-même. Il y eut des rencontres entre Anfield, Arneil et les
dirigeants du club, y compris leurs avocats, au sujet des condi
tions du bail. L'avocat supposa que tout ce qui se passait était
communiqué à la bande. Ni le chef ni le conseil de bande n'ont
été partie à cette discussion ni n'en ont été notifiés.
Je considère fondée la preuve administrée au nom des
demandeurs.
Le 6 décembre 1957, la cession était acceptée
par le décret C.P. 1957-1606, que voici:
[TRADUCTION] Son Excellence le gouverneur général en
conseil, sur proposition du ministre par intérim de la Citoyen-
neté et de l'Immigration et sur le fondement de l'article 40 de
la Loi sur les Indiens, approuve par les présentes l'acte de
cession en date, du 6 octobre 1957, ci-annexé, en vue de la
location d'une partie de la réserve indienne Musqeam n° 2 sise
en la province de Colombie-Britannique, décrite avec précision
dans l'acte de cession, après ratification par les électeurs de la
bande indienne Musqueam de ladite province et conformément
aux dispositions de la Loi sur les Indiens.
Les négociations se sont poursuivies sur les con
ditions du projet de bail. Le 9 janvier 1958, eut
lieu une assemblée du conseil de bande à laquelle
assistait Jack Letcher, le remplaçant d'Anfield au
poste de surintendant des Indiens après la promo
tion de ce dernier au poste de commissaire-adjoint
des Indiens de la Colombie-Britannique. Charles
Jr. dressa le procès-verbal de l'assemblée. Voici ce
que le juge du fond a constaté [à la page 412] sur
ce qui s'est passé à cette assemblée:
Letcher fit lecture d'une lettre relative au bail du club de
golf. Elle indiquait que les reconductions seraient de 15 ans au
lieu de 10. Le chef Sparrow fit remarquer que la bande avait
demandé des reconductions de 10 ans. Selon William Guerin, le
conseil fut abasourdi d'apprendre que la reconduction serait de
15 ans. William Guerin a dit dans son témoignage que Letcher
déclara alors que la bande était [TRADUCTION] «prise» avec les
reconductions de 15 ans. J'accepte comme avéré le témoignage
de Guerin. Le conseil de bande adopta alors une résolution par
laquelle il acceptait la première période de 15 ans mais insistait
pour que les reconductions subséquentes soient de 10 ans.
Le bail fut conclu avec le club de golf le 22
janvier 1958. La durée du bail était de soixante-
quinze ans. Le loyer pour les quinze premières
années était de 29 000 $ par an. Voici la clause
relative au loyer pour chaque reconduction de 15
ans du bail:
[TRADUCTION] Pour chacune des quatre reconductions de 15
ans du bail, un loyer sera fixé avant le début de chaque
reconduction, de gré à gré ou, à défaut, par arbitrage, confor-
mément à la loi de Colombie-Britannique, ce loyer devant être
égal au juste loyer des lieux fournis s'ils étaient toujours non
défrichés et non améliorés à la date de chaque fixation respec
tive du loyer et en considérant que l'usage que le locataire peut
en faire selon le bail est restreint; POURVU TOUTEFOIS que le
loyer annuel pour la première reconduction de 15 ans du bail ne
soit pas supérieur de plus de 15 % au loyer initial de 29 000 $
l'an.
Voici la clause donnant droit au club de résilier
le bail au terme de toute reconduction de quinze
ans:
[TRADUCTION] Le locataire peut résilier le bail tous les
quinze ans, par préavis écrit de son intention signifié au loca-
teur au plus tard six mois avant le terme de la période de
quinze ans en cours.
Voici la clause relative au droit du club d'enle-
ver les améliorations à la fin du bail:
[TRADUCTION] Pendant la durée du bail et six mois après
son terme, le locataire pourra, à tout moment, enlever tout
bâtiment ou structure qu'il aura construit ou placé sur l'immeu-
ble loué, toutes les améliorations apportées au terrain et toutes
les installations pourvu qu'il comble toutes les excavations et
laisse les lieux en bon état.
Le premier juge partageait [à la page 413]
l'opinion exprimée par Grant dans son témoignage:
«les conditions du bail finalement conclu ne res-
semblaient que fort peu à celles qui avaient été
discutées à l'assemblée de la cession».
Aucune copie du bail ne fut remise à la bande ni
au conseil. Andrew Charles, au nom de la bande,
demanda une copie du bail à plusieurs reprises;
elle lui fut refusée. La bande, en dépit de ses
demandes répétées, fut incapable d'obtenir une
copie du bail avant mars 1970.
Les intimés ont engagé leur action le 22 décem-
bre 1975.
L'action des intimés est fondée sur le manque-
ment à une fiducie. Ils demandent [TRADUCTION]
«un jugement déclaratoire disant que la défende-
resse a manqué à ses responsabilités de fiduciaire
envers les demandeurs en approuvant le bail et en
acceptant de le conclure le 22 janvier 1958», et des
dommages-intérêts pour le préjudice causé à la
bande.
La déclaration mentionne plusieurs manque-
ments aux devoirs d'un fiduciaire. Après une affir
mation générale au paragraphe 10 concernant ce
manquement, le paragraphe 11 inclut une énumé-
ration détaillée des allégations faites contre la
défenderesse. Voici ces paragraphes:
[TRADUCTION] 10. La défenderesse, en approuvant et en con-
cluant le bail précité n'a pas apporté le soin, la diligence et la
prudence requis d'un fiduciaire dans l'administration des biens
du cestui que trust ou bénéficiaire, et a causé ainsi aux deman-
deurs un préjudice pécuniaire.
11. Notamment, et sans restreindre la portée générale du
paragraphe 8, la défenderesse n'a pas apporté le soin, la
diligence et la prudence requis d'un fiduciaire dans l'adminis-
tration des biens de la fiducie:
a) en ne faisant pas procéder à des évaluations suffisantes et
adéquates du terrain loué;
b) en louant le terrain à un club de golf et de loisirs;
c) en acceptant un loyer initial de 29 000 $ l'an;
d) en acceptant des reconductions de quinze (15) ans;
e) en plafonnant à 15 % les hausses de loyer au terme des
quinze (15) premières années;
f) en acceptant que le locataire puisse enlever bâtiments et
améliorations au dernier terme du bail;
g) en acceptant une clause compromissoire, sous le régime de
la législation provinciale;
h) en convenant de donner à l'immeuble pour les révisions
arbitrales ou conventionnelles du loyer, la valeur qu'il aurait
(i) s'il n'avait été ni défriché ni aménagé et (ii) s'il n'était
destiné qu'à l'usage restreint autorisé par le bail;
i) en ne communiquant pas à la bande Musqueam, avant le
15 janvier 1970, les modalités précises de l'arrangement
locatif ni la copie du bail;
j) en n'ayant pas stipulé dans le bail des clauses conformes
aux souhaits et aux directives du conseil de la bande Mus-
queam et aux meilleurs intérêts de ladite bande;
k) en ne tenant pas compte du potentiel de croissance de la
valeur du terrain loué et des terres voisines de celui-ci;
I) en ne tenant pas compte des autres possibilités d'aménage-
ment actuel et futur des immeubles loués;
m) en ne tenant pas compte du potentiel financier ni de la
vocation, actuels et futurs, des immeubles loués;
n) en ayant contracté frauduleusement un bail contraire aux
instructions, aux désirs et aux intérêts exprimés par les
demandeurs, et à leur insu;
o) en taisant frauduleusement certaines informations concer-
nant les conditions du bail qui n'ont été révélées aux deman-
deurs que plusieurs années après sa signature.
Le premier juge a conclu [aux pages 417 et 418]
que la cession du 6 octobre 1957 avait emporté
constitution d'une fiducie, comportant les condi
tions suivantes relativement au bail offert:
A mon avis, la cession du 6 octobre 1957 a imposé à la
défenderesse, en tant que fiduciaire, l'obligation, à compter de
cette date, de louer au club de golf Shaughnessy aux conditions
suivantes:
a) Une durée globale de 75 ans.
b) Un loyer pour les premiers 15 ans de $29,000.
c) La division des 60 années restantes du bail en six périodes
de 10 ans.
d) La renégociation des hausses futures de loyer à chaque
reconduction sans clause d'arbitrage ni mode d'évaluation du
bien-fonds.
e) Aucun plafond de 15% sur les hausses de loyer.
f) Le retour à la Couronne de toutes les améliorations
apportées au bien-fonds à l'arrivée du terme.
Le manquement à la fiducie constaté par le
premier juge est décrit comme suit [à la page 418]:
La défenderesse, par son personnel et les fonctionnaires de la
Direction des affaires indiennes, a manqué à ses obligations de
fiduciaire. Les 162 acres n'ont pas été louées au club de golf
aux conditions que la bande indienne avait autorisées. Des
changements substantiels ont été faits comme le montre l'acte
de bail définitif. Pour ces changements, la défenderesse n'a
cherché à obtenir, comme fiduciaire, aucune instruction ni
autorisation de la bande indienne bénéficiaire, la cestui que
trust. L'approbation de la bande indienne aurait dû être obte-
nue. La défenderesse avait l'obligation, par son personnel, de
l'obtenir.
Le juge du fond a constaté que la bande
indienne n'aurait pas voté en faveur de la cession si
elle avait eu connaissance des conditions stipulées
dans le bail consenti au club de golf. Il dit [à la
page 413]:
Le chef Edward Sparrow, William Guerin et Andrew Char-
les Jr. étaient présents et votèrent à l'assemblée de la cession du
6 octobre 1957. Ils ont déclaré dans leur témoignage qu'ils
n'auraient pas voté la cession des 162 acres s'ils avaient connu
les conditions définitives du bail intervenu entre la défenderesse
et le club de golf.
J'accepte leur témoignage. J'ai constaté qu'il s'agissait de
témoins honnêtes et dignes de foi. Leur témoignage n'a pas été
sérieusement entaché, à mon avis, par l'après coup.
J'ai déjà énoncé mes constatations au sujet de ce que la
bande savait et ne savait pas à l'époque du vote sur la cession.
La prépondérance de preuve montre, je pense, que la majorité
de ceux qui votèrent le 6 octobre 1957 n'auraient pas consenti à
la cession des 162 acres s'ils avaient connu toutes les conditions
du bail du 22 janvier 1958.
Au sujet de la défense, qui excipe de la prescrip
tion légale et du comportement honnête et raison-
nable de la Couronne qui l'excuserait du manque-
ment à la fiducie, et à propos des dommages
exemplaires demandés, le premier juge, considé-
rant le comportement des fonctionnaires de la
Direction des affaires indiennes, a constaté [à la
page 425] que:
La conduite du personnel de la Direction des affaires indien-
nes en l'espèce équivaut, à mon avis, à une fraude d'équité. Il
n'y a pas eu, comme le soutiennent les demandeurs, fraude au
sens de dol, de malhonnêteté ou de turpitude morale de la part
d'Anfield, d'Arneil et d'autres. Mais le fait de ne pas revenir
devant la bande ou le conseil après le 6 octobre 1957 pour faire
avaliser les conditions proposées du bail a constitué, compte
tenu de tout ce qui s'était passé, «une conduite ... fort peu
scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre». Il y a eu
dissimulation équipollente à la fraude d'équité.
[et à la page 430]:
Même si notre juridiction avait cette compétence, dans les
circonstances, je n'accorderais pas, ne fût-ce qu'en partie, ce
moyen à la défenderesse. Le personnel de la Direction des
affaires indiennes, en contractant le bail du club de golf, a agi,
à mon avis, honnêtement. Il n'y a pas eu malhonnêteté délibé-
rée ni volontaire envers la bande indienne. Mais le personnel et,
en dernier ressort, la défenderesse, n'ont pas agi en bon père de
famille en signant un bail sans se représenter d'abord devant la
bande indienne. Je ne puis voir ce qui, en toute justice, pourrait
excuser la défenderesse.
[et à la page 443]:
Je ne peux qualifier les actes d'Anfield et d'Arneil, et des
fonctionnaires d'Ottawa, d'oppressifs, d'arbitraires ou de tyran-
niques. J'ai déjà jugé non fondées les allégations de malhonnê-
teté, de fraude morale et de dissimulation délibérée ou mali-
cieuse. Le personnel de la Direction des affaires indiennes a cru
avoir le droit de négocier les conditions finales du bail sans
avoir à consulter la bande indienne. J'ai jugé en fait qu'il
n'avait pas ce droit. Cela ne fait pas de leur action une conduite
oppressive ni arbitraire, justifiant la sanction des dommages-
intérêts exemplaires.
Le juge du fond a offert [aux pages 410 et 411]
les explications suivantes du comportement des
fonctionnaires de la Direction des affaires indien-
nes qui ne se sont pas présentés de nouveau devant
la bande indienne pour faire approuver les vérita-
bles conditions du bail contracté avec le club de
golf:
Il y a, je pense, trois explications à cela. Aucune n'est
disculpatoire. La cession ne stipulait pas expressément qu'on
devait louer au club de golf; elle ne précisait pas non plus que le
bail ultime, quel que fût le cocontractant, devait être approuvé
par la bande ou le conseil de bande. Fort probablement aux
affaires indiennes, on était d'avis, vu les conditions de la
cession, qu'on était libre de négocier aux conditions jugées les
meilleures, sans avoir à consulter la bande.
La seconde explication de l'ignorance dans laquelle furent
maintenus les Indiens de la bande après l'assemblée de la
cession serait qu'Anfield, en raison d'une promotion, avait dû
assumer des fonctions plus lourdes. La vacance de son ancien
poste n'était pas encore comblée. Cela n'eut lieu qu'en décem-
bre 1957, date à laquelle M. J. C. Letcher fut nommé.
La troisième explication est reliée à la première. A cette
époque, depuis des années, un grand nombre de fonctionnaires
des affaires indiennes entretenait à l'égard des Indiens et de
leurs bandes, avec les meilleures intentions du monde, une
attitude paternaliste. Les Indiens étaient des enfants, leurs
pupilles; on connaissait mieux qu'eux ce qui était bon pour eux.
Grant a dit d'Anfield, d'après ce qu'il avait observé de son
comportement, qu'il avait cette attitude.
Le juge du fond a accordé des dommages-inté-
rêts de dix millions de dollars, se fondant sur la
prémisse que le club de golf n'aurait pas signé un
bail aux conditions jugées par lui comme étant
celles de la fiducie et qu'il aurait alors été possible,
à un moment donné, de louer le terrain pour 99
ans à des fins résidentielles à des conditions beau-
coup plus avantageuses que les conditions verbales
constatées par le juge. Le premier juge a expliqué
comme suit [à la page 431 ] la raison pour laquelle
le club de golf n'aurait pas consenti à un bail à ces
conditions:
Ainsi, bien qu'on n'en ait pas parlé, ni lors de l'administra-
tion de la preuve, ni en plaidoiries, les Indiens, par l'intermé-
diaire de la Direction des affaires indiennes, et le club de golf
auraient pu poursuivre les négociations pour finalement en
arriver à un accord. La défenderesse a cité MM. McIntosh,
Jackson, Harrison, Pipes et Gillespie. J'appellerai ces témoins,
comme groupe, les témoins du club de golf. Je conclus de leurs
témoignages qu'il est fort peu probable que le club de golf ait
accepté la suppression du plafond de 15 % imposé aux hausses
de loyer pour la seconde reconduction de 15 ans, ou toute
réduction de durée de 15 10 ans. Je crois qu'il est aussi fort
peu probable, d'après le témoignage de McIntosh, que le club
de golf ait abandonné la clause lui donnant le droit d'enlever les
améliorations au terme, quel qu'il soit, du bail. Je ne crois pas
non plus que le club de golf aurait accepté une renégociation du
bail, ou un arbitrage, sur la base du meilleur et plus rentable
usage du terrain.
J'écarte donc toute évaluation du dommage qui serait fondée
sur le genre de location au club de golf qu'aurait jugée favora
ble la bande indienne, par opposition au bail actuellement en
vigueur.
Dans des motifs supplémentaires [[1982] 2 C.F.
445], le juge de première instance a refusé d'accor-
der un intérêt antérieurement au jugement, une
hausse du taux de l'intérêt couru après le jugement
et une somme forfaitaire à titre de dépens.
Il importe de rappeler qu'il s'agit uniquement
d'une action pour manquement à une fiducie et
non d'une action en annulation de la cession et de
l'aliénation de l'immeuble cédé qui serait fondée
sur la fraude ou l'inexécution des conditions de la
cession. Ce n'est pas une action pour négligence
dans l'exercice d'un pouvoir légal relatif à l'aliéna-
tion du terrain d'une réserve. Enfin ce n'est pas
non plus une action en rectification des conditions
de la cession du bien-fonds d'une réserve. L'action
sera accueillie ou rejetée selon que la Couronne
était ou n'était pas fiduciaire, au sens du droit
privé, de l'immeuble de la réserve loué au club de
golf Shaughnessy Heights et que le bail consenti
pour cet immeuble ou club constituait ou non un
manquement à cette fiducie. L'appel pose directe-
ment et inévitablement la question de la définition
du rapport juridique existant entre la Couronne ou
le gouvernement, et le bien-fonds d'une réserve ou
un terrain réservé cédé «en fiducie» aux fins de
location; s'agit-il d'une relation fiduciaire au sens
du droit privé, c'est-à-dire d'une obligation
d'equity que sanctionnent les tribunaux? Le juge
du fond a cité [à la page 413] la définition sui-
vante de la «fiducie» dans Underhill's Law of
Trusts and Trustees, 12e éd., 1970, page 3: [TRA-
DUCTION] «Un trust [fiducie] consiste en une obli
gation d'equity par laquelle une personne (appelée
trustee [fiduciaire]) doit administrer un bien dont
elle assume la garde (qu'on appelle le bien du trust
[le bien en fiducie]) au profit de tiers (qu'on
appelle bénéficiaires ou cestuis que trust) au
nombre desquels elle peut être, et dont tous et
chacun peuvent obtenir l'exécution de l'obligation.
Tout acte ou négligence de la part du trustee [du
fiduciaire] qui n'est pas autorisé ou que n'excusent
ni les termes de l'acte de trust [de fiducie] ni la loi,
constitue un manquement au trust [à la fiducie].»
Certains ont fait observer que cette définition pou-
vait être incomplète (voir Waters, Law of Trusts
in Canada, 1974, page 5), mais il n'est pas con
testé qu'elle reflète bien l'essence de ce qu'est un
trust, une fiducie, c'est-à-dire, à mon sens, l'obli-
gation d'equity d'administrer un bien d'une cer-
taine manière, que ce soit pour le profit d'une ou
plusieurs personnes ou pour quelque autre fin.
Il faut se demander sur quoi s'appuient les
intimés pour prétendre qu'il y a eu fiducie au sens
du droit privé. En réponse à une ordonnance de la
Division de première instance leur demandant de
fournir des détails sur la fiducie [TRADUCTION]
«en vertu de laquelle il est prétendu que la bande
Musqueam a cédé l'immeuble décrit au paragra-
phe 5» de la déclaration modifiée, les intimés ont
donné les précisions suivantes:
[TRADUCTION] La fiducie a été constituée vers le 6 octobre
1957 par acte de cession transportant 162 acres d'un terrain de
la réserve de la bande indienne Musqueam à Sa Majesté la
Reine du chef du Canada, en fiducie, au profit de la bande
indienne Musqueam. Les conditions verbales de cette fiducie
prévoyaient la cession à Sa Majesté la Reine de terrains qui
devaient être loués au club Shaughnessy Heights comme ter
rain de golf, selon certaines conditions devant être incorporées
dans un bail conclu entre Sa Majesté la Reine Elizabeth II et le
club Shaughnessy Heights.
Devant notre juridiction, les intimés ont soutenu
qu'outre la fiducie constituée par la cession, les
dispositions de la Loi sur les Indiens imposaient à
l'époque une fiducie relative à l'administration et à
l'aliénation des biens-fonds de la réserve. Pour plus
de commodité, nous parlerons de «fiducie légale»
pour désigner cette prétendue fiducie malgré la
connotation technique qu'a cette expression dans le
droit des fiducies. Cette fiducie légale constituerait
nécessairement le fondement des prétendus man-
quements à une fiducie qui se seraient produits
avant la cession. Si j'ai bien compris les avocats, la
notion de fiducie légale n'a pas été débattue en
Division de première instance; en tout cas le pre
mier juge n'en fait pas mention. L'avocat de l'ap-
pelante s'est opposé à ce que les intimés fassent
appel à la notion de fiducie légale, en tout premier
lieu, parce qu'elle n'avait pas été articulée dans les
actes de procédure et, ensuite parce qu'elle avait
été expressément exclue par les détails fournis par
les intimés sur la fiducie. Je suis d'avis que les
écritures sont assez larges pour leur permettre
d'invoquer la fiducie légale. Il a été ordonné aux
intimés de fournir des détails sur les conditions de
la fiducie relative à la cession du bien-fonds, et
c'est ce qu'ils ont fait. Cela, à mon avis, ne les
empêchait pas de soutenir qu'à l'époque en cause il
existait une fiducie légale relative à l'administra-
tion de la réserve, si on tient compte notamment de
l'étendue des manquements allégués au paragra-
phe 11 de la déclaration révisée. Vu l'importance
générale de la question, j'estime que la Cour
devrait examiner ce moyen même si apparemment
il-n'a pas été débattu en première instance. L'appe-
lante n'en subira aucun préjudice puisqu'il s'agit
d'une question de droit pur ne dépendant pas de
faits qu'il aurait fallu articuler ou établir dans les
preuves administrées.
L'existence de cette fiducie légale serait fondée
en premier lieu sur le texte des paragraphes 18(1)
et 61(1) de la Loi sur les Indiens (S.R.C. 1952,
chap. 149, modifié par S.C. 1952-53, chap. 41;
S.C. 1956, chap. 40; et S.C. 1958, chap. 19), en
vigueur à l'époque considérée. Ces dispositions
sont pratiquement identiques aux articles 18(1) et
61(1) de la Loi actuelle (S.R.C. 1970, chap. I-6):
18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté
détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives
pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi
et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en
conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans
une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et
au profit de la bande.
61. (1) Les deniers des Indiens ne doivent être dépensés
qu'au bénéfice des Indiens ou des bandes à l'usage et au profit
communs desquels ils sont reçus ou détenus, et, sous réserve de
la présente loi et des termes de tout traité ou cession, le
gouverneur en conseil peut décider si les fins auxquelles les
deniers des Indiens se trouvent employés, ou doivent l'être, sont
à l'usage et au profit de la bande.
Le premier moyen de l'appelante sur la question
de la responsabilité consiste à dire que ni les
dispositions de la Loi sur les Indiens ni l'acte de
cession n'ont constitué un trust ou fiducie véritable
au sens d'obligation d'equity sanctionnée par les
tribunaux, n'ayant créé au mieux qu'une obliga
tion ou fonction gouvernementale qualifiée par
l'appelante de [TRADUCTION] «fiducie politique».
Pour ce qui est de la cession, l'appelante soutient
aussi que les conditions de la fiducie n'étaient pas
celles qui avaient été constatées par le premier
juge mais celles qui étaient contenues dans l'acte
de cession lui-même et qu'en outre, le titre ou droit
indien grevant les terres réservées n'était pas un
droit de propriété et ne pouvait donc pas faire
l'objet d'une fiducie.
Il est maintenant bien établi, comme le recon-
naît l'avocat de l'appelante, que rien en principe
n'interdit à la Couronne d'agir comme fiduciaire.
Dans l'arrêt Rustomjee v. The Queen (1876), 2
Q.B.D. 69 (C.A.), le juge en chef lord Coleridge,
auteur de l'arrêt unanime de la Cour d'appel, dit à
la page 74: [TRADUCTION] «Nous n'affirmons pas
qu'en aucun cas la Couronne ne saurait être fidu-
ciaire ...» Dans l'arrêt Civilian War Claimants
Association, Limited v. The King, [1932] A.C. 14
[H.L.], à la page 27, lord Atkin dit: [TRADUC-
TION] «Il n'y a rien, que je sache, qui interdise à la
Couronne d'agir comme mandataire ou fiduciaire
si elle choisit délibérément de le faire.» Ce dictum
a été reconnu comme l'énoncé du droit dans l'arrêt
Miller v. The King, [1950] R.C.S. 168, la page
175, et dans l'arrêt Tito and others v. Waddell and
others (No 2), [1977] 3 All ER 129 [Ch.D.], à la
page 217.
On a fait une distinction, dans le cas où la
Couronne ou un préposé de la Couronne exerce des
fonctions gouvernementales, entre une fiducie au
sens strict (true trust), donc une obligation
d'equity que sanctionnent les tribunaux, et une
obligation ou fonction gouvernementale qui n'équi-
vaut pas à une fiducie véritable. La distinction,
quoique exprimée en des termes un peu différents,
a été reconnue par la plus haute autorité, dans un
arrêt de la Chambre des lords, Kinloch v. The
Secretary of State for India in Council (1882), 7
App. Cas. 619. Dans cette affaire, la Couronne par
mandat royal avait [TRADUCTION) «concédé» un
butin de guerre au Secrétaire d'Etat en conseil
pour l'Inde «en fiducie» pour les hommes et offi-
ciers des forces armées, à charge pour le Secrétaire
d'État, ou son délégué, de le distribuer selon cer-
taines échelles et proportions. Le mandat royal
disposait en outre qu'en cas de doute au sujet du
partage du butin ou de son produit, ou au sujet de
toute prétention à celui-ci, il appartenait au Secré-
taire d'État ou à son représentant de trancher et
que leur décision serait définitive et obligatoire, à
moins que dans les trois mois Sa Majesté n'en
décide autrement. La Chambre des lords jugea que
le mandat royal n'avait pas créé de fiducie que
pouvaient sanctionner les tribunaux.
Faisant une distinction entre une fiducie «au
sens strict» appelée depuis «vraie fiducie» et fiducie
«au sens large» ou «obligation gouvernementale», le
lord Chancelier Selborne dit aux pages 625 et 626:
[TRADUCTION] Les termes «in trust for» [«en fiducie»],
conviennent à toutes sortes de fiducies (trust), et constituent
même la meilleure façon de les décrire—non seulement les
fiducies sur des domaines dont peut connaître une juridiction
d'equity mais aussi celles qui concernent des affaires d'une
importance plus grande, comme la relation qu'il peut y avoir
entre la Couronne et certains officiers publics exerçant, sous
l'égide de la Couronne, des fonctions relevant de la prérogative
et de l'autorité de la Couronne. Au sens strict de ces termes, ces
questions sont du ressort et de la compétence des juridictions
d'equity de droit commun; au sens large, elles ne le sont pas. Il
faut déterminer dans quel sens ils sont employés en l'espèce, en
examinant l'ensemble de l'acte, sa nature et de son effet.
Lord O'Hagan dit, à la page 630:
[TRADUCTION] Il n'y a rien de magique dans le terme «trust»
[«fiducie»]. Selon les circonstances, il peut avoir divers sens et le
Secrétaire d'État à qui une délégation a été faite pour des fins
spéciales expresses peut fort bien être désigné comme «fidu-
ciaire» de la Couronne puisque, pour la Couronne, il lui est
demandé de procéder lui-même au partage des biens en ques
tion. Mais il n'a pas été constitué «fiduciaire» [trustee] pour
quelque bénéficiaire (cestui que trust) autorisé, en vertu des
règles de l'equity, à exiger la bonne administration d'un fonds.
Selon la Chambre des lords, le mandat royal
comportait des caractéristiques particulières qui
indiquaient l'absence d'intention de constituer une
fiducie au sens du droit privé. On peut les résumer
comme suit: (1) la désignation de l'officier à qui la
[TRADUCTION] «concession» était faite, [TRADUC-
TION] «l'actuel Secrétaire d'État en conseil pour
l'Inde», laissait entendre qu'on ne désirait pas
imposer une obligation de fiduciaire à tel individu
en particulier; (2) la stipulation selon laquelle il
appartenait au Secrétaire d'État, ou à son repré-
sentant, de trancher les questions litigieuses, sa
décision étant définitive et obligatoire, à moins que
dans les trois mois Sa Majesté n'en décide autre-
ment, indiquait l'intention d'exclure la compétence
des tribunaux; (3) aucun bien n'avait été cédé au
Secrétaire d'État, qui n'était que le mandataire de
la Couronne chargé du partage d'un butin qui était
en la possession de la Couronne.
La Cour suprême du Canada, dans son arrêt
The Hereford Railway Co. v. The Queen (1894),
24 R.C.S. 1, a appliqué l'arrêt Kinloch. La Cour, à
la majorité, a jugé que ce qui avait été fait en vertu
d'une législation attribuant un pouvoir discrétion-
naire au lieutenant-gouverneur en conseil du
Québec d'accorder une subvention pour la cons
truction d'un chemin de fer, n'avait pas eu pour
effet d'imposer une responsabilité sanctionnée par
la pétition de droit formée contre la Couronne. Sur
la question de la création d'une fiducie par la
législation, le juge en chef Strong dit à la page 15:
[TRADUCTION] Reste la question de la fiducie. Peut-on dire
que la loi constitue la Couronne fiduciaire ou quasi fiduciaire
de cet argent dont elle a la garde jusqu'à ce que le chemin de
fer soit terminé, et qu'elle devra alors remettre à la compagnie?
Les tribunaux anglais ont eu à connaître de plusieurs affaires
où la Couronne était en possession de sommes d'argent desti
nées à être partagées entre certaines catégories de personnes.
Ainsi dans les arrêts Kinloch v. The Queen et Rustomjee v. The
Queen, il a été jugé que les sommes détenues par la Couronne
ne pouvaient faire l'objet d'une fiducie sanctionnée par pétition
de droit. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer cette
jurisprudence. S'il n'a pas été créé de fiducie qui puisse être
sanctionnée lorsque des sommes d'argent destinées à une fin
particulière ont été confiées à la Couronne par traité ou autre-
ment que par voie législative, pourquoi le résultat serait-il
différent lorsque c'est le législateur qui concède l'argent à des
fins définies de telle manière qu'elles confèrent un pouvoir
discrétionnaire à la Couronne? Rien n'autorise une telle dis
tinction. [Notes en bas de page omises.]
Dans l'arrêt Tito v. Waddell précité, on a sou-
tenu qu'une convention (appelée la [TRADUCTION]
«convention de 1913») ainsi que deux ordonnances
de 1928 et de 1937, relatives à l'exploitation des
gisements de phosphate de l'île Océan, dans le
Pacifique occidental, avaient opéré création d'une
fiducie entre la Couronne et les Banabans, les
anciens habitants de l'Île, relativement au paie-
ment d'une indemnité et de redevances. L'action se
fondait sur le manquement à une obligation de
fiduciaire par suite d'un conflit d'intérêts entre
deux «arrangements», celui de 1931 et celui de
1947. Le vice-chancelier Megarry, en Division de
la Chancellerie, se référant tout particulièrement à
la distinction consacrée dans l'arrêt Kinloch, jugea
que la convention et les ordonnances ne créaient
pas de fiducie au sens étroit, ni n'imposaient quel-
que autre obligation de fiduciaire. Il dit, aux pages
216 et 217:
[TRADUCTION] ... je dois aussi considérer ce que l'on entend
par «trust» [«fiducie»]. Le terme est d'usage courant en anglais
et, quelle que puisse être la position de la cour, on doit
reconnaître qu'il est souvent utilisé dans un sens différent de
celui d'une obligation d'equity que sanctionnent les tribunaux.
Il peut fort bien arriver souvent qu'on soit dans une position de
confiance [trust] sans être fiduciaire [trustee] au sens de
l'equity ... Néanmoins, on peut difficilement nier qu'une
fiducie [trust] puisse être créée sans que l'on ait employé le
terme lui-même. Il faut à chaque fois s'assurer que dans les
faits de l'espèce, selon la bonne interprétation de ce qui a été dit
et écrit, une intention suffisante de créer une véritable fiducie
s'est manifestée.
Lorsqu'on prétend que la Couronne agit comme fiduciaire,
les pouvoirs gouvernementaux et les obligations de la Couronne
sont un élément d'importance spéciale dont il faut tenir compte;
ceux-ci fournissent aussitôt une autre explication que la fiducie.
Si de l'argent ou quelque autre bien est dévolu à la Couronne
puis est utilisé pour le bénéfice d'un tiers, une explication
plausible est que la Couronne est véritablement fiduciaire pour
ce tiers. Mais il y a une autre explication; sans avoir la fiducie
véritable de ces biens, la Couronne peut néanmoins administrer
les biens dans l'exercice de ses fonctions gouvernementales.
Cette dernière explication fort possible, qui n'existe pas dans le
cas d'un individu ordinaire, rend nécessaire d'examiner avec un
plus grand soin les termes et les circonstances qui auraient
généré la fiducie [le trust].
Après une analyse détaillée de l'arrêt Kinloch, le
vice-chancelier Megarry fait certaines observations
au sujet des principes et considérations qui s'en
dégagent; je reproduis ici en partie ses commentai-
res, extraits des pages 220 et 221:
[TRADUCTION] D'abord, l'emploi d'un membre de phrase
comme «en fiducie pour» [«in trust for»] même dans un acte
officiel, tel un mandat royal, ne crée pas nécessairement une
fiducie [un trust] que sanctionneront les tribunaux ... En
second lieu, le terme «fiducie» [«trust»] peut servir à décrire non
seulement l'institution que sanctionnera la juridiction compé-
tente en equity mais aussi d'autres relations comme l'exécution,
sous les directives de la Couronne, des devoirs ou fonctions
attribuables à la prérogative et à l'autorité de la Couronne ...
En troisième lieu, il paraît évident que la question de savoir si
un acte donné a créé une vraie fiducie [true trust] ou une
fiducie au sens large relève de l'appréciation, car il convient
d'étudier l'ensemble de l'acte en question ainsi que sa nature et
ses effets. Quatrièmement, un des facteurs pertinents pourrait
être la description dans l'acte lui-même de la personne que l'on
dit être le fiduciaire. Une description impersonnelle mention-
nant non pas le nom d'une personne, mais désignant l'intéressé
comme le titulaire actuel d'un poste donné, peut en effet
indiquer que l'intention était de créer une fiducie au sens large
et non pas une véritable fiducie.
Il est difficile d'exposer brièvement les motifs
particuliers qui ont conduit le vice-chancelier
Megarry, dans son application de la distinction
admise dans l'arrêt Kinloch, à conclure que la
convention de 1913 et les ordonnances de 1928 et
de 1937 n'opéraient pas constitution d'une fiducie
au sens strict, ou d'une relation fiduciaire quelcon-
que entre la Couronne et les Banabans. Les faits
sont complexes et l'arrêt les relate en détail. De
plus, comme dans l'arrêt Kinloch, ils sont fort
différents de ceux de l'espèce présente. Mais j'irais
jusqu'à dire que les considérations suivantes
paraissent être celles qui soutiennent sa conclusion:
(1) quoique la convention de 1913 entre la compa-
gnie exploitant les gisements de phosphate et les
Banabans ait été négociée par le Colonial Office,
ait été signée en présence du commissaire résident
et ait prévu que les paiements au profit des Bana-
bans seraient faits au gouvernement, la Couronne
n'était pas partie à la convention; (2) vu l'absence
de lien manifeste entre certaines sommes payables
et les terres en cause, il serait difficile, dans le cas
d'une fiducie au sens strict, de déterminer avec
précision les bénéficiaires et le montant de leur
participation dans le «Fonds Banaban»; (3) la sti
pulation portant que les sommes versées le seraient
pour le bénéfice des Banabans en général décrivait
mieux une obligation gouvernementale qu'une
fiducie au sens strict; (4) l'ordonnance de 1928,
qui portait que la redevance et l'indemnisation
seraient payées au commissaire résident, «en fidu-
cie», au bénéfice de ceux qui y avaient droit,
comportait la disposition suivante [à la page 176]:
[TRADUCTION] «sous réserve des directives que le
Secrétaire d'État aux Colonies pourra donner»—
termes qui semblaient [TRADUCTION] «ne pas
avoir leur place dans une fiducie au sens strict»;
(5) on ne s'attend pas à trouver dans une ordon-
nance coloniale l'imposition d'une fiducie à la
Couronne du Royaume-Uni; (6) l'ordonnance de
1937, qui ne comportait pas la mention «en fidu-
cie», autorisait encore moins que la convention de
1913 et l'ordonnance de 1928 la conclusion qu'elle
opérait création d'une fiducie au sens strict.
Lors de son examen de la convention de 1913, le
vice-chancelier Megarry dit à la page 226: [TRA-
DUCTION] «Je dois aussi me souvenir de ce que
disait lord Atkin dans l'affaire Civilian War Clai
mants et me demander si quelque chose indique
qu'en l'espèce, la Couronne a délibérément choisi
d'agir comme fiduciaire. [Note en bas de page
omise.]» En même temps, il mentionne le manque
de preuve de l' [TRADUCTION] «intention non équi-
voque» de conserver la redevance [TRADUCTION]
«en fiducie au sens strict, sanctionnée par les tribu-
vaux, et non, tout simplement en vertu d'une
obligation gouvernementale ou fiducie au sens
large». Je déduis de toutes ces raisons qu'il doit y
avoir preuve manifeste de l'intention de constituer
la Couronne fiduciaire.
Cette exigence, la Chambre des lords s'y réfère
dans l'affaire Town Investments Ltd. and Others v.
Department of the Environment, [1978] A.C. 359
[H.L.], où il fallait déterminer si les lieux occupés
en vertu de baux contractés par un ministre de la
Couronne, l'étaient par la Couronne ou par le
ministre, constitué fiduciaire de la Couronne. On
soutenait que l'ancien usage des termes «en fidu-
cie» dans les cessions d'immeubles à l'usage d'un
ministère, indiquait que [TRADUCTION] «toute ces
sion de droit réel à des fins gouvernementales par
un agent de l'État, à titre officiel, était assujettie
aux restrictions d'une fiducie de droit privé. Le
bien, en common law, est dévolu à l'agent de l'État
qui a conclu la cession; la Couronne n'est proprié-
taire qu'en equity et le lien qui existe entre l'agent
et la Couronne relève de la compétence d'equity
des tribunaux» [sommaire par lord Diplock à la
page 382]. Parlant de l'emploi des termes «en
fiducie» dans un contexte de droit public et de la
distinction consacrée par l'arrêt Kinloch, lord
Diplock dit à la page 382:
[TRADUCTION] Milords, je n'exclus pas qu'un agent de
l'État, agissant à titre officiel, puisse, dans certaines circons-
tances, devenir propriétaire de biens grevés d'une fiducie au
sens du droit privé pour le profit d'un sujet; mais il faut que
cela soit exprimé en termes clairs et même lorsque le bénéfi-
ciaire est un sujet, l'emploi de l'expression «en fiducie», pour
décrire la qualité en laquelle le bien est donné à l'agent de
l'État, n'implique pas nécessairement l'intention de créer une
fiducie de droit privé. En effet, le terme «fiducie» [«trust»] n'a
pas de sens technique en droit public et son emploi dans un
contexte de droit public peut signifier simplement l'obligation
de l'agent de l'État envers la Couronne, en tant que préposé de
la Couronne, d'administrer pour le profit du sujet le bien que
l'on dit confié en fiducie, cette obligation étant sanctionnée par
des peines administratives et disciplinaires: Kinloch v. Secre
tary of State for India (1882), 7 App.Cas. 619, lord Selborne,
lord Chancelier, aux pp. 625 et 626. Même si la relation
juridique fiduciaire-bénéficiaire [trustee -cestui que trust] de la
fiducie [trust] du droit privé peut exister entre un agent de
l'État, agissant à titre officiel et le sujet, il est impossible, à
mon avis, qu'une telle relation existe entre lui, considéré fidu-
ciaire [trustee], et la Couronne, considérée bénéficiaire [cestui
que trust] parce que cette situation serait totalement inconcilia-
ble avec la nature juridique du rapport de droit public existant
entre la Couronne et ses préposés ou, en termes plus modernes,
entre le gouvernement et les ministres qui le composent.
Lord Simon of Glaisdale dit à la page 397:
[TRADUCTION] En droit public, même une expression comme
«en fiducie pour« [«in trust foret] peut ne pas créer la relation
fiduciaire-bénéficiaire [trustee -cestui que trust] mais imposer
plutôt une obligation constitutionnelle dont la sanction est
politique ou administrative, mais non juridique (cf. lord Sel-
borne, lord Chancelier, dans l'arrêt Kinloch v. Secretary of
State for India, 7 App.Cas. 619, 625, 626).
Avant d'en venir à l'application à l'article 18 de
la Loi sur les Indiens, et à la cession, de la
distinction entre une fiducie au sens strict, ou
obligation d'equity sanctionnée par les tribunaux,
et une fiducie «au sens large», ou obligation gou-
vernementale, je traiterai de deux arguments pré-
cités concernant la fiducie prétendument créée par
la cession qui ont fait l'objet de longs débats
devant la Cour: on a prétendu tout d'abord, que les
conditions de la fiducie portant sur le louage
n'étaient pas les conditions verbales retenues par le
juge de première instance, mais les conditions
écrites de l'acte de cession, et ensuite, que le titre
ou droit indien sur le terrain cédé n'était pas un
droit de propriété et ne pouvait donc pas être
confié en fiducie.
Comme je l'ai déjà dit, le juge du fond a cons-
taté que, comme l'alléguaient les intimés dans les
détails demandés et fournis, la cession du 6 octobre
1957 avait opéré constitution d'une fiducie dont les
conditions étaient verbales. Il dit [à la page 415]:
«Je juge qu'en l'espèce a existé une fiducie légale
ou une "fiducie au sens étroit" ("true trust") entre
la défenderesse et la bande. La Couronne, à mon
avis, est devenue fiduciaire le 6 octobre 1957 des
162 acres. La bande indienne était bénéficiaire.» Je
cite de nouveau, pour plus de commodité, les con
ditions verbales de la fiducie relatives à la location
du terrain, et qui ont été retenues par le juge de
première instance [aux pages 417 et 418], comme
étant les conditions que les membres de la bande
indienne avaient comprises ou cru comprendre au
moment de la cession:
A mon avis, la cession du 6 octobre 1957 a imposé à la
défenderesse, en tant que fiduciaire, l'obligation, à compter de
cette date, de louer au club de golf Shaughnessy aux conditions
suivantes:
a) Une durée globale de 75 ans.
b) Un loyer pour les premiers 15 ans de $29,000.
c) La division des 60 années restantes du bail en six périodes
de 10 ans.
d) La renégociation des hausses futures de loyer à chaque
reconduction sans clause d'arbitrage ni mode d'évaluation du
bien-fonds.
e) Aucun plafond de 15% sur les hausses de loyer.
f) Le retour à la Couronne de toutes les améliorations
apportées au bien-fonds à l'arrivée du terme.
Voici les termes employés par l'acte de cession
au sujet de la location du bien-fonds:
... pour location à celui ou à ceux, et aux conditions, que le
gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre
bien-être et à celui de notre peuple.
ET NOUS, lesdits chefs et conseillers de ladite bande indienne
Musqueam, au nom de notre peuple et en notre nom propre,
par la présente, avalisons et donnons notre agrément, et pro-
mettons d'avaliser et de consentir, à tout ce que ledit gouverne-
ment pourra faire, ou verra à faire, licitement, au sujet de
ladite location.
Les raisons qui amenèrent le premier juge à
conclure que les conditions de la fiducie relatives à
la location du terrain n'étaient pas celles que con-
tenait l'acte de cession se reflètent dans les passa
ges suivants des motifs de son jugement [aux pages
416 et 417] qui précèdent immédiatement la con
clusion précitée concernant les conditions verbales
de la fiducie:
Le deuxième point en litige concerne les conditions de la
fiducie.
La défense soutient, s'il y a fiducie légale exécutoire, que ses
conditions sont celles que stipule l'acte de cession (pièce 53); la
fiducie autoriserait la défenderesse à louer les 162 acres à
n'importe qui, pour quelque fin que ce soit et aux conditions
que le gouvernement juge les plus favorables au bien-être de la
bande indienne. Il n'y aurait aucune obligation de louer au club
de golf aux conditions discutées lors de l'assemblée de la
cession; la défenderesse n'aurait non plus aucune obligation
d'obtenir l'approbation de la bande au sujet des conditions du
bail finalement conclu.
Je ne reconnais pas fondé cet argument.
La défenderesse, par le biais de ceux qui se sont occupés de
cette affaire à la Direction des affaires indiennes, savait dès le
début qu'elle pourrait se trouver dans une position de fiduciaire
pour tout terrain éventuellement loué au club de golf. A son
assemblée du 7 avril 1957, le conseil de bande adopta la
résolution (rédigée présumément par M. Anfield) que voici:
[TRADUCTION] Que nous approuvons la location des terrains
non requis de notre réserve indienne n° 2 Musqueam et, au
sujet de la demande du club de golf Shaughnessy, que nous
approuvons la soumission à notre bande indienne Musqueam
d'actes de cession pour la location de 160 acres environ telles
que délimitées, grosso modo, par l'arpentage McGuigan au
crayon rouge et que, en outre, nous autorisons la présence de
ladite requérante, pour fins d'arpentages uniquement, en vue
de ladite cession, lesdits arpentages devant être aux frais et
risques de la requérante entièrement.
Comme je l'ai dit, la Couronne savait, à ce stade, qu'elle
pouvait devenir fiduciaire. Elle savait que la bande avait l'in-
tention de céder les terrains. La résolution précitée ne parle pas
d'une cession sans condition pour location à qui l'on voudra.
L'ensemble de la résolution sous-entend que la cession est faite
pour location, à certaines conditions, au club de golf.
La Direction des affaires indiennes, à compter de ce moment,
n'a pas, d'après la preuve administrée devant moi, examiné
réellement la possibilité de louer les 162 acres à quelque autre
partie intéressée. A compter du 7 avril 1957, toutes les discus
sions avec le conseil de bande se rapportent à la location
envisagée de ces terrains au club de golf.
J'en conclus que le premier juge a considéré
qu'une fiducie expresse avait été créée par la ces
sion et que, en fait, les conditions de la cession
relatives au louage de l'immeuble étaient les condi
tions verbales qu'il avait retenues et non les condi
tions inscrites dans l'acte de cession. Je ne pense
pas que, comme l'a suggéré l'appelante dans sa
plaidoirie, le juge du fond, par cette conclusion,
impose à l'appelante une fiducie par interprétation.
De toute façon, vu le principe selon lequel la
Couronne doit expressément choisir d'agir comme
fiduciaire, je doute fortement qu'elle puisse être
l'objet d'une fiducie par interprétation, même si
l'on présume que la situation en l'espèce permet-
trait l'application de la notion de fiducie par
interprétation.
L'appelante fait valoir plusieurs moyens pour
affirmer que les conditions de la prétendue fiducie
constituée par la cession du terrain à louer
n'étaient pas les conditions verbales retenues par le
juge du fond, mais celles qui apparaissaient dans
l'acte de cession. Elle prétend d'abord que les
conditions constatées par le juge du fond n'ont été
ni approuvées par la bande ni acceptées par le
gouvernement en la manière et en la forme prévues
par la Loi sur les Indiens. L'appelante fonde cet
argument sur les dispositions de la Loi régissant
les cessions. Ce sont les articles 37, 38, 39, 40 et 41
de la Loi (S.R.C. 1952, chap. 149) en sa version de
l'époque en cause [article 39, mod. par S.C. 1956,
chap. 40, art. 11]. Ces articles sont virtuellement
identiques aux articles portant les mêmes numéros
de la version actuelle de la Loi (S.R.C. 1970, chap.
I-6); les voici:
37. Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres
dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou
il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à
Sa Majesté par la bande à l'usage et au profit communs de
laquelle la réserve a été mise de côté.
38. (1) Une bande peut abandonner à Sa Majesté tout droit
ou intérêt de la bande et de ses membres dans une réserve.
(2) Une cession peut être absolue ou restreinte, condition-
nelle ou sans condition.
39. (1) Une cession est nulle à moins
a) qu'elle ne soit faite à Sa Majesté,
b) qu'elle ne soit sanctionnée par une majorité des électeurs
de la bande
(i) à une assemblée générale de la bande convoquée par
son conseil,
(ii) à une assemblée spéciale de la bande convoquée par le
Ministre en vue d'examiner une proposition de ces
sion, ou
(iii) au moyen d'un référendum comme le prévoient les
règlements, et
c) qu'elle ne soit acceptée par le gouverneur en conseil.
(2) Lorsqu'une majorité des électeurs d'une bande n'ont pas
voté à une assemblée convoquée, ou à un référendum tenu,
selon le paragraphe (1) du présent article ou selon l'article 51
de la Loi des Indiens, chapitre 98 des Statuts revisés du
Canada, 1927, le Ministre peut, si la cession projetée a reçu
l'assentiment de la majorité des électeurs qui ont voté, convo-
quer une autre assemblée en en donnant un avis de trente jours,
ou tenir un autre référendum comme le prévoient les
règlements.
(3) Lorsqu'une assemblée est convoquée selon le paragraphe
(2) et que la proposition de cession est sanctionnée à l'assem-
blée ou lors du référendum par la majorité des électeurs
votants, la cession est réputée aux fins du présent article, avoir
été sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande.
(4) Le Ministre, à la demande du conseil de la bande ou
chaque fois qu'il le juge opportun, peut ordonner qu'un vote, à
toute assemblée prévue par le présent article, ait lieu au scrutin
secret.
(5) Chaque assemblée aux termes du présent article doit être
tenue en présence du surintendant ou de quelque autre fonc-
tionnaire du ministère, que désigne le Ministre.
40. Lorsqu'un projet de cession a été sanctionné par la bande
conformément à l'article 39, il doit être attesté sous serment
par le surintendant ou autre fonctionnaire qui a assisté à
l'assemblée et par le chef ou un membre du conseil de la bande
et alors être soumis au gouverneur en conseil pour acceptation
ou rejet.
41. Une cession est censée conférer tous les droits nécessaires
pour permettre à Sa Majesté de remplir les conditions de la
cession.
On prétend qu'aux termes de ces dispositions les
conditions d'une cession, pour être valides, doivent
être votées et approuvées par la majorité des élec-
teurs d'une bande indienne, attestées par le surin-
tendant ou autre fonctionnaire assistant à l'assem-
blée, et par le chef ou un membre du conseil de
bande, puis être soumises et acceptées par le gou-
verneur en conseil; ces formalités supposent que les
conditions ont été mises par écrit. Je souscris à ces
arguments. Ces formalités solennelles, d'intérêt
public, ont été prévues pour la protection de la
bande indienne et pour assurer que le gouverne-
ment s'acquitte de ses responsabilités envers les
Indiens selon la procédure régulière. Elles permet-
tent aussi de connaître avec certitude l'effet de la
cession et assurent la validité de l'aliénation subsé-
quente du bien-fonds cédé. On remarquera que ce
sont les seules dispositions de la Loi à être exclues
du pouvoir du gouverneur en conseil, prévu au
paragraphe 4(2), de déclarer, par proclamation,
que certaines dispositions de la Loi ne s'applique-
ront pas dans certains cas. Les conditions verbales
retenues par le juge de première instance n'ont été
ni votées ni approuvées par une majorité de la
bande indienne. Elles ont été déduites par le pre
mier juge du témoignage de trois membres de la
bande et d'un ancien fonctionnaire de la Direction
des affaires indiennes sur ce qui avait été dit aux
assemblées et, en certains cas, sur ce qui n'avait
pas été dit. Les conditions verbales de la cession
constatées par le juge de première instance n'ont
pas été acceptées non plus par le gouverneur en
conseil comme l'exige la Loi. Ce qui a été accepté
par le décret C.P. 1957-1606, du 6 décembre 1957,
c'est «l'acte de cession en date du 6 octobre 1957,
ci-annexé». Il s'agit donc d'une acceptation incon-
ditionnelle de l'acte de cession écrit, sans réfé-
rence, expresse ou tacite, à d'autres conditions.
La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt St.
Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited
v. The King, [1950] R.C.S. 211 [confirmant la
décision de la Cour de l'Échiquier], a statué que
l'absence de directives du gouverneur en conseil,
qu'exige la Loi sur les Indiens, était une cause
d'invalidité d'un bail, le juge Rand étant d'avis
que, compte tenu de l'importance de la responsabi-
lité imposée au gouvernement par la législation, il
ne pouvait y avoir délégation à un fonctionnaire du
Ministère. La Cour de l'Échiquier, [1950] R.C.É.
185 [à la page 195], rejetant une exception fondée
sur l'estoppel, a cité l'arrêt Ontario Mining Com
pany, Limited v. Seybold and Others, [1903] A.C.
73 [P.C.], à la page 84, dans lequel lord Davey
disait [TRADUCTION] «la province ne saurait être
liée par de prétendus actes d'acquiescement de la
part de divers fonctionnaires des ministères quand
les organes administratifs ou exécutifs compétents
du gouvernement provincial n'en ont pas été infor
més, quand ils ne les ont pas autorisés et quand ils
ne sont pas attestés par un décret ni aucun autre
acte authentique». Toutefois, même si les condi
tions de la cession pouvaient être rendues valides
par l'aval d'un fonctionnaire du Ministère, le pre-
mier juge n'a pas conclu que les conditions verba-
les qu'il avait retenues avaient effectivement été
acceptées par Anfield ou par un autre fonction-
naire du Ministère et, à mon avis, les preuves
administrées ne l'auraient pas autorisé à le faire. Il
était entendu que le bail serait conclu avec le club
de golf, pour un terme maximum de 75 ans et un
loyer initial de 29 000 $ l'an. Sur la question des
reconductions de 15 ou 10 ans, nous pouvons dire
seulement que la bande indienne a demandé ins-
tamment des reconductions de dix ans, que le
Ministère y était également favorable et que ce
dernier s'était engagé à s'employer de son mieux à
l'obtenir. De même, au sujet de la limitation des
hausses de loyer à 15 %, il nous est permis de
conclure seulement que la bande indienne y était
opposée, de même que le Ministère, et que celui-ci
a promis de faire de son mieux pour que la clause
soit supprimée. Le premier juge a estimé que le
mode d'établissement du loyer pour les reconduc-
tions (la clause compromissoire et les modalités
d'évaluation de l'immeuble) n'a fait l'objet d'au-
cun débat. Quant aux améliorations, il faut dire
qu'Anfield a laissé entendre à la bande indienne, à
plusieurs reprises, qu'elles lui reviendraient bien
que l'offre du club de golf du 4 avril 1957 ait
stipulé le contraire. En outre, il a laissé Howell
procéder à la révision de son évaluation d'un ren-
dement équitable pour la durée initiale du bail sur
cette base et a eu recours à son avis pour convain-
cre la bande indienne d'accepter un montant de
29 000 $ l'an pour le premier loyer. Peut-être espé-
rait-il sincèrement parvenir à faire modifier cette
clause. Comme il n'est plus là pour témoigner,
nous ne le savons pas. Si troublant que me paraisse
cet aspect de l'affaire, on ne peut en déduire
qu'Anfield s'est engagé à conclure un bail aux
conditions verbales constatées par le premier juge.
Si la constatation par le juge d'un manquement à
une fiducie suppose l'existence d'une clause sup-
plémentaire à la cession qui aurait obligé les repré-
sentants du Ministère à se présenter de nouveau
devant la bande pour obtenir une autorisation ou
des directives, au cas où il ne pourrait conclure un
bail conforme aux conditions verbales retenues par
le premier juge, ce dernier a également constaté,
dans cette mesure, que les représentants du Minis-
tère ne s'estimaient probablement pas liés par cette
obligation.
En disposant qu'une cession peut être condition-
nelle, la Loi prévoit clairement que l'acte de ces
sion peut inclure ou mentionner des conditions
votées et approuvées par la bande indienne. L'ap-
pelante a fait remarquer au cours du débat qu'une
cession par la bande indienne Squamish, en date
du 15 avril 1956, portant sur la réserve indienne
Capilano n° 5, comportait la stipulation suivante:
[TRADUCTION] «Sous réserve toutefois des condi
tions suivantes: "que tous les baux conclus en vertu
de la présente cession seront conformes aux condi
tions pécuniaires ou autres que le conseil de bande
approuvera par résolution".» On trouve un autre
exemple de cession conditionnelle dans l'affaire
Reference re Stony Plain Indian Reserve No. 135
(1981), 130 D.L.R. (3d) 636 [C.A.] Alb.), à la
page 640]: [TRADUCTION] «Aucun bail relatif à un
terrain cédé ne sera conclu par le Ministre sans
l'aval du conseil de bande.» L'avocat de l'appelante
a prétendu que la présente action visait simple-
ment à persuader la Cour d'incorporer une condi
tion de ce genre dans la cession Musqueam.
Les intimés se fondent notamment sur l'arrêt de
la Cour d'appel de l'Ontario Regina v. Taylor et
al. (1981), 62 C.C.C. (2d) 227, pour affirmer qu'il
peut y avoir des conditions ou modalités verbales à
une cession. Cette espèce portait sur l'effet d'un
traité indien sur leurs droits de pêche et de chasse.
La lettre du traité ne comportait aucune clause à
leur sujet, mais la Cour a eu recours à des condi
tions orales attestées par les procès-verbaux d'une
assemblée du conseil que les parties reconnais-
saient comme incorporées au traité. Le juge en
chef adjoint MacKinnon de la Cour d'appel de
l'Ontario, prononçant l'arrêt, dit aux pages 230 et
231: [TRADUCTION] «Les avocats des deux parties
à l'appel sont convenus que les procès-verbaux de
cette assemblée du conseil ont constaté l'élément
oral du traité de 1818 et qu'ils font partie de ce
traité au même titre que les clauses écrites de
l'accord provisoire.» Ainsi l'admission des condi
tions verbales n'était pas contestée comme en l'es-
pèce. Les dispositions de la Loi sur les Indiens
régissant les cessions n'étaient pas en cause. Le
litige portait sur l'interprétation des conditions
verbales reconnues par les parties comme formant
partie intégrante du traité. A cet égard, le juge en
chef adjoint MacKinnon dit aux pages 232 et 233:
[TRADUCTION] Les affaires concernant les droits indiens ou
aborigènes ne peuvent jamais être décidées dans l'abstrait. Il
importe de tenir compte de l'histoire et des traditions orales des
tribus concernées et des circonstances prévalant à l'époque du
traité, sur lesquelles les parties se sont appuyées pour détermi-
ner les incidences du traité. S'il n'est pas possible de remédier à
ce que nous percevons maintenant comme des erreurs du passé,
puisque trop de temps s'est écoulé, il est néanmoins essentiel et
conforme aux principes établis et acceptés que les tribunaux
s'abstiennent de créer de nouveaux griefs par une vision dis-
tante et abstraite des événements de l'époque.
En l'espèce, les avocats de toutes les parties s'accordaient
pour dire que nous pouvions, et même que nous devions, tenir
compte de l'histoire de la période et du lieu ainsi que des
documents et archives de l'Ontario Historical Society relatifs à
ce traité et à ceux qui l'ont négocié. La Couronne estimait que
l'analyse historique des circonstances favorisait sa thèse, selon
laquelle les Indiens entendaient céder leurs droits de chasse et
de pêche. L'avocat des intimés pensait le contraire.
Cette déclaration concernait l'interprétation de
conditions verbales reconnues par les parties
comme faisant partie intégrante du traité, à la
lumière de documents historiques dont les parties
jugeaient également utile de tenir compte. Cela ne
nous aide pas, à mon avis, lorsqu'il s'agit d'appli-
quer les exigences formelles de la Loi sur les
Indiens régissant la validité d'une cession.
Vu ma conclusion sur cet aspect des débats, il
est inutile d'étudier les autres arguments de l'appe-
lante relatifs aux conditions verbales constatées
par le premier juge, bien qu'à mon avis, ils aient
une force considérable: je pense notamment à l'ar-
gument selon lequel la preuve testimoniale des
conditions ne devrait pas être admise pour modi
fier, voire contredire, les conditions d'un écrit
valide, et à l'argument selon lequel la conclusion
du premier juge sur l'existence de conditions ver-
bales est fondée sur des constatations qui ne satis-
font pas aux exigences de certitude, en matière de
fiducie, quant à son objet et quant à la manière
dont le bien doit être administré. En conséquence,
je suis d'avis que les conditions verbales de la
cession retenues par le premier juge ne permet-
taient pas, en droit, de conclure à la responsabilité
ni d'accorder des dommages-intérêts.
Subsidiairement, les intimés soutiennent qu'il y
a eu constitution d'une fiducie par l'acte de cession
et que la Couronne a manqué à cette fiducie parce
qu'elle n'a pas apporté la diligence et le soin requis
à la location du terrain. Je vais maintenant traiter
du moyen de l'appelante selon lequel le titre ou
droit indien grevant le terrain réservé n'était pas
un droit de propriété et ne pouvait donc faire
l'objet d'une fiducie constituée par la cession. Le
premier juge ne s'est pas prononcé sur ce point.
Il est clair, d'après les définitions du mot «fidu-
cie» (voir Underhill's Law of Trusts and Trustees,
13° éd., 1979, aux pages 1, 17, et Waters, Law of
Trusts in Canada, 1974, page 5) que l'objet d'une
fiducie doit être un bien et que sans bien il ne peut
y avoir fiducie. La certitude quant au bien, objet
de la fiducie, est un des éléments nécessaires de la
validité d'une fiducie.
Il ne fait aucun doute que la propriété, en
common law, du terrain réservé est dévolue à la
Couronne. Cela ressort manifestement de la juris
prudence ainsi que de la définition à l'article 2
[alinéa o] de la Loi sur les Indiens du terme
«réserve»: «une parcelle de terrain dont le titre
juridique est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a
mise de côté à l'usage et au profit d'une bande». La
nature précise et le contenu du titre ou droit indien
ont fait l'objet d'une abondante jurisprudence,
mais demeurent des notions difficiles à saisir. On a
parlé à ce sujet de «charge grevant le titre de la
Couronne», d'«usufruit» par nature, de «droit per
sonnel» en ce qu'il ne peut être aliéné que par
cession à la Couronne, de droit d'occupation, et de
droit de possession. Cette énumération n'est sans
doute pas exhaustive. On a dit aussi qu'à l'extinc-
tion du titre indien par cession ou autrement, tous
les principaux attributs de la propriété du terrain
cédé passaient à la province où il était situé, à
moins que les droits de la province n'aient eux-
mêmes été cédés au Canada. La définition du titre
indien qui a eu la plus grande incidence au Canada
a été formulée dans plusieurs décisions du Conseil
privé, dont notamment les arrêts St. Catherine's
Milling and Lumber Company v. The Queen
(1888), 14 App. Cas. 46; Attorney -General for the
Dominion of Canada v. Attorney -General for
Ontario (la première affaire des rentes indiennes),
[1897] A.C. 199; Ontario Mining Company,
Limited v. Seybold and Others, [1903] A.C. 73; et
Attorney -General for the Province of Quebec and
Others v. Attorney- General for the Dominion of
Canada and Another (l'affaire Star Chrome),
[1921] 1 A.C. 401. Dans l'affaire St. Catherine's
Milling, le titre indien en cause était celui que
reconnaissait la Proclamation royale du 7 octobre
1763 [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 1], et il fallait
déterminer si, après extinction de ce titre par
cession, le droit de propriété du terrain passait à la
province ou au Dominion. Lord Watson dit à la
page 54: [TRADUCTION] «les Indiens avaient un
droit personnel, de la nature d'un usufruit, dépen-
dant du bon plaisir du souverain». A la page 55, il
dit que le Comité judiciaire n'entendait pas se
prononcer sur [TRADUCTION] «la nature exacte du
droit indien» mais qu'il suffisait de dire que [TRA-
DUCTION] «la Couronne a toujours eu un droit
fondamental et suprême sous-jacent au titre
indien, et qui est devenu un plenum dominium dès
que le titre indien a été cédé ou autrement éteint».
Plus loin, il ajoutait [TRADUCTION] «La Couronne
a toujours eu un droit de propriété sur le terrain
que le titre indien grevait simplement d'une
charge» (page 58) et parlait du [TRADUCTION]
«droit des provinces à tous les attributs principaux
du droit de propriété sur ces terrains, dont elles
peuvent percevoir les revenus dès que le droit de la
Couronne est purgé du titre indien» (page 59).
Dans l'arrêt Star Chrome, la définition du titre
indien donnée dans l'arrêt St. Catherine's Milling
a été appliquée par le Conseil privé au droit indien
grevant un terrain constitué en réserve dans le
Bas-Canada par décret pris selon une loi de 1851
(14 & 15 Vict., chap. 106) de l'assemblée législa-
tive de la Province du Canada. On a soutenu que le
Dominion avait eu raison, aux fins de la cession du
terrain en 1882, de la traiter comme une «réserve»
aux termes de la Loi fédérale sur les Indiens. Une
loi de 1850 (13 & 14 Vict., chap. 42) de la
Province du Canada portait que les terres conser
vées pour les Indiens étaient dévolues au commis-
saire des terres indiennes du Bas-Canada, en fidu-
cie pour les Indiens. Il fallait décider si le titre de
propriété du terrain revenait, après cession, à la
Couronne du chef de la province ou à la Couronne
du chef du Dominion. Le Dominion soutenait que
la Loi de 1850 conférait le titre de propriété, tant
en common law qu'en equity, au commissaire, en
fiducie pour les Indiens, et que par la cession le
titre avait été transporté à la Couronne du chef du
Dominion. Le juge Duff, auteur de l'arrêt du
Conseil privé, dit, à la page 408, que le droit indien
reconnu par la Loi de 1850 était [TRADUCTION]
«un droit de la nature d'un usufruit seulement et
un droit personnel en ce sens que, par sa nature, il
est inaliénable, sauf par cession à la Couronne». Il
dit, à la page 411: [TRADUCTION] «la Loi de 1850
ne crée pas un droit réel en equity grevant les
terres qui sont conservées pour une tribu indienne
et dont le commissaire a la garde au profit des
Indiens; le titre de propriété demeure dévolu à la
Couronne, le commissaire n'en a la garde qu'afin
d'exercer les pouvoirs de gestion et d'administra-
tion que lui confère la Loi». Finalement, la Loi de
1850 n'a pas altéré le principe consacré dans l'ar-
rêt St. Catherine's Milling, selon lequel, à la ces
sion du titre indien, tous les principaux attributs
du droit de propriété du terrain vont à la province.
L'arrêt Calder, et autres c. Le Procureur Géné-
ral de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S.
313, traite de la question de l'extinction du titre
aborigène indien mais l'analyse porte également
sur la nature du titre aborigène. Les avis étaient
partagés sur la question de savoir si le titre indien
en cause était fondé sur la Proclamation royale du
7 octobre 1763, mais cela ne paraît pas avoir eu
d'incidence sur les vues exprimées quant à la
nature du titre indien. Le juge Judson, dont les
juges Martland et Ritchie partagent l'opinion dans
cette décision, dit que tout examen de la nature du
titre indien doit commencer avec l'arrêt St. Cathe-
rine's Milling; mais il ajoute, à la page 328, que
les termes «personnel» et «usufruit» (employés par
lord Watson dans cette affaire pour qualifier le
titre indien) ne facilitent pas la solution du problè-
me dont la Cour est saisie. Il examine la jurispru
dence de la Cour suprême des États-Unis relative à
la nature du titre aborigène et fait remarquer [à la
page 320] que les juridictions inférieures dans
l'affaire St. Catherine's Milling ont été fortement
influencées par les arrêts du juge en chef Marshall
dans Johnson et al. v. M'Intosh 21 U.S. 240
(1823), et Worcester v. State of Georgia, 31 U.S.
530 (1832). Ces affaires décrivaient le titre abori-
gène comme un [TRADUCTION] «droit d'occupa-
tion» fondé sur la possession de la terre depuis les
origines. Le juge Judson tient également compte
de la jurisprudence où s'était posé la question de
savoir si le titre aborigène était un titre de pro-
priété aux termes du Cinquième Amendement de
la Constitution des États-Unis, qui dispose que la
propriété privée ne saurait être prise à des fins
publiques sans une juste indemnisation. Se réfé-
rant à l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis
United States v. Alcea Band of Tillamooks et al.
(la deuxième affaire Tillamooks), 341 U.S. 48
(1951), qu'avait commentée la Cour dans l'arrêt
Tee -Hit -Ton Indians v. United States, 348 U.S.
272 (1955), le juge Judson dit à la page 343:
«Dans le second arrêt Tillamooks, la cour a donc
conclu que le titre aborigène ne constituait pas une
propriété privée pouvant faire l'objet d'une indem-
nisation en vertu de l'Amendement.» Il cite ensuite
[à la page 344] le passage suivant de [la page 279
de] l'arrêt Tee- Hit -Ton relativement à la nature
du titre aborigène, qui est aussi invoqué par l'appe-
lante: [TRADUCTION] «Il ne s'agit pas d'un droit
de propriété, mais en quelque sorte, d'un droit
d'occupation que le Souverain accorde et qu'il
protège contre l'empiétement par des tiers; mais le
souverain peut éteindre ce droit d'occupation et
peut vendre les terres sans encourir d'obligation
juridiquement exécutoire d'indemniser les
Indiens.» D'autre part, comme les intimés le souli-
gnent, le titre indien reconnu dans les traités qui
ont constitué des réserves [TRADUCTION] «pour
l'usage et l'occupation paisible et absolue» des
Indiens, a déjà été considéré par la Cour suprême
des États-Unis comme un droit de «propriété» aux
termes du Cinquième Amendement: Shoshone
Tribe of Indians v. United States, 299 U.S. 476
(1937) et United States v. Sioux Nation of
Indians et al., [448 U.S. 371]; 65 LEd2d 844
(1980). Dans l'arrêt Sioux Nation, la Cour a jugé
[à la page 415 U.S., note 29] que ce principe ne
s'appliquait que dans [TRADUCTION] «les cas où
"le Congrès par traité ou autre entente a déclaré
que dorénavant les terres reviendraient aux Indiens
définivement"». Dans l'arrêt Calder, le juge Hall
[dissident], avec l'accord des juges Spence et
Laskin dit, à la page 352, qu'il n'est pas nécessaire
de préciser la nature et l'étendue exacte du titre
indien puisqu'il s'agit de déterminer s'il a été
éteint; mais il paraît présumer qu'il y aurait
indemnisation en cas d'expropriation. Il dit, tou-
jours à la page 352: «La demande ne vise pas un
titre de propriété en soi, mais plutôt, son objet est
analogue à un titre ou droit en «equity», (voir
Cherokee Nation v. State of Georgia [(1831), 5
Peters 1, 30 U.S. 1]) à un usufruit et à un droit
d'occupation de biens-fonds et de jouissance de
fruits de la terre, de la forêt et de rivières et cours
d'eau ne niant absolument pas le titre suprême de
la Couronne reconnu par le droit des gens.» Le
juge Hall cite aussi, en l'approuvant, ce qu'avait
dit le vicomte Haldane du titre indigène dans
l'arrêt Amodu Tijani v. The Secretary, Southern
Nigeria, [1921] 2 A.C. 399 [P.C.], arrêt qu'ont
invoqué tout particulièrement les intimés pour sou-
tenir que le titre indien est de la nature d'un droit
de propriété.
Dans l'arrêt Amodu Tijani, il s'agissait de déci-
der si un chef de Lagos, propriétaire d'une terre au
nom de sa communauté, avait droit à une indemni-
sation pour l'expropriation de la terre à des fins
publiques, parce que la terre était cédée en pleine
propriété. L'ordonnance applicable prévoyait que
lorsqu'un bien-fonds à des fins publiques apparte-
nait à une communauté indigène, le chef de cette
communauté pouvait céder le titre de propriété de
la communauté. Les juridictions inférieures jugè-
rent que le chef n'avait droit qu'à l'indemnisation
d'un [TRADUCTION] «droit seigneurial» de contrôle
et d'administration. Le Conseil privé jugea qu'il y
avait lieu à une indemnisation sur la base d'un
transfert du bien-fonds en pleine propriété. Selon
le vicomte Haldane [à la page 402], le litige
dépendait de [TRADUCTION] «la véritable nature
du titre autochtone sur la terre» et, aux pages 402
et 403, il dit ceci au sujet de la définition du titre
aborigène, en faisant allusion au titre des Indiens
au Canada:
[TRADUCTION] En premier lieu, Leurs Seigneuries veulent
faire remarquer qu'en déterminant la nature du titre des indigè-
nes sur des biens-fonds non seulement au Nigéria du sud, mais
en d'autres parties de l'Empire britannique, il est essentiel de se
montrer extrêmement prudent. On a tendance, parfois incons-
ciemment, à concevoir ce titre selon des termes ne s'appliquant
bien qu'aux systèmes fondés sur le droit anglais. Mais il faut
contrôler étroitement cette tendance. Règle générale, dans les
divers systèmes de droit aborigène à travers l'Empire on ne
retrouve pas la distinction complète qui existe entre la propriété
et la possession et avec laquelle les avocats anglais sont fami-
liers. Une forme très habituelle de titre chez les aborigènes est
l'usufruit, simple restriction ou charge sur le titre radical ou
final du Souverain, le cas échéant. Le titre du Souverain n'est
alors qu'un pur intérêt juridique, auquel peuvent se joindre ou
non des droits de propriété réels. Mais cet intérêt est restreint
par le droit de l'usager bénéficiaire, lequel ne prend pas néces-
sairement une forme précise analogue à un droit de propriété
ou peut, lorsqu'il prend pareille forme, découler de l'introduc-
tion de la jurisprudence anglaise par simple analogie. Leurs
Seigneuries ont déjà énoncé ailleurs des principes de ce genre,
relativement au titre que les Indiens ont sur les réserves cana-
diennes. [Voir (1888), 14 App. Cas. 46 et [1920] 1 A.C. 401.]
Mais le titre des Indiens du Canada ne constitue aucunement le
seul exemple de la nécessité de se débarrasser de la présomption
que la propriété immobilière se subdivise naturellement en
droits distincts, conçus comme créés en vertu de principes
juridiques inhérents. Même lorsque le droit de propriété abso-
lue est clairement reconnu comme étant le droit immobilier le
plus complet en droit, il ne s'ensuit pas qu'en dehors de
l'Angleterre, il puisse se fractionner. En Écosse, le fait de
détenir un bien en viager ne comporte aucun titre de franche
propriété; selon le droit écossais, il s'agit simplement d'une
charge sur un droit de pleine propriété ne pouvant pas se
diviser. En Inde, un principe à peu près identique s'applique. Il
n'existe aucune division du droit de propriété en droits incorpo-
rels de propriété successifs et distincts, conçus comme existant
indépendamment de la possession.
Le vicomte Haldane rappelle alors que le titre
aborigène était celui de la collectivité, non celui
d'un individu. Il dit, aux pages 403 et 404: [TRA-
DUCTION] «Une telle communauté peut avoir la
possession, la jouissance collective d'un usufruit,
avec des règles coutumières en vertu desquelles les
membres individuels ont un droit de jouissance et
même un droit d'aliénation de ce droit de jouis-
sance en tant que membre de la collectivité, entre
vifs ou par succession.» Et, aux pages 409 et 410, il
ajoute: [TRADUCTION] «Leurs Seigneuries, croient
que le savant juge en chef, dans le jugement ainsi
résumé, qui nie de fait l'existence juridique de
l'usufruit de la collectivité, a omis de reconnaître
le véritable caractère du titre d'une collectivité
aborigène sur les biens-fonds qu'elle occupe. Ce
titre, comme elles l'ont signalé, est prima facie
fondé non pas sur quelque propriété particulière au
sens du droit anglais, mais sur un droit commun
d'occupation communautaire de la nature d'un
usufruit, qui peut être si absolu qu'il réduit tout
droit radical du Souverain en un droit comparati-
vement restreint d'intervention à des fins adminis-
tratives.»
Comme nous venons de le voir dans l'arrêt St.
Catherine's Milling, la définition du titre indien
reconnu par la Proclamation royale de 1763 a été
appliquée par le Conseil privé dans l'affaire Star
Chrome au droit réel grevant une réserve, qui avait
été constituée pour les Indiens par décret pris en
application de la législation de la Province du
Canada prévoyant la création de réserves, puis
avait été cédée conformément à la Loi fédérale sur
les Indiens en 1882. Il existe néanmoins une juris
prudence abondante affirmant que, quoi que l'on
puisse dire du titre aborigène, reconnu ou non par
la Proclamation royale de 1763, le titre ou droit
indien grevant la réserve en vertu de la Loi sur les
Indiens n'est qu'un droit de possession. Cette con
clusion est fondée sur la nature que les dispositions
de la Loi sur les Indiens paraissent attribuer aux
droits d'une bande indienne sur le bien-fonds
réservé. Voir les espèces The Queen v. Devereux,
[1965] 1 R.C.É. 602, à la page 609; Joe et al. v.
Findlay (1978), 87 D.L.R. (3d) 239 [C.S.C.-B. en
cabinet], aux pages 241 et 242. Cette conclusion
est fondée en partie sur les dispositions de la Loi
qui reconnaissent que la concession par la bande
indienne, avec l'aval du Ministre, d'un terrain de
la réserve à un de ses membres confère à ce dernier
un droit de possession sur ce terrain transmissible
à la bande ou à l'un de ses membres. Si donc,
soutient-on, la bande indienne peut concéder un
droit de possession, il faut qu'elle détienne elle-
même un droit de possession. L'affaire Devereux
portait sur un recours, fondé sur l'article 31 de la
Loi [S.R.C. 1952, chap. 149], en vue de reprendre
la possession d'une partie de la réserve au nom de
la bande indienne ou d'un membre de celle-ci.
L'affaire Joe et al. v. Findlay concerne l'action de
common law relative à l'intrusion (trespass). Dans
l'affaire Devereux, en Cour suprême du Canada,
[1965] R.C.S. 567, la majorité était en désaccord
avec l'opinion de la Cour de l'Échiquier sur le
point de savoir si le recours fondé sur l'article 31
pouvait être engagé au nom de la bande lorsque
celle-ci avait concédé le terrain en question à un
membre, mais sans commenter la définition du
droit de la bande sur la réserve comme droit de
possession. Dans sa dissidence, le juge Cartwright
(tel était alors son titre) approuvait expressément
cette définition. En Cour d'appel de la Colombie-
Britannique, dans l'arrêt Joe et al. v. Findlay
(1981), 122 D.L.R. (3d) 377, le juge Carrothers
décrit le titre ou droit indien grevant une réserve
aux termes de la Loi sur les Indiens de la façon
suivante (page 379): [TRADUCTION] «Ce droit
légal d'usage, souvent qualifié par la jurisprudence
d'usufruit (mauvais équivalent emprunté au droit
romain), est un droit collectif commun conféré et
dévolu aux membres de la bande indienne dans
leur ensemble et non individuellement. Pour une
analyse de la nature de ce droit de possession voir
l'arrêt St. Catherine's Milling & Lumber Co. v.
The Queen (1888), 14 App. Cas. 46.» Et, à propos
de ce droit de possession que la bande indienne
peut concéder à l'un de ses membres, il dit (pages
379 et 380): [TRADUCTION] «Je souligne que nous
nous bornons à examiner le droit de possession ou
d'occupation d'une partie de la réserve, droit sur
une chose commune que la loi confère à l'ensemble
de la bande indienne et qui peut, avec le consente-
ment de la Couronne, être concédé en partie à des
membres individuels de la bande, leur attribuant
ainsi tous les principaux attributs de la propriété
sur la parcelle concédée à l'exception du titre en
common law sur le bien-fonds lui-même qui reste
dévolu à la Couronne: Brick Cartage Ltd. v. The
Queen [1965] 1 R.C.É. 102.» Dans l'arrêt Brick
Cartage, le juge Cattanach parle du droit indien
grevant un terrain réservé conformément à la Loi
sur les Indiens comme d'un [TRADUCTION] «droit
de possession» et il dit, à la page 106: [TRADUC-
TION] «Cette Loi comporte des dispositions en
vertu desquelles le droit de possession d'une bande
indienne sur des lots particuliers de la réserve peut
être dévolu à un individu et avoir ainsi, à toutes
fins pratiques, tous les attributs de l'équivalent de
la propriété absolue en common law.»
Le professeur K. Lysyk (maintenant le juge
Lysyk) dans son article «The Indian Title Question
in Canada: An Appraisal in the Light of Calder» *,
(1973) 51 R. du B. Can. 450, la page 473, dit
que le titre indien équivaut à un droit de propriété
en equity sur le bien-fonds. Il tire cette conclusion
de ce qui a été dit dans l'arrêt St. Catherine's
Milling et des décisions ultérieures du Conseil
privé (précitées) sur l'effet de l'extinction du titre
indien: avant cette extinction, la propriété du ter
rain ne revient pas à la province; elle ne lui est
transférée ou remise que par cette extinction du
titre indien. Il y a, à mon avis, beaucoup de vrai
dans cette opinion. Pour les raisons suggérées par
le vicomte Haldane dans l'arrêt Amodu Tijani,
également cité par le professeur Lysyk, si le titre
indien ne peut strictement être qualifié de droit de
propriété sur le terrain, il équivaut à la même
chose. Il enlève à la Couronne les principaux attri-
buts de la propriété. Il grève le titre de la Cou-
ronne à tel point qu'il est, à mon avis, très proche
du droit de propriété. Je suis donc d'avis qu'il peut
y avoir fiducie.
J'en viens maintenant à la question de savoir si,
à la lumière de la distinction confirmée dans les
arrêts Kinloch et Tito v. Waddell, l'article 18 de la
Loi sur les Indiens et la cession ont créé une
fiducie au sens strict, comme le soutiennent les
intimés, ou au contraire s'ils n'ont établi qu'une
fiducie «au sens large», c'est-à-dire une obligation
* N.D.T. [TRADUCTION] «La question du titre indien au
Canada: une réévaluation à la lumière de l'arrêt Calder».
gouvernementale, comme le prétend l'appelante.
Avant d'aborder cette question, il faut statuer sur
l'opposition des intimés à l'emploi par l'appelante
de l'expression «fiducie politique» pour définir la
responsabilité de la Couronne aux termes de la Loi
sur les Indiens et de la cession dans le cas de
terrains réservés et cédés. Les intimés veulent
empêcher l'appelante de recourir à cette notion
parce qu'il s'agirait d'une défense qui, aux termes
de la Règle 409 des Règles de la Cour fédérale
[C.R.C., chap. 663], aurait dû être expressément
énoncée dans les écritures. Ayant été informé,
avant l'instruction, de l'intention de l'appelante
d'invoquer cette «fiducie politique», l'avocat des
intimés a fait savoir qu'il s'y opposerait, parce que
cet argument n'avait pas été expressément édicté
et parce qu'il n'avait pas pu procéder à un interro-
gatoire préalable à ce sujet. Au vu de cette objec
tion, le premier juge a autorisé l'appelante à révi-
ser sa défense pour invoquer la «fiducie politique»,
les intimés ayant alors le droit de procéder à un
interrogatoire préalable. Il dit: [TRADUCTION]
«Mes directives sont les suivantes: si vous désirez
cette modification, le ministre des Affaires indien-
nes, si tel est bien son titre, ou le ministre de la
Justice, devront comparaître pour être interrogés
au préalable sur cette question.» L'appelante n'a
pas modifié sa défense pour plaider la «fiducie
politique» et le juge de première instance a fait le
commentaire suivant dans ses motifs [à la page
416]:
En plaidoirie, l'avocat de la défenderesse a tenté de soutenir
que s'il existait une fiducie, ce ne pouvait être qu'une [TRADUC-
TION] «fiducie politique» (»political trust») que seul le législa-
teur pourrait sanctionner. Je ne comprends pas exactement ce
que l'on entend par «fiducie politique». Le juge Rand, dans
l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited c.
Le Roi ([1950] R.C.S. 211), se référant à la Loi sur les
Indiens, a employé l'expression [TRADUCTION] «obligation poli-
tique» (»political trust»); à la page 219, il dit:
[TRADUCTION] Je conviens cependant que l'art. 51
requiert un ordre du gouverneur en conseil pour valider une
concession de terre indienne. Le libellé de la loi consacre le
principe acquis que les autochtones sont, en fait, des pupilles
de l'État, dont la subsistance et le bien-être constituent une
obligation politique du niveau le plus élevé. Pour cette raison,
tout acte qui affecte leurs privilèges doit être marqué au coin
de l'approbation gouvernementale, et le gouverneur en con-
seil commettrait un excès de pouvoir s'il déléguait cette
responsabilité au surintendant général.
L'avocat des demandeurs s'est opposé à toute argumentation
à ce sujet, motif pris que rien n'avait été articulé en ce sens
dans les écritures. J'ai autorisé la défenderesse, selon des termes
bien précis, à modifier sa défense pour soulever cette question.
Mais s'il y avait modification, les demandeurs devenaient alors
en droit d'interroger au préalable le ministre de la Couronne
responsable au sujet des faits sur lesquels la défenderesse fonde
son argument. La défenderesse a en conséquence choisi de ne
pas se prévaloir de cette possibilité de modifier la défense.
Je ne traiterai donc pas plus avant de la défense de »fiducie
politique».
À l'audition de l'appel, les intimés ont soutenu
que, puisque l'appelante n'avait pas formé appel de
l'ordonnance du juge de première instance autori-
sant la modification afin de plaider la «fiducie
politique», il lui était en fait interdit d'invoquer
cette notion lorsqu'elle prétendait que ni la Loi sur
les Indiens ni la cession n'avaient créé de fiducie
au sens strict. A mon avis, cette exception est sans
fondement. L'expression «fiducie politique» n'est
qu'une autre façon de parler de la fiducie «au sens
large» que mentionnent les arrêts Kinloch et Tito
v. Waddell. C'est un moyen de droit ouvert à
l'appelante par sa défense, puisqu'elle nie que la
Couronne détenait en fiducie pour la bande
indienne le bien-fonds ou un droit sur celui-ci.
Cela ne soulève aucune nouvelle question de fait.
À l'appui de leur prétention que l'article 18 de la
Loi sur les Indiens et la cession ont constitué une
fiducie au sens strict, les intimés invoquent plus
particulièrement l'arrêt de la Cour suprême du
Canada Miller v. The King [1950] R.C.S. 168. La
nature des demandes et le litige dont la Cour était
saisie et les divergences d'opinions des juges
m'obligent à faire une analyse détaillée de cette
décision. L'appelant avait présenté une pétition de
droit contre la Couronne pour manquement à une
fiducie et inexécution d'un contrat à l'égard de
terres indiennes et de la façon dont on avait dis-
posé de sommes d'argent appartenant aux Indiens.
La demande faisait valoir trois moyens: a) l'ab-
sence d'indemnisation pour les terres cédées inon-
dées; b) l'aliénation à titre gratuit des terres cédées
à une compagnie de navigation sans indemnité
pour les Indiens; c) l'emploi du produit de la vente
du bien-fonds cédé pour l'achat d'actions de la
compagnie de navigation. Les deux premiers
moyens étaient fondés sur le manquement à une
fiducie. Le troisième, sur l'inexécution de [TRA-
DUCTION] «une entente contractuelle» entre les
Indiens et le gouvernement du Haut-Canada, en
vertu de laquelle le gouvernement devait vendre les
terres cédées, recevoir le prix d'achat et l'employer
au bien-être des Indiens. La Cour suprême du
Canada devait se prononcer sur la question préli-
minaire de droit suivante: à supposer que les allé-
gations de la pétition de droit soient exactes,
compte tenu des détails fournis, y avait-il lieu à
pétition de droit contre la Couronne pour le redres-
sement demandé? La Cour jugea qu'il n'y avait
pas lieu à pétition de droit dans le cas des deux
premiers moyens parce que, s'il y avait eu manque-
ment à une fiducie, il était antérieur à la constitu
tion de la Province du Canada par l'Acte d'Union,
1840 [3 & 4 Vict., chap. 35 (R.-U.); S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 4], et que, s'il y avait responsabi-
lité, elle ne pouvait pas être imputée au Canada en
vertu de l'article 111 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.); S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]. En
revanche, il y avait lieu à pétition de droit dans le
cas du troisième moyen puisque les sommes d'ar-
gent versées pour l'achat des actions de la compa-
gnie de navigation l'avaient été par le gouverne-
ment de la Province du Canada. Le juge Kerwin
(tel était alors son titre), appuyé par le juge Rand,
n'a pas évoqué la question de la fiducie. Le juge
Kellock, appuyé par le juge Taschereau (tel était
alors son titre), s'est étendu longuement sur la
question de savoir si la Couronne pouvait, en théo-
rie, être fiduciaire et sur celle de savoir s'il y avait
lieu à pétition de droit contre la Couronne pour
manquement à une fiducie. C'est sur l'opinion qu'il
a exprimée que les intimés s'appuient tout particu-
lièrement. L'appelant dans l'arrêt Miller v. The
King soutenait non seulement que la cession avait
créé une fiducie, mais que dès son origine, en 1784,
le ministère des Affaires indiennes avait été
expressément constitué fiduciaire des terres et des
deniers des Indiens, pour leur bénéfice. Le juge
Kellock a jugé pertinentes ces allégations concer-
nant l'existence d'une fiducie dans le cas du troi-
sième moyen, apparemment comme un fondement
accessoire à l'«entente contractuelle» alléguée. Il a
cité [à la page 175] lord Atkin dans l'arrêt Civi
lian War Claimants, lord Selborne, lord Chance-
lier, dans l'arrêt Kinloch, et en particulier la dis
tinction faite entre une fiducie «au sens strict» et
une fiducie «au sens large», et l'ouvrage de Lewin
on Trusts [14° éd., page 25] pour justifier sa
conclusion, si je comprends bien ses motifs, que la
Couronne pouvait en principe agir comme fidu-
ciaire. Il s'est alors demandé si le sujet pouvait
faire sanctionner une fiducie contre la Couronne et
a conclu que la Cour de l'Échiquier était compé-
tente pour connaître d'une pétition de droit contre
la Couronne fondée sur le manquement à une
fiducie. Avec déférence, je ne pense pas que, dans
ses motifs, le juge Kellock a voulu conclure expres-
sément que, selon les faits articulés, il y avait eu
création d'une fiducie au sens strict, à la suite de la
cession ou en vertu de la loi régissant le ministère
des Affaires indiennes. La mention de l'arrêt Kin-
loch appuyait apparemment la conclusion que la
Couronne pouvait en principe agir comme fidu-
ciaire. Dans ses motifs, il déclarait à la page 174:
[TRADUCTION] «On dit que l'application à la Cou-
ronne (vraisemblablement dans des documents ou
des lois) de l'expression «fiduciaire des Indiens» et
aux Indiens eux-mêmes de «pupilles de Sa
Majesté» ne constitue pas un emploi technique de
ces termes mais une simple description de la rela
tion politique générale existant entre Sa Majesté et
les Indiens»; cependant il n'a pas répondu à cet
argument. Sans doute a-t-il présumé que les faits
justifiaient de constater qu'il y avait fiducie à la
seule fin de déterminer si la Cour pouvait faire
droit au recours, comme le passage suivant (page
177) le laisse entendre: [TRADUCTION] «Je ne vois
pas pourquoi en l'espèce, si les faits le justifient, on
ne pourrait dire que l'argent aux mains de la
Couronne lui est confié en fiducie et que l'appe-
lant, et ceux qu'il représente, sont bénéficiaires
[cestuis que trust], même si la cour ne peut enjoin-
dre à la Couronne de payer.» A la page 179, il dit:
[TRADUCTION] «Quoique l'affaire présente des
liens de la nature d'une fiducie, elle comporte aussi
les éléments ordinaires du contrat»; mais, à la page
180, il ajoute que la situation juridique précise de
la Couronne doit être déterminée en fonction de ce
qui est établi à l'instruction: [TRADUCTION] «Lors-
que l'historique de l'usage qui a été fait, à diverses
époques, de l'argent des Indiens ainsi remis, sera
retracé grâce aux archives officielles, la cour sera
en mesure de définir la situation et les obligations
juridiques, actuelles et passées, de la Couronne
vis-à-vis de ces sommes. Pour cela, l'affaire doit
être instruite.» Le juge Locke, cinquième membre
de la Cour, dit, à la page 182, qu'à son avis, la
question de savoir s'il y avait lieu à pétition de
droit contre la Couronne aux fins du redressement
demandé [TRADUCTION] «a été considérée à bon
droit comme soulevant aussi la question de savoir
si la pétition de droit révélait une cause d'action;
l'affaire a été décidée par le premier juge dans
cette optique». Quant à l'existence d'une cause au
troisième volet de la demande, le juge indique
clairement, à la page 186, qu'il la trouve dans
l'allégation d'inexécution de l'«entente contrac-
tuelle»: [TRADUCTION] «En outre, le même para-
graphe allègue que le gouvernement du Haut-
Canada devait conserver le produit de la vente des
terrains pour constituer une rente au profit des
pétitionnaires et de leur postérité, et que les
sommes versées pour acheter des actions de la
Grand River Navigation Company, l'ont été sans
l'autorisation des Indiens, contrairement à l'en-
tente conclue entre eux et la Couronne; dans la
mesure où sont visées les sommes déboursées par le
gouvernement de la Province du Canada, je suis
d'avis qu'il existe une cause d'action contre la
province.» A la page 186, il s'est déclaré en accord
avec ce qu'avait dit le juge Kellock sur la question
de la compétence: [TRADUCTION] «Quant au
second volet de la question, je suis d'avis qu'il y a
lieu à pétition de droit dans le cas du moyen
précité et que la Cour de l'Échiquier est compé-
tente par les motifs exposés par mon collègue, le
juge Kellock.»
Ainsi, dans la mesure où il était nécessaire pour
la Cour de conclure que la pétition de droit révélait
une cause d'action dans le cas du troisième moyen,
la majorité a jugé que l'allégation d'inexécution
d'un contrat, par opposition au manquement à une
fiducie, était une cause suffisante. On devrait aussi
noter que le troisième moyen visait l'obligation
relative à l'emploi des deniers indiens, de sorte que
les commentaires du juge Kellock sur la question
de la fiducie doivent être considérés dans ce con-
texte. Il ne parlait pas de la question de savoir si
l'article 18 de la Loi sur les Indiens ou une cession
conditionnelle imposaient une obligation d'equity
de traiter le terrain réservé ou cédé d'une certaine
manière.
En la présente espèce, le premier juge cite l'arrêt
Tito v. Waddell au sujet de la distinction qu'invo-
que l'appelante; mais il n'explique pas comment
cette distinction et le raisonnement suivi dans les
arrêts Kinloch et Tito v. Waddell l'ont amené à
conclure que la cession constituait une fiducie au
sens strict. Voici ce qu'il dit [aux pages 415 et
416]:
Les actes de cession (pièce 53) eux-mêmes énoncent expres-
sément que les 162 acres seront cédées à la Couronne «...
définitivement, en fiducie, pour location ...». La Loi sur les
Indiens prévoit, selon mon interprétation, que la défenderesse
peut devenir fiduciaire, au sens juridique, des bandes indiennes.
Elle mentionne que la Couronne possède certains biens-fonds
pour l'usage et le profit des bandes indiennes et certaines
sommes d'argent pour leur usage et profit. (Voir les alinéas
2(1)a), h) et o).) L'article 18, par exemple, dispose que les
réserves sont détenues pour l'usage et au profit des bandes
indiennes. De même, le paragraphe 61(1) mentionne les
«deniers des Indiens» que la Couronne détient pour l'usage et le
profit des Indiens ou des bandes indiennes. Tout ce qui précède,
à mon avis, va dans le sens de l'existence d'une fiducie, que
sanctionnent les tribunaux.
Les arrêts Kinloch, Tito v. Waddell et Town
Investments Ltd. montrent que, dans un contexte
de droit public, ni l'emploi de l'expression «en
fiducie», ni la saisine d'un bien devant être
employé de quelque manière au profit d'un tiers,
ne permettent de conclure à l'intention de créer
une fiducie au sens strict. Les intimés ont affirmé
que les faits dans les arrêts Kinloch, The Hereford
Railway et Tito v. Waddell étaient très différents
et pouvaient être distingués de ceux de la présente
espèce. Cela est certain, mais la distinction établie
par cette jurisprudence et les considérations de
politique qui la sous-tendent sont pertinentes en
l'espèce.
L'appelante a mis l'accent sur le pouvoir discré-
tionnaire que l'article 18 de la Loi sur les Indiens
confère au gouvernement, soutenant qu'il démon-
tre bien l'absence d'intention de créer une obliga
tion d'equity, sanctionnée par les tribunaux, d'ad-
ministrer les terrains des réserves d'une certaine
manière. L'article 18 prévoit, comme nous l'avons
vu: «sauf la présente loi et les stipulations de tout
traité ou cession, le gouverneur en conseil peut
décider si tout objet, pour lequel des terres dans
une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve
à l'usage et au profit de la bande». L'existence d'un
pouvoir discrétionnaire, on se le rappellera, s'est
révélée un facteur déterminant dans les arrêts
Kinloch, The Hereford Railway et Tito v. Wad-
dell, car, selon les tribunaux saisis, il indiquait
l'intention d'exclure la compétence d'equity des
tribunaux. Dans l'arrêt Kinloch, il s'agissait du
pouvoir conféré au Secrétaire d'État de trancher
les questions litigieuses relatives au partage du
butin d'une manière définitive et concluante, sous.
réserve d'ordre contraire de Sa Majesté. Dans
l'arrêt The Hereford Railway, du pouvoir discré-
tionnaire d'accorder ou de refuser une subvention
pour la construction d'un chemin de fer. Dans
l'arrêt Tito v. Waddell, de la disposition de l'or-
donnance de 1928 sur les mines selon laquelle
l'obligation du commissaire résident était subor-
donnée aux «directives que le Secrétaire d'État aux
Colonies pourra donner». À mon avis, le pouvoir
discrétionnaire que l'article 18 confère au gouver-
neur en conseil, c'est-à-dire au gouvernement, de
décider si l'objet pour lequel les terres d'une
réserve doivent être utilisées est dans le meilleur
intérêt de la bande, montre bien, comme le pouvoir
discrétionnaire conféré au Secrétaire d'État dans
l'arrêt Kinloch, que c'est au gouvernement et non
aux tribunaux qu'il appartient de décider ce qui est
dans le meilleur intérêt des bandes indiennes.
Cette disposition est incompatible, à mon avis,
avec l'intention d'imposer une obligation d'equity,
sanctionnée par les tribunaux, d'employer le ter
rain d'une réserve d'une certaine manière, et plus
particulièrement, avec l'obligation d'aménager ou
d'exploiter la réserve de façon à la mettre en
valeur pour en faire une source de revenu pour la
bande indienne, ce qui est essentiellement l'obliga-
tion qui a été invoquée en l'espèce.
Les intimés, comme le premier juge, ont souli-
gné l'importance des termes «à l'usage et au profit»
au paragraphe 18(1) en vigueur à l'époque en
cause: «Sauf les dispositions de la présente loi, Sa
Majesté détient des réserves à l'usage et au profit
des bandes respectives pour lesquelles elles furent
mises de côté ...» Les termes «à l'usage et au
profit» se retrouvent dans plusieurs définitions et
dans d'autres articles de la Loi. Aux termes de la
définition de l'article 2, «réserve» désigne «une
parcelle de terrain dont le titre juridique est attri-
bué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à
l'usage et au profit d'une bande». «Bande» désigne
un groupe d'Indiens «à l'usage et au profit com-
muns desquels, des terres, dont le titre juridique
est attribué à Sa Majesté, ont été mises de côté
avant ou après le 4 septembre 1951». «Terres
cédées» désigne «une réserve ou partie d'une
réserve, ou tout intérêt y afférent, dont le titre
juridique demeure attribué à Sa Majesté et que la
bande à l'usage et au profit de laquelle il avait été
mis de côté a abandonné ou cédé». L'article 36
porte: «Lorsque des terres ont été mises de côté à
l'usage et au profit d'une bande et que le titre
juridique y relatif n'est pas dévolu à Sa Majesté, la
présente loi s'applique comme si les terres étaient
une réserve, selon la définition qu'en donne cette
loi.» L'article 37 dispose: «Sauf dispositions con-
traires de la présente loi, les terres dans une
réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées,
ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles
ont été cédées à Sa Majesté par la bande à l'usage
et au profit communs de laquelle la réserve a été
mise de côté.» Les termes «à l'usage et au profit»,
dans ces dispositions, ne visent que la nature ou
l'objet de l'acte de l'exécutif par lequel les terres
sont réservées pour les Indiens—elles sont conser
vées à leur usage et profit. C'est le sens, à mon
avis, de ces termes au paragraphe 18(1). Quoique
le titre de propriété en common law du terrain soit
dévolu à la Couronne, et que le gouvernement
fédéral détienne le pouvoir de contrôle et d'admi-
nistration de la réserve en vertu de sa compétence
constitutionnelle relative aux terres réservées pour
les Indiens, la Couronne a la saisine du bien-fonds
(c'est-à-dire qu'elle le contrôle et l'administre), en
tant que réserve (c'est-à-dire à l'usage et au profit
des Indiens). Si le paragraphe 18(1) impose quel-
que obligation, c'est l'obligation de tenir la réserve
à la disposition des Indiens pour qu'ils puissent
exercer leur droit d'occupation ou de possession,
non une obligation d'employer le terrain de la
réserve à quelque fin particulière. Outre le pouvoir
discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil
par l'article 18, la Loi indique en d'autres occa
sions que la responsabilité de la réserve est de
nature gouvernementale. La Loi attribue au
Ministre, au gouverneur en conseil et au conseil de
bande, certains pouvoirs d'administration de la
réserve qui participent de la nature d'un gouverne-
ment local. Voir, par exemple, les articles 18(2),
19, 57, 58, 73(1) et 81. Le gouverneur en conseil a
le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe
60(1), d'«accorder [à la bande indienne] le droit
d'exercer, sur des terres situées dans une réserve
qu'elle occupe, tels contrôle et administration qu'il
estime désirables». Tout ceci, à mon avis, exclut
manifestement l'intention de rendre la Couronne
fiduciaire, au sens du droit privé, du terrain de la
réserve. La façon dont le gouvernement choisit de
s'acquitter de sa responsabilité politique d'assurer
le bien-être des Indiens est, naturellement, une
toute autre chose. L'étendue de la responsabilité
administrative ou de gestion que le gouvernement
assume envers les réserves est une question de
discrétion gouvernementale, non une obligation de
common law ou d'equity. Je suis donc d'avis que
l'article 18 de la Loi sur les Indiens ne saurait
constituer le fondement d'une action pour manque-
ment à une fiducie dans l'administration ou l'alié-
nation de terrains réservés.
Je n'estime pas nécessaire d'exprimer un avis sur
l'existence de l'obligation ou du devoir d'employer
le loyer au profit de la bande indienne ni, dans
l'affirmative, sur sa nature et sa portée. Cela
dépendrait des conditions de la cession à ce sujet et
des dispositions des articles 61 et suivants de la Loi
relatifs au bon emploi des deniers des Indiens. À
mon avis, la question de savoir s'il y a obligation
ou devoir d'administrer d'une certaine manière une
réserve ou un terrain cédé n'est pas soumise aux
mêmes considérations malgré un certain parallé-
lisme dans la rédaction des paragraphes 18(1) et
61(1) de la Loi.
Le pouvoir discrétionnaire que la cession confère
aux fins de «location à celui ou à ceux, et aux
conditions, que le gouvernement du Canada jugera
les plus favorables à notre bien-être et à celui de
notre peuple» n'est pas un pouvoir discrétionnaire
légal à proprement parler; c'est plutôt une restric
tion apportée au pouvoir légal de saisine et d'admi-
nistration. La Loi prévoit expressément qu'une
cession peut être conditionnelle et elle donne au
gouvernement la saisine de la réserve et le pouvoir
de l'administrer conformément aux conditions de
toute cession. Une cession fait partie du plan légis-
latif et l'une des attributions du gouvernement, en
vertu de cette Loi, est de lui donner effet. L'article
41 de la Loi dispose: «Une cession est censée
conférer tous les droits nécessaires pour permettre
à Sa Majesté de remplir les conditions de la ces
sion.» Au moment de la cession, c'est-à-dire de
l'abandon du titre ou droit indien grevant le ter
rain de la réserve, l'immeuble devient une «terre
cédée» aux termes de la Loi, assujettie à la saisine
et à l'administration continues du gouvernement
fédéral, conformément aux termes de la Loi et de
la cession. Le paragraphe 53(1) de la Loi, sous la
rubrique «Administration des réserves et des terres
cédées» porte: «Le Ministre ou une personne
nommée par lui à cette fin peut administrer,
vendre, louer ou autrement aliéner les terres cédées
en conformité de la présente loi et des conditions
de la cession.» Cette disposition confirme mon
opinion qu'une cession conditionnelle d'un terrain
de la réserve, à des fins de location, a pour but
d'attribuer le pouvoir de louer et non d'imposer
une obligation ou un devoir en ce sens. La cession
est conditionnelle à la passation d'un bail conforme
à ses stipulations, mais on ne peut avoir voulu
imposer à la Couronne un devoir de fiduciaire ou
une obligation en equity de conclure un bail. L'in-
tention ne pouvait pas être de modifier fondamen-
talement, par le biais d'une cession qui fait partie
de l'économie de la loi, la nature de la responsabi-
lité de la Couronne en matière d'administration et
d'aliénation des terrains de la réserve.
Les mots «en fiducie» sont employés dans les
actes de cession depuis plus de cent ans. Ils l'ont
été en général au sujet de la responsabilité du
gouvernement à l'égard des terres des Indiens.
Comme nous l'avons vu, ils apparaissent à la
clause 13 des Conditions de l'Union de la Colom-
bie-Britannique au Canada, à l'article 93 du Land
Act, R.S.B.C. 1936, chap. 144, en vertu duquel la
réserve Musqueam a été cédée par la province au
Dominion, et dans le décret provincial qui opère ce
transport de la réserve. L'expression employée
dans ces trois dispositions est «au nom et pour le
bénéfice» des Indiens. Les termes «en fiducie» ajou-
tent peu à l'expression «au nom et pour le bénéfice
de» lorsqu'il s'agit de décrire l'objet pour lequel la
réserve est constituée, si ce n'est peut-être qu'ils
soulignent l'importance de la responsabilité politi-
que ou gouvernementale attachée à la prise en
charge de ce territoire. Ils ne pouvaient avoir pour
but de faire de la Couronne du chef du Dominion
le fiduciaire, au sens du droit privé, des terrains
réservés. Comme dans l'article 18 de la Loi sur les
Indiens, le décret provincial confère expressément
au gouvernement du Dominion le pouvoir discré-
tionnaire de déterminer quel usage du bien-fonds
sert au mieux l'intérêt des Indiens. Dans le con-
texte de cette loi et de l'accord entre les gouverne-
ments, je suis d'avis que les termes «en fiducie»
dans l'acte de cession n'avaient d'autre but que
d'indiquer que celle-ci était faite pour le profit des
Indiens et qu'elle conférait le pouvoir d'employer
le bien-fonds d'une manière ou d'une autre à leur
profit. On n'entendait pas imposer une obligation
ou un devoir en equity d'employer le terrain d'une
certaine façon. Pour ces raisons, je suis d'avis que
la cession n'a pas créé de fiducie au sens strict et
qu'en conséquence elle ne saurait autoriser la
reconnaissance d'une responsabilité quelconque
fondée sur un manquement à cette fiducie.
Cela suffit à trancher la question de la responsa-
bilité, aussi n'est-il pas nécessaire pour moi d'ex-
primer une opinion sur les autres moyens relatifs à
la responsabilité soumis par l'appelante, dans les-
quels elle nie le manquement à la fiducie et
affirme que la Couronne ne peut être poursuivie en
responsabilité pour la faute de ses préposés, en
l'occurrence un manquement à une fiducie, et que
l'action des intimés est prescrite et tardive.
Par ces motifs, je ferais droit à l'appel, réforme-
rais le jugement de première instance et rejetterais
l'action des intimés, le tout avec dépens en cette
instance comme en la première. L'appel incident
est rejeté avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris.
LE JUGE SUPPLÉANT CULLITON: Je souscris.
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