T-956-75
CAE Industries Ltd. et CAE Aircraft Ltd.
(demanderesses)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Collier-Win-
nipeg, 19, 20 21, 22, 25, 26, 27, 28 février, 3, 4, 5,
6, 10, 11, 12, 13, 17, 18, 19, 20 mars, 7, 8, 9 avril;
Vancouver, 31 juillet 1982.
Couronne - Contrats - Pouvoir ministériel de lier la
Couronne - A la demande d'Air Canada et de représentants
de la Couronne, la société Northwest, filiale de la demande-
resse CAE Industries, a soumis un projet de prise en charge de
la base aérienne d'entretien de Winnipeg - Elle a hésité à le
faire sans avoir un engagement formel de la Couronne,
laquelle fournirait un certain nombre d'heures-travail par an
- Lettre signée par le ministre des Transports et contresignée
par deux autres Ministres assurant à la demanderesse que le
MPD saurait garantir plus de 40 000 à 50 000 heures-travail
par an de 1971 à 1976 et que le gouvernement du Canada
s'emploierait de son mieux à obtenir le travail supplémentaire
d'autres ministères ou de sociétés de la Couronne afin de
respecter l'objectif de 700 000 heures-travail directes - La
défenderesse prétend qu'il n'existe pas de contrat légal parce
que selon la décision La Reine c. Transworld Shipping Ltd.,
[1976] 1 C.F. 159 (C.A.), le pouvoir du Ministre de lier la
Couronne doit reposer sur une loi ou un décret et que ni l'une
ni l'autre n'existait en l'espèce - La défenderesse prétend de
plus que la lettre ne constitue qu'un avant-contrat et que le
fait que Northwest ne soit pas mise en cause à titre de
demanderesse affecte la validité de l'action - La lettre crée un
contrat valide et exécutoire - L'arrêt J. E. Verreault & Fils
Liée c. Le procureur général de la province de Québec, [1977]
I R.C.S. 41, qui a statué que la proposition retenue dans
Transworld Shipping était trop étroite, s'applique - Une
interprétation libérale et raisonnable des diverses lois organi-
sant les ministères que dirigeaient les Ministres permet de
déduire que les Ministres avaient le pouvoir apparent et mani-
feste de lier la Couronne - Les parties entendaient conclure
un contrat exécutoire et l'ont traité comme tel - La lettre
constituait un accord des volontés sans que rien n'ait été laissé
à régler par une convention ultérieure - La mise en cause de
Northwest ne servirait aucune fin utile et la Règle 1716 prévoit
que la validité d'une action n'est pas affectée par l'omission de
mettre une partie en cause - L'expression «s'employer de son
mieux» est équivalente à «faire tout son possible» qui signifie
«ne laisser aucune avenue inexplorée» - La preuve démontre
que la défenderesse n'a pas fourni le travail convenu, en
provenance du MPD, pendant quatre des cinq années et ne s'est
pas employée de son mieux à combler cette carence - Loi sur
la production de défense, S.R.C. 1952, chap. 62, art. 14,
15b),d),g), 17 - Loi sur le ministère des Transports, S.R.C.
1952, chap. 79, art. 3(2) - Loi sur l'aéronautique, S.R.C.
1952, chap. 2, art. 3d) - Loi sur le ministère du Commerce,
S.R.0 1952, chap. 78, art. 3, 5 - Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règle 1716.
Pratique — Parties — La défenderesse soutient que l'omis-
sion de mettre en cause Northwest Industries comme deman-
deresse affecte la validité de l'action, étant donné que l'accord
a été conclu avec Northwest et qu'il n'y a eu aucune cession
écrite ayant force de droit — La mise en cause de Northwest
ne servait aucune fin utile car il y a eu cession en equity — La
Règle 1716 prévoit que la validité d'une action n'est pas
affectée par l'omission de mettre une partie en cause — Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1716.
Action en dommages-intérêts pour inexécution d'une conven
tion qui aurait été conclue avec la Couronne. La demanderesse
CAE Industries Ltd. s'est fait offrir par Air Canada et des
représentants de la Couronne fédérale d'acheter des ateliers de
réparation et de révision d'avions qu'exploitait Air Canada à
Winnipeg à titre de propriétaire, pour éviter la perte de plus de
1 000 emplois qualifiés. Des négociations entre CAE Industries,
Air Canada et des représentants des gouvernements provincial
et fédéral eurent lieu au cours desquelles Northwest Industries,
une filiale de CAE Industries, demanda à maintes reprises qu'il
y ait un engagement pour un certain nombre d'heures-travail de
production par an durant quelques années. Le 26 mars 1969, la
demanderesse CAE Industries Ltd. recevait une lettre du minis-
tre des Transports, contresignée par deux autres Ministres,
dans laquelle il déclarait que le gouvernement du Canada
reconnaissait que les 700 000 heures-travail directes par an
constituaient un objectif réaliste si l'on voulait faire de l'exploi-
tation une entreprise viable. Le MPD ne pouvait garantir plus
de 40 000 50 000 heures-travail directes par an de 1971 à
1976, mais le gouvernement du Canada devait s'employer «de
son mieux« à obtenir le travail supplémentaire nécessaire d'au-
tres ministères ou de sociétés de la Couronne afin de respecter
l'objectif de 700 000 heures-travail directes. Un protocole
d'entente intervenu entre Northwest et Air Canada fut signé en
avril. En septembre, Air Canada, Northwest et CAE Aircraft
signèrent une convention qui comportait une clause stipulant la
cession par Northwest à CAE Aircraft de l'accord conclu en
avril. Il échet d'abord et surtout d'examiner si la défenderesse a
conclu une convention valide et exécutoire avec CAE Indus
tries. La demanderesse prétend que la lettre du 26 mars est
l'aboutissement de longues négociations, que cette lettre énonce
les modalités de l'accord intervenu, que les parties entendaient
se lier et qu'elles ont agi sur le fondement de ces modalités. La
défenderesse s'est appuyée sur le jugement de la Cour d'appel
fédérale dans La Reine c. Transworld Shipping Ltd. pour faire
valoir que les Ministres n'avaient pas le pouvoir de lier la
Couronne, que ce pouvoir devait reposer sur une loi ou un
décret et qu'il n'y avait en l'espèce aucune loi ni aucun décret.
La défenderesse prétend que la lettre du 26 mars n'était pas
exécutoire parce que certains aspects importants ayant trait
aux heures-travail avaient été laissés indéterminés. La lettre ne
constituait qu'un avant-contrat. En dernier lieu, on a fait valoir
que la lettre constatant la convention était adressée à North
west et non aux demanderesses et que, par conséquent, North
west devait être partie à l'instance étant donné qu'il n'y avait eu
aucune cession écrite ayant force de droit. Les autres points en
litige portent sur les conditions du contrat, sur la question de
savoir si la défenderesse a respecté la convention ainsi que sur
la nature et le montant des dommages-intérêts.
Jugement: l'action est accueillie. La lettre créait un contrat
valide et exécutoire entre CAE Industries Ltd. et la défende-
resse. La preuve administrée indique que divers hauts fonction-
paires, plusieurs ministres et d'autres encore ont considéré
l'arrangement comme obligatoire. Saisie de la question dans
l'affaire J. E. Verreault & Fils Liée c. Le procureur général de
la province de Québec, la Cour suprême du Canada a examiné
le principe énoncé dans l'affaire Transworld Shipping et a
trouvé que cette interprétation était trop restrictive. La Cour
suprême, dans l'affaire Verreault, a trouvé le pouvoir de con-
tracter apparent ou manifeste dans la législation provinciale
pertinente. Aucun décret exprès ni aucune disposition légale
expresse n'était nécessaire. Le pouvoir existait par implication.
L'interprétation que fait la défenderesse des diverses lois orga-
nisant les ministères que géraient et dirigeaient les Ministres
signataires de la lettre du 26 mars est trop étroite. Une
interprétation raisonnable et libérale des articles pertinents de
la Loi sur la production de défense permet de déduire que le
Ministre avait le pouvoir de conclure un contrat stipulant la
fourniture d'un certain nombre d'heures de travail. L'alinéa
17(1)d) porte qu'aucun contrat ne saurait être conclu sans
l'approbation du gouverneur en conseil. Il faut appliquer l'arrêt
Verreault. Il y avait ici approbation tacite, voire manifeste. Un
décret en bonne et due forme n'était pas nécessaire. Puisque le
ministre des Transports avait l'autorisation légale en vertu du
paragraphe 3(2) de la Loi sur le ministère des Transports et de
l'alinéa 3d) de la Loi sur l'aéronautique de contracter en
matière de réparation et de révision des appareils et du matériel
du ministère des Transports, il pouvait aussi conclure un con-
trat stipulant la fourniture d'une certaine quantité d'heures de
travail. De même, le ministère du Commerce possédait de
larges pouvoirs pouvant servir, cela n'est pas inconcevable, à
confier aux demanderesses certains travaux à exécuter sur des
avions et, par là, un certain nombre d'heures-travail.
Pour ce qui est de l'argument voulant que la lettre du 26
mars n'était qu'un avant-contrat, il a été établi que, en droit
strict, il n'était pas nécessaire de convenir d'autre chose. La
défenderesse a convenu de fournir un certain nombre d'heures
de travail et de s'employer de son mieux à combler l'écart entre
ce que les demanderesses obtenaient en termes d'heures par an
de cette source et d'autres sources, et 700 000 heures. La lettre
constituait un accord de volontés. Rien n'a été laissé à régler
par une convention ultérieure. Ce qui restait à déterminer ne
devait l'être que par la défenderesse: la façon d'exécuter les
obligations contractées.
Pour ce qui est de la question portant sur les parties contrac-
tantes, compte tenu de la preuve administrée, il ne fait aucun
doute qu'il y a eu cession, au moins en equity, par Northwest à
CAE Aircraft, de tous les droits que Northwest détenait en
vertu du contrat du 26 mars. Il ne fait pas de doute non plus
que tous les intéressés savaient que c'était CAE Aircraft qui
allait reprendre l'exploitation de la base de Winnipeg. La mise
en cause de Northwest ne servirait aucune fin utile. D'ailleurs,
la Règle 1716 porte que la validité d'une action n'est pas
affectée par l'omission de mettre une partie en cause.
Les conditions du contrat étaient que (1) les parties conve-
naient que les 700 000 heures-travail directes par année consti-
tuaient un objectif réaliste pour une bonne exploitation; (2) le
MPD garantissait 40 000 50 000 heures-travail directes de
1971 à 1976 comme travaux de révision et de réparation
«réservés»; (3) le gouvernement du Canada convenait de s'em-
ployer de son mieux à obtenir d'autres ministères et sociétés de
la Couronne le travail supplémentaire nécessaire pour parvenir
à 700 000 heures par année, de 1971 à 1976. «S'employer de
son mieux» équivaut à «faire tout son possible» qui signifie «ne
laisser aucune avenue inexplorée» selon Sheffield District Rail
way Company v. Great Central Railway Company. La défende-
resse n'a pas fourni le travail convenu en provenance du MPD,
durant quatre des cinq années en question. En outre, la défen-
deresse ne s'est pas, par le biais du gouvernement du Canada,
employée de son mieux pour combler jusqu'à concurrence de
700 000 heures le déficit en heures et a donc manqué à ses
obligations.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
J. E. Verreault & Fils Ltée c. Le procureur général de la
province de Québec, [1977] 1 R.C.S. 41; May & Butcher,
Ltd. v. The King, [1934] 2 K.B. 17 (H.L.); Sheffield
District Railway Company v. Great Central Railway
Company (1911), 27 T.L.R. 451 (Comm. des chemins de
fer et des canaux).
DÉCISION ÉCARTÉE:
La Reine c. Transworld Shipping Ltd., [ 1976] 1 C.F. 159
(C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Meates v. Attorney General, [1979] 1 NZLR 415 (S.C.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Diamond Developments Ltd. v. Crown Assets Disposal
Corp. (1972), 28 D.L.R. (3d) 207 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Walsh Advertising Company Limited v. The Queen,
[1962] R.C.E. 115; Terrell v. Mabie Todd & Coy Ld.
(1952), 69 R.P.C. 234 (Q.B.D.); Randall v. Peerless
Motor Car Co., 99 N.E. 221 (1912) (S.C. Mass.); In Re
Heard (1980), 6 B.R. 876; Canada Square Corp. Ltd. v.
Versafood Services Ltd. et al. (1982), 130 D.L.R. (3d)
205 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
L. N. Mercury, D. G. Hill et M. M. Monnin
pour les demanderesses.
L. P. Chambers, c.r., R. W. Cote et D. Kubesh
pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winni-
peg, pour les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Les demanderesses con-
cluent à des dommages-intérêts considérables,
motif pris de l'inexécution d'une convention qui
aurait été conclue avec la Couronne fédérale.
En 1967, Air Canada exploitait à titre de pro-
priétaire une base aérienne importante à Winnipeg
au Manitoba. Air Canada décida de la déménager
au Québec, à Montréal. La demanderesse, CAE
Industries Limited (ci-après «CAE») s'est fait
offrir par Air Canada et certains représentants de
la Couronne fédérale d'acheter les ateliers de répa-
ration et de révision d'avions de Winnipeg et d'en
poursuivre l'exploitation. CAE aurait demandé des
assurances au «gouvernement canadien» en matière
d'heures-travail que ce dernier se serait engagé à
fournir pour les années 1971 1976 inclusivement.
La défenderesse aurait donné certaines assurances
et souscrit certains engagements, qu'elle n'aurait
pas respectés; les demanderesses en auraient subi
un dommage.
Les demanderesses s'appuient principalement
sur une lettre du ministre des Transports, en date
du 26 mars 1969, adressée à CAE. Le ministre du
Commerce et le ministre de la Production de
défense ont contresigné cette lettre.
La demande s'élève à:
2 520 000 $ pour manque à gagner;
3 400 000 $ en pertes de capital.
Les parties ont convenu de l'exposé suivant du
litige:
1. La défenderesse a-t-elle conclu, avec la
demanderesse CAE Industries Limited, une con
vention valide et exécutoire?
2. Si semblable convention a été conclue, quelles
en sont les conditions?
3. En ce cas, la défenderesse a-t-elle manqué à
ses obligations et, si oui, auxquelles?
4. Si la défenderesse a manqué aux obligations
qu'elle avait contractées, quelle est la nature et
l'importance des dommages en découlant?
5. Si aucune convention n'a été conclue, la lettre
de la défenderesse du 26 mars 1969 renferme-
t-elle de fausses et négligentes affirmations à
l'égard de la demanderesse CAE Industries et:
a) Cela étant, les demanderesses en ont-elles
subi un dommage?
b) En ce cas, quelle est la nature et l'impor-
tance de ce dommage?
Il convient d'exposer soigneusement les faits.
Autrefois, les activités d'Air Canada (ancienne-
ment T.C.A.) étaient centralisées à Winnipeg. En
1949, on a construit, à Montréal, des ateliers
d'exploitation et d'entretien. En 1959, on a para-
chevé la construction d'ateliers importants et
modernes de révision dans cette ville.
En 1962, Air Canada fit connaître son intention
de fermer sa base de Winnipeg. Ce qui suscita de
véhémentes protestations. La fermeture allait
causer probablement la perte de plus de 1 000
emplois qualifiés dans la région de Winnipeg. À
cette époque, les principaux travaux de révision et
d'entretien effectués à la base d'Air Canada à
Winnipeg concernaient sa flotte d'appareils Vis
count.
Le premier ministre de l'époque, fin 1963 début
1964, déclara que la politique du gouvernement
consistait à chercher d'une façon ou d'une autre à
maintenir la base de Winnipeg en activité. Une
commission royale d'enquête fut constituée et
saisie de l'affaire. Elle fit certaines recommanda-
tions. Mais les négociations qui suivirent, afin d'en
arriver à une solution acceptable pour maintenir
ouverte la base de Winnipeg, échouèrent.
Au début d'octobre 1967, Air Canada annonça
que sa flotte d'appareils Viscount serait, vers 1970,
réduite à un point tel qu'il faudrait fermer la base
de Winnipeg. Cette annonce suscita des rencontres
entre le ministre fédéral des Transports et la pro
vince du Manitoba. Il en résulta ce qui suit (voir
pièces P. 150 et 151):
[TRADUCTION] (1) Le ministre des Transports confirmait
l'engagement antérieur du premier ministre, mais rappelait
que cela ne signifiait pas nécessairement la continuation des
opérations d'Air Canada quoique cela requérerait nul doute
un appui substantiel d'Air Canada.
(2) On demandait à Air Canada de réexaminer ses besoins
en révision d'appareils à la lumière du changement de cir-
constances survenu depuis la remise du rapport de la Com
mission royale.
(3) Un groupe de travail intergouvernemental était constitué
afin d'étudier les solutions diverses proposées.
On me permettra une digression afin de rappor-
ter brièvement l'évolution des compagnies deman-
deresses. CAE, Canadian Aviation Electronics
Ltd., a été fondée en 1947. Jusque vers 1960
environ, son champ principal d'occupation était,
dans le domaine de la défense, l'électronique d'aé-
ronautique. Après 1960, elle diversifia ses activi-
tés. En 1966, elle avait sept divisions opérationnel-
les agissant dans toutes sortes de domaines.
À la date de l'instruction, CAE était, et avait
été, essentiellement une société de gestion et un
holding. Elle comportait seize filiales en opération.
Elle était une sorte de superconseil d'administra-
tion de ses filiales.
L'une des filiales de CAE, la société Northwest
Industries Limited (ci-après «Northwest»), s'adon-
nait depuis les années 1950 à la réparation et à la
révision d'avions, surtout d'appareils militaires, à
Edmonton.
En 1967, M. C. D. Reekie était président et
président-directeur général de CAE. Au cours de
l'été de cette année-là, M. G. T. Rayner, le direc-
teur de la Direction de l'aéronautique et de l'es-
pace aérien du ministère de l'Industrie, demanda à
le voir. Il voulait savoir si CAE serait intéressée à
conclure des arrangements en vue de l'utilisation
de la base de Winnipeg après le départ d'Air
Canada.
Reekie consulta ses subordonnés. CAE se
montra intéressée. En octobre 1967, CAE soumit
un projet «embryonnaire». Ce projet impliquait
Northwest.
Les négociations se poursuivirent alors. Il ne
s'agissait pas uniquement de négociations avec les
fonctionnaires et les ministères fédéraux, il s'agis-
sait aussi de négociations, quant à l'accord de prise
en charge, avec Air Canada.
Dans le cadre de ces développements, le person
nel de CAE, les représentants d'Air Canada et
d'autres personnes participèrent à diverses assem
blées du groupe de travail intergouvernemental, en
1968.
Le 24 février 1968, Northwest soumettait for-
mellement un projet de [TRADUCTION] « ... prise
en charge de la base d'entretien d'Air Canada à
Winnipeg» (pièce P. 8). Northwest stipulait,
notamment, que le ministère de la Défense natio-
nale (MDN) s'engageait à fournir, pour un nom-
bre d'années convenu, au moins 300 000 heures
directes de travail par année. Le projet prévoyait
une contribution de Northwest, du MDN (outre
les 300 000 heures) et d'Air Canada. Celle-ci con-
fierait la réparation et la révision de ses appareils
Viscount, tant que ces appareils demeureraient en
service, aux nouveaux exploitants.
Le projet ne donna lieu à aucune réponse écrite.
Le 28 mai 1968 se réunit le groupe de travail
fédéral-provincial à Ottawa.
Reekie et le président de Northwest, M. E. L.
Bunnell, assistèrent à une partie de l'assemblée. Ils
expliquèrent le projet de Northwest. Reekie
déclara que Northwest n'était pas intéressée, si elle
assumait la prise en charge, à avoir à fermer la
base pour insuffisance de travail. Il fallait lui
assurer au moins 300 000 heures-travail par année,
pour sept ans, d'une source quelconque, et ce en
sus des travaux que lui confierait Air Canada et de
ceux que générerait Northwest elle-même. Les
gens de Northwest, à l'assemblée, donnèrent une
liste des travaux que le MDN pourrait leur
confier.
Quelque temps après, Northwest fit savoir à
Rayner que 700 000 heures directes de travail par
année seraient nécessaires à une exploitation
viable. Lors de l'échec des négociations, on avait
parlé de 300 000 heures par année qu'aurait four-
niés le MDN.
Le procès-verbal du 27 juin 1968 du groupe de
travail fédéral-provincial rapporte l'opinion de
Rayner:
[TRADUCTION] ... les 300 000 heures de la nouvelle entreprise,
que devra fournir le MDN en 1971, sont tout à fait insuffisan-
tes vu les politiques officielles du gouvernement fédéral (pièce
P. 10).
Mais d'autres négociations étaient prévues. Elles
eurent lieu.
Air Canada rédigea certains projets d'accord et
les soumit à Northwest. Northwest poursuivit ses
pourparlers avec les fonctionnaires du gouverne-
ment. Lors d'une assemblée subséquente du groupe
de travail fédéral-provincial, le 23 juillet 1968, le
procès-verbal rapporte que:
[TRADUCTION] Les négociations entre Air Canada et NWI
suivent leur cours en ce qui a trait aux moyens par lesquels
NWI pourrait prendre en charge les ressources physiques et en
personnel d'Air Canada et effectuer des travaux pour Air
Canada à Winnipeg. Toutefois, avant de conclure un accord
avec Air Canada, NWI insiste pour qu'on lui fournisse l'assu-
rance qu'elle obtiendra 300 000 heures-travail supplémentaires
à compter de 1971 en sus des 400 000 heures-travail qu'elle
prévoit obtenir d'Air Canada ou générer elle-même.
Au début de janvier 1969, Northwest soumettait
formellement un projet à Air Canada. À la page
34 de ce document, on stipule:
[TRADUCTION] Nous devons répéter à nouveau qu'à moins
d'un engagement ferme pour un total de 300 000 heures de
production par an, jusqu'à 1976, nous ne serons pas intéressés à
prendre en charge et à exploiter les installations d'entretien de
Winnipeg. Notre projet, donc, est présenté sous la condition
suspensive de l'engagement par Air Canada et le gouvernement
canadien de fournir 300 000 heures de travail productif annuel-
lement, jusqu'en 1976, en sus du travail que générera North
west Industries Limited elle-même. Sans cet engagement, nous
ne saurions promettre de maintenir un niveau d'emploi compa
rable à celui existant, ni ne pouvons-nous prétendre développer
une industrie saine et durable au Manitoba.
Puis, M. E. L. Hewson, le directeur de la Direc
tion de la politique en matière de transport et de
recherche au ministère des Transports, demanda à
M. Reekie d'exposer les demandes de CAE. Ce qui
fut fait le 28 février 1969.
La lettre que j'ai mentionnée précédemment,
signée par le ministre des Transports et contresi-
gnée par les deux autres Ministres, fut la réponse
envoyée à Reekie. Je reproduis ici cette lettre en
entier:
[TRADUCTION] LE MINISTRE DES TRANSPORTS
Ottawa, le 26 mars 1969.
M. C.D. Reekie,
Président,
CAE Industries Ltd.,
C.P. 6166,
Montréal 3, P.Q.
Cher monsieur Reekie,
Le 28 février 1969, vous avez écrit à M. E.L. Hewson du
ministère des Transports pour demander certaines assurances
au sujet du projet d'achat de la base d'entretien d'Air Canada à
Winnipeg par Northwest Industries Ltd., une filiale de CAE
Industries Ltd. Vu l'accord signé par votre firme et par Air
Canada, le soussigné est autorisé à fournir les assurances
suivantes dans cette affaire:
a) Le gouvernement du Canada souscrit à l'objectif voulant
que les niveaux d'emploi actuels soient maintenus et que tous
les efforts possibles soient faits pour aider à développer une
industrie aérospatiale viable et durable à Winnipeg.
b) Il reconnaît aussi, d'une part, que 700 000 heures-travail
directes par an constituent un objectif réaliste si l'on veut
faire de l'exploitation de ces installations une entreprise
viable et, d'autre part, que les évaluations actuelles de la
charge de travail future suggèrent qu'éventuellement les
niveaux minimums fixés pourraient différer des niveaux réels
entre 1971 et 1976 moins que de nouveaux contrats de
réparation et de révision ou de fabrication aérospatiales ne
soient souscrits.
c) Le ministère de la Production de défense ne saurait
garantir plus de 40 000 50 000 heures-travail directes par
an dans la période 1971-1976 au titre de travaux de répara-
tion et de révision «réservés», mais le gouvernement du
Canada s'emploiera de son mieux à obtenir le travail supplé-
mentaire nécessaire d'autres ministères ou de sociétés de la
Couronne afin de respecter l'objectif de 700 000 heures-tra
vail directes.
d) Dans l'exécution de l'engagement souscrit en c) ci-dessus,
le gouvernement du Canada reconnaît que tout travail sup-
plémentaire confié à la base d'entretien de Winnipeg ne
proviendra pas des contrats de travail gouvernementaux que
Northwest Industries exécute actuellement à Edmonton.
e) Il donne en outre son agrément à ce que le bail liant
actuellement Air Canada et le ministère des Transports sera
cédé à NWI, aux conditions, financières et autres, actuelles,
pour dix ans.
Veuillez accepter l'expression de mes sentiments distingués.
Paul T. Hellyer
Contresigné par:
L'honorable J.L. Pépin,
Ministre du Commerce.
L'honorable D.C. Jamieson,
Ministre de la Production de défense.
J'extrais les termes importants sur lesquels s'ap-
puient les demanderesses:
... le gouvernement du Canada s'emploiera de son mieux à
obtenir le travail supplémentaire nécessaire d'autres ministères
ou de sociétés de la Couronne afin de respecter l'objectif de 700
000 heures-travail directes.
Le Cabinet de l'époque avait, le 20 mars 1969,
autorisé les trois Ministres à signer la lettre du 26
mars.
Un protocole d'entente intervenu entre North
west et Air Canada fut signé le 2 avril 1969. Air
Canada s'engageait, notamment, à fournir 100 000
heures-travail par an de 1971 1975, en sus de
l'entretien des Viscount alors graduellement mis
hors service.
La seconde demanderesse, CAE Aircraft Ltd.
(ci-après «Aircraft») fut constituée le 7 avril 1969.
Elle appartenait entièrement à CAE. CAE lui a
fourni un capital de 100 000 $.
Plusieurs contrats, tous datés du ler septembre
1969, sont intervenus entre Air Canada et
Aircraft.
L'un d'eux stipulait qu'Aircraft devait assurer
l'entretien de ses appareils Viscount. On s'enga-
geait en outre à fournir 100 000 heures-travail par
an de 1971 1975 inclusivement. Un autre pré-
voyait la vente par Air Canada à Aircraft de
certains outils et équipements pour un prix de
120 000 $. Un troisième stipulait la vente de cer-
tains immeubles à Aircraft pour un prix de
300 000 $. Un quatrième prévoyait la fourniture,
par Air Canada à Aircraft, de certains matériaux
dans le cadre du programme relatif aux appareils
Viscount.
Le 3 septembre 1969 fut signée une convention
entre Air Canada, Northwest et Aircraft. Elle
comportait plusieurs clauses stipulant, notamment,
la cession, par Northwest à Aircraft, de l'accord
conclu par Northwest le 2 avril 1969. Cet acte, on
se le rappellera, portait sur l'entretien des Viscount
et sur 100 000 heures-travail additionnelles par an.
Le 18 septembre 1969, la défenderesse a loué à
Aircraft un terrain aéroportuaire.
Le 3 septembre 1969, les sociétés de CAE pre-
naient en charge la base d'Air Canada. Aircraft
commença ses opérations. Les choses allèrent rai-
sonnablement bien pendant un certain temps mais,
à compter de 1971, la charge de travail des deman-
deresses diminua graduellement. À compter de
cette époque et jusqu'à la mise en mouvement de
l'instance, en 1975, les demanderesses ont toujours
prétendu que le gouvernement fédéral n'avait pas
respecté les engagements, qui le liaient, souscrits
dans la lettre du 26 mars 1969. J'élaborerai ci-des-
sous sur ces faits.
Il échet d'abord et surtout d'examiner si la
défenderesse a conclu une convention valide et
exécutoire avec CAE.
Les demanderesses prétendent que la lettre du
26 mars est l'aboutissement de longues négocia-
tions, que cette lettre énonce les modalités de
l'accord intervenu, que les parties entendaient se
lier et qu'elles ont agi sur le fondement de ces
modalités.
La défenderesse prétend, elle, que la lettre du 26
mars 1969 n'a pas, pour plusieurs raisons, créé
d'obligation conventionnelle liant la Couronne.
D'abord, dit-on, les trois Ministres n'avaient pas
le pouvoir de lier la Couronne par un contrat du
genre invoqué; le pouvoir de lier la Couronne,
même dans le cas des ministres, devait reposer sur
une loi ou un décret; il n'y avait eu en l'espèce
aucun décret; aucune des lois en cause n'attribuait
aux Ministres les pouvoirs nécessaires à la conclu
sion d'un contrat de ce genre.
Cet argument de droit, avancé plusieurs années
plus tard, voulant que n'ait jamais existé aucun
lien conventionnel véritable est, à la lumière de
tout ce qui s'est fait sur le fondement de la lettre
du 26 mars, plutôt estomaquant. Affirmer que ces
Ministres aient été incapables de lier le gouverne-
ment, n'est-ce pas faire un affront aux citoyens
ordinaires de notre pays? Si cet argument s'avérait
fondé, tout l'exercice, depuis 1968 jusqu'à la rup
ture entre les parties, n'aura été qu'une farce.
La preuve dont je suis saisi indique que divers
hauts fonctionnaires, impliqués au cours des ans,
plusieurs ministres et d'autres encore ont considéré
l'arrangement comme obligatoire. Les témoigna-
ges de MM. W. W. Reid et Arthur Bailey sont en
ce sens. Reid, un haut fonctionnaire, fut étroite-
ment associé à l'affaire du début à la fin. Il a
proposé à plusieurs reprises certains programmes
pour que l'engagement soit respecté. M. Bailey est
le fonctionnaire que la Couronne a présenté en
interrogatoire préalable. Il était, à cette époque,
sous-ministre adjoint (gestion intégrée) au minis-
tère des Approvisionnements et Services. Parlant
des négociations dont la lettre du 26 mars fut le
résultat, il a déclaré, les deux parties cherchant
leur intérêt et ayant leurs motivations: [TRADUC-
TION] «leurs volontés se rencontrèrent». Plus loin,
il ajoute:
[TRADUCTION] ... manifestement le gouvernement et les trois
Ministres concernés pensaient qu'il était de leur intérêt d'enga-
ger des pourparlers et d'en arriver à un accord car, pensaient-
ils, ils en retireraient quelque chose. [Q. 967: C'est moi qui
souligne.]
Mais on soutient qu'il n'existe pas de convention
obligatoire; je dois en juger.
La défenderesse fait valoir l'arrêt La Reine c.
Transworld Shipping Ltd.' comme source de la
règle voulant que le pouvoir d'un ministre de con-
clure un contrat au nom de la Couronne ne lui soit
attribué que par la loi ou un décret. Le juge en
chef Jackett dit aux pages 163 et 164:
Avant d'examiner les questions soulevées en l'espèce, il y a
lieu, à mon avis, de passer en revue d'une manière générale
certaines considérations que l'on doit avoir à l'esprit quand se
pose la question de savoir s'il y a un contrat entre le gouverne-
ment du Canada et une autre personne dans un domaine
' [1976] 1 C.F. 159 [C.A.].
relevant de la compétence du ministère des Transports. Je pense
aux points suivants:
a) le pouvoir d'agir au nom du Ministère,
b) le contrôle parlementaire,
c) le Règlement sur les marchés de l'État, et
d) l'article 15 de la Loi sur le ministère des Transports.
En ce qui concerne le pouvoir d'agir pour un ministère en
matière de contrat, comme le pouvoir d'une personne passant
un contrat en qualité de mandataire d'un particulier, si une
personne contracte au nom de Sa Majesté, le mandataire doit
avoir la capacité d'agir au nom de son commettant; et, s'agis-
sant d'un gouvernement dans notre système de gouvernement
responsable, un tel pouvoir est ordinairement conféré soit par
une loi, soit par une ordonnance en conseil. A cet égard, on doit
noter que les actes ordinaires du gouvernement au Canada sont
répartis parmi des ministères créés par la loi, ayant chacun à sa
tête un ministre de la Couronne chargé, de par la loi, de la
«gestion» et de la direction de son ministère. A mon avis, sauf
les restrictions légales qui peuvent par ailleurs être imposées, un
ministre a légalement le pouvoir de passer les contrats d'usage,
relatifs à cette partie de l'activité du gouvernement fédéral qui
est assignée à son ministère. En ce qui concerne le ministère des
Transports la disposition pertinente est l'article 3 de la Loi sur
le ministère des Transports, ainsi libellé:
3. (1) Est établi un ministère du gouvernement du Canada,
appelé ministère des Transports, auquel préside le ministre
des Transports nommé par commission sous le grand sceau.
(2) Le Ministre a la gestion et la direction du ministère et
occupe sa charge à titre amovible.
Si l'on admet a priori que le Ministre a légalement le pouvoir
de passer des contrats dans le cadre de son ministère, il s'ensuit
à mon avis que, sauf disposition légale contraire, ce pouvoir
peut être et sera, dans le cours normal des choses, exercé par les
fonctionnaires de son ministère. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Thurlow (aujourd'hui juge en chef),
avait déjà dit à peu près la même chose que le juge
en chef Jackett dans l'espèce Walsh Advertising
Company Limited v. The Queen 2 . La Cour
suprême du Canada fut saisie de la question dans
l'affaire J. E. Verreault & Fils Ltée c. Le procu-
reur général de la province de Québec'. Dans cette
affaire, un décret, signé par le lieutenant-gouver-
neur du Québec, autorisait le ministre du Bien-être
social à signer un contrat d'achat d'un bien-fonds.
Le terrain devait servir à la construction d'un foyer
pour personnes âgées. Le Ministre signa un contrat
avec l'appelante pour la construction du foyer. Le
2 [1962] R.C.É. 115.
' [1977] 1 R.C.S. 41. Le juge en chef Davison analyse aussi
la question de l'autorité réelle et manifeste des fonctionnaires
de la Couronne dans l'arrêt Meates v. Attorney General, [1979]
1 NZLR 415 [S.C.]. Les faits dans cette affaire différaient fort
de ceux en cause comme de ceux de l'arrêt Verreault.
gouvernement ayant changé, la province a voulu
résilier le contrat de construction. On faisait valoir
qu'aucun contrat exécutoire n'avait été conclu
puisque le décret n'autorisait que l'achat du ter
rain, non la construction d'un foyer. Le juge
Pigeon, auteur de l'arrêt, dit que le contrat a été
validement conclu sur le fondement de la loi orga-
nique du département du bien-être social (L.Q.
1958-59, chap. 27). L'article 8 de cette loi portait
qu'aucun contrat ou écrit n'engageait le départe-
ment s'il n'était signé par le ministre ou son sous-
ministre. L'article 10 portait que le lieutenant-gou-
verneur en conseil pouvait autoriser le ministre à
organiser des écoles et autres institutions adminis-
trées par son département; il pouvait l'autoriser
aussi:
... à acquérir, de gré à gré ou par expropriation, des terrains
ou des immeubles nécessaires à ces fins.
Aux pages 45 à 49, le juge Pigeon dit:
Peut-on conclure de ces textes qu'en vertu des lois en vigueur
le 7 juin 1960, le ministre du Bien-être social ne pouvait
accorder un contrat de construction d'un immeuble destiné à
servir de foyer pour personnes âgées sans l'autorisation du
lieutenant-gouverneur en conseil? Je ne le crois pas. Il faut bien
noter tout d'abord, que l'art. 10 n'est pas en forme restrictive.
Tout comme le c. 6, c'est une loi d'autorisation. Il n'en découle
une restriction que dans la mesure où, en vertu des principes
généraux du droit, une autorisation législative est nécessaire.
Ainsi, en est-il de l'expropriation. Le droit d'exproprier est
exceptionnel. Il n'existe donc qu'en vertu d'une disposition
explicite.
Pour l'organisation d'institutions de bien-être social, la ques
tion ne se pose pas de la même manière car un texte affirmatif
de portée restreinte n'a pas, en général, pour effet d'écarter
l'application d'une règle générale qui existe par ailleurs.
Il faut donc voir si vraiment, en l'absence d'une législation
restrictive, un ministre est incapable de contracter au nom du
Gouvernement. De la part de l'intimé, on nous a cité le passage
suivant du récent ouvrage de Me René Dussault, Traité de
Droit administratif canadien et québécois (p. 888):
... l'agent qui veut contracter pour le compte de l'adminis-
tration doit être spécifiquement habilité à le faire: si la loi est
la source des pouvoirs de l'Administration, elle en constitue
aussi le cadre hors duquel celle-ci ne peut agir. Comme le
soulignait le juge Thurlow, de la Cour de l'Échiquier du
Canada (Walsh Advertising Co. Ltd. v. R., [1962] R.C.E.
115, 123-124):
[TRADUCTION] Il semble établi comme principe général
qu'un ministre de la Couronne n'est pas habilité à signer
des contrats au nom de la Couronne à moins qu'il n'y ait
été autorisé par une loi ou un arrêté en conseil.
Avec respect, il me paraît que la vraie doctrine est exposée dans
les passages suivants de l'ouvrage de Griffith et Street intitulé
Principles of Administrative Law (3' éd. 1963, pp. 269-271):
[TRADUCTION] Le gouvernement des États-Unis n'est pas
responsable d'un contrat signé par son représentant à moins
que celui-ci n'ait été légalement autorisé ou qu'on n'y ait
affecté des crédits suffisants pour l'exécuter. D'autre part, en
Angleterre, les principes généraux du mandant s'appliquent
aux fonctionnaires de l'État. Ils n'ont pas besoin d'autorisa-
tion expresse pour engager leur mandat et ils ne sont pas
personnellement responsables des contrats à moins qu'ils ne
se soient obligés personnellement.
... On a coutume de dire que les contrats du gouvernement
sont nuls si le Parlement n'y a pas expressément affecté de
crédits. Cela vient d'une mauvaise interprétation des précé-
dents, comme un jugement australien l'a reconnu. Cette
interprétation repose surtout sur l'obiter dictum d'un seul
juge dans Churchward v. Reg., (1865, 1 Q.B. 173, p. 209, M.
le juge Shee). Cet énoncé a été profondément modifié, au
cours du siècle, par plusieurs arrêts où le vicomte Haldane a
joué un rôle de premier plan. Nous estimons que la vraie
règle est la suivante: Un contrat signé par un représentant du
gouvernement agissant dans les limites de son mandat appa
rent est un contrat valide obligeant le gouvernement; en
l'absence de crédits affectés expressément ou implicitement
au contrat par le Parlement, le contrat n'est pas exécutoire.
Sa Majesté est évidemment une personne physique, et je
cherche en vain le principe d'après lequel les règles générales du
mandat, y compris celles du mandat apparent, ne lui seraient
pas applicables. A cet égard, la situation des ministres et autres
fonctionnaires du Gouvernement est fondamentalement diffé-
rente de celle des fonctionnaires municipaux. Dans notre sys-
tème, les municipalités sont des créatures de la loi, par consé-
quent, la doctrine de l'ultra vires doit recevoir sa pleine
application.
Revenant maintenant à l'affaire Walsh Advertising, il faut
noter que la décision a été rendue sous le régime de la Loi sur
l'Administration financière S.R.C. 1952, c. 116. Dans cette
espèce de code sur le sujet, on trouve relativement aux contrats
du Gouvernement des dispositions restrictives sur lesquelles il y
avait lieu de s'appuyer sans qu'il soit vraiment nécessaire de
recourir aux principes généraux. Comme l'a signalé l'avocat de
l'appelante à l'audition, ce n'est qu'en 1961 que la Législature
du Québec a décrété des dispositions analogues à celles de cette
loi fédérale (1960-61 (Qué.), c. 38).
Selon moi, dans l'arrêt Verreault, la Cour
suprême a montré que l'interprétation selon
laquelle les contrats administratifs ne sont valides
que si autorisés par un décret ou par la législation
était trop restrictive.
L'avocat de la défenderesse a cherché à minimi-
ser la portée des termes de l'arrêt Verreault, qui ne
ferait que répéter ce que l'arrêt Transworld et la
jurisprudence antérieure auraient dit.
Je ne saurais souscrire à cette analyse.
La Cour suprême a, à mon avis, trouvé le pou-
voir de contracter apparent et manifeste dans la
législation québécoise pertinente. Aucun décret
exprès, aucune loi expresse, ni aucune disposition
légale expresse n'était nécessaire. Le pouvoir exis-
tait par implication.
Le procureur de la défenderesse a ensuite ana-
lysé les diverses lois organisant les ministères que
géraient et dirigeaient les trois Ministres signatai-
res de la lettre du 26 mars. On ne trouvait dans
aucune de ces lois, soutenait-on, le pouvoir de
conclure un contrat portant fourniture d'heures-
travail pour une période future.
Cette interprétation est, à mon avis, par trop
étroite.
L'article 15 de la Loi sur la production de
défense, S.R.C. 1952, chap. 62, modifiée, confère
au Ministre le pouvoir, notamment, de:
15....
b) fabriquer ou autrement produire, parachever, assembler,
traiter, développer, réparer ou entretenir des approvi-
sionnements de défense ou administrer et exploiter des
facilités à cette fin;
d) prendre des dispositions en vue de l'accomplissement de
services professionnels ou commerciaux;
g) accomplir tout ce qui, de l'avis du Ministre, est acces-
soire, nécessaire ou utile aux matières mentionnées dans
les dispositions précédentes du présent article, ou toute
chose que le gouverneur en conseil peut autoriser en ce
qui regarde la fourniture, la construction ou l'aliénation
d'approvisionnements de défense ou d'entreprises de
défense.
L'article 17 de cette Loi autorise le Ministre à
conclure des contrats d'exécution de tout ce qu'il
est autorisé à accomplir selon l'article 14 ou 15.
Donnant aux articles pertinents de la Loi sur la
production de défense un sens raisonnable et une
interprétation libérale, j'en déduis que le Ministre
avait le pouvoir de conclure un contrat pourvoyant
à ce qui est prévu à l'alinéa 15b), y compris un
engagement pour un nombre quelconque d'heures
de travail. Dans la lettre du 26 mars, le Ministre
n'a fait que s'engager à fournir du travail concer-
nant les «approvisionnements de défense», dont les
aéronefs et les installations qui leur sont nécessai-
res. Au lieu de spécifier certains projets de travaux
précis, un engagement général de fournir du tra
vail, en termes d'heures, a été donné. Cette inter-
prétation large de l'alinéa 15b) donne, à mon avis,
un fondement à la lettre du 26 mars.
Mes conclusions à cet égard visent non seule-
ment les 40 000 à 50 000 heures-travail directes
garanties, en réparation et en révision «réservées»
par le MPD, mais aussi tout le travail supplémen-
taire fourni par ce Ministère et contribuant à
l'objectif de 700 000 heures.
Je n'oublie pas l'alinéa 17(1)d) qui porte qu'au-
cun contrat ne saurait être conclu sans l'approba-
tion du gouverneur en conseil. Il faut appliquer
l'arrêt Verreault. Il y avait ici, selon moi, approba
tion tacite, voire manifeste. Un décret en bonne et
due forme n'était pas nécessaire.
J'en viens maintenant à la Loi sur le ministère
des Transports, S.R.C. 1952, chap. 79, modifiée.
Cette Loi ne concerne pas l'aéronautique. Les
pouvoirs du Ministre en l'espèce découlaient de la
Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1952, chap. 2,
modifiée. Le paragraphe 3(2) de la Loi sur le
ministère des Transports confie la gestion et la
direction du Ministère au Ministre. L'alinéa 3d) de
la Loi sur l'aéronautique impose au Ministre le
devoir:
3. ...
d) de contrôler et d'administrer tous les aéronefs et tout
l'équipement nécessaires à la direction des services de Sa
Majesté;
L'avocat de la défenderesse a reconnu que ces
dispositions constituaient une autorisation légale
pour le Ministre de contracter en matière de répa-
ration et de révision des appareils et du matériel
du ministère des Transports. Mais, à nouveau, il
faisait valoir l'interprétation restrictive selon
laquelle l'autorité en cause n'incluait pas celle de
conclure un contrat stipulant la fourniture d'une
certaine quantité d'heures de travail à un tiers. Ici
aussi, comme dans le cas de la Loi sur la produc
tion de défense, la distinction me paraît trop ténue.
Si le Ministre pouvait contracter quant à la répa-
ration et à la révision des aéronefs de transport, je
ne vois pas pourquoi il n'aurait pas pu convenir de
fournir une certaine quantité d'heures-travail.
Manifestement, le travail en cause portait sur les
aéronefs appartenant au Ministère ou sur les
autres aéronefs dont le Ministre avait la garde ou
l'administration.
Enfin, il y a la Loi sur le ministère du Com
merce, S.R.C. 1952, chap. 78. De par l'article 3, le
Ministre a la direction et le contrôle du Ministère.
L'article 5 dispose que:
5. Les fonctions et attributions du ministre du Commerce
s'étendent à la mise à exécution des lois du Parlement du
Canada et des arrêtés du gouverneur en conseil, concernant les
matières qui se rattachent au commerce et à l'industrie en
général, et qui ne sont assignées par la loi à aucun autre
ministère du gouvernement du Canada, ainsi qu'à la direction
de tous corps publics, fonctionnaires et préposés employés à
l'exécution de ces lois et arrêtés.
La défenderesse fait valoir qu'aucune de ces
dispositions légales n'autorisait la lettre du 26
mars.
Ce n'est pas mon avis.
Les arrangements souscrits dans la lettre minis-
térielle peuvent, selon moi, fort bien relever de la
rubrique «commerce», laquelle est fort large. Ce
Ministère ne possédait aucun aéronef à lui. Il
n'avait pas de direction aérospatiale. Il possédait
de larges pouvoirs, pouvant servir, cela n'est pas
inconcevable, à confier aux demanderesses certains
travaux à effectuer sur des avions et, par là, un
certain nombre d'heures-travail.
La défenderesse, s'appuyant sur l'absence de
pouvoir exprès ou tacite dans les trois lois discu-
tées, soutient que la seule source valable de l'acte
du 26 mars était: a) un décret exprès; b) ou une loi
d'exception autorisant ce contrat particulier. On
allait même plus loin: il n'y avait aucune loi, de
quelque genre que ce soit, en vigueur en 1969,
autorisant la prise d'un semblable décret.
Par les motifs précités, je rejette les arguments
de la défenderesse. La lettre, dans la mesure où
elle est conforme au droit des contrats, créait un
contrat valide et exécutoire entre CAE et la
défenderesse.
La défenderesse ajoute:
[TRADUCTION] ... la convention dont l'existence résulterait de
la lettre n'est pas un contrat au sens strict mais la simple
expression d'une intention de contracter dans l'avenir (»indéter-
mination de l'objet du contrat»);
Une certaine jurisprudence, dont des espèces bien
connues, a été citée comme source de la règle
voulant qu'une convention dont un certain aspect,
ou des aspects, sont laissés indéterminés, ne consti-
tue pas un contrat; les parties contractantes ne
peuvent validement convenir qu'à l'avenir elles
s'entendront sur un ou des éléments vitaux laissés
pour l'instant indéterminés.
Le juge en chef de la Cour suprême [de la
Colombie-Britannique], le juge Wilson, dans l'ar-
rêt Diamond Developments Ltd. v. Crown Assets
Disposal Corp. 4 , résume l'état du droit tel qu'éta-
bli par les principaux arrêts de principe:
[TRADUCTION] Je citerai d'abord la règle énoncée par lord
Dunedin dans l'arrêt May & Butcher, Ltd. v. The King, [1934]
2 K.B. 17, et confirmée par lord Wright dans l'arrêt G.
Scammell & Nephew, Ltd. v. Ouston, [1941] A.C. 251, la p.
269:
Un contrat n'est valide que s'il est parfait, et un contrat
parfait est un contrat où est prévu tout ce qui est nécessaire
et où les parties n'auront rien à déterminer par accord
ultérieur. Naturellement, il peut comporter un élément non
encore déterminé, mais la détermination de cet élément ne
doit pas supposer l'accord des parties.
Le juge Parker a bien circonscrit la règle en cause dans
l'espèce Von Hatzfeldt-Wildenburg v. Alexander, [1921] 1 Ch.
284; le juge Judson la cite et l'approuve dans l'arrêt Calvan
Consolidated Oil & Gas Co. Ltd. v. Manning (1959), 17
D.L.R. (2d) 1, à la p. 6, [1959] R.C.S. 253; de même le juge
Bull, de la Cour d'appel, dans l'arrêt Block Bros. Realty Ltd. v.
Occidental Hotel Ltd. (1971), 19 D.L.R. (3d) 194, la p. 198,
[1971] 3 W.W.R. 51:
Il paraît être de bonne doctrine que si les papiers ou lettres
constatant prétendument un contrat envisagent la conclusion
d'un contrat ultérieur entre les parties, se pose alors une
question d'interprétation, à savoir est-ce que la conclusion du
contrat ultérieur constitue une condition ou une clause de
l'accord ou s'agit-il de la simple expression du désir des
parties quant au mode d'exécution de l'accord de leur
volonté? Dans le premier cas, il n'y a aucun contrat exécu-
toire, soit parce que la condition est purement potestative,
soit parce que le droit ne reconnaît pas la convention par
laquelle on s'engage à en conclure une autre. Dans le
deuxième cas, il y a contrat obligatoire et l'on n'a pas à tenir
compte de l'acte formel ultérieur.
La défenderesse soutient que la provision d'heu-
res-travail ne pouvait se faire que dans des con-
trats ultérieurs, relatifs à un aéronef précis. Il
faudra alors, argue-t-on, négocier le prix de ces
contrats. Il faudra décider si les demanderesses
peuvent faire le travail. On ignorait la notion de
programmes potentiels de travail en 1969; il fau-
drait donc les établir plus tard. Tout cela,
° (1972), 28 D.L.R. (3d) 207 [C.S.C.-B.], à la p. 212. Voir
aussi Canada Square Corp. Ltd. v. Versafood Services Ltd. et
al. (1982), 130 D.L.R. (3d) 205 [C.A. Ont.].
disait-on, faisait que la lettre du 26 mars n'était
pas un contrat ou, si l'on veut, n'était pas
exécutoire.
Encore une fois, ce n'est pas mon avis.
L'accord souscrit par la défenderesse visait la
fourniture d'un nombre fixe d'heures-travail par le
MPD à quoi s'ajoutait l'obligation pour elle (la
Couronne) de s'employer de son mieux à combler
le fossé entre ce que les demanderesses obtenaient
en termes d'heures par an de cette source et d'au-
tres sources, et 700 000 heures. J'ai déjà résumé
les lignes directrices de la convention. En droit
strict, il n'était pas nécessaire de convenir d'autre
chose. La défenderesse devait s'employer de son
mieux à fournir les heures nécessaires. Quand
devait-elle s'employer de son mieux? Quand cela
serait nécessaire et uniquement si cela le devenait;
c'était à la défenderesse de le discerner. Les néces-
sités commerciales et pratiques exigeraient bien
sûr que des consultations et des négociations au
sujet du travail à fournir, jusqu'à combler un
déficit de 700 000 heures, et de son coût, aient
lieu. En fait c'est ce qui se produisit. Mais, en
droit, aucun accord ultérieur n'était requis pour
valider la lettre du 26 mars.
La lettre répond selon moi aux critères de l'arrêt
May & Butcher, Ltd. v. The King, [[1934] 2 K.B.
17 (H.L.)]. Il y a eu accord de volontés. Rien n'a
été laissé à régler par une convention ultérieure.
Ce qui restait à déterminer ne devait l'être que par
la défenderesse: la façon d'exécuter les obligations
contractées. Cela ne dépendait pas de la conven
tion de mars.
La défenderesse excipe ensuite de moyens tech
niques. Quelle était, des demanderesses, la partie
contractante? L'argument fait appel à l'ancien
droit sur les cessions, de droit et d'equity, sur les
droits conventionnels, sur le droit d'ester et sur les
parties à mettre en cause.
Ce moyen se fonde sur la prémisse que la lettre
ministérielle constatant la convention était adres-
sée à Northwest, non à CAE ou à Aircraft.
Rayner, le directeur de la Direction de l'aéro-
nautique et de l'espace aérien du ministère de
l'Industrie avait d'abord contacté M. Bunnell de
Northwest. Mais CAE, par l'intermédiaire de
Reekie, fut impliquée immédiatement dans les
négociations. Il est vrai qu'à l'origine c'était
Northwest qui devait prendre en charge la base
d'Air Canada à Winnipeg. La proposition faite à
Air Canada venait de Northwest. La convention
du 2 avril 1969 fut conclue avec Northwest. Il y
était stipulé:
[TRADUCTION] Tant que la présente convention n'aura pas été
remplacée, en tout ou en partie, par d'autres contrats plus
formels et plus précis, elle exprime la nature et la portée
générales de l'ensemble du programme et l'esprit et l'intention
dans lesquels les deux parties conclueront les conventions con-
nexes (pièce P. 18: p. 1).
Toutefois, je crois Reekie lorsqu'il affirme dans
son témoignage que du côté du gouvernement on
savait, avant le 26 mars 1969, qu'une filiale de
CAE autre que Northwest, pourrait être choisie.
Mais le document clé, la lettre du 26 mars, est
adressée à CAE. Selon moi, CAE et Northwest
sont devenues parties au contrat constaté par la
lettre. Le cocontractant, c'est la défenderesse.
Les conventions formelles, en exécution de l'en-
semble de l'arrangement, sont toutes, on se le
rappellera, datées du 1" septembre 1969. Elles
furent conclues avec Aircraft. CAE se portait cau
tion dans deux de celles-ci. Deux jours plus tard,
ici encore comme je l'ai déjà dit dans les présents
motifs, Northwest cédait tous ses droits dans les
conventions conclues avec Air Canada à Aircraft.
CAE était partie à cet arrangement.
La lettre du 28 février 1969 que Reekie envoya
à Hewson fut la véritable raison d'être de la lettre
ministérielle du 26 mars. Dans la lettre de Reekie,
on dit, au paragraphe 7:
[TRADUCTION] Le gouvernement acceptera de céder les baux
des terrains en vigueur à Northwest Industries comme prévu
dans notre projet soumis à Air Canada.
À cet égard, la lettre ministérielle énonce en
réponse que le bail en vigueur concédé par le
ministère des Transports à Air Canada sera cédé à
Northwest, pour dix ans, aux conditions financiè-
res existantes. Le 18 septembre 1969, la défende-
resse loua un terrain, pour fins d'aéroport, non à
Northwest, mais à Aircraft. Quoique la preuve
administrée à cet égard ne soit pas des plus claires,
ce bail semble avoir été contracté en exécution de
l'arrangement locatif convenu. Ce qui confirme
que les parties traitaient avec CAE et Aircraft.
Northwest n'était plus en cause.
Je ne doute nullement qu'il y ait eu cession, au
moins en equity, par Northwest à Aircraft, de tous
les droits que Northwest détenait en vertu du
contrat du 26 mars. Et également, il n'y a aucun
doute que tous ceux qui étaient concernés savaient
que c'était Aircraft qui allait reprendre l'exploita-
tion de la base de Winnipeg.
La défenderesse fait valoir que Northwest aurait
dû être demanderesse; il n'y avait eu aucune ces
sion écrite ayant force de droit; même s'il y avait
eu cession en equity, il fallait néanmoins que
Northwest soit partie à l'instance. On citait cer-
tains extraits de la 9e édition du Cheshire and
Fifoot's Law of Contract.
Je préfère, et fais miennes, les vues de Chitty
dans Chitty on Contracts (24e éd., vol. 1), au
paragraphe 1169:
[TRADUCTION] 1169 Effet juridique de la cession, en equity,
d'un bien incorporel. Antérieurement au Judicature Act de
1873 la cession d'un bien incorporel, en droit, ne pouvait
normalement recevoir d'effet, si ce n'est au nom du cédant,
puisque l'effet devait être sanctionné par les juridictions de
common law, qui ne reconnaissent comme capable d'ester
que le cédant. Après l'adoption du Judicature Act, on a jugé
que, certes les cessions en droit de biens incorporels, en
dérogation à la législation, conservaient leur validité en
equity, mais le cédant et le cessionnaire devaient toujours
être tous deux parties à l'instance. Lorsque la cession n'était
pas légale, parce que le cédant n'avait pas complètement
aliéné son droit, (par ex. lorsque l'aliénation est sous forme
de charge uniquement ou comme partie d'une créance) cette
règle a sa raison d'être puisqu'elle assure la mise en cause de
toutes les parties intéressées au bien. Mais, lorsque le cédant
ne conserve aucun droit dans le bien incorporel et que la
cession ne fait qu'être contraire à la législation, c.-à-d.
lorsqu'elle n'est pas par écrit, l'obligation de rendre le cédant
partie à l'instance ne semble plus servir pareille fin si les vues
précitées quant à l'effet, en equity, des cessions sont
acceptées.
Toutefois, on notera que le débiteur peut renoncer à
l'obligation de mettre en cause le cédant et, de toute façon,
les règles de la Cour suprême portent maintenant qu'aucun
droit d'action ne saurait être décliné pour absence de mise en
cause d'une partie, la Cour pouvant ordonner la mise en
cause de la partie en question.
La mise en cause de Northwest à titre de partie
demanderesse ne servirait à mon avis aucune fin
utile. D'ailleurs les Règles de cette Cour [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] portent
que:
Règle 1716. (1) La validité d'une action n'est pas affectée à
cause d'une fausse constitution de partie ou de l'omission de
mettre une partie en cause, et la Cour peut dans toute action
disposer des points ou des questions en litige dans la mesure où
ils touchent aux droits et intérêts des personnes qui sont parties
à l'action.
Je vais donc statuer sur les points en litige dans
la mesure où ils influent sur les droits des parties
actuellement en cause.
Sur le second point: quelles sont les conditions
du contrat?
On les retrouve dans la lettre du 26 mars. Les
voici résumées:
(1) Les parties convenaient que les 700 000
heures-travail directes par année constituaient
un objectif réaliste pour une bonne exploitation,
objectif qui maintiendrait les niveaux d'emploi
de 1969.
(2) Le MPD garantissait 40 000 50 000
heures-travail directes de 1971 1976 au titre
de travaux de révision et de réparation «réser-
vés». J'ajoute que c'était là une garantie sans
réserve; si le MPD, afin d'exécuter son obliga
tion, se voyait forcé d'enlever des commandes à
d'autres, c'était son affaire; il n'y avait dans la
convention de mars aucune stipulation contraire.
(3) Le gouvernement du Canada (défendeur en
l'espèce) convenait de s'employer de son mieux à
obtenir d'autres ministères et sociétés de la Cou-
ronne le travail supplémentaire nécessaire pour
combler toute carence, jusqu'à 700 000 heures
par année, pour les années 1971 à 1976.
Il n'est pas nécessaire de résumer les alinéas d)
et e) de la lettre ministérielle.
Avant de statuer sur l'inexécution du contrat, je
statuerai sur la stipulation primordiale, sur l'obli-
gation de moyen, de «s'employer de son mieux».
Le juge A. T. Lawrence, siégeant à la Commis
sion des chemins de fer et des canaux, interpréta
une expression semblable, [TRADUCTION] «faire
tout son possible», dans l'espèce Sheffield District
Railway Company v. Great Central Railway
Company 5 :
5 (1911), 27 T.L.R. 451 [Comm. des chemins de fer et des
canaux] à la p. 452. Voir aussi: Terrell v. Mabie Todd & Coy
Ld. (1952), 69 R.P.C. 234 [Q.B.D.] à la p. 237; Randall v.
Peerless Motor Car Co., 99 N.E. 221 (1912) [S.C. Mass.] à la
p. 226 ([TRADUCTION] «mettre toutes ses énergies à»); In Re
Heard (1980), 6 B.R. 876 aux pp. 883 et 884 ([TRADUCTION]
«de son mieux»).
[TRADUCTION] Les intimés prétendent invoquer la jurispru
dence de la Cour interprétant d'autres expressions dans des
circonstances différentes. Nous pensons que rien n'est plus
trompeur que cet usage des précédents. Nous pensons que «de
son mieux» veut dire ce que les mots veulent dire: cela ne veut
pas dire ne pas avoir fait de son mieux. Nous sommes tout à
fait d'accord avec M. Balfour Browne; ces termes ne sauraient
être interprétés comme signifiant que Great Central doit remet-
tre la moitié ou quelque autre portion bien définie de son
commerce au district de Sheffield. Ils ne signifient nullement
que Great Central doive gérer son entreprise de façon à nuire à
ses partenaires et à les diriger vers des avenues concurrentes. Ils
ne signifient pas que l'on doive dépasser les limites de la raison
pour ce qui est du coût du service. Mais, ceci dit, ces mots
signifient que Great Central Company doit, généralement par-
lant, ne laisser aucune avenue inexplorée dans le but de favori-
ser le développement du trafic sur la ligne du district de
Sheffield.
Voici le principal point litigieux suivant: le res
pect par la défenderesse de la convention. Dans les
termes de l'arrêt Sheffield: la défenderesse a-t-elle
fait moins que «de son mieux»? A-t-elle laissé
certaines avenues inexplorées dans ses tentatives
pour combler au profit des demanderesses toute
carence en matière d'heures-travail directes, jus-
qu'à concurrence de 700 000 par année.
La preuve administrée démontre clairement
deux choses: la garantie du MPD de 40 000 à
50 000 heures directes n'a été respectée qu'au
cours de l'année 1972-1973. L'obligation de
moyen, de s'employer de son mieux, n'a pas joué
au cours de l'année 1971-1972; Aircraft a atteint
son objectif de 700 000 heures à partir d'autres
sources. Mais, pour les quatre années suivantes il y
a eu carence.
J'en conclus que la défenderesse n'a pas, comme
énoncé dans le paragraphe précédent, fourni le
travail convenu, en provenance du MPD, pour
quatre des cinq années en question. Au sujet de
l'engagement des 700 000 heures, j'en suis venu
aussi à la conclusion que la défenderesse ne s'est
pas, par le biais du gouvernement du Canada,
employée de son mieux à combler toute carence
jusqu'à 700 000 heures.
[Note de l'arrêtiste: L'arrêtiste a choisi d'abréger
les présents motifs de jugement en raison de la
faible valeur jurisprudentielle de la partie suppri-
mée et par souci d'économie d'espace. La partie
qui a été omise a trait à l'étude de la preuve
administrée à l'appui de la conclusion selon
laquelle le gouvernement ne s'est pas employé de
son mieux à combler la carence de travail à la base
de Winnipeg, et au calcul des dommages-intérêts
qui s'élèvent à 4 300 000 $.]
Dans l'exposé du litige convenu entre les parties,
une solution de rechange avait été prévue pour le
cas où il aurait été jugé qu'il n'existait aucun
contrat valide et exécutoire entre CAE et la défen-
deresse. Alors, les demanderesses auraient fondé
leur demande sur les [TRADUCTION] «fausses et
négligentes affirmations» de la défenderesse.
Comme j'ai jugé qu'il y avait contrat valide et
exécutoire, et inexécution de celui-ci, il n'est pas
nécessaire de traiter de cette question de «fausses
et négligentes affirmations».
Les demanderesses auront droit aux dépens de
l'action.
Les avocats des demanderesses rédigeront le
dispositif formel qu'ils soumettront à l'agrément
de ceux de la défenderesse. À défaut d'accord, je
fixerai moi-même ce dispositif.
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