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A-341-80
La Reine (appelante) (défenderesse) c.
Crown Diamond Paint Co. Ltd. (intimée) (deman- deresse)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Le Dain— Ottawa, 8 septembre et 4 novembre 1982.
Couronne Commettant et préposé Propriétaire et locataire Négligence Stock de la locataire de la manda- taire de la Couronne détruit par un incendie Système d'extinction automatique de l'immeuble débranché par l'ins- pecteur du propriétaire L'immeuble a pris feu lorsque l'inspecteur a volé certains appareils Celui-ci a été déclaré coupable de tentative de vol Le juge de première instance a conclu que le propriétaire doit assumer les conséquences de l'acte illicite de son préposé L'affaire invoquée par le juge de première instance est inapplicable parce qu'il s'agissait d'un dépôt Obligation qui existe mais qui n'a pas été violée puisque le préposé n'a pas agi dans l'exercice de ses fonctions Y avait-il un engagement implicite à effectuer des répara- tions? La demanderesse n'a pas prouvé que l'incendie aurait été circonscrit si le système d'extinction automatique avait fonctionné Appel accueilli.
Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance, publié à [1980] 2 C.F. 794, aux termes duquel, Sa Majesté la Reine avait été condamnée à des dommages-intérêts à la suite de la destruction, par un incendie, du stock d'une entreprise de vente en gros de peinture. Celle-ci était locataire de la Commission de la Capitale nationale qui est une manda- taire de la Couronne. L'immeuble était pourvu d'un système d'extinction automatique vieillot qui avait été débranché par l'inspecteur mécanicien de l'appelante avant l'incendie. Celui-ci a autorisé ses fils à entrer dans l'immeuble dans le but d'y voler des serpentins de réfrigération et l'enlèvement de ces pièces a provoqué l'incendie du vieil immeuble. L'inspecteur a été déclaré coupable de tentative de vol devant la Cour provinciale.
En donnant gain de cause à la demanderesse, le juge de première instance, qui a fait remarquer qu'un «commettant ne peut être exonéré de sa responsabilité simplement parce que son préposé a à un moment donné agi hors du cadre de ses fonctions», a indiqué qu'il s'agissait de savoir «si l'acte du préposé se rattache suffisamment à l'exercice de ses fonctions ou en est tellement éloigné que l'intéressé doit être considéré comme un étranger à l'égard de son commettant». Le juge Dubé a conclu que la Reine devrait être déclarée responsable, son préposé ayant fait «avec intention frauduleuse et négligence ce qu'on l'avait engagé pour faire honnêtement et avec diligence».
Arrêt: l'appel devrait être accueilli; l'affaire Morris v. C. W. Martin & Sons Ltd., [1966] 1 Q.B. 716 (C.A.) invoquée par le juge de première instance ne s'applique pas en l'espèce. Cette affaire se fondait sur les règles du dépôt à titre onéreux. Le présent cas est régi par les rapports entre commettant et préposé et entre propriétaire et locataire.
Étant admis que l'incendie a été la cause de la perte, la question suivante était de savoir comment et l'incendie a pris
naissance. S'il a pris naissance dans les locaux appartenant à l'appelante, a-t-il été causé par la négligence de l'appelante ou de préposés, du fait desquels elle pourrait être tenue responsa- ble? Avait-elle une obligation de protection? Une fois ces questions réglées, il s'agit de savoir si le mauvais fonctionne- ment du système d'extinction automatique a été la cause immé- diate de la perte.
On peut déduire de la preuve que l'incendie a été accidentel, qu'il a été causé par les flammes d'un chalumeau oxycoupeur et qu'il a pris naissance au centre du deuxième étage, au-dessus des locaux occupés par la compagnie de peinture.
Bien qu'elle fût tenue d'empêcher un incendie, la Reine n'a pas violé cette obligation à moins qu'elle ne soit responsable des actes de son préposé. Dans l'affaire Canadian Pacific Railway Company v. Lockhart, [ 1942] A.C. 591 (C.P.), il a été jugé que «... si l'acte non autorisé et illicite du préposé est un acte indépendant qui n'est pas relié à l'acte autorisé de façon à constituer un moyen d'exécuter cet acte, le commettant n'est pas responsable; car dans ce cas, le préposé n'agit pas dans l'exercice de ses fonctions». On avait refusé à l'inspecteur la permission d'enlever les serpentins de réfrigération et en demandant à ses fils de le faire à sa place, il n'a pas agi dans l'exercice de ses fonctions. Il n'a pas non plus accompli le travail qu'il était chargé d'effectuer d'une façon non autorisée. Il a utilisé les heures de travail et l'établissement commercial de son commettant à ses fins personnelles. Dans ces circonstances, l'appelante ne peut, à titre d'employeur de l'inspecteur, être tenue responsable de l'acte non autorisé et illicite de ce dernier.
Cela ne réglait cependant pas la question, vu l'argument subsidiaire dans la déclaration selon lequel l'appelante a fait preuve de négligence en débranchant et en ne branchant pas de nouveau le système d'extinction automatique et le système d'alarme qui y était relié. Même si on présume qu'il y a eu inexécution de l'engagement implicite à effectuer des répara- tions, il n'y a pas eu de preuve permettant de conclure que l'incendie aurait causé peu ou pas de dommage au stock de l'intimée si le système d'extinction automatique avait fonc- tionné. La demanderesse (intimée) avait le fardeau de la preuve et elle ne s'en est pas acquittée.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Canadian Pacific Railway Company y. Lockhart, [1942] A.C. 591 (C.P.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Morris v. C. W. Martin & Sons Ltd., [1966] 1 Q.B. 716 (C.A.).
AVOCATS:
Eileen Mitchell Thomas, c.r. et Michael W. Senzilet pour l'appelante (défenderesse). David G. Casey pour l'intimée (demande- resse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'inti- mée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel d'un juge- ment de la Division de première instance [[19801 2 C.F. 794] en vertu duquel l'appelante a été jugée responsable de la perte du stock de l'intimée à la suite d'un incendie survenu dans les locaux que cette dernière occupait en vertu d'un bail conclu avec l'appelante pour y exploiter son entreprise de vente en gros de peinture et de produits de pein- ture. L'action introduite devant la Division de première instance est une des cinq poursuites intentées par différents demandeurs à la suite de l'incendie en question, toutes ces actions ayant été entendues ensemble sur preuve commune. L'appe- lante a interjeté appel des cinq jugements. Il a été convenu que le résultat de cet appel s'appliquerait aux quatre autres appels. Les avocats s'entendent sur le quantum des dommages qui n'est donc en cause dans aucun des appels.
Voici les faits d'après l'exposé conjoint des faits et la preuve présentée au cours du procès. Les locaux loués à l'intimée faisaient partie d'un immeuble sis aux 18 et 24 rue York à Ottawa. À l'origine, l'intimée était sous-locataire de The Borden Company Limited en vertu d'un contrat de sous-location conclu le 19 mars 1964. Le bail principal consenti par la Commission de la Capi- tale nationale à la compagnie Borden porte la même date. Suivant l'exposé conjoint des faits, l'appelante, la Commission de la Capitale natio- nale, mandataire de Sa Majesté la Reine, a pris possession des lieux cédés à bail le 31 août 1968 et elle a continué d'en avoir la possession sous réserve des droits de tenure à bail des locataires, lesquels incluaient alors ou ont subséquemment inclus les différents demandeurs qui sont parties aux actions dont les jugements font l'objet du présent appel. L'exposé conjoint des faits indique en outre:
[TRADUCTION] Que les différents demandeurs étaient locatai- res de Sa Majesté la Reine en vertu d'un bail consigné dans une formule de bail précédemment employée pour les baux conclus entre les autres parties, laquelle formule constitue la pièce 2 de l'interrogatoire préalable.
Le dossier soumis à cette Cour ne divulgue pas le contenu de la pièce 2 et les avocats n'ont pu nous
renseigner à ce sujet mais ils nous ont assuré qu'il est admis que le bail principal et le contrat de sous-location susmentionnés incorporent les dispo sitions des baux qui liaient, à toutes les époques en cause, les parties aux différentes actions.
La partie du jugement attaqué qui a rejeté la réclamation de l'intimée concernant les dommages causés à son stock par l'inondation des locaux survenue le 1" avril 1970 n'a fait l'objet d'aucun appel. L'appelante a interjeté appel de la partie du jugement qui la rendait responsable des dommages et de la perte du stock de l'intimée causés par un incendie survenu le 26 novembre 1970. L'action a été introduite le l e` avril 1971, par une pétition de droit, devant la Cour de l'Échiquier du Canada. Elle a été entendue devant la Division de première instance de cette Cour les 7 et 8 mai 1980 et le jugement a été rendu le 12 mai 1980.
Les faits suivants ne sont pas contestés. À toutes les époques en cause, l'intimée occupait une partie de l'immeuble sis aux 18 et 24 rue York à Ottawa. Cet immeuble avait été auparavant occupé par la fromagerie de la compagnie Borden de sorte que certaines parties avaient servi d'entrepôts réfrigé- rés; de vastes pièces avaient été isolées et les murs munis de serpentins de réfrigération. D'autres par ties importantes de l'immeuble avaient servi d'en- trepôts non chauffés. L'intimée entreposait ses pro- duits au sous-sol, endroit de l'immeuble qui faisait partie d'une superficie d'environ 3,500 pieds carrés qu'elle avait louée au coût approximatif de 63 cents le pied carré. L'intimée et les autres locatai- res avaient reçu un avis leur demandant de quitter les lieux parce que l'appelante avait l'intention de reconstruire et rénover l'immeuble.
L'immeuble à l'intérieur duquel se trouvaient les locaux de l'intimée et ceux des autres locataires était protégé par un système d'extinction automa- tique d'incendie un peu vieillot qu'on appelle sys- tème sec. L'eau ne pénètre dans ce système norma- lement sec que lorsqu'il est déclenché par la présence de chaleur et dans ce cas, une sonnerie d'alarme se fait entendre pour avertir les responsa- bles du service de protection auquel le système est branché. Ni le bail principal ni le contrat de sous-location ne fait mention de ce système. La preuve révèle toutefois que l'appelante avait main- tenu le système en bon état depuis le commence ment des baux.
Au cours du mois de novembre 1970, l'appelante a demandé à l'un de ses employés, Francis Cran - ham, inspecteur mécanicien, d'inspecter quotidien- nement, parmi d'autres immeubles, le 18-24 rue York et d'assurer le bon fonctionnement du sys- tème d'extinction automatique en remplaçant les fusibles qui manquaient. L'incendie à l'origine de la présente action est survenu au début de la soirée du 26 novembre 1970. Le juge de première ins tance a conclu que Cranham avait fermé le sys- tème d'extinction automatique la veille de l'incen- die, même si le rapport d'enquête sur l'incendie dont je ferai mention plus loin établit que Cran - ham avait fermé la valve du système environ une semaine avant l'incendie.
L'employé en question, Cranham, est censé avoir demandé l'autorisation d'enlever des cham- bres de réfrigération les serpentins de réfrigération dont il a été fait mention, dans le but de les utiliser à ses fins. Cette autorisation lui avait été refusée. Malgré ce refus, Cranham a laissé entrer ses deux fils dans l'immeuble le 26 novembre 1970 dans le but de leur permettre de couper et d'enlever les serpentins pour les utiliser à ses fins personnelles. Pour ce faire, ceux-ci utilisèrent un chalumeau oxyacétylénique. On pourrait déduire de certains éléments de preuve que le chalumeau a enflammé le matériel isolant derrière les serpentins et provo- qué l'incendie. Cranham a subséquemment plaidé coupable devant la Cour provinciale à une accusa tion de tentative de vol et il a été congédié par l'appelante.
À la lumière de ces faits, le juge de première instance est arrivé à la conclusion suivante [aux pages 799 et 800]:
Un commettant ne peut être exonéré de sa responsabilité simplement parce que son préposé a à un moment donné agi hors du cadre de ses fonctions. Ce qu'il importe de déterminer c'est si l'acte du préposé se rattache suffisamment à l'exercice de ses fonctions ou en est tellement éloigné que l'intéressé doit être considéré comme un étranger à l'égard de son commettant. Crangham [sic] était l'inspecteur mécanicien responsable de l'extincteur automatique et de la sécurité des locaux. Il avait libre accès à l'immeuble. Il a vraisemblablement jugé que, puisque les serpentins devaient être démontés, il pouvait les utiliser à des fins personnelles. Après l'incendie, il a plaidé coupable d'avoir [TRADUCTION] denté de voler des serpentins de réfrigérateur d'une valeur inférieure à $50». Il a été con- damné avec sursis et licencié par la C.C.N.
Crangham [sic] était responsable du fonctionnement de l'ex- tincteur automatique. Il a illicitement essayé d'enlever les serpentins. Ses propres fils, deux jeunes inexpérimentés, ont,
sur son ordre, commis le méfait avec un chalumeau à acétylène. Qui plus est, il a débranché l'extincteur automatique et le système d'alarme qui y est relié sans en aviser quiconque. Il a fait avec intention frauduleuse et négligence ce qu'on l'avait engagé pour faire honnêtement et avec diligence. A mon avis, le propriétaire ne peut être déchargé de sa responsabilité simple- ment parce que le préposé a momentanément poursuivi un but personnel. La défenderesse ne peut non plus être exonérée de sa responsabilité par la clause 9 du bail, laquelle protège le bailleur contre les dommages causés par l'eau, mais non contre ceux causés par l'incendie, surtout si l'incendie résulte de la négligence et de la faute de son propre préposé.
Par conséquent, j'estime que la défenderesse est responsable des dommages causés à la demanderesse (et aux quatre autres demandeurs aux autres actions) par l'incendie du 26 novembre 1970. Les dépens de la présente action sont adjugés en faveur de la demanderesse (et aux quatre autres demandeurs dans leurs actions respectives).
Le juge de première instance est arrivé à cette conclusion en se fondant principalement sur la décision rendue par la Cour d'appel britannique dans l'affaire Morris v. C. W. Martin & Sons Ltd.' En toute déférence, je ne crois pas que cette affaire s'applique en l'espèce. Il s'agissait d'un cas assujetti aux règles du dépôt. La partie demande- resse avait confié une étole de vison à un fourreur pour qu'il la nettoie. Ne faisant pas le nettoyage des fourrures, celui-ci envoya l'étole de vison à la défenderesse qui était un teinturier réputé. Le fourreur a conclu un contrat avec le teinturier en son nom propre et non à titre de mandataire de la partie demanderesse. La fourrure fut volée par l'un des préposés de la défenderesse qui avait été chargé de la nettoyer et elle ne fut jamais retrou- vée. On a jugé qu'en qualité de sous-dépositaire à titre onéreux, la défenderesse était tenue envers la partie demanderesse à qui appartenait la fourrure, de prendre un soin raisonnable de la fourrure et de ne pas se l'approprier, obligation qui incombe nor- malement à un dépositaire à titre onéreux. Par conséquent, en l'absence de dispositions contrac- tuelles protégeant la défenderesse, la partie demanderesse avait le droit de poursuivre celle-ci directement, la perte de la fourrure étant imputa- ble à son préposé, et le teinturier a été tenu responsable de cette perte.
À mon avis, l'affaire Morris ne s'applique aucu- nement à la présente cause, même par analogie. Compte tenu des faits de cette affaire, le jugement se fonde sur les règles du dépôt à titre onéreux. Il n'est pas question de dépôt dans le présent cas. Les
' [1966] 1 Q.B. 716 (C.A.).
produits endommagés et perdus n'ont jamais été en la possession de l'appelante à titre onéreux ou autrement. C'est l'intimée, le propriétaire légitime, qui en a toujours eu la possession, la garde et la surveillance. Selon moi, les règles de droit applica- bles sont celles qui régissent les rapports entre commettant et préposé ou, peut-être, les rapports entre propriétaire et locataire.
Il faut d'abord déterminer, me semble-t-il, la cause de la perte en raison de laquelle on demande réparation. Si l'incendie en était la cause, comme l'ont prétendu les avocats de l'appelante et comme l'a admis l'avocat de l'intimée dans son exposé des points de droit et de fait, la question suivante est de savoir comment et l'incendie a pris nais- sance. S'il a pris naissance dans les locaux apparte- nant à l'appelante, a-t-il été causé par la négli- gence ou l'insouciance de l'appelante ou d'un ou de plusieurs de ses préposés, ce qui pourrait la rendre responsable du fait d'autrui? Avait-elle une obliga tion de protection à l'égard de l'intimée? Ce n'est que lorsque ces questions auront été résolues que l'on devra examiner le problème du mauvais fonc- tionnement du système d'extinction automatique pour déterminer si ce mauvais fonctionnement a été la cause immédiate de la perte comme l'a fait valoir l'intimée.
S'il est vrai que la preuve présentée au cours du procès concernant la cause et l'origine de l'incen- die est insuffisante, il n'existe pratiquement aucune preuve des conséquences attribuables au non-fonctionnement du système d'extinction auto- matique. Le juge de première instance ne s'est pas clairement prononcé sur la cause et l'origine du feu, mais le rapport de l'enquêteur principal des incendies versé au dossier et d'autres témoignages entendus de vive voix fournissent des éléments de preuve suffisants pour que l'on puisse tirer certai- nes conclusions. Voici ce qu'a déclaré l'enquêteur principal des incendies, H. F. Carron, à la page 2 de son rapport (rédigé sur du papier portant l'en- tête «Bureau du Commissaire des incendies, minis- tère des Travaux publics»):
[TRADUCTION] À la suite de mon enquête, je suis arrivé aux conclusions suivantes. Personne n'a admis avoir causé l'incendie que ce soit de façon accidentelle ou préméditée. Il a été établi que le jour de l'incendie, deux hommes se trouvaient à l'inté- rieur de l'immeuble et qu'ils ont démonté sans autorisation les serpentins de réfrigération métalliques installés au deuxième étage. Ce faisant, ils ont utilisé un chalumeau oxycoupeur. À moins d'une preuve contraire, on considère que l'incendie a été
causé accidentellement par le chalumeau oxycoupeur, que le feu couvait déjà lorsque les deux ouvriers ont quitté l'immeuble, qu'il a continué de se propager jusqu'à ce qu'il éclate et qu'il a été remarqué par un chauffeur de taxi qui passait à cet endroit à environ 19 h 50. Ce type d'incendie est fréquent lorsqu'une personne fait preuve d'imprudence en exécutant des travaux de découpage et de soudage. L'incendie ayant causé des pertes très importantes à l'intérieur de l'immeuble, il a été impossible d'en établir l'origine avec certitude, mais si on en juge par l'aspect physique des lieux incendiés, il semble avoir été le plus intense dans la partie centrale du côté ouest.
Il ajoute à la page 11 de son rapport:
[TRADUCTION] Il ressort de l'examen du lieu de l'incendie qu'il est fort probable que celui-ci a pris naissance au deuxième étage dans la partie centrale de l'immeuble, près du mur situé du côté ouest.
Personne n'a été témoin de l'origine ou de la cause de l'incendie et il n'y a eu aucun élément de preuve permettant d'établir cette origine ou cette cause de façon certaine. Il est possible mais improbable que l'incendie ait été causé par des matériaux fumants, en combustion ou par l'effet de l'électricité. On n'a découvert aucun élément de preuve qui permettrait de conclure que l'incendie a été provoqué volontairement par une ou plu- sieurs personnes.
Le système d'extinction automatique de l'édifice n'a pas fonc- tionné parce que la valve du système avait été fermée. Francis Cranham a admis avoir fermé la valve du système environ une semaine avant l'incendie.
Je conclus, en ce qui concerne l'origine et la cause de l'incendie, que—
L'incendie a pris naissance de façon accidentelle.
L'incendie a pris naissance au centre du deuxième étage et près du mur situé du côté ouest.
L'incendie a été causé par un chalumeau oxycoupeur qui a enflammé des matériaux combustibles faisant partie de la structure de l'immeuble.
Les dommages considérables causés par l'incendie sont directe- ment attribuables à la fermeture du système d'extinction auto- matique avant l'incendie.
Les dépositions orales (Carron n'ayant pas été cité à titre de témoin) ne sont pas suffisamment probantes pour permettre de déterminer l'origine de l'incendie. Cependant, en l'absence d'une preuve contraire, on peut raisonnablement con- clure, je pense, que l'incendie a pris naissance de façon accidentelle au centre du deuxième étage de l'immeuble, au-dessus des locaux de l'intimée, qu'il a probablement été causé par les flammes du chalumeau oxycoupeur, ayant commencé sous forme d'une combustion lente qui est passée ina- perçue pendant plusieurs heures et que le système d'extinction automatique n'a jamais été déclenché puisqu'il ne fonctionnait pas au moment de l'incen-
die, soit parce que des personnes inconnues avaient enlevé les fusibles soit parce que Cranham l'avait fermé au cours de la semaine qui a précédé l'incendie.
L'appelante pourrait-elle être tenue responsable des dommages causés au stock de l'intimée par l'incendie? Elle ne l'est que si elle est tenue envers l'intimée d'empêcher qu'un incendie survienne dans de telles circonstances. Cette obligation envers l'intimée existait sans aucun doute mais l'appelante ne peut être tenue responsable de l'inexécution de cette obligation que si on peut conclure, dans les circonstances de l'espèce, qu'elle était responsable des actes de son préposé Cranham.
Dans l'arrêt Canadian Pacific Railway Com pany v. Lockhart 2 , le Comité judiciaire du Conseil privé a examiné les principes applicables à la présente affaire. Les faits sont entièrement diffé- rents mais ce que lord Thankerton a déclaré en examinant la doctrine et la jurisprudence nous aide à déterminer la responsabilité de l'appelante dans le présent cas.
Voici ce qu'il a dit aux pages 599 et 600:
[TRADUCTION] Les principes généraux applicables à une affaire de ce genre sont bien connus mais finalement, chaque cas doit être tranché à la lumière des faits qui s'y rapportent. En ce qui concerne les principes, leurs Seigneuries souscrivent à la règle suivante énoncée dans Salmond on Torts, éd., à la p. 95: «Il est certain que le commettant est responsable des actes qu'il a effectivement autorisés: car la responsabilité existerait dans ce cas même si les parties étaient liées par un simple mandat et non un louage de services. Un commettant, par opposition à l'employeur d'un entrepreneur indépendant, est cependant responsable même lorsqu'il s'agit d'actes qu'il n'a pas autorisés, à la condition que ceux-ci soient reliés aux actes qu'il a autorisés de façon à pouvoir être considérés comme des moyens—même si ce sont des moyens incorrects—de les exécu- ter. En d'autres termes, un commettant est responsable non seulement des actes que son préposé a été autorisé à accomplir mais également de la manière dont celui-ci les exécute .... D'autre part, si l'acte non autorisé et illicite du préposé est un acte indépendant qui n'est pas relié à l'acte autorisé de façon à constituer un moyen d'exécuter cet acte, le commettant n'est pas responsable; car dans ce cas, le préposé n'agit pas dans l'exercice de ses fonctions.» On peut citer aussi l'opinion inci- dente bien connue de lord Dunedin dans l'affaire Plumb v. Cobden Flour Mills Co., Ltd. ([1914] A.C. 62, 67) il est dit qu'ail y a des interdictions qui délimitent les fonctions et d'autres qui portent uniquement sur la conduite dans l'exercice des fonctions». Leurs Seigneuries peuvent également citer des extraits du jugement de ce Comité dans l'affaire Goh Choon
2 [1942] A.C. 591 (C.P.).
Seng v. Lee Kim Soo ([1925] A.C. 550, 554), qui a été prononcé par lord Phillimore: «En vertu du principe clairement établi dans quelques-unes des causes citées par le juge en chef, et selon lequel `lorsqu'un préposé est autorisé à exécuter un acte en certaines circonstances et à certaines conditions et qu'il le fait dans des circonstances ou d'une manière qui sont interdites et incorrectes, l'employeur est alors responsable de l'acte illi-
cite On peut faire l'observation suivante concernant toutes les causes qui ont été signalées à leurs Seigneuries au cours des plaidoiries. Ces cas se divisent en trois catégories: Dans la première catégorie, (I.) le préposé utilisait, à ses fins personnelles, le temps, le lieu de travail, les chevaux, les véhicules, les machines ou les outils de son commettant: dans ce cas, celui-ci n'est pas responsable. Les cas faisant partie de cette catégorie sont faciles à identifier lorsqu'on en fait l'ana- lyse. Il est plus difficile de déterminer les cas se classant dans les deuxième et troisième catégories. Font partie de la deuxième catégorie, (2.) les cas un préposé est engagé uniquement pour exécuter un travail ou un type de travail particulier et il fait quelque chose qui ne fait pas partie de ses fonctions. Une fois de plus, le commettant n'est pas responsable d'un méfait que son préposé peut commettre au détriment d'un tiers. Dans la troisième catégorie, (3.) il y a les cas, comme la présente affaire, un préposé accomplit un travail qu'il est chargé de faire mais d'une manière que son commettant n'a pas autorisée et qu'il n'aurait pas autorisée s'il en avait été informé. Dans ces cas, celui-ci est quand même responsable.» Dans l'affaire Goh Choon Seng (I), précitée, les préposés engagés par l'appelant pour brûler des ordures végétales s'étant accumulées sur son terrain ont brûlé une partie de ces ordures en allumant des feux sur une terre en friche de la Couronne, qui était enclavée entre la propriété de l'appelant et celle de l'intimé, de sorte que les feux ont gagné la terre de l'intimé et ont endommagé ses biens. L'appelant a été tenu responsable envers l'intimé. [C'est moi qui souligne.]
Bien que la preuve ne soit pas tout à fait claire, il semble que Cranham ait été l'un des six inspec- teurs affectés à la Direction des services d'entre- tien de la Commission de la Capitale nationale, dont les fonctions consistaient à inspecter, à inter- valles réguliers, quelque mille cinq cents biens- fonds de la Commission. Dans le cadre de ses fonctions, comme nous l'avons souligné, Cranham avait été chargé, à titre d'inspecteur, d'assurer le bon fonctionnement du système d'extinction auto- matique des lieux loués. Aucun élément de preuve n'indique que le démontage des serpentins de réfri- gération à l'aide d'un chalumeau oxyacétylénique ou autrement faisait partie de ses fonctions et le juge de première instance n'a tiré aucune conclu sion à ce sujet. En fait, non seulement ce démon- tage ne faisait-il pas partie de ses fonctions, mais il était contraire aux directives qu'il avait reçues puisque l'appelante lui avait interdit de faire ce qu'il a demandé à ses fils de faire pour lui. La seule conclusion que l'on puisse tirer de ces faits, me semble-t-il, est qu'en faisant enlever les serpen-
tins de réfrigération, Cranham n'agissait pas dans l'exercice de ses fonctions. Ni accomplissait-il le travail qu'il était chargé d'effectuer, d'une façon non autorisée. Par conséquent, l'appelante ne pour- rait être tenue responsable des actes de Cranham, ceux-ci entrant non pas dans la troisième catégorie de lord Phillimore mais plutôt , dans la première ou la deuxième catégorie. Il est certain que celui-ci utilisait les heures de travail et l'établissement commercial de son commettant à ses fins person- nelles. En outre, il avait été engagé pour effectuer un travail ou un type de travail particulier et il a fait ou fait faire quelque chose qui ne faisait pas partie de ses fonctions. Cela étant, il va de soi que l'appelante ne peut, à titre d'employeur de Cran - ham, être tenue responsable de l'acte non autorisé et illicite de ce dernier.
Cela ne règle cependant pas la question. Dans sa déclaration, l'intimée a fait valoir, à titre d'argu- ment subsidiaire, que l'appelante, ses préposés ou mandataires, ont fait preuve de négligence [TRA- DUCTION] «en débranchant, en fermant ou en mettant hors d'usage le système d'extinction auto- matique dont l'immeuble était muni». Elle a égale- ment soutenu que [TRADUCTION] «après avoir débranché ou mis hors d'usage ledit système d'ex- tinction automatique ou le système d'alarme qui y était relié, ils ont omis de le brancher et de le remettre en état de fonctionnement». Dans son exposé des points de droit et de fait, l'avocat de l'intimée a une fois de plus fait valoir qu'en vertu de la common law, le propriétaire est tenu de protéger ses locataires contre les incendies. La preuve ayant clairement démontré que les lieux loués étaient munis d'un système d'extinction auto- matique dont le propriétaire s'était, dans les faits, engagé à assurer le bon fonctionnement pour maî- triser les incendies, l'inexécution de cette obliga tion constituait un manquement à un devoir don- nant ouverture à une poursuite. En d'autres termes, si je comprends bien, l'intimée a fait valoir que même si l'appelante n'était pas responsable, à titre d'employeur, des actes illicites de ses prépo- sés, elle était responsable des dommages causés par l'incendie parce qu'elle a négligé, en qualité de propriétaire, d'assurer le bon fonctionnement du système d'extinction automatique dans le but de limiter les dommages causés par l'incendie.
Il faut tout d'abord souligner qu'il est admis que ni le bail principal ni le contrat de sous-location ne contenait de clause obligeant l'appelante à effec- tuer des réparations, bien qu'il y eût des clauses portant sur la jouissance paisible des lieux. Néan- moins, le propriétaire, c'est-à-dire l'appelante, a de temps à autre réparé le système d'extinction auto- matique pour en assurer le fonctionnement et ce, depuis le commencement du bail. En outre, comme il a déjà été dit, elle a demandé à Cranham, au mois de novembre 1970, d'inspecter le système quotidiennement, probablement pour s'assurer qu'il fonctionnait. En conséquence, si on présume, sans toutefois conclure, que les actes de l'appelante constituaient un engagement implicite à effectuer des réparations et qu'il y a eu inexécution de cet engagement, je vois difficilement, à la lumière de la preuve, comment je pourrais conclure que l'in- cendie n'aurait jamais pris naissance ou qu'il aurait causé peu ou pas de dommage au stock de l'intimée si le système avait fonctionné de façon à pouvoir être actionné correctement.
L'élément de preuve le plus convaincant concer- nant cet aspect de l'affaire apparaît dans le rap port de Carron il déclare à la page 11, que
L'incendie a été causé par un chalumeau oxycoupeur qui a enflammé des matériaux combustibles faisant partie de la structure de l'immeuble.
Les dommages considérables causés par l'incendie sont directe- ment attribuables à la fermeture du système d'extinction auto- matique avant l'incendie.
Carron n'a pas été cité en qualité de témoin et il ne peut donc nous dire, à titre d'expert, si les biens de l'intimée auraient été ou non endommagés si le système d'extinction automatique avait fonctionné. On laisse entendre que, même s'il y a eu un incendie dont l'appelante, à titre d'employeur de Cranham, n'était pas, selon moi, responsable, les dommages causés par cet incendie auraient été moins considérables. On ne peut déduire ou présu- mer que les biens de l'intimé auraient ou n'au- raient pas été endommagés.
Le seul autre élément de preuve concernant cet aspect du litige provient des extraits suivants de l'interrogatoire préalable de Henry Blake Peters, le gestionnaire des services opérationnels de l'appe- lante aux époques en cause, extraits que l'avocat de l'intimée a versés au dossier au moment du
procès et qui apparaissent aux pages 31 à 34 inclusivement de la transcription de la preuve.
[TRADUCTION] Q. 189 À part ce que vous m'avez dit jus- qu'à maintenant, et les documents que vous avez produits, êtes-vous en mesure d'établir, à l'aide d'un document, que le système d'extinction automatique était en état de fonc- tionnement jusqu'au mois d'avril 1970?
R. Je n'ai pas de rapport écrit du Commissaire des incendies comme tel.
Q. 190 Ou de quelqu'un d'autre?
R. Ou de quelqu'un d'autre; non.
Q. 203 Ne m'avez-vous pas déjà dit que la question du bon fonctionnement du système d'extinction automatique n'avait pas été examinée parce qu'on projetait de démolir les immeubles?
R. Non, de les rénover.
Q. 204 De rénover les immeubles?
R. Oui.
Q. 205 Bien, ce que j'aimerais savoir, M. le témoin, c'est si vous disposez de renseignements que vous tenez pour véridiques quant à savoir si ce système aurait été satisfai- sant au cas les immeubles n'avaient pas être rénovés?
R. Considérant qu'il était installé dans un immeuble vacant, je dirais que le système d'extinction automatique était satisfaisant.
À la page 46, M. le juge, question 207:
Q. 207 Et y avait-il un système d'extinction automatique dans l'entrepôt de Crown Diamond?
R. Au deuxième étage.
Q. 208 Oui?
R. Pas au rez-de-chaussée, au deuxième étage.
Q. 209 Et c'est ils entreposaient leurs produits? MME THOMAS: À quel immeuble faites-vous allusion?
LE TÉMOIN: Eh bien, je parle de celui du 22 - 24 rue York.
M. CASEY:
Q. 210 Oui, et y avait-il un système d'extinction
automatique?
R. Oui.
Q. 211 Et vous m'avez dit qu'étant installé dans un immeu- ble vacant, le système d'extinction automatique était satisfaisant?
R. Oui.
Q. 212 Je vous demande maintenant si vous disposez de renseignements que vous tenez pour véridiques quant à savoir si ce système d'extinction automatique aurait été satisfaisant si on n'avait pas envisagé de procéder à des rénovations aux endroits occupés par vos locataires?
R. ... c'est une question très difficile. Je présume que le système était satisfaisant.
La seule question adressée à Peters au moment il fut contre-interrogé par l'avocat de l'intimée
au cours du procès au sujet de ce qui serait arrivé sur la scène de l'incendie si le système d'extinction automatique avait fonctionné apparaît à la page 135 de la transcription:
[TRADUCTION] Q. Croyez-vous que l'immeuble aurait pu être épargné si le système avait fonctionné après s'être rempli d'eau et si l'alarme avait été déclenchée? Compte tenu du fait qu'il se trouvait dans le centre-ville, comme il a été dit.
Pensez-vous—et je ne veux pas vous entraîner dans tous ces détails—que le système était satisfaisant?
R. Le système était satisfaisant, oui.
À la lumière de ce qui précède, on peut consta- ter que bien qu'il semble que le système fût «satis- faisant», la question de savoir quel rôle il devait pouvoir remplir n'a pas été résolue. Il me semble qu'il n'appartient pas à cette Cour de se demander ce qui serait arrivé aux produits de l'intimée si le système d'extinction automatique avait fonctionné au moment de l'incendie. Si c'était son rôle, voici les questions qui nous viendraient immédiate- ment à l'esprit à ce sujet:
L'incendie aurait-il été éteint immédiatement après le déclenchement du système d'extinction automatique?
L'eau qui s'en serait dégagée aurait-elle pu éteindre le feu qui a pris naissance dans le matériel isolant?
L'incendie aurait-il pu être limité au deuxième étage de l'immeuble sis au 18-24 rue York ou se serait-il propagé au rez-de-chaussée et au sous-sol occupés par l'intimée avant d'être circonscrit?
S'il s'était propagé, dans quelle mesure aurait-il endommagé les produits de l'intimée avant d'être maîtrisé par le système d'extinction automatique dans les lieux loués, compte tenu de la nature très inflammable de la peinture qui constitue le stock de l'intimée?
Les éléments de preuve permettant de répondre, par déduction, aux questions de cette nature et aux nombreuses autres questions qui se posent auraient pu être produits au cours du procès. Ne s'étant pas acquittée de l'obligation de faire cette preuve, la demanderesse (l'intimée) a été incapable, à mon avis, d'établir le bien-fondé de sa demande, et ce, même en supposant que l'appelante était tenue implicitement, et non expressément, envers la loca-
taire (l'intimée) de maintenir le système en bon état et qu'elle ne s'est pas acquittée de cette obli gation. Compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivé à la lumière de la preuve, je n'ai pas à décider si cette hypothèse est bien fondée en droit.
Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que le juge de première instance a fait erreur en tenant l'appe- lante responsable des dommages-intérêts réclamés et par conséquent, l'appel devrait être accueilli, le jugement de la Division de première instance annulé et l'action de l'intimée rejetée. Comme nous l'avons souligné ci-dessus, la présente cause est l'un des cinq appels d'un jugement de la Divi sion de première instance entendus sur preuve commune et en même temps devant cette Cour. Il ne devrait y avoir qu'un seul mémoire de frais pour les cinq appels et l'instruction de l'affaire en pre- mière instance, mémoire de frais dont un cin- quième devrait être exigible de chacun des deman- deurs dans chacune des cinq actions.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs. LE JUGE LE DAIN: Je souscris à ces motifs.
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