A-435-82
Procureur général du Canada (requérant)
C.
Lise Landriault (intimée)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Ryan—
Ottawa, 10 novembre et 13 décembre 1982.
Fonction publique — Demande d'examen et d'annulation de
la décision d'un comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique accueillant l'appel de l'intimée aux termes
de l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
contre une nomination à la suite d'un concours de la Fonction
publique — La Commission a limité l'admissibilité au con-
cours aux «Employés de l'Administration canadienne du
transport aérien de Transports Canada occupant un poste à
Dorval. — Bien que, conformément à une entente administra
tive, l'intimée ait travaillé à Dorval sous la direction du
ministère des Transports et que ses fonctions aient été étroite-
ment reliées à celles du poste vacant, sa candidature a été
rejetée parce que techniquement, elle était employée par le
ministère de la Santé et du Bien-être social — L'appel formé
par l'intimée en vertu de l'art. 21 a été accueilli au motif que
la zone du concours ne reflétait pas les interdépendances
structurelles en aviation civile et faisait une parodie du prin-
cipe du mérite — Selon le requérant, le Comité d'appel a
commis une erreur en reconnaissant d'abord que l'intimée
pouvait faire appel aux termes de l'art. 21 et en réformant
ensuite la décision de la Commission, aux termes de l'art. 13,
de restreindre le concours aux fonctionnaires d'un seul Minis-
tère — Sens du terme «candidate. à l'art. 21 — Application du
principe du mérite à l'exercice par la Commission de son
pouvoir de définir la zone de concours en vertu de l'art. 13 —
Appel accueilli en partie — Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 2(1), 10, 11, 13a),b),
16, 17, 21, 42 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 28.
La Cour a été saisie d'une demande, fondée sur l'article 28,
en examen et annulation de la décision d'un comité d'appel de
la Commission de la Fonction publique qui accueillait l'appel
interjeté par l'intimée, en vertu de l'article 21 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, de la nomination d'une
candidate au concours ouvert par la Commission de la Fonction
publique. La Commission, se fondant sur l'article 13 de la Loi,
avait limité l'admissibilité au concours aux «Employés de l'Ad-
ministration canadienne du transport aérien de Transports
Canada occupant un poste à Dorval». À l'époque du concours,
l'intimée était au service du ministère de la Santé nationale et
du Bien-être social mais, conformément à une entente adminis
trative, travaillait à Dorval sous la direction du ministère des
Transports. Ses fonctions étaient étroitement liées à celles du
poste devenu vacant, mais la Commission a refusé de prendre
en compte sa candidature donnant pour motif que le concours
n'était ouvert qu'aux employés du ministère des Transports. Le
Comité d'appel statua d'abord que l'intimée avait droit de
former appel en vertu de l'article, même si elle avait été jugée
non admissible au concours et, en second lieu, qu'elle avait été
exclue du concours à tort vu que, dans les circonstances, la
Commission avait fixé la zone du concours prévue à l'article 13
de la Loi sans tenir compte du principe du mérite. Le requérant
conteste la décision du Comité d'appel qui, selon lui, a commis
une erreur en décidant d'abord que l'intimée avait droit de
former appel en vertu de l'article 21 et, ensuite, en réformant la
décision de la Commission, aux termes de l'article 13, de
n'ouvrir le concours qu'aux employés du ministère des
Transports.
Arrêt: l'appel est accueilli en partie. L'article 21 prévoit un
droit de faire appel des nominations aux postes de la Fonction
publique lorsque la sélection des candidats se fait au sein de la
Fonction publique. Si la sélection se fait par «concours res-
treint,, ce droit est donné à «chaque candidat non reçu». Le sens
qu'il faut donner au terme «candidat» dans ce contexte n'est pas
clair et n'est pas précisé par les autres articles de la Loi où il est
employé. Dans certains de ceux-ci, «candidat» désigne les per-
sonnes qui ont participé à un concours et qui sont admissibles à
la nomination, alors que dans d'autres il semble désigner tous
ceux qui ont pris part à un concours qu'ils soient ou non
admissibles à la nomination. Il convient donc de donner au
terme «candidat», à l'article 21, son sens ordinaire qui vise tous
ceux qui obt fait acte de candidature. Cette conclusion est
conforme à l'arrêt de la Cour suprême du Canada Bullion c. Sa
Majesté La Reine et autre, [1980] 2 R.C.S. 578, selon lequel le
fonctionnaire qui pose sa candidature à un concours restreint et
dont la candidature est sommairement rejetée parce qu'il ne
fait pas partie de la zone de concours, selon la définition qu'en
donne la Commission, conformément à l'alinéa 13b) de la Loi,
peut en appeler sur le fondement de l'article 21 et contester la
légalité de la décision de la Commission, prise en vertu de cet
alinéa. Pour cette raison, la décision du Comité d'appel de
reconnaître le droit de l'intimée de faire appel est confirmée.
L'intimée soutient à tort que la Commission n'a pas tenu
compte des exigences de l'alinéa 136) en déterminant les condi
tions d'admissibilité. Cet alinéa n'exige pas que la Commission
établisse à la fois le secteur de la Fonction publique et la nature
et le niveau des postes que doivent occuper les candidats. Quant
à l'obligation d'appliquer le principe du mérite à la détermina-
tion de l'article 13, l'article 10 exige que le seul critère de
sélection des candidats nommés à des postes de la Fonction
publique soit le mérite et nul autre; cependant, lorsque la
Commission procède à la détermination des conditions d'admis-
sibilité à un concours, elle ne procède pas à la sélection des
candidats qui seront nommés. La décision du Comité repose sur
une conception erronée du principe du mérite qui ne s'applique
pas à cette détermination. Le principe n'exige pas non plus que
toutes les personnes qualifiées puissent postuler un poste ni que
tous ceux qui sont également qualifiés pour un poste aient la
même possibilité de participer à un concours restreint. S'il en
était autrement, l'article 11, selon lequel les nominations doi-
vent normalement se faire au sein de la Fonction publique,
contredirait ce principe, de même que l'article 13 qui confère à
la Commission le droit absolu de limiter la zone du concours.
Le juge Heald dissident en partie: La décision du Comité
d'appel qui confirme le droit de l'intimée de faire appel sur le
fondement de l'article 21 doit être confirmée. Lors de la
détermination par la Commission des critères restreignant l'ad-
missibilité au concours, en vertu de l'article 13 de la Loi, la
Commission a eu recours à des critères que cet article n'auto-
rise pas. Le raisonnement de la Cour dans l'arrêt Bullion,
lorsqu'elle interprète l'article 13, s'applique au cas d'espèce.
Lorsque l'article 13 mentionne la «partie ... de la Fonction
publique ...», il ne peut s'agir, vu le principe du mérite énoncé
à I l'article 10 Ide la Loi, que de restriction l ayant «... quelque
rapport avec la nature du poste à combler, eu égard aux
qualifications requises et aux fonctions qu'il comporte». En
l'espèce présente, la restriction imposée par la Commission n'a
aucun lien logique avec la nature du poste à combler. Au cours
de la période antérieure à l'annonce du concours, le ministère
de la Santé nationale et du Bien-être social et celui des Trans
ports ont étudié la possibilité de procéder à des changements
administratifs pour rattacher les deux Ministères dans le
domaine de la médecine aéronautique civile. Dans certains
secteurs, les fonctionnaires du ministère de la Santé nationale
et du Bien-être social, comme l'intimée, travaillaient en liaison
étroite avec ceux du ministère des Transports. L'intimée, sans
être officiellement au service du ministère des Transports,
exerçait en fait ses fonctions au sein de ce Ministère, sous la
surveillance des dirigeants de ce Ministère. Comme ses fonc-
tions et responsabilités étaient étroitement liées à celles du
poste à combler, elle possédait une bonne expérience de ces
fonctions. Cela étant, le fait d'interdire le concours à l'intimée
prouve une méconnaissance manifeste du principe de la sélec-
tion au mérite et, en outre, y fait échec. Cela est vrai aussi pour
d'autres fonctionnaires, dans d'autres ministères, tout aussi
compétents, mais qui n'ont pas été autorisés à participer au
concours.
Le juge Ryan: La décision du Comité d'appel qui reconnaît à
l'intimée le droit de faire appel sur le fondement de l'article 21
est bien fondée. Quant à l'exercice par la Commission de son
pouvoir aux termes de l'alinéa 13b), cet alinéa autorise la
Commission, dans le cas d'un concours restreint, à déterminer
le secteur de la Fonction publique dans lequel les candidats
doivent être employés afin d'être admissibles au concours. Ce
pouvoir n'est limité ni expressément ni tacitement dans l'alinéa
lui-même, même si ce dernier est lu en corrélation avec l'article
10 de la Loi, ou l'alinéa 13a), et il peut être exercé même si, de
ce fait, certains fonctionnaires possédant les compétences essen-
tielles pour occuper le poste qui fait l'objet du concours n'y sont
pas admissibles. Dans cette mesure, l'alinéa autorise la limita
tion du nombre de candidats éventuels d'une manière qui peut
avoir pour résultat l'exclusion de fonctionnaires par ailleurs
méritoires. Il se peut donc que la décision de la Commission
n'ait pas été sage mais l'alinéa 13b) l'autorisait.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Bullion c. Sa Majesté La Reine et autre, [1980] 2 R.C.S.
578, infirmant (sub nom. Bullion c. Le Comité d'appel de
la Commission de la Fonction publique) [1980] 2 C.F.
110 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562 (C.A.).
AVOCATS:
Jean-Marc Aubry pour le requérant.
Maurice W. Wright, c.r., pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimée.
C. E. Leclerc pour le Comité d'appel de la
Commission de la Fonction publique.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La Cour statue sur une
demande fondée sur l'article 28 et formée contre la
décision d'un comité d'appel, constitué par la
Commission de la Fonction publique, accueillant
l'appel interjeté par l'intimée, Mue Landriault, en
vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32.
Le 21 janvier 1982, la Commission de la Fonc-
tion publique a annoncé un concours restreint,
pour un poste de «Commis principal à la délivrance
de licences au personnel (CR-04)». Étaient admis-
sibles au concours les «Employés de l'Administra-
tion canadienne du transport aérien de Transports
Canada occupant un poste à Dorval».
À cette époque, M"e Landriault, intimée en l'es-
pèce, occupait un poste au ministère de la Santé
nationale et du Bien-être social. Toutefois, confor-
mément à un arrangement administratif entre ce
Ministère et celui des Transports, elle travaillait en
fait, à Dorval, sous la direction de fonctionnaires
du ministère des Transports; ses fonctions étaient
étroitement liées à celles du poste vacant de
«Commis principal à la délivrance de licences au
personnel (CR-04)». M"e Landriault a fait acte de
candidature. Par lettre du 19 février 1982, on lui a
notifié que sa candidature ne pouvait être retenue
parce qu'elle était au service du ministère de la
Santé nationale et du Bien-être social et que le
concours n'était ouvert qu'aux employés du minis-
tère des Transports.
Le concours eut lieu par la suite sans qu'on
donne aucune autre suite à la candidature de Mlle
Landriault. Finalement, une certaine M me Nadeau
a été désignée comme la candidate la mieux quali-
fiée. Mue Landriault fit alors appel de cette nomi
nation, se fondant sur l'article 21 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique. Elle donne la
raison de son appel dans une lettre adressée à la
Commission en date du 14 avril 1982.
[TRADUCTION] J'en appelle de la nomination de Mme Nadeau
parce que je crois que la zone de concours ne réflète pas les
interdépendances structurelles existant en aviation civile, et
favorise en conséquence l'injustice, la discrimination et fait une
parodie du principe du mérite applicable au sein de la Fonction
publique.
Le Comité, constitué par la Commission pour
entendre l'appel, a statué en faveur de Mue Lan-
driault. D'abord, il a rejeté l'exception préalable
soulevée par le représentant du ministère des
Transports qui soutenait que M"e Landriault
n'avait aucun droit d'appel en vertu de l'article 21
puisqu'elle n'était pas autorisée à participer au
concours. Puis le Comité a jugé que Mile Lan-
driault avait été exclue à tort parce que la zone de
concours, qui devait être déterminée conformé-
ment à l'article 13 de la Loi, l'avait été sans tenir
compte du principe du mérite. À ce sujet, le
Comité concluait:
[TRADUCTION] ... l'appelante n'était pas officiellement au
service de Transports Canada, mais exerçait en fait des fonc-
tions au sein du ministère des Transports, sous la responsabilité
des fonctionnaires de ce Ministère. De plus, ses fonctions et
responsabilités étaient étroitement liées à celles du poste à
pourvoir; aussi aurait-on dû la considérer comme un candidat
éventuel admissible.
Les représentants du Ministère n'ont pas nié ces faits,
arguant de la légalité de la zone de concours, déterminée
conformément à l'article 13 de la Loi, et à la politique de la
Commission de la Fonction publique. Certes, à l'ordinaire, je
n'hésiterais pas à statuer en faveur du Ministère, mais je suis
d'avis que, dans le cas d'espèce, mon intervention est justifiée
car j'estime que la détermination de la zone ne tient pas compte
du principe du mérite énoncé à l'article 10 de la Loi. À mon
avis, une zone de concours doit avoir quelque rapport avec la
nature du poste à combler et le secteur dans lequel on peut
espérer trouver des candidats éventuels. En l'espèce, je suis
d'avis que le Ministère ne s'est jamais demandé où l'on pourrait
trouver des candidats éventuels, et s'est borné à déterminer la
zone du concours, sans avoir égard à d'éventuels candidats
valables dans ses propres services, qui risquaient d'être exclus
par suite d'une anomalie administrative obligeant un fonction-
naire à travailler dans un ministère alors qu'il est officiellement
au service d'un autre.
C'est pourquoi j'estime que, dans le cas d'espèce, la zone du
concours n'a pas été déterminée en fonction du mérite et l'appel
de Mme [sic] Landriault est, par les présentes, accueilli.
L'avocat du requérant, pour contester la déci-
sion, fait valoir deux moyens. D'abord, ce serait à
tort que le Comité aurait décidé que Mue Lan-
driault pouvait former appel sur le fondement de
l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique; ensuite, le Comité aurait, à tort, fait
droit à l'appel en statuant que la décision prise, sur
le fondement de l'article 13 de la Loi, de n'ouvrir
le concours qu'aux employés du ministère des
Transports était irrégulière.
1. Le droit d'appel
L'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique prévoit un droit d'appel contre
les nominations à des postes de la Fonction publi-
que lorsque la sélection des candidats se fait au
sein de la Fonction publique. Si, comme en l'es-
pèce, la sélection se fait «par concours restreint»',
le droit d'appel est donné à «chaque candidat non
reçu».
Selon l'avocat du requérant, M"e Landriault ne
serait pas un «candidat non reçu» parce que,
n'étant pas employée au ministère des Transports,
elle n'était pas admissible au poste vacant et, pour
ce motif, n'était pas en droit de participer au
concours. D'après lui, l'examen des divers articles
de la Loi révèle que, lorsqu'un concours restreint
est tenu pour combler un poste, seules les person-
nes admissibles à ce poste peuvent faire acte de
candidature.
À mon avis, aucune conclusion définitive ne peut
être tirée de l'examen des divers articles de la Loi
employant le terme «candidat». Dans certains arti
cles, comme les articles 16 et 17, le terme désigne
manifestement les personnes qui ont participé au
concours et qui, de plus, sont admissibles à la
nomination. Dans d'autres, comme aux articles 13
et 42, le même terme semble désigner tous ceux
qui ont pris part au concours, qu'ils soient ou non
admissibles à la nomination. Dans ces circons-
tances, il me paraît sage de donner au terme
«candidat», tel qu'il apparaît à l'article 21, son sens
ordinaire qui, à mon avis, s'applique à tous ceux
qui ont fait acte de candidature. Cette conclusion
me paraît conforme à l'arrêt de la Cour suprême
du Canada Bullion c. Sa Majesté La Reine et
' Cette expression est définie comme suit à l'article 2 de la
Loi:
2. (1) Dans la présente loi
«concours restreint» désigne un concours ouvert seulement
aux personnes employées dans la Fonction publique;
autre 2 qui, à mon sens, signifie que le fonction-
naire qui pose sa candidature dans un concours
restreint et dont la candidature est sommairement
rejetée parce qu'il ne fait pas partie de la zone du
concours, selon la définition qu'en donne la Com
mission conformément à l'alinéa 13b) de la Loi,
peut en appeler sur le fondement de l'article 21, et
contester la légalité de la décision de la Commis
sion prise en vertu de cet alinéa I 3b).
Par ces motifs, je suis d'avis que le Comité
d'appel a eu raison de décider que M"e Landriault
avait le droit de faire appel sur le fondement de
l'article 21.
2. La régularité de la décision prise aux termes de
l'alinéa 13b)
La décision de n'ouvrir le concours qu'aux
«Employés de l'Administration canadienne du
transport aérien de Transports Canada occupant
un poste à Dorval« a été prise en vertu de l'alinéa
13b) de la Loi que voici:
13. Avant de tenir un concours, la Commission doit
b) dans le cas d'un concours restreint, déterminer la partie,
s'il en est, de la Fonction publique, ainsi que la nature des
fonctions et le niveau des postes, s'il en est, où les candidats
éventuels doivent obligatoirement être employés afin d'être
admissibles à une nomination.
L'avocat du requérant reconnaît qu'un comité
d'appel peut, en vertu de l'article 21, annuler le
résultat d'un concours restreint parce que la zone
du concours n'a pas été établie conformément à la
loi. C'est ce qu'a décidé implicitement la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Bullion. Il sou-
tient cependant qu'un comité d'appel ne peut
annuler un concours restreint simplement parce
qu'il juge que la zone du concours, déterminée par
la Commission conformément à l'article 13, n'était
pas appropriée dans le cas d'espèce.
L'avocat de l'intimée répond à cet argument que
la détermination de la zone selon l'article 13 com-
portait deux irrégularités et que le Comité d'appel
était, pour cette raison, justifié d'intervenir.
D'abord, première irrégularité, la Commission
n'aurait pas tenu compte des exigences de l'alinéa
2 [ 1980] 2 R.C.S. 578.
136) telles que les a interprétées la Cour suprême
du Canada dans l'arrêt Bullion. L'alinéa 13b),
selon la Cour suprême, impose à la Commission
l'obligation de déterminer non seulement le secteur
de la Fonction publique dans lequel les candidats
éventuels doivent être employés mais aussi la
nature et le niveau des postes qu'ils doivent occu-
per. De toute évidence, ce premier moyen de l'inti-
mée est sans fondement. L'alinéa 13b) n'exige pas
que la Commission établisse à la fois le secteur de
la Fonction publique et la nature et le niveau des
postes que doivent occuper les candidats et il est
absolument faux que la Cour suprême du Canada
a interprété cette disposition en ce sens.
D'après l'intimée, la seconde irrégularité de la
décision prise aux termes de l'alinéa 13b) tiendrait,
selon la conclusion du Comité, à ce qu'elle n'est
pas conforme au «principe du mérite» que consacre
l'article 10 de la Loi. En conséquence, si je com-
prends bien l'avocat de l'intimée, la décision du
Comité devrait être confirmée puisqu'il est
reconnu qu'un appel sur le fondement de l'article
21 doit être accueilli non seulement lorsqu'il y a
violation d'une disposition légale ou réglementaire
relative à la procédure à suivre dans la sélection
des candidats à un poste dans la Fonction publi-
que, mais aussi lorsqu'il y a manquement au prin-
cipe du mérite.
Ce qu'on appelle le «principe du mérite» est
affirmé dans l'article 10 de la Loi:
10. Les nominations à des postes de la Fonction publique,
faites parmi des personnes qui en sont déjà membres ou des
personnes qui n'en font pas partie, doivent être faites selon une
sélection établie au mérite, ainsi que le détermine la Commis
sion. La Commission les fait à la demande du sous-chef en
cause, à la suite d'un concours, ou selon telle autre méthode de
sélection du personnel établie afin de déterminer le mérite des
candidats que la Commission estime la mieux adaptée aux
intérêts de la Fonction publique.
Ce principe régit la sélection des candidats et les
nominations dans la Fonction publique. Il exige
que le seul critère appliqué lors de cette sélection
soit le mérite et nul autre. Le principe s'applique
donc à la sélection de fonctionnaires. Selon moi, ce
principe n'exige pas que toute personne qualifiée
puisse postuler un poste; s'il en était autrement, la
règle énoncée à l'article 11, selon laquelle les
nominations doivent normalement se faire au sein
de la Fonction publique, contredirait ce principe,
de même que l'article 13, qui confère à la Commis
sion le droit absolu de limiter la zone du concours.
Le principe du mérite n'exige pas non plus que
tous ceux qui sont également qualifiés pour un
poste aient la même possibilité de participer à un
concours restreint. Lorsque la Commission procède
à la détermination de la zone d'un concours, con-
formément à l'article 13, elle ne procède pas à la
sélection des candidats qui seront nommés à la
Fonction publique et, à mon avis, le principe du
mérite, qui n'est qu'un critère de sélection, ne
s'applique pas 3 .
Je suis donc d'avis que la décision du Comité
repose sur une conception erronée du principe du
mérite et qu'elle doit, pour cette raison, être annu-
lée. Je renverrais l'affaire au Comité pour qu'il
statue en tenant compte du fait que le principe du
mérite n'exige pas que M"e Landriault soit autori-
sée à participer au concours.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD (dissident en partie): J'ai lu les
motifs rédigés par M. le juge Pratte. Je reconnais
avec lui que le Comité d'appel a jugé à bon droit
que l'intimée disposait d'un droit d'appel en vertu
de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique. Mais je ne saurais épouser
cette partie des motifs qui porte sur la régularité
de la décision de la Commission aux termes de
l'alinéa 13b) de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique 4 . En l'espèce, la Commission de la
3 Ce serait différent si la Commission devait déterminer la
zone du concours de façon qu'un individu particulier soit
nommé pour des raisons autres que le mérite. En ce cas, la
Commission sélectionnerait en fait la personne à nommer au
poste.
4 Voici l'article 13 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique:
13. Avant de tenir un concours, la Commission doit
a) déterminer la région où les postulants sont tenus de
résider afin d'être admissibles à une nomination; et
b) dans le cas d'un concours restreint, déterminer la partie,
s'il en est, de la Fonction publique, ainsi que la nature des
fonctions et le niveau des postes, s'il en est, où les candi-
dats éventuels doivent obligatoirement être employés afin
d'être admissibles à une nomination.
Fonction publique, se fondant sur l'alinéa 13b), a
annoncé un concours restreint au poste de
«Commis principal à la délivrance de licences au
personnel (bilingue)» du groupe et niveau «CR-04».
Le concours était expressément ouvert aux:
«Employés de l'Administration canadienne du
transport aérien de Transports Canada occupant
un poste à Dorval». Le président du Comité d'ap-
pel a constaté que l'intimée: «... n'était pas offi-
ciellement au service de Transports Canada, mais
exerçait en fait des fonctions au sein du ministère
des Transports, sous la responsabilité des fonction-
naires de ce Ministère». Il constata aussi que «...
ses fonctions et responsabilités étaient étroitement
liées à celles du poste à pourvoir ...» (D.A., p. 49).
L'intimée a posé sa candidature au poste. Il lui a
été notifié, par lettre datée du 19 février 1982, que
sa candidature ne pouvait être retenue parce que le
concours s'adressait uniquement aux fonctionnai-
res de Transports Canada. Le concours a eu lieu
par la suite et une personne a été choisie pour
combler le poste, sans autre considération du cas
de l'intimée. Le président du Comité d'appel a
jugé que «... la détermination de la zone ne tient
pas compte du principe du mérite énoncé à l'article
10 de la Loi» 5 . Voici cet article:
10. Les nominations à des postes de la Fonction publique,
faites parmi des personnes qui en sont déjà membres ou des
personnes qui n'en font pas partie, doivent être faites selon une
sélection établie au mérite, ainsi que le détermine la Commis
sion. La Commission les fait à la demande du sous-chef en
cause, à la suite d'un concours, ou selon telle autre méthode de
sélection du personnel établie afin de déterminer le mérite des
candidats que la Commission estime la mieux adaptée aux
intérêts de la Fonction publique.
Le président poursuivit, à la page 49 du dossier
d'appel:
À mon avis, une zone de concours doit avoir quelque rapport
avec la nature du poste à combler et le secteur dans lequel on
peut espérer trouver des candidats éventuels.
Pour décider si la décision du président est fondée
en droit, il est intéressant et il importe, à mon avis,
5 Voir Dossier d'appel, p. 49.
de se reporter à l'arrêt Bullion 6 . Dans cette
affaire, il s'agissait d'un concours restreint pour
combler le poste de Chef du génie et des travaux
(E.G.-ESS 9) (anglais). Étaient admissibles au
concours tous les employés au Canada occupant un
poste dont le maximum de l'échelle de traitement
était d'au moins 22,600 $ par an. L'appelant fut
exclu du concours parce qu'il occupait un poste
dont le maximum de l'échelle de traitement était
inférieur au minimum prescrit dans l'avis de con-
cours. Le Comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique rejeta l'appel formé par l'appe-
lant contre cette exclusion du concours. Notre
Cour, dans un arrêt majoritaire de deux contre un,
rejeta l'appel formé par l'appelant de cette déci-
sion du Comité d'appel. Le juge Le Dain était
dissident. La Cour suprême du Canada a accueilli
le pourvoi de l'appelant et a réformé l'arrêt de
notre Cour et la décision du Comité d'appel. C'est
le juge Martland qui rendit l'arrêt de la Cour
suprême du Canada.
Parlant de la limitation de l'admissibilité à un
concours restreint au sein de la Fonction publique
par l'imposition d'un niveau minimum de traite-
ment, sans prendre en considération la nature des
postes occupés par les candidats, M. le juge Mart -
land déclara que l'opinion dissidente du juge Le
Dain à ce sujet était fondée en droit et qu'elle
devait être retenue. Le juge Le Dain, après avoir
cité l'article 13 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, précitée, dit, aux pages 113 et
114:
Cet article enjoint à la Commission, avant de tenir un
concours restreint, de déterminer les restrictions, s'il en est, qui
doivent être imposées en matière d'admissibilité concernant la
région où les candidats doivent résider, la partie de la Fonction
publique où ils doivent être employés ainsi que la nature de
leurs fonctions et le niveau de leurs postes. La Commission
n'est nullement obligée d'imposer des restrictions, mais l'article
13 indique celles qu'elle peut imposer. A mon sens, lorsqu'il
parle du niveau des postes, il envisage nécessairement, en raison
du principe du mérite affirmé à l'article 10 de la Loi, le niveau
d'un poste par rapport aux postes d'une certaine nature occupa-
tionnelle. On a tout lieu de présumer que les restrictions en
matière d'admissibilité que l'article 13 autorise doivent avoir
quelque rapport avec la nature du poste à combler, eu égard
aux qualifications requises et aux fonctions qu'il comporte.
6 Bullion c. Sa Majesté La Reine et autre, [1980] 2 R.C.S.
578; voir aussi l'arrêt Bullion de notre juridiction, [1980] 2
C.F. 110 (C.A.) [sub nom. Bullion c. Le Comité d'appel de la
Commission de la Fonction publique].
Je sais bien que ces observations sur l'interpréta-
tion à donner à l'article 13 doivent être replacées
dans leur contexte, celui du cas d'espèce, qui por-
tait sur une des autres restrictions en matière
d'admissibilité que la Commission est autorisée à
imposer en vertu de l'article 13, en l'occurrence la
nature des fonctions et le niveau des postes que
doivent occuper les candidats éventuels. Toutefois,
je suis d'avis que ce raisonnement s'applique aussi
à la restriction imposée en l'espèce, c'est-à-dire à
la définition du secteur de la Fonction publique
dans lequel les candidats doivent être employés
pour être admissibles. L'admissibilité a été res-
treinte aux employés de Transports Canada occu
pant un poste à Dorval. Je crois que lorsque l'arti-
cle 13 mentionne la «partie ... de la Fonction
publique' ... », il ne peut', s'agir, vu le, principe \ du
mérite énoncé à l'article 10 de la Loi, que de
restrictions ayant, pour reprendre les termes du
juge Le Dain, «... quelque rapport avec la nature
du poste à combler, eu égard aux qualifications
requises et aux fonctions qu'il comporte». En l'es-
pèce présente, d'après ce qu'a constaté le président
du Comité d'appel, l'intimée, bien qu'elle n'ait pas
été officiellement au service de Transports
Canada, exerçait en fait ses fonctions au sein de ce
Ministère, sous la surveillance des dirigeants de ce
Ministère, et ses fonctions et responsabilités
étaient étroitement liées à celles du poste à com-
bler. À mon avis, la restriction imposée par la
Commission n'a aucun lien logique avec la nature
du poste à combler. De toute évidence, l'intimée
possède une bonne expérience de fonctions équiva-
lentes à celles du poste. Manifestement, elle pos-
sède les compétences nécessaires pour exercer les
fonctions de ce poste puisqu'elle exerce actuelle-
ment des fonctions similaires. Le dossier démontre
que celui qui occupe le poste doit, entre autres
choses, étudier les rapports médicaux fournis aux
fins de la délivrance des permis d'élèves pilotes et
du renouvellement des licences de contrôleurs de la
circulation aérienne et du personnel volant (pour
équipages de conduite). Il doit également supervi-
ser la Section Licences du personnel. Il ressort
clairement du dossier qu'au cours de la période
antérieure à l'annonce du concours, des hauts fonc-
tionnaires de la Direction Médecine aéronautique
civile du ministère de la Santé nationale et du
Bien-être social, en collaboration avec de hauts
fonctionnaires du ministère des Transports, ont
fait une étude approfondie sur l'opportunité de
rattacher [TRADUCTION] «l'ensemble de l'organi-
sation» de la Médecine aéronautique civile au
ministère des Transports ou d'établir une liaison
plus étroite entre la Médecine aéronautique civile
et le ministère des Transports (voir le Dossier
d'appel, aux pp. 33 à 37 inclusivement). Ceci
confirme mon opinion qu'au moins dans certains
secteurs, les fonctionnaires du ministère de la
Santé nationale et du Bien-être social travaillent
en liaison étroite avec ceux du ministère des Trans
ports. Cela explique probablement l'affectation de
l'intimée au ministère des Transports. Le fait
d'interdire le concours à l'intimée et peut-être
d'autres fonctionnaires du ministère de la Santé
nationale et du Bien-être social possédant les com-
pétences et l'expérience requises pour le poste
prouve une méconnaissance manifeste du principe
de la sélection au mérite et, en outre, y fait échec 7 .
Je mentionne les fonctionnaires de la Santé natio-
nale et du Bien-être social à titre d'exemple seule-
ment pour illustrer la violation du principe du
mérite dans ce concours, sans prétendre en faire
une description complète; il peut fort bien y avoir
d'autres fonctionnaires, dans d'autres ministères,
tout aussi compétents.
Par ces motifs, je conclus donc que la Commis
sion a eu recours à un critère de limitation d'ad-
missibilité aux termes de l'article 13 de la Loi que
celle-ci n'autorise pas. L'appel de l'intimée aurait
donc dû être accueilli par ce motif. Bien que je ne
souscrive pas à tous les motifs qu'a donnés le
président du Comité d'appel pour accueillir l'appel
de l'intimée, sa décision me paraît fondée. Comme
je me range à sa solution, la demande selon l'arti-
cle 28 devrait, à mon avis, être rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: J'ai eu le privilège de lire les
motifs rédigés par le juge Pratte et j'y souscris.
7 Comparer avec la décision: Delanoy c. Le Comité d'appel
de la Commission de la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562
(C.A.), aux pp. 568 et 569.
Je conviens que l'intimée, Lise Landriault, a un
droit d'appel sur le fondement de l'article 21 de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique (ci-
après «la Loi») et je souscris aux motifs du juge
Pratte à cet égard.
Je partage également son avis lorsqu'il affirme
que l'alinéa 136) de la Loi n'oblige pas la Commis
sion à déterminer, dans le cas d'un concours res-
treint, le secteur de la Fonction publique ainsi que
la nature et le niveau des postes que doivent
occuper les candidats éventuels pour être admissi-
bles à la nomination. L'argument de l'avocat à cet
égard est mal fondé.
L'avocat de l'intimée a aussi prétendu que
(comme en avait décidé le Comité d'appel) la
détermination du secteur de la Fonction publique
duquel doivent provenir les candidats éventuels
pour être admissibles à la nomination au poste,
allait à l'encontre du principe du mérite. Mais, à
mon sens, l'alinéa 13b) autorise la Commission de
la Fonction publique à déterminer, elle-même ou
par délégation, dans le cas d'un concours restreint,
le secteur de la Fonction publique dans lequel
doivent être employés les candidats; ce pouvoir
n'est pas limité en ce sens, ni expressément ni
tacitement, dans l'alinéa lui-même, même si ce
dernier est lu en corrélation avec l'article 10 de la
Loi et même lorsqu'il est rapproché de l'article 11
et de l'alinéa 13a) de la Loi. Selon moi, ce pouvoir
peut être exercé même si, de ce fait, certains
fonctionnaires possédant les compétences essentiel-
les pour occuper le poste qui fait l'objet du con-
cours n'y sont pas admissibles. Dans cette mesure,
l'alinéa autorise la limitation du nombre de candi-
dats éventuels d'une manière qui peut avoir pour
résultat l'exclusion de fonctionnaires par ailleurs
méritoires. Il ne m'appartient pas de faire des
conjectures sur le fondement d'un tel pouvoir si ce
n'est qu'il peut se justifier par des considérations
pratiques et rationnelles de gestion du personnel.
Il se peut que la décision de restreindre ce
concours aux «Employés de l'Administration cana-
dienne du transport aérien de Transports Canada
occupant un poste à Dorval» n'ait pas été sage,
puisque qu'elle a exclu des candidats admissibles
M "e Lise Landriault, malgré toute son expérience
de la structure administrative du Ministère. L'ali-
néa 13b) autorisait néanmoins cette décision. Je
ferais remarquer que rien n'a montré que la des
cription n'était pas assez large pour couvrir un
groupe important de fonctionnaires ayant les qua
lifications essentielles pour le poste.
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