T-5905-81
Leslie William Gregson (requérant)
c.
Commission nationale des libérations condition-
nelles (intimée)
Division de première instance, juge suppléant
Smith—Winnipeg, 14 décembre 1981 et 16 sep-
tembre 1982.
Libération conditionnelle — Demande en cassation de la
révocation par la Commission nationale des libérations condi-
tionnelles de la libération sous surveillance obligatoire du
requérant et de son refus de réattribuer les remises de peine —
Audience postérieure à la suspension de la libération sous
surveillance obligatoire du requérant — Confirmation par la
Commission de la suspension en raison du risque indu pour la
collectivité que représentait le requérant — Le requérant a
comparu à l'audience sans avocat et soutient maintenant que ni
lui ni son défenseur ne savaient que la perte de ses remises de
peine résulterait de la révocation de sa libération sous surveil
lance, que la Commission ne l'a pas mis au fait de cette
conséquence ni ne l'a interrogé à cet égard et que ni lui ni son
défenseur n'ont présenté d'arguments à ce sujet — La Com
mission a refusé de faire droit à la demande de réattribution
des remises de peine, en se fondant sur la sect. 106-4 du
Manuel des politiques et procédures de la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, et sur le motif que le
comportement du requérant sortait des paramètres fixés par la
Commission pour la réattribution des remises de peine — La
Commission a-t-elle exercé à tort son pouvoir discrétionnaire
en vertu de l'art. 20(3) de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus en fondant sa décision entièrement sur son
Manuel des politiques et procédures? — Demande rejetée —
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970,
chap. P-2, art. 9(1)m) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art.
24), art. 20(2),(3) (mod. idem, art. 31) — Règlement sur la
libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 20(2).
L'intimée a révoqué la libération sous surveillance obligatoire
du requérant, sans réattribution des remises de peine. On
demande à la Cour fédérale qu'elle se saisisse de cette décision
et qu'elle la réforme pour ce qui est du refus de l'intimée de
réattribuer les remises de peine. Le requérant a été libéré sous
surveillance obligatoire en septembre 1980 mais a été réincar-
céré en mai 1981. Après avoir tenu une audience postérieure à
la suspension, la Commission nationale des libérations condi-
tionnelles a fait savoir au requérant qu'elle révoquait sa libéra-
tion sous surveillance en raison du risque indu qu'il représentait
pour la collectivité par suite de son comportement violent en
ménage et de son abus d'alcool en cours de surveillance. Par
suite de la décision de la Commission, le requérant a perdu
treize mois de remise de peine. Il a comparu à l'audience sans
avocat et soutient que ni lui ni son défenseur ne savaient que la
révocation de sa libération sous surveillance entraînerait la
perte de ses remises de peine. Le requérant dit aussi que la
Commission ne l'a pas mis au fait de cette conséquence ni ne l'a
interrogé à cet égard. Ni lui ni son défenseur n'ont présenté
d'arguments à ce sujet. Une demande de révision de son cas en
vue d'une éventuelle réattribution des remises de peine a été
refusée parce que, de l'avis de la Commission, celui-ci sortait
des paramètres énoncés par la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles pour la réattribution des remises de peine.
La décision de la Commission se fondait directement sur la
section 106-4 de son Manuel des politiques et procédures. Le
requérant soutient que c'est à tort que la Commission a fondé
sa décision sur ce Manuel.
Jugement: la demande est rejetée. Le paragraphe 20(2) de la
Loi sur la libération conditionnelle de détenus porte que le
détenu dont la libération conditionnelle a été révoquée doit
purger ce qui restait de sa peine d'emprisonnement au moment
où sa libération conditionnelle lui a été accordée, y compris
toute réduction de peine statutaire ou méritée. Ce paragraphe,
qui rend automatique la perte des remises de peine en cas de
révocation de la libération conditionnelle, s'applique dans tous
les cas sauf le pouvoir discrétionnaire illimité de la Commis
sion, aux termes du paragraphe 20(3), de les réattribuer en tout
ou en partie sous réserve uniquement des règlements, dont
aucun n'a encore été adopté. La section 106-4 du Manuel de la
Commission nationale des libérations conditionnelles qui fixe
les motifs de réattribution, n'est pas un règlement. Le pouvoir
de la Commission en vertu du paragraphe 20(2) ne doit pas être
exercé arbitrairement mais uniquement lorsque les circons-
tances justifient, de l'avis de la Commission, une exception à la
règle générale. La Commission a l'obligation d'instruire au
fond chaque cas et elle ne doit pas, en arrêtant une politique
générale, limiter son pouvoir discrétionnaire. La formule du
Manuel, selon laquelle le pouvoir de réattribuer une remise de
peine ne peut être utilisé qu'en des cas exceptionnels, n'est pas
invalide. Mais, en l'espèce, il faut déterminer si la Commission
a fondé sa décision de ne pas réattribuer les remises de peine
sur cet énoncé ou sur l'examen de l'ensemble des faits. Le
requérant n'a gain de cause que dans le premier cas. La Cour
ne dispose pas du dossier de la décision de la Commission; elle
n'a que les lettres que la Commission a adressées au requérant
pour déterminer le fondement de la décision prise. Ces lettres
ne révèlent pas la source exacte des motifs de la non-réattribu-
tion des remises de peine ni ce que la Commission a vraiment
dit à ce sujet. Toutefois, le Manuel des politiques et procédures
n'est pas mentionné. En fait, les lettres fournissent des motifs
valides à la décision, autres que le respect de la politique
arrêtée par la Commission. En conséquence, la Commission, en
rendant sa décision, ne s'en est pas tenue à la politique restric
tive énoncée dans le Manuel et elle n'a pas manqué de tenir
compte de tous les faits et circonstances pertinentes.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
The King v. Port of London Authority, [ 1919] 1 K.B. 176
(C.A.); In re North Coast Air Services Limited, [1972]
C.F. 390 (C.A.).
AVOCATS:
A. Peltz pour le requérant.
T. K. Tax et K. Post pour l'intimée.
PROCUREURS:
Arne Peltz, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Par décision en
date du 5 août 1981, l'intimée a révoqué la libéra-
tion sous surveillance obligatoire du requérant,
sans réattribution des remises de peine. On
demande à la Cour qu'elle se saisisse de cette
décision et qu'elle la réforme pour ce qui est du
refus de l'intimée de réattribuer les remises de
peine.
La demande se fonde sur les moyens suivants:
(1) La décision de refuser toute remise de peine constitue un
excès de pouvoir;
(2) L'intimée a enfreint l'article 20(3) de la Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus lorsqu'elle a statué sur la réattri-
bution, partielle ou totale, de la remise de peine du requérant;
(3) La Commission a illicitement et indûment restreint son
pouvoir discrétionnaire en invoquant et en appliquant la ligne
de conduite qu'énonce le Manuel des politiques et procédures
de la Commission nationale des libérations conditionnelles en sa
section 106-4;
(4) La Commission a manqué à son obligation d'équité que lui
impose la common law et a enfreint l'article 2e) de la Déclara-
tion canadienne des droits en négligeant, notamment, d'exami-
ner tous les faits pertinents et d'en tenir compte dans l'exercice
du pouvoir discrétionnaire que lui attribue l'article 20(3) de
ladite Loi;
(5) Tout autre moyen que pourrait faire valoir les avocats et
auxquels la Cour ferait droit.
La demande conclut en outre à une ordonnance
de mandamus qui obligerait la Commission à tenir
une nouvelle audience, conformément à ladite Loi
[Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
S.R.C. 1970, chap. P-2] et au Règlement sur la
libération conditionnelle de détenus, DORS/78-
428, notamment au paragraphe 20(2) du Règle-
ment, et à statuer sur la réattribution ou non, en
tout ou en partie, des remises de peine méritées et
statutaires que le requérant avait à son actif lors-
que sa libération sous surveillance lui a été
accordée.
Les faits, qu'énonce l'affidavit du requérant,
peuvent être résumés comme suit:
En octobre 1972, le requérant était condamné à
une peine privative de liberté de six ans pour
homicide involontaire coupable. En janvier 1978, il
était condamné à une peine supplémentaire de
quatre ans, consécutive à la première, pour voies
de fait. Le 21 septembre 1980, il était libéré sous
surveillance obligatoire et obtenait un emploi
comme conducteur de camion. Il s'était mis en
ménage à Winnipeg.
Le 28 mai 1981, sa libération sous surveillance
obligatoire était suspendue et il était réincarcéré à
l'établissement de Stony Mountain. Aucune
charge criminelle n'était retenue contre lui par
suite de son comportement pendant sa mise en
liberté. Le 5 août 1981, il comparaissait devant la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les au cours d'une audience postérieure à la sus
pension. Il était assisté à l'audience d'un bénévole
de l'aumônerie, lequel n'était pas avocat et n'avait
pas de formation juridique. A la clôture de l'au-
dience, la Commission a pris sa décision en déli-
béré. Elle lui a par la suite fait savoir qu'elle
révoquait sa libération sous surveillance sans lui
réattribuer de remise de peine; plus tard, par lettre
datée du 13 août 1981, il a reçu notification écrite
de la décision.
Dans son affidavit, le requérant affirme qu'au
moment de l'audience, ni lui ni son défenseur ne
savaient que la révocation de sa libération sous
surveillance entraînerait la perte de ses remises de
peine; la Commission ne l'a pas mis au fait de cette
conséquence ni ne l'a interrogé à cet égard. Ni lui
ni son défenseur n'ont présenté d'argument devant
la Commission au sujet de ces remises de peine.
L'avocat de la Commission n'a pas contesté ces
affirmations de l'affidavit; il semble pourtant
étrange qu'un homme incarcéré depuis près de huit
ans, dont nombre de compagnons de prison étaient
dans le même cas, n'ait pas été conscient de cette
conséquence grave de la révocation de libération
sous surveillance. Malheureusement, aucun conseil
juridique n'assistait le requérant à l'audience. Si
cela avait été le cas, les arguments en faveur d'une
réattribution partielle ou totale de sa remise de
peine auraient été invoqués et la présente demande
n'aurait pas été nécessaire.
Par suite de la décision de la Commission, le
requérant perd treize mois de remise de peine.
La lettre de la Commission, en date du 13 août
1981 (pièce «A», jointe à l'affidavit du requérant),
qui confirme la décision de révoquer la libération
sous surveillance sans réattribution des remises de
peine, donne les raisons suivantes à l'appui de la
révocation.
[TRADUCTION] —Violation reconnue de sa clause d'abstinence
à plusieurs occasions et voies de fait également reconnues sur la
personne de sa compagne, à quatre reprises.
—Vu ses antécédents de comportement violent en ménage et
son abus d'alcool en cours de surveillance, nous croyons qu'il
présente un risque indu pour la collectivité.
Le 18 novembre 1981, M. R. M. Halko, admi-
nistrateur régional, surveillance des cas, a écrit à
l'avocat du requérant la lettre suivante (pièce «D»,
jointe à l'affidavit du requérant):
[TRADUCTION] Vous me demandez dans votre lettre du 26
octobre 1981 au sujet de M. Gregson, s'il est possible d'envisa-
ger la révision de son cas par la Commission nationale des
libérations conditionnelles en vue d'une éventuelle réattribution
des remises de peine.
Lorsque la libération sous surveillance de M. Gregson a été
révoquée en août 1981, la Commission nationale des libérations
conditionnelles a fait savoir qu'il n'y aurait pas de réattribution
des remises de peine, parce qu'elle ne se justifiait pas dans le
cas de M. Gregson. D'après les faits et compte tenu des
violations des termes de sa libération sous surveillance, son cas
sortait des paramètres énoncés par la Commission nationale des
libérations conditionnelles pour la réattribution des remises de
peine. Comme vous l'avez vous-même souligné dans votre
lettre, ces directives se retrouvent à la section 106-4 du Manuel
des politiques et procédures de la Commission nationale des
libérations conditionnelles.
À ce jour, nous n'avons en notre possession aucune informa
tion susceptible de jeter un éclairage nouveau sur le cas Greg-
son tel qu'il se présentait au moment de la révocation de sa
libération sous surveillance sans réattribution des remises de
peine, en août 1981. Ce ne serait que sur cette base qu'une
révision subséquente du cas Gregson par des membres de la
Commission nationale des libérations conditionnelles serait jus-
tifiée, sauf, bien entendu, toute nouvelle demande de libération
conditionnelle ou de libération conditionnelle de jour que pour-
rait présenter M. Gregson.
Je dois donc vous informer que la Commission nationale des
libérations conditionnelles n'envisage pas la révision du cas
Gregson pour le moment. Si vous avez connaissance de quelque
fait nouveau susceptible de modifier le dossier de Gregson, par
rapport à août 1981, qui permette d'appliquer les directives
relatives à la réattribution des remises de peine, je vous suggé-
rerais de nous en informer. Il est très probable que les commis-
saires accepteront alors d'examiner à nouveau le cas de M.
Gregson en vue d'une réattribution éventuelle de ses remises de
peine.
Il faut maintenant rappeler les dispositions per-
tinentes de la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus:
Voici l'alinéa 9(1)m), promulgué par l'art. 24
des S.C. 1976-77, chap. 53:
9. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement,
m) fixer les modalités de réattribution en tout ou en partie,
par la Commission, à l'actif d'un détenu, de la réduction de
peine qu'il doit purger suite à la révocation de sa libération
conditionnelle;
Voici les paragraphes 20(2) et (3), promulgués
par l'art. 31 des S.C. 1976-77, chap. 53:
20....
(2) Sous réserve du paragraphe (3), le détenu dont la libéra-
tion conditionnelle a été révoquée doit, même lorsqu'il a été
condamné ou lorsqu'il a obtenu sa libération conditionnelle
avant que le présent paragraphe n'entre en vigueur, purger ce
qui restait de sa peine d'emprisonnement au moment où sa
libération conditionnelle lui a été accordée, y compris toute
réduction de peine statutaire ou méritée, moins
a) le temps passé en libération conditionnelle après l'entrée
en vigueur du présent paragraphe;
b) le temps passé en détention lors d'une suspension de sa
libération conditionnelle;
c) les réductions de peine méritées après l'entrée en vigueur
du présent paragraphe pour le temps passé en détention lors
d'une suspension de sa libération conditionnelle; et
d) les réductions de peine méritées qu'il avait à son actif au
moment de l'entrée en vigueur du présent paragraphe.
(3) Sous réserve des règlements, la Commission peut réattri-
buer à l'actif d'un détenu tout ou partie des réductions de peine,
statutaires et méritées, dont il bénéficiait au moment où la
libération conditionnelle lui fut accordée.
L'avocat du requérant a déclaré qu'aucun règle-
ment n'avait été adopté en matière de réattribution
des remises de peine. L'avocate de l'intimée n'a
fait aucun commentaire à ce sujet. J'ai été incapa
ble de trouver un règlement de ce genre. Il existe
cependant un Manuel des politiques et procédures
que la Commission a adopté le 16 avril 1980 et
dont une section porte sur la «Réattribution de la
réduction de peine après la révocation». C'est la
section 106-4, dont voici un extrait:
106-4...
4. RAISONS DE LA RÉATTRIBUTION DE LA RÉDUCTION DE
PEINE
4.1 La Commission envisage toujours la réattribution de la
réduction de peine au moment où elle prend la décision de
révoquer la libération conditionnelle, mais, selon la politi-
que de la Commission, la réduction de peine peut être
réattribuée dans un délai de deux (2) mois à compter de la
révocation.
4.2 La réattribution de la réduction de peine est un pouvoir
conféré à la Commission en tant que remède exceptionnel
qui ne sera employé que dans des circonstances
exceptionnelles.
4.4 La réduction de peine ne doit être réattribuée que
lorsque la révocation devient nécessaire du fait de circons-
tances qui échappent au contrôle du détenu, c'est-à-dire:
Suivent cinq paragraphes d'exemples; aucun ne
s'applique en l'espèce.
Le Manuel ne comporte pas de règlement. La
section 106-4 ne contient que des directives. Une
rubrique subséquente du Manuel, la 106-25, s'inti-
tule «Réattribution de la réduction de peine». Le
premier paragraphe a son importance en l'espèce,
le voici:
106-25. .
1. Lorsqu'un cas ne peut être régi par les principes directeurs
visant la réattribution de la réduction de peine (Section
106-4, paragraphe 4.4), la décision de ne pas réattribuer la
réduction de peine sera prise au moment de la révocation.
Bien qu'il ne soit pas nécessaire, dans ces cas, de rendre une
décision officielle de ne pas réattribuer la réduction de peine,
la feuille d'observations doit mentionner les motifs de cette
décision.
Et voici le paragraphe 5:
106-25...
5. La décision de réattribuer ou de ne pas réattribuer la
réduction de peine doit être inscrite sur feuille de décision
distincte.
Ni les formulaires de décision ni les feuilles
d'observations relatifs aux décisions de révoquer et
de ne pas réattribuer les remises n'ont été produits
en l'espèce.
La Cour n'est saisie que des lettres de la Com
mission des 13 août et 18 novembre 1981 (préci-
tées). La lettre du 13 août 1981, citée plus haut,
énonce les raisons de la décision de révoquer la
libération sous surveillance, mais ne motive pas la
décision de ne pas réattribuer les remises de peine
ni n'indique que les motifs de ces deux décisions
sont les mêmes. S'il n'y avait que cette lettre, je
n'hésiterais pas à conclure que les motifs donnés
par la Commission au sujet de la révocation con-
cernaient aussi la décision de ne pas réattribuer les
remises. Toutefois, la lettre du 18 novembre 1981
donne la réponse suivante, déjà citée, à la question
posée par l'avocat du requérant:
Lorsque la libération sous surveillance de M. Gregson a été
révoquée en août 1981, la Commission nationale des libérations
conditionnelles a fait savoir qu'il n'y aurait pas de réattribution
des remises de peine, parce qu'elle ne se justifiait pas dans le
cas de M. Gregson. D'après les faits et compte tenu des
violations des termes de sa libération sous surveillance, son cas
sortait des paramètres énoncés par la Commission nationale des
libérations conditionnelles pour la réattribution des remises de
peine. Comme vous l'avez vous-même souligné dans votre
lettre, ces directives se retrouvent à la section 106-4 du Manuel
des politiques et procédures de la Commission nationale des
libérations conditionnelles.
L'avocat du requérant prétend, en se fondant sur
cet extrait de la lettre, que la Commission a fondé
sa décision de ne pas réattribuer de remise de
peine uniquement sur les directives de la section
106-4 du Manuel de la Commission et qu'elle n'a
pas examiné la question au fond. Il soutient ferme-
ment que la Commission n'avait pas le droit de
prendre une décision de cette manière. Les directi
ves, comme il le dit à bon droit, n'ont pas force de
loi, n'ayant pas été adoptées par le gouverneur en
conseil comme le requiert l'alinéa 9(1)m) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus. Elles
ne font qu'exprimer les vues de la Commission sur
les motifs qui justifient la réattribution des remises
de peine.
Le paragraphe 20(3) attribue à la Commission
le pouvoir discrétionnaire illimité, sous réserve des
règlements (inexistants), de réattribuer en tout ou
en partie les remises de peine statutaires et méri-
tées d'un détenu. Selon l'avocat, ce paragraphe
impose à la Commission l'obligation de se saisir de
chaque cas et de statuer sur celui-ci au fond. Rien
dans le paragraphe n'indique que la réattribution
ne doit être accordée que dans des cas exception-
nels et lorsque la révocation de la libération sous
surveillance du détenu devient nécessaire pour des
raisons indépendantes de la volonté de ce dernier.
Il s'ensuit, selon lui, que la Commission, en limi-
tant ou en restreignant l'exercice de ce pouvoir
discrétionnaire de la manière énoncée à la section
106-4 de son Manuel des politiques et procédures,
a agi de manière irrégulière et a excédé ses
pouvoirs.
L'avocate de l'intimée fait valoir que, compte
tenu des deux lettres de la Commission (précitées),
il reste à déterminer si la Commission a fondé sa
décision de ne pas réattribuer les remises de peine
sur la section 106-4 du Manuel ou sur l'examen
des faits de l'espèce. En réponse à l'ensemble de
l'argumentation du requérant, elle cite une abon-
dante jurisprudence. Je mentionnerai deux affai-
res, dont voici la première:
The King v. Port of London Authority, [ 1919] 1
K.B. 176 (C.A.). Parlant de la question des princi-
pes directeurs, lord Bankes déclare, à la page 184:
[TRADUCTION] D'une part, il y a les affaires dans lesquelles un
tribunal exerçant sa discrétion de bonne foi a adopté des
principes directeurs et où, sans refuser d'entendre le deman-
deur, il les porte à son attention et lui fait savoir qu'après
l'avoir entendu il rejettera sa demande, conformément à ces
principes directeurs, à moins qu'il n'y ait des facteurs excep-
tionnels applicables à son cas. Je pense que l'avocat des appe-
lants admettra que, si ces principes directeurs ont été adoptés
pour des motifs que le tribunal peut légitimement soutenir, on
ne peut s'opposer à cette façon de procéder. D'autre part, il
arrive, dans certains cas, qu'un tribunal adopte une règle, ou
prenne la décision, qu'il n'entendra pas de demande d'une
certaine catégorie quel qu'en soit l'auteur. Il faut nettement
distinguer ces deux catégories.
Dans l'arrêt In re North Coast Air Services
Limited, [1972] C.F. 390 (C.A.), à la page 406, le
juge en chef Jackett cite le passage précédent
approuvant de toute évidence la ligne de démarca-
tion tirée dans l'espèce antérieure. Dans les deux
affaires, il était manifeste que le tribunal en cause
avait adopté une politique générale relative à
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de déli-
vrer des permis. Dans l'espèce The King v. Port of
London Authority, on a jugé que, d'après les faits,
l'autorité portuaire n'avait pas refusé de se saisir
de l'affaire ni d'exercer son pouvoir discrétionnaire
conformément à la loi et qu'étant donné sa posi
tion, ses pouvoirs et ses devoirs, l'autorité était
justifiée d'adopter une politique générale en
matière d'attribution de permis sur le fondement
de l'article 109 du Thames Conservancy Act,
1894, 57 & 58 Vict., chap. 187, art. 109. Dans
l'arrêt North Coast Air Services, on a jugé que la
Commission canadienne des transports avait donné
aux titulaires de permis la possibilité réelle de faire
connaître leurs raisons de s'opposer à la politique
de la Commission visant à protéger les itinéraires
desservis par les transporteurs des classes 1 et 2
contre l'intervention des transporteurs de classe 4
(transporteurs commerciaux). Dans la poursuite
de sa politique ; la Commission avait modifié les
permis des transporteurs de classe 4 afin de leur
interdire de desservir des points situés sur les
itinéraires desservis par les transporteurs des caté-
gories 1 ou 2. Cette politique avait été adoptée
pour des raisons énoncées au paragraphe 16(8) de
la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3.
en ce que la commodité et les besoins du public
l'exigeaient.
À mon avis, ces deux affaires se distinguent
nettement de la présente espèce. Dans l'espèce
Port of London Authority, l'autorité était respon-
sable de l'aménagement du port de Londres, un
port très important et très actif sur la Tamise, dont
le trafic, déjà considérable, continuait à croître.
Elle avait le pouvoir, en tant qu'autorité publique,
de construire quais, bassins et autres installations
portuaires importantes. Elle avait refusé à des
entrepreneurs privés l'autorisation de construire un
large quai, avec bassins et plusieurs bâtiments.
s'étendant sur un vaste secteur du port, déclarant
qu'il s'agissait d'une fonction qui lui était attri-
buée, à titre d'autorité publique et qu'en consé-
quence, elle avait décidé de n'autoriser aucune
personne privée, physique ou morale, à s'en char
ger. Il fut statué que ce refus relevait du pouvoir
discrétionnaire de l'autorité.
Dans l'arrêt North Coast Air Services, le
Comité des transports aériens de la Commission
canadienne des transports, qui possède de vastes
responsabilités et pouvoirs en matière de dévelop-
pement et d'exploitation de services aériens au
Canada, y compris le pouvoir discrétionnaire d'ac-
corder des permis d'exploitation de services de
transports aériens selon des itinéraires déterminés,
avait arrêté comme politique de ne pas accorder
aux transporteurs commerciaux importants (de
classe 4) exploitant des lignes aériennes entre les
grandes villes et sur des distances importantes,
l'autorisation de desservir des localités sur des
itinéraires empruntés par les petits transporteurs
(de classes 1 et 2), utilisant habituellement de plus
petits avions. Les compagnies aériennes de classes
1 et 2 desservaient des localités moins importantes
que les compagnies de classe 4, en général aux
confins du pays, là où la population est clairsemée.
Le transport aérien dans ces régions est important
mais le trafic y est assez faible. Manifestement, la
Commission pensait que si des compagnies aérien-
nes importantes étaient autorisées à desservir ces
localités, au même titre que les transporteurs des
classes 1 et 2, certains au moins de ces derniers,
incapables de soutenir la concurrence, disparaî-
traient, et qu'en conséquence, bien des localités ne
seraient plus desservies. Ainsi, selon elle, la com-
modité et les besoins du public exigeaient claire-
ment que les transporteurs de classe 4 ne soient
pas autorisés à concurrencer directement les trans-
porteurs des classes 1 et 2 en desservant des locali-
tés sur les mêmes itinéraires. Cette politique
relevait des pouvoirs discrétionnaires de la
Commission.
Dans l'espèce Port of London Authority, l'auto-
rité a, en fait, arrêté une politique générale afin de
protéger sa fonction de constructeur de quais et
autres installations du type de ce que visait la
requête dont elle était saisie, et d'empêcher qu'elle
ne soit usurpée par des particuliers ou des groupes.
Dans l'arrêt North Coast Air Services, la Commis
sion agissait conformément à une politique géné-
rale, qu'elle jugeait nécessaire, et dont le but était
la protection, dans l'intérêt public, des petits trans-
porteurs contre Ies méfaits de la concurrence des
grandes compagnies aériennes.
La fonction de la Commission, dans le cas qui
nous occupe, consistait à décider si le requérant
devait se voir réattribuer, en tout ou en partie, les
remises de peine qu'il allait perdre en vertu du
paragraphe 20(2) de la Loi sur la libération con-
ditionnelle de détenus. Le paragraphe 20(3) attri-
bue à la Commission un vaste pouvoir discrétion-
naire en ce qui concerne la réattribution, sous
réserve seulement de règlements qui n'existent pas
à l'heure actuelle. Selon moi, il est évident qu'en
l'absence de règlements, la Commission a l'obliga-
tion d'instruire au fond chaque cas et de prendre
une décision conforme aux conclusions auxquelles
elle arrive en tenant compte des circonstances du
cas d'espèce. La Commission ne devrait pas, en
arrêtant une politique générale, limiter son pouvoir
discrétionnaire dans de tels cas.
L'avocat du requérant soutient que les restric
tions spécifiques qu'énonce la section 106-4 du
Manuel de politiques et procédures devraient être
jugées invalides. Il conteste l'énoncé de politique
apparaissant au paragraphe 4.2 selon lequel le
pouvoir de réattribuer une remise de peine ne peut
être utilisé qu'en des cas exceptionnels. Je ne
saurais en convenir. Certes, le paragraphe 20(3) ne
mentionne pas expressément les cas de circons-
tances exceptionnelles, mais le paragraphe 20(2)
rend automatique la perte de la remise de peine en
cas de révocation de libération conditionnelle.
Cette règle s'applique toujours, sous réserve du
pouvoir de la Commission de réattribuer totale-
ment ou partiellement la remise. Ce pouvoir ne
doit pas être exercé arbitrairement mais unique-
ment lorsque les circonstances justifient, de l'avis
de la Commission, la suppression totale ou par-
tielle de la peine qu'impose la règle générale du
paragraphe 20(2). Autrement dit, le cas d'espèce
doit être tel qu'il justifie la non-application de la
règle générale.
En second lieu, l'avocat du requérant fait objec
tion au principe directeur énoncé au paragraphe
4.4, avec plusieurs exemples à l'appui, selon lequel
les remises de peine ne devraient être réattribuées
que lorsque la révocation devient nécessaire du fait
de circonstances indépendantes de la volonté du
détenu. À mon avis, cette objection est fondée. La
Commission doit pouvoir réattribuer une remise de
peine chaque fois qu'à son avis le cas d'espèce le
justifie. Je ne vois aucune raison de conclure que le
paragraphe 20(3) de la Loi signifie que la Com
mission peut, par un énoncé de politiques, s'inter-
dire de réattribuer une remise de peine dans des
cas autres que ceux où la révocation est nécessaire
pour des raisons indépendantes de la volonté du
détenu. A mon avis, ce paragraphe [c'est-à-dire le
paragraphe 4.4] est invalide.
Mais cela ne résout pas le litige. Il échet de
déterminer maintenant si la Commission a, en fait,
fondé sa décision de ne pas réattribuer de remise
de peine sur le principe énoncé à la section 106-4
du Manuel ou sur l'examen de l'ensemble des faits.
Dans le premier cas, le requérant, à mon avis,
devrait avoir gain de cause, mais non dans le
second. Il est difficile de trancher dans un sens ou
dans l'autre car la Cour ne dispose pas de toute les
preuves qu'on aurait pu réunir à cet égard. Comme
je l'ai déjà souligné, les formulaires de décisions
relatifs à la révocation de la libération sous surveil
lance et à la non-réattribution des remises de
peine, mentionnés à la section 106-25.5 du
Manuel, n'ont pas été produits, ni, dans les deux
cas, la feuille d'observations prévue à la section
106-25.1. Rien ne prouve que ces documents aient
réellement été rédigés, mais comme l'avocat du
requérant n'a soulevé aucune question à cet égard,
je présume qu'ils l'ont été. Toutefois, nous en
ignorons le contenu.
Les seules pièces dont nous disposions qui trai-
tent des motifs des deux décisions sont les lettres
de la Commission en date des 13 août et 18
novembre 1981, précitées. Pour statuer sur le point
en cause, il est nécessaire de réexaminer ces lettres
de manière approfondie. Il est dit dans la lettre du
13 août 1981:
[TRADUCTION] La présente confirme la révocation de votre
libération sous surveillance sans réattribution de remise de
peine.
La Commission a révoqué votre libération sous surveillance
obligatoire pour les motifs suivants:
Suivent les deux paragraphes, déjà cités, don-
nant les motifs de la décision.
La première phrase ne mentionne qu'une seule
décision, la révocation de la libération sous surveil
lance sans réattribution de remise de peine, et non
deux décisions. Je présume donc que les motifs
donnés à l'appui de la décision de révoquer sont
censés s'appliquer à l'ensemble de la décision. Je
note en outre que, dans la lettre, les raisons don-
nées sont mises entre guillemets, ce qui indique à
mon avis qu'elles sont extraites d'un autre docu
ment, sans doute le formulaire de décision ou la
feuille d'observations.
La lettre du 18 novembre 1981, citée en entier
ci-dessus, donne, au troisième paragraphe, une
explication des motifs de la non-réattribution des
remises de peine et mentionne même les paramè-
tres fixés par la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles dans la section 106-4 du
Manuel. Il n'y a pas de guillemets dans cette
lettre, ni rien qui puisse suggérer autre chose que
le souvenir qu'avait son auteur de ce qu'aurait dit
la Commission. Même cela n'est pas sûr. C'est R.
M. Halko, administrateur régional, surveillance
des cas, Commission nationale des libérations con-
ditionnelles qui l'a écrite. Les noms des commissai-
res saisis du cas du requérant ne sont pas révélés
dans la preuve administrée. Il semble peu probable
qu'un fonctionnaire de la Commission, du niveau
de M. Halko, ait été membre d'un comité de la
Commission saisi de ce cas spécifique. En fait, rien
ne prouve que M. Halko ait été présent à la séance
où la Commission a statué sur le cas du requérant.
Il s'ensuit que la Cour ignore la source exacte des
motifs donnés dans la lettre au sujet de la décision
de ne pas réattribuer les remises de peine. Nous
ignorons aussi ce que la Commission a vraiment
dit à cet égard.
Il est malheureux que n'aient été produits ni le
formulaire de décision, ni la feuille d'observations,
ni aucune copie de ceux-ci, car l'un ou l'autre
contient sûrement les motifs donnés par la Com
mission pour ne pas réattribuer les remises de
peine. En conséquence, l'unique énoncé exact des
motifs de la décision de la Commission se trouve
dans les deux paragraphes cités de la lettre du 13
août 1981, paragraphes qui, comme d'ailleurs l'en-
semble de la lettre, ne mentionnent nullement le
Manuel des politiques et procédures, ni son con-
tenu. Au contraire, ces paragraphes fournissent
des motifs très éloignés du simple respect des
paramètres de la politique arrêtée par la Commis
sion. Ces motifs sont valides.
Après examen soigneux des preuves incomplètes
produites, je ne peux conclure que la Commission,
en rendant sa décision, s'en est tenue à la politique
restrictive énoncée dans le Manuel, ou qu'elle n'a
pas tenu compte de tous les faits et circonstances
pertinentes.
La demande doit être rejetée mais, vu les cir-
constances, sans qu'aucuns dépens ne soient
alloués à l'intimée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.