T-2848-81
Rostal Sales Agency Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Collier—
Montréal, 10 juin; Vancouver, 22 novembre 1982.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions
Appel d'une cotisation révisée du ministre du Revenu national
diminuant en partie la déduction accordée aux petites entre-
prises — En cause: le contrôle des droits de vote par le
constituant de l'acte de fiducie — Clause particulière d'attri-
bution potentielle, d'après la défenderesse, du contrôle des
droits de vote au constituant — Jugement: aucune clause
n'autorisait la révocation par le constituant du fiduciaire
initial détenteur actuel du contrôle des droits de vote — L'acte
de fiducie n'est pas un contrat; aucun droit, en equity ou
autrement, de contrôle sur la demanderesse Appel accueilli
— Révision de la cotisation en tenant compte du fait que la
demanderesse n'était pas associée à d'autres sociétés par
l'opération de l'acte de fiducie — Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 125(1), 251(5)b), 256(1)d).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Lusita Holdings Limited c. La Reine, [1983] 1 C.F. 439
(1"° inst.); Commissioners of Inland Revenue v. Silverts,
Ltd. (1951), 29 T.C. 491 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
The Minister of National Revenue v. Dworkin Furs
(Pembroke) Limited, et al., [1967] R.C.S. 223.
AVOCATS:
Guy Du Pont pour la demanderesse.
Johannes A. Van Iperen et Beverly Hobby
pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La société demanderesse a
réclamé, pour les années d'imposition 1976 et
1977, la déduction accordée aux petites entreprises
en vertu du paragraphe 125 (1) de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu'. Dans les nouvelles cotisations,
le ministre du Revenu national a diminué, après
révision, le montant réclamé par la société deman-
deresse, au motif que cette dernière était associée,
au sens de l'article 256, aux sociétés suivantes:
Shirtmate Ltd.
Clothes to You Ltd.
Burton Sales Inc.
Robert Simon Shirt Ltd.
Les parties ont admis que si la demanderesse
était effectivement associée à Shirtmate, son appel
devait échouer. Si, par contre, elle ne l'était pas,
elle devait obtenir gain de cause. Pour se pronon-
cer sur cette question, il ne sera pas nécessaire
d'examiner les liens et rapports existant entre les
autres sociétés susnommées.
Les actionnaires de Shirtmate étaient:
Allan Spector 33 1 / 2 %
Burton Spector 33'/3%
Marvin Zarr 33 1 / 3 %
Allan et Burton Spector sont frères.
Le seul actionnaire de la demanderesse Rostal
était une fiducie connue sous le nom de Carastalle
Trust.
La fiducie en question a été créée par un acte
daté du 22 janvier 1976. Allan Spector en était le
constituant. Le fiduciaire était un certain Stanley
Cyntranbaum, un avocat. Il n'était lié à aucun des
actionnaires ou groupes d'actionnaires de l'une ou
l'autre de ces compagnies. Cinq bénéficiaires ont
été nommés. Je ne dispose d'aucune preuve en ce
qui concerne leurs liens avec le constituant. Ils sont
apparemment des membres de sa famille.
Je cite ce qui constitue, à mon avis, les passages-
clés de l'acte constitutif de fiducie aux fins de la
résolution de ce problème fiscal.
Le terme [TRADUCTION] «fiduciaire» désigne le
fiduciaire initial ainsi que ses remplaçants ou tous
autres fiduciaires. La clause 4 stipule:
[TRADUCTION] 4. Le terme «fiduciaire» employé dans cet acte
désigne non seulement Stanley Cyntranbaum, le fiduciaire
initial, mais également toute autre personne ayant au moment
considéré la qualité de fiduciaire et toute personne nommée
fiduciaire pour remplacer Stanley Cyntranbaum.
1 S.C. 1970-71-72, chap. 63, et ses modifications.
Le fiduciaire disposait de pouvoirs étendus en
matière d'administration, de gestion, d'investisse-
ment et de contrôle des biens en fiducie.
La clause 19 traite de la nomination, du rempla-
cement et de la révocation du ou des fiduciaires.
J'en cite le texte complet.
[TRADUCTION] 19. a) Sur préavis de trente (30) jours, le
fiduciaire peut démissionner de ses fonctions; un remplaçant est
nommé par le constituant.
b) Le constituant peut révoquer tout fiduciaire ainsi nommé en
remplacement, sans motiver sa décision, par avis écrit signifié
audit fiduciaire et tout fiduciaire peut démissionner de ses
fonctions de fiduciaire en en donnant avis par écrit au consti-
tuant ou aux autres fiduciaires.
c) Dans les cas de révocation ou de démission prévus ci-dessus,
un fiduciaire remplaçant peut être nommé par deux fiduciaires
ou par le constituant.
d) Le constituant peut à tout moment, à sa discrétion absolue,
nommer un ou plusieurs nouveaux ou autres fiduciaires quel
que soit son ou leur lieu de résidence dans le monde et rien dans
les présentes ne saurait être interprété comme limitant le
nombre de fiduciaires qui pourrait résulter de l'exercice de ce
pouvoir de nomination de nouveaux ou autres fiduciaires.
e) Les pouvoirs conférés au constituant en vertu de cet alinéa
peuvent, en l'absence de toute autre disposition, être exercés
par l'exécuteur testamentaire du constituant.
Dans ses conclusions, le Ministre a invoqué l'ali-
néa d) de la clause 19. Son raisonnement était le
suivant: le constituant pouvait, aux termes de l'ali-
néa d), révoquer le ou les fiduciaires et se nommer
lui-même à ces fonctions; il disposait donc, aux
termes même de l'acte de fiducie, d'un droit de
contrôle sur les droits de vote afférents aux actions
de la demanderesse; en vertu de l'alinéa 251(5)b)
de la Loi de l'impôt sur le revenu, Allan Spector
était donc réputé se trouver dans la même situation
que s'il possédait lui-même les actions; en consé-
quence, Rostal et Shirtmate étaient «associées»
puisque leur situation en matière de contrôle et de
détention des actions tombait sous le coup des
dispositions de l'alinéa 256(1)d) de la Loi.
Voici le texte de l'alinéa 256(1)d):
256. (1) Aux fins de la présente loi, une corporation est
associée à une autre dans une année d'imposition si, à une date
quelconque de l'année,
d) une des corporations était contrôlée par une personne et
cette personne était liée à chaque membre d'un groupe de
personnes qui contrôlait l'autre corporation, et si cette per-
sonne ou ce groupe de personnes était propriétaire, directe-
ment ou indirectement, à l'égard de chaque corporation, d'au
moins 10% des actions émises d'une catégorie quelconque du
capital-actions de chaque corporation, ou
Je cite également l'alinéa 251(5)b):
251... .
(5) Aux fins du paragraphe (2) et de l'article 256,
b) une personne qui avait, en vertu d'un contrat, en equity ou
autrement, un droit, immédiat ou éventuel et avec ou sans
réserve, à des actions d'une corporation, ou un droit de les
acquérir de la sorte, ou d'en contrôler les droits de vote, est
réputée, sauf lorsque le contrat stipule que le droit ne peut
être exercé qu'au décès d'un particulier y désigné, avoir
occupé la même position relativement au contrôle de la
corporation que si les actions lui appartenaient; ...
Selon l'argumentation présentée au nom de la
défenderesse, Allan Spector aurait eu un droit de
contrôle sur les droits de vote afférents aux actions
Rostal en vertu «d'un contrat, en equity ou autre-
ment ...» (al. 251(5)b)). A mon avis, l'acte de
fiducie qui nous occupe n'est pas, en droit, un
contrat. Je souscris entièrement à ce que disait
mon collègue le juge Mahoney dans l'affaire
Lusita Holdings Limited c. La Reine 2 [à la page
441]:
Il est de droit constant qu'une fiducie n'est pas un contrat. Il
n'est pas nécessaire de sortir du cadre des manuels, qui énumè-
rent la multitude des distinctions, pour vérifier le bien-fondé de
ce principe.
Mais je souscris également à ce que dit le juge
Mahoney quand il conclut, toujours dans cette
affaire, que le «droit» mentionné à l'alinéa
251(5)b) ne se limite pas aux droits découlant d'un
contrat, mais s'étend aux droits détenus «en equity
ou autrement», indépendamment d'un contrat au
sens strict du terme.
Il faut donc déterminer maintenant si les termes
de l'acte de la fiducie Carastalle donnaient à Allan
Spector un droit, en equity ou autrement, en ce qui
concerne le contrôle des droits de vote afférents
aux actions Rostal. Le Ministre soutient, comme je
l'ai indiqué précédemment, que la clause 19d) de
l'acte de fiducie confère un tel droit car le consti-
tuant peut, en fait, se nommer lui-même seul et
unique fiduciaire.
Je n'accepte pas cette interprétation de l'acte
constitutif de fiducie. La clause 19 doit être consi-
dérée comme un tout et interprétée dans le con-
texte de l'ensemble de l'acte de fiducie.
2 [1983] 1 C.F. 439 (1fe inst.).
L'acte stipule expressément que Cyntranbaum
est le fiduciaire initial, mais le terme «fiduciaire»
inclut toute personne nommée pour le remplacer
(clause 4). Au même titre que tout autre nouveau
fiduciaire, il peut démissionner et, dans cette éven-
tualité, Spector doit nommer un remplaçant aux
termes de la clause 19a).
La clause 19b) autorise le constituant à révo-
quer tout «fiduciaire . .. nommé en remplace-
ment». Elle n'autorise pas, à mon avis, la révoca-
tion par Spector du fiduciaire initial. De plus, la
clause 19c) autorise le constituant, ou deux fidu-
ciaires, à nommer un remplaçant lorsqu'un fidu-
ciaire ou un fiduciaire remplaçant est révoqué ou
donne sa démission, de la manière prévue aux
alinéas a) et b) de la clause 19.
J'en viens maintenant à la clause 19d).
Cette disposition, à mon avis, ne traite pas de la
révocation ni de la nomination d'un successeur ou
d'un «remplaçant». Elle traite de la nomination de
«nouveaux ou autres fiduciaires». A mon sens, le
rédacteur de l'acte envisageait la possibilité pour la
fiducie d'avoir des biens en divers lieux et juridic-
tions (voir, par exemple, la clause 3b), c) et d)).
La clause en question donnait au constituant le
pouvoir discrétionnaire de nommer des fiduciaires
supplémentaires, non seulement au Canada mais
partout ailleurs. Toutefois, cette clause n'autorisait
pas le constituant à révoquer ou remplacer des
fiduciaires déjà en place.
Je crois que le seul pouvoir de révocation dont
disposait Allan Spector concernait un «rempla-
çant». Il n'avait pas le pouvoir de révoquer le
fiduciaire initial. Je limite mes observations à ce
qui concerne l'acte de fiducie. Il peut exister d'au-
tres moyens, en droit, de révoquer des fiduciaires.
Compte tenu de cette interprétation de l'acte de
fiducie, le constituant ne disposait pas, en droit, et
aux périodes considérées, de droit de contrôle sur
les droits de vote afférents aux actions Rostal.
Pour ce qui concerne le contrôle «de droit» par
opposition au contrôle «de fait», il convient de se
reporter à l'arrêt The Minister of National Reve
nue v. Dworkin Furs (Pembroke) Limited, et al. 3 .
Le fiduciaire initial était, en droit, seul détenteur
3 [1967] R.C.S. 223.
d'un droit sur les droits de vote afférents aux
actions Rostal détenues par la fiducie Carastalle.
J'ajouterais ceci. Le simple fait qu'à un moment
donné, le constituant soit en mesure de révoquer
les fiduciaires, à sa discrétion, ne signifie pas
nécessairement que les fiduciaires en place sont de
simples prête-noms aux fins des droits de vote
afférents aux actions détenues par la fiducie. Bien
que les faits soient différents de ceux de la pré-
sente affaire, les remarques de sir Raymond
Evershed, Maître des rôles, dans l'affaire Com
missioners of Inland Revenue v. Silverts, Ltd. °,
sont pertinentes (à la page 507):
[TRADUCTION] Le fait que le constituant ... pouvait, à sa
discrétion, révoquer messieurs Lancashire et Lewis ne signifie
pas nécessairement que ces derniers peuvent être considérés
comme de simples prête-noms du constituant aux fins du vote.
En conséquence, la société demanderesse n'est
pas associée à Shirtmate ni à aucune autre société
susnommée.
Les nouvelles cotisations sont renvoyées au
Ministre pour qu'elles soient révisées en tenant
compte du fait que la société demanderesse et les
autres sociétés susnommées n'étaient pas associées
au sens de l'alinéa 256(1)d) de la Loi de l'impôt
sur le revenu.
La demanderesse a droit aux dépens.
4 (1951), 29 T.C. 491 (C.A.).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.