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A-346-81
Freighters (Steamship Agents) Co. (intimée) (demanderesse)
c.
Le navire Number Four (appelant) (défendeur)
Cour d'appel, juges Pratte et Ryan, juge suppléant Lalande—Québec, 13 mai; Ottawa, 26 mai 1982.
Droit maritime Appel d'une ordonnance rejetant la requête visant à obtenir le rejet d'une action in rem et l'annu- lation de la saisie d'un navire pour le motif qu'une action identique était pendante en Corée Deux actions engagées par la demanderesse en Corée La première a été rejetée pour cause d'incompétence La seconde action n'a pas encore été signifiée Il n'est pas certain que la garantie fournie en Corée soit suffisante pour couvrir le montant intégral de la réclamation de la demanderesse Les procédures engagées au Canada ne doivent pas être rejetées comme étant vexatoires lorsqu'une procédure identique est pendante devant un tribunal étranger s'il peut en résulter un avantage réel Si l'action engagée au Québec est accueillie, la demanderesse aura pré- séance sur les autres créanciers Avantage ne pouvant être obtenu dans l'action intentée en Corée Le défendeur pour- rait demander la suspension de l'action jusqu'à ce que la demanderesse se soit désistée de son action en Corée Appel rejeté.
La demanderesse réclame la somme de $138,000 pour servi ces fournis au Number Four alors qu'il était amarré dans un port des États-Unis. L'action a été signifiée à ce navire imma- triculé au Liberia et celui-ci a été saisi à Québec. La demande- resse prétend que suivant le droit américain, sa créance est garantie par un privilège maritime. Le propriétaire du navire a demandé, devant la Division de première instance, le rejet de cette action in rem et l'annulation de la saisie pour le motif qu'il y avait litispendance, la demanderesse ayant intenté une action identique en Corée. Le défendeur a déposé la somme de $157,000 titre de garantie dans le procès engagé en Corée dans le but d'obtenir mainlevée de la saisie du navire.
Arrêt: l'appel doit être rejeté avec dépens. Il est vrai que la demanderesse a intenté deux actions en Corée contre les pro- priétaires du Number Four. Il ne s'agissait cependant pas d'actions in rem puisqu'en Corée, toutes les actions sont in personam. Dans la première action intentée en Corée, les propriétaires ont obtenu une mainlevée de la saisie en déposant une somme à titre de garantie. L'action a été rejetée pour cause d'incompétence, le navire étranger se trouvant alors à l'exté- rieur du territoire coréen. La seconde action engagée en Corée est pendante, la demanderesse ayant été incapable de retrouver les défendeurs et de leur signifier l'action. La Cour n'a pas souscrit à l'argument de l'appelant selon lequel la demanderesse n'avait plus le droit de faire saisir le navire pour la même dette, étant donné la somme déposée en Corée. Même si la première action intentée en Corée était considérée comme l'équivalent d'une action in rem, la règle selon laquelle le privilège est radié par le dépôt d'un cautionnement ne s'applique que si la garantie
est suffisante pour couvrir entièrement la dette—capital, inté- rêts et frais. Il n'est pas certain que la garantie en question ait couvert toute la dette. Il n'est pas certain non plus que la règle s'applique lorsque la garantie est fournie à l'étranger et que l'action prend fin pour cause d'incompétence.
Quant au second argument de l'avocat, les précédents on a jugé que la saisie d'un navire en Angleterre est vexatoire lorsqu'une action in rem est pendante devant un tribunal étranger et que le créancier a obtenu une garantie après la saisie du navire, ne s'appliquent pas en l'espèce. La première action intentée en Corée est terminée et la seconde est une action purement personnelle accompagnée de la saisie d'un dépôt en banque. Règle générale, une action intentée au Canada ne doit pas être rejetée comme étant vexatoire pour le motif que des procédures identiques sont pendantes devant un tribunal étranger, si le demandeur est susceptible de tirer un avantage réel de ladite action. Si l'action intentée par la demanderesse au Québec est accueillie, elle grèvera le navire d'un privilège qui aura préséance sur les réclamations des autres créanciers du défendeur. L'action intentée en Corée ne pourrait procurer un tel avantage.
Il se peut que le défendeur pourrait, s'il en faisait la demande, obtenir une ordonnance de suspension de l'action intentée au Québec jusqu'à ce que la demanderessse se soit désistée du recours qu'elle a engagé en Corée.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Christiansborg (1885), 10 P.D. 141 (C.A.); The Golaa, [1926] P. 103; The Marinero, [1955] 1 All E.R. 676.
DÉCISION CITÉE:
lonian Bank, Ltd. v. Couvreur, [1969] 2 All E.R. 651 (C.A.).
AVOCATS:
Louis Huot pour l'intimée (demanderesse). Guy Vaillancourt pour l'appelant (défen- deur).
PROCUREURS:
Létourneau & Stein, Québec, pour l'intimée (demanderesse).
Langlois, Drouin & Associés, Québec, pour l'appelant (défendeur).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Cet appel est dirigé contre le jugement de la Division de première instance qui a rejeté la requête par laquelle les propriétaires du navire Number Four demandaient le rejet de l'ac- tion in rem intentée par l'intimée contre leur navire et la cassation de la saisie pratiquée dans cette action.
Le Number Four est un navire enregistré au Liberia. L'action de l'intimée lui a été signifiée et il a été saisi alors qu'il se trouvait dans le port de Québec. Par cette action, l'intimée réclame le paie- ment d'une somme de plus de $138,000 US repré- sentant le coût de services qu'elle dit avoir fournis au Number Four pendant qu'il séjournait dans un port des États-Unis. L'intimée allègue que, suivant le droit américain, sa créance est garantie par un privilège maritime sur le navire.
La requête qu'a rejetée le premier juge a été présentée aussitôt après que l'action eut été signi- fiée et que le navire eut été saisi. Cette requête demandait le rejet de l'action et la cassation de la saisie au motif qu'il y avait litispendance puisque l'intimée poursuivait également un recours identi- que devant les tribunaux de Corée. Plus précisé- ment, les propriétaires du Number Four affir- maient que l'intimée avait déjà poursuivi et saisi leur navire pour la même cause en Corée et que, dans le cadre de ces procédures toujours pendan- tes, ils avaient déposé une somme de $157,000 dans une banque de Corée à titre de garantie pour obtenir la levée de la saisie. Dans ces circons- tances, concluaient-ils, il était inadmissible que l'intimée poursuive et saisisse encore une fois le navire Number Four.
Les faits, tels que les révèle maintenant le dos sier, ne sont pas si simples. Il est bien vrai que l'intimée a tenté de recouvrer sa créance devant les tribunaux de Corée; elle a même intenté là-bas deux actions successives contre les propriétaires du Number Four. Ces actions n'étaient pas, à stricte- ment parler, des actions in rem. En droit coréen, il semble que toutes les actions soient in personam en ce sens qu'elles sont toujours dirigées contre des personnes et jamais contre des choses. La première action intentée par l'intimée en Corée pour récla- mer le prix des services fournis au Number Four s'apparentait cependant à une action in rem en ce que la demanderesse y invoquait le privilège mari time qu'elle prétendait détenir sur le Number Four. En droit coréen, une pareille action, un demandeur réclame la reconnaissance d'un droit réel tel un privilège maritime sur un bien du défendeur, commence par la saisie du bien en question. Ce qui explique que le Number Four ait été saisi en Corée dès le début de cette première action. Sans en prévenir l'intimée, les appelants
ont alors obtenu d'un tribunal coréen la levée de la saisie moyennant le dépôt dans une banque coréenne, à titre de garantie, d'une somme que les appelants disent être de $157,000 mais qui, suivant l'intimée, ne serait que de $138,077.98'. La saisie étant levée, le Number Four quitta la Corée et l'action de l'intimée fut apparemment rejetée au motif que les tribunaux coréens étaient incompé- tents à statuer sur une action en déclaration de privilège sur un navire étranger se trouvant en dehors du territoire coréen. L'intimée intenta alors, pour réclamer le prix des mêmes services, une seconde action, purement personnelle celle-là, contre les propriétaires du Number Four et, dans le cadre de cette nouvelle action, saisit avant juge- ment la somme qui avait été déposée en banque pour obtenir la levée de la saisie pratiquée dans la première action. Ces nouvelles procédures sont encore pendantes mais elles n'ont jamais été signi fiées aux appelants parce que l'intimée, semble- t-il, n'a pu encore les retracer.
Suivant Me Vaillancourt, l'avocat des appelants, le premier juge aurait faire droit à la requête, rejeter l'action et casser la saisie. Cela, pour deux raisons dont la première est reliée à l'effet de la première action intentée par l'intimée en Corée tandis que la deuxième tient à la seconde action intentée là-bas.
L'intimée a d'abord poursuivi les appelants en invoquant le privilège qu'elle prétend détenir sur le navire Number Four; au début de cette action, le navire a été saisi et les appelants ont obtenu la levée de cette saisie en déposant dans une banque coréenne une somme pour garantir le paiement de la créance de l'intimée. Cela étant, dit l'avocat des appelants, l'intimée a perdu le droit de faire saisir de nouveau le même navire pour la même dette. À l'appui de son affirmation, il nous a référés à deux passages d'un ouvrage sur les privilèges maritimes 2 l'auteur s'exprime comme suit:
' Si la prétention de l'intimée était fondée, le montant déposé par les appelants n'aurait garanti que le capital réclamé par l'intimée à l'exclusion des intérêts et des frais.
2 D. R. Thomas, British Shipping Laws, vol. 14 intitulé Maritime Liens, aux pp. 288 et 291.
[TRADUCTION] Par conséquent, lorsqu'un cautionnement couvre la pleine valeur de la réclamation, le montant de la réclamation prescrit par la loi ou la valeur du bien saisi, selon les exigences du cas, ainsi que les frais du réclamant, le privilège à l'égard duquel le cautionnement est fourni est radié et le bien en question ne peut faire l'objet d'une nouvelle saisie.
Bien qu'en pratique, la consignation remplace rarement le cautionnement et qu'il y ait donc une absence notoire de jurisprudence en la matière, il est fort probable que lorsque le paiement couvre entièrement la réclamation et les frais du demandeur, il produit le même effet qu'un cautionnement et, sous réserve des mêmes conditions, il entraîne la radiation du privilège maritime ou autre du demandeur, de sorte que le bien faisant l'objet d'une mainlevée de saisie devient libre de toute charge.
Ce premier argument ne me convainc pas. En premier lieu, même si l'on prend pour acquis que la première action intentée par l'intimée en Corée eût été l'équivalent d'une action in rem, ce qui n'est pas tout à fait certain, le principe invoqué par l'avocat des appelants ne s'appliquerait, semble- t-il, que si la garantie fournie par les appelants était suffisante pour satisfaire en entier la créance de l'intimée en capital, intérêts et frais. Or, cela n'est pas certain non plus. En second lieu et sur- tout, je crois que ce principe ne s'applique pas dans un cas comme celui-ci le cautionnement a été fourni à l'étranger dans le cadre de procédures qui se sont terminées prématurément à cause de l'in- compétence du tribunal saisi. Les premières procé- dures que l'intimée a intentées en Corée ne me paraissent donc pas faire obstacle à celles qu'elle a intentées à Québec.
Le second argument de l'avocat des appelants est relié à la seconde action commencée par l'inti- mée en Corée. Cette action purement personnelle a été accompagnée d'une saisie avant jugement de la somme déposée en garantie dans le cadre de l'ac- tion précédente et, bien qu'elle n'ait pas encore été signifiée aux appelants, elle est toujours pendante. Dans ces circonstances, dit Me Vaillancourt, les procédures intentées à Québec sont vexatoires et, pour ce motif, l'action devrait être rejetée et la saisie cassée. Il nous a cité sur ce point l'arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre dans The Christians- borg (1885), 10 P.D. 141 (C.A.) et la décision du juge Bateson dans The Golaa, [1926] P. 103; et il aurait pu citer également la décision plus récente dans l'affaire The Marinero, [1955] 1 All E.R. 676. Dans toutes ces affaires on a jugé vexatoire la saisie d'un navire pratiquée en Angleterre par un
créancier alors qu'était encore pendante à l'étran- ger une action in rem intentée pour la même cause contre le même navire par le même créancier qui, après avoir saisi le navire à l'étranger, avait obtenu un cautionnement des propriétaires du navire. Ces précédents, à mon avis, ne s'appliquent pas en l'espèce. La première action intentée par l'intimée en Corée n'existe plus; quant à la deuxième, il s'agit d'une action purement personnelle accompa- gnée de la saisie d'un dépôt en banque. La situa tion est bien différente de celle que révèle la lecture des décisions mentionnées plus haut il s'agissait de demandeurs qui, après avoir poursuivi et saisi un navire à l'étranger et après avoir obtenu dans le cadre de ces procédures étrangères toujours pendantes un cautionnement des propriétaires du navire, intentaient des procédures identiques en Angleterre ils saisissaient de nouveau le même navire pour la même cause dans l'espoir de forcer les propriétaires à fournir un second cautionne- ment.
Une action intentée ici n'est pas vexatoire pour le seul motif que le demandeur, en même temps qu'il poursuit devant nos tribunaux, poursuit éga- lement le même défendeur pour la même cause d'action à l'étranger. Règle générale, pour qu'une action intentée chez nous puisse être rejetée comme vexatoire au seul motif que des procédures identiques sont pendantes devant un tribunal étranger, il faut que le demandeur qui poursuit au Canada ne puisse retirer d'avantages réels de ces procédures'. C'est dire que l'action intentée au Canada ne doit pas normalement être rejetée comme vexatoire si elle est susceptible de procurer au demandeur des avantages que ne peuvent lui procurer les procédures intentées à l'étranger. C'est bien la situation ici. L'action intentée à Québec est déjà signifiée; celle qui a été intentée en Corée ne l'a pas encore été et l'intimée prétend qu'elle ne pourra l'être avant plusieurs mois. De plus, si l'action intentée à Québec réussit, l'intimée bénéficiera, si les allégations de sa déclaration sont fondées, d'un privilège sur le navire qui a été saisi, ce qui lui assurera d'être payée par préférence aux autres créanciers des appelants; les procédures
' P. M. North, Cheshire and North Private International Law, 10e éd., London, Butterworths, 1979, p. 117 et les auto- rités citées, en particulier, lonian Bank, Ltd. v. Couvreur, [1969] 2 All E.R. 651 (C.A.) aux pp. 654 et s.
intentées en Corée ne procureraient pas le même avantage à l'intimée puisqu'il est certain qu'elle ne peut prétendre à un privilège sur le dépôt bancaire qu'elle a saisi en Corée. Les procédures que l'inti- mée a intentées à Québec, aussi bien l'action que la saisie, me paraissent susceptibles de lui procurer un avantage certain. À cause de cela, je crois que le premier juge a bien décidé en refusant de les rejeter.
Il est possible qu'il s'agisse ici d'un cas les appelants auraient pu et pourraient encore demander à la Cour d'ordonner la suspension de l'action intentée par l'intimée à Québec aussi long- temps qu'elle ne se sera pas désistée des procédures intentées en Corée. Il paraîtrait juste, en effet, que l'intimée donne mainlevée de la saisie qu'elle a pratiquée en Corée maintenant qu'elle a saisi le Number Four au Canada. Je ne m'arrête pas à cette possibilité puisque les appelants n'ont jamais sollicité pareille ordonnance.
Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Prétendant avoir un privilège sur le navire Number Four, l'intimée a intenté une action in rem au Canada et fait saisir le navire dans le port de Québec.
L'appelant a demandé le rejet de l'action et la cassation de la saisie du fait que le navire avait déjà été saisi en Corée une somme d'argent a été déposée pour obtenir mainlevée. Cette demande fut refusée par le juge de première instance.
Le juge Pratte fait voir que ce qui résulte des procédures pratiquées en Corée au profit de l'inti- mée est une saisie-arrêt avant jugement ou saisie conservatoire d'une somme, qui pourrait être insuf- fisante, dans une action in personam qui n'a pas encore été signifiée aux propriétaires du navire. Or, ce que son action in rem au Canada, accompa- gnée d'une saisie du navire, a procuré à l'intimée est tout autre chose: c'est une garantie d'exécution de tout jugement qui pourra être rendu pour assu-
rer la satisfaction du privilège allégué. En d'autres mots, la garantie d'exécution (bail) de la Règle 1004 remplace le navire.
Dans la décision de la Cour d'appel d'Angleterre dans Ionian Bank, Ltd. v. Couvreur 4 , lord Den- ning, à la page 655, indique qu'une saisie conserva- toire ne s'assimile pas à la garantie d'exécution propre à notre procédure en amirauté et que la jurisprudence sur laquelle s'est appuyé l'appelant, dont The Christiansborg 5 , ne s'applique pas à l'espèce.
Pour corriger l'injustice qu'il y a pour le défen- deur qui a déposer une somme en Corée puis fournir une garantie au Canada, je suis de l'avis du juge Pratte: il pourra sans doute obtenir, par une demande de suspension de l'action, un désistement des procédures coréennes et une mainlevée de la saisie de la somme déposée.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
[1969] 2 All E.R. 651 (C.A.). 5 (1885), 10 P.D. 141 (C.A.).
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