T-7558-82
Paul Thomas Bryntwick (requérant)
c.
Donald Yeomans, commissaire des pénitenciers du
Canada et René Rousseau, directeur de l'établisse-
ment Leclerc (intimés)
Division de première instance, juge Walsh—
Montréal, 27 septembre; Ottawa, 1 e" octobre 1982.
Pénitenciers — Fouilles corporelles — Refus d'une visiteuse
de se soumettre à une fouille à nu — Suspension des droits de
visite Fouille inéquitable et contraire au Règlement — La
nervosité de la visiteuse n'était pas un «motif de croire» qu'elle
cachait des objets interdits — Annulation de la suspension par
voie de certiorari — Règlement sur le service des pénitenciers,
C.R.C., chap. 1251, art. 41(2), mod. par DORS/80-462.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative — Certiorari
Pénitenciers — Requête en annulation d'une ordonnance de
suspension des droits de visite de la compagne du requérant
Refus de cette dernière de se soumettre à une fouille à nu —
Le certiorari constitue-t-il le recours approprié? — Infraction
au Règlement vu l'absence de motif plausible et justifiable de
fouiller la visiteuse — Obligation d'agir équitablement malgré
une décision de nature administrative — Certiorari accordé —
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251,
art. 41(2), mod. par DORS/80-462 — Loi sur la Cour fédé-
rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
ll s'agit d'une requête tendant à l'obtention d'un bref de
certiorari en annulation d'une ordonnance de suspension des
droits de visite de la compagne du requérant, détenu à l'établis-
sement Leclerc. On a demandé à cette femme de se soumettre à
une fouille à nu parce qu'elle paraissait nerveuse. Son refus a
entraîné la suspension de ses droits de visite pour une durée de
trois mois. Le requérant soutient que la fouille contrevenait au
Règlement sur le service des pénitenciers vu qu'il n'y avait
aucun «motif de croire> qu'elle cachait des drogues ou autres
objets interdits.
Jugement: la requête est accueillie et l'ordonnance de suspen
sion des droits de visite est annulée. Le pouvoir discrétionnaire
d'ordonner des fouilles a été élargi quand l'expression «lorsqu'il
existe des motifs de croire* qui figure au règlement a remplacé
l'expression «soupçonne en se fondant sur des motifs raisonna-
bles* qu'un visiteur cache un objet interdit. Néanmoins, le
pouvoir de procéder à des fouilles corporelles n'est pas illimité.
Il y a eu infraction au Règlement puisque aucun motif plausible
et justifiable de fouiller cette visiteuse en particulier n'existait.
Sa nervosité n'était pas un motif suffisant, surtout lorsque la
mort alors imminente de sa mère, dont l'établissement avait
connaissance, pouvait l'expliquer. ll y avait obligation d'agir
équitablement dans les circonstances, malgré la nature adminis
trative de la décision, et le certiorari émanant de la Division de
première instance est bien le recours approprié.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] I R.C.S. 311; Marti-
neau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Mats-
qui, [1980] 1 R.C.S. 602; Gunn v. Yeoman et al. (1979),
48 C.C.C. (2d) 544; 104 D.L.R. (3d) 116 (C.F. I" inst.);
Gunn c. Yeoman, et autres, [1981] 2 C.F. 99 (l" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
In re la Loi sur les pénitenciers et in re Culhane, Cour
fédérale, T-2168-77, jugement en date du 6 octobre 1977;
State of Hawaii v. Martinez, 580 P.2d 1282 (Sup. Ct.
Hawaii 1978).
DÉCISION CITÉE:
Martineau et autre c. Le Comité de discipline des déte-
nus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118.
AVOCATS:
Pierre L. Paquin pour le requérant.
S. Barry pour les intimés.
PROCUREURS:
Brunet, Paquin, Danis & Brunet, Montréal,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Le requérant, un détenu de
l'établissement Leclerc, une prison à sécurité mini-
male située à Laval dans la province de Québec,
demande un bref de certiorari. Avant son empri-
sonnement, il avait vécu en ménage durant plu-
sieurs années avec Francine Allard. Le 11 juillet
1982, celle-ci lui rendit visite à l'établissement
Leclerc comme elle le faisait régulièrement depuis
son incarcération; cette fois, après son admission
dans l'établissement, on lui demanda de se soumet-
tre à une fouille à nu; elle refusa et, en consé-
quence, elle fut reconduite à la sortie de la prison,
dont on lui interdit l'accès. De plus, on lui fit
savoir que son droit de visite était dès lors sus-
pendu pour une durée indéterminée.
Le requérant soutient que les fouilles à nu ne
sont exigées que pour les personnes qui rendent
visite à un détenu dont le nom apparaît sur une
liste de détenus soupçonnés d'avoir introduit des
objets interdits ou des drogues dans le pénitencier.
Le nom du requérant n'a jamais été sur cette liste
qui est préparée par le service de sécurité du
pénitencier, et il n'a jamais été soupçonné, ni ceux
qui le visitent, d'introduction d'objets interdits ou
de drogues. Le requérant soutient, en conséquence,
qu'il n'y avait aucun motif raisonnable et probable
de croire que Mme Allard le ferait et donc que la
fouille à nu ne se justifiait pas. En vertu des
directives et du Règlement, soutient-il, on ne pro-
cède à des fouilles à nu que lorsqu'il existe des
raisons de croire que la personne fouillée cache des
drogues ou autres objets interdits. Sans ces motifs
raisonnables et probables, cette fouille serait illé-
gale et injustifiée, et constituerait un excès de
pouvoir. En vertu du Règlement et de la loi, le
requérant a le droit de recevoir la visite de sa
compagne aux fins de faciliter sa réinsertion
sociale et la suspension de ce droit pour une durée
indéterminée est une peine excessive, abusive et
disproportionnée et donc illégale. Enfin, il prétend
qu'à l'enquête tenue à cet égard, il n'a été ni
entendu, ni autorisé à présenter ses observations,
ce qui est contraire aux principes de la justice
naturelle, et que le certiorari est l'unique recours
dont il dispose.
Dans son affidavit, Mm' Allard affirme qu'au
bureau du service de sécurité du pénitencier, la
surveillante ne lui a alors donné aucune raison
pour la fouille à nu.
Le 16 juillet 1982, après avoir consulté son
avocat, le requérant écrivit à M. R. Rousseau, le
directeur de l'établissement. Dans cette lettre, il
soulignait qu'on lui avait indiqué que son nom
n'apparaissait pas sur ladite liste et qu'il n'était
pas soupçonné de distribution ou d'introduction
d'objets interdits ou de drogues dans l'établisse-
ment. Il déclare avoir appris par la suite qu'il
s'agissait d'une inspection ponctuelle de la seule
initiative des membres du personnel impliqués.
Le requérant soutient également que son dossier
à l'établissement, depuis 36 mois, est irréprochable
et que la moralité et les antécédents de sa compa-
gne sont au-dessus de tout soupçon. Elle avait été
journaliste, avait travaillé au département des rela
tions publiques d'un Cégep et avait été institutrice,
jusqu'à ce que sa mère tombe gravement malade,
quatre ans plus tôt.
Mention est faite du paragraphe 41(2) du
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C.,
chap. 1251, dont voici l'ancienne version:
41. ...
(2) Si le chef de l'institution soupçonne en se fondant sur des
motifs raisonnables qu'un fonctionnaire, un employé, un détenu
ou un visiteur de l'institution est en possession de contrebande,
il peut ordonner que cette personne soit fouillée, sauf qu'une
personne du sexe féminin ne peut être fouillée que par une
personne du même sexe.
Le décret 1638 du 19 juin 1980' modifie ce para-
graphe comme suit:
41. ...
(2) Sous réserve du paragraphe (3), un membre peut fouiller
a) un visiteur lorsqu'il existe des motifs de croire que le
visiteur est en possession de contrebande et si le visiteur
refuse d'être fouillé, l'accès à l'institution lui est refusé ou il
doit être escorté à l'extérieur;
Le requérant soutient, à bon droit je crois, que
cela en soi n'autorise pas une fouille ponctuelle.
D'ailleurs, les intimés ne soutiennent pas que dans
le cas de Mme Allard il s'agissait d'une fouille
ponctuelle mais plutôt d'une fouille exigée par une
surveillante parce que, selon cette dernière, [TRA-
DUCTION] «elle paraissait nerveuse» ce jour-là.
La lettre indique également, pour expliquer
cette nervosité, que la mère de sa compagne, Mm`
Allard, se meurt d'un cancer et que la situation est
devenue si critique et angoissante pour sa compa-
gne qu'elle est maintenant, elle aussi, sous surveil
lance médicale. On ne pouvait s'attendre, bien
entendu, à ce que les fonctionnaires qui ont
ordonné la fouille connaissent la situation, quoique
le 7 juillet 1982 (4 jours auparavant), le requérant
ait demandé, pour des motifs humanitaires, une
absence temporaire avec escorte parce que la mère
de sa compagne était mourante et qu'il leur fallait
discuter entre eux, avec tout le tact qui s'imposait,
des arrangements nécessaires à ses dernières volon-
tés, sa compagne ne pouvant s'en occuper elle-
même, étant donné son émotion. Le nom du méde-
cin traitant avait été fourni et la demande indi-
quait que des renseignements supplémentaires
pouvaient être obtenus auprès de M. André
Harvey, responsable de l'enquête communautaire
concernant son foyer, qui connaissait la situation.
La directive du Commissaire n° 249(6) du 30
avril 1982 définit la fouille à nu comme suit:
... fouille à nu - il s'agit d'une procédure selon laquelle une
personne doit se déshabiller complètement et être examinée
visuellement, mais sans être touchée, à "exception des cheveux.
De plus, tous les vêtements et les effets personnels sont fouillés.
' DORS/80-462.
Voici le paragraphe 21:
21. Un membre peut fouiller un visiteur par palpation ou à nu
lorsqu'il y a des raisons de croire que ce dernier a en sa
possession de la contrebande. Si le visiteur refuse d'être
fouillé et qu'on le soupçonne d'infractions à la Loi sur les
stupéfiants, à la Loi des aliments et drogues et au Code
criminel du Canada, on peut le remettre entre les mains
des forces policières locales.
Et le paragraphe 25:
25. Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe 21., si un
visiteur refuse d'être fouillé lorsqu'on le lui demande,
l'accès à l'établissement doit lui être refusé ou il doit être
escorté à l'extérieur du terrain de l'établissement.
Le 20 juillet 1982, l'avocat du requérant écrivit
à Martin Paquette, chef du développement social à
l'établissement, pour lui expliquer la situation et
les raisons de la nervosité apparente de Mmc Allard
et demander que ses droits de visite soient rétablis.
Le 23 juillet, le directeur de l'établissement, M.
René Rousseau, en réponse à cette lettre, déclara
que Mme Allard n'avait pas été autorisée à entrer
dans l'établissement par suite de son refus de se
soumettre à une fouille à nu, ce qui suffisait pour
lui interdire l'accès à l'établissement durant trois
mois au moins, avant que puisse être examinée une
nouvelle demande d'admission. Dans une lettre du
26 juillet 1982, M. Rousseau rappelle qu'un refus
d'admission résultant de l'opposition à une fouille
ne constitue pas une suspension des droits de visite
mais un refus d'admission pour une période mini-
male de trois mois, à ne pas confondre avec le droit
de fouille existant en vertu des directives du Com-
missaire et du Règlement sur le service des péni-
tenciers. Il ne voit pas pourquoi la visiteuse devrait
être dispensée de toute fouille en raison du bon
comportement du requérant ou parce que le nom
de ce dernier n'apparaît pas sur une liste spéciale.
Le 13 août, le procureur du requérant a adressé
à M. Rousseau une mise en demeure de réintégrer
Mmc Allard dans ses droits de visite dans les cinq
jours; la lettre a été envoyée également au procu-
reur général du Canada, l'honorable Robert
Kaplan, et à Donald R. Yeomans, le commissaire
du Service correctionnel du Canada.
Après signification de la requête, immédiate-
ment avant l'audience, M. Jean-Marc Lavoie,
directeur adjoint (socialisation) de l'établissement
Leclerc, a déposé, au nom des intimés, un affidavit
rédigé en l'absence de M. Rousseau. Il y affirme,
notamment, que ces dernières années l'usage de
drogues a été observé dans l'établissement carcéral
en dépit de toutes les mesures prises pour en
combattre l'introduction; que Mme Beaudin, la sur-
veillante qui a exigé la fouille, est l'un des agents
les plus expérimentés de l'établissement et qu'il lui
appartenait d'exiger une fouille à nu ou non; que le
refus de Mmc Allard de s'y soumettre a eu pour
résultat la suspension de ses privilèges; que subsé-
quemment, une enquête approfondie a été faite à
ce sujet et que l'Administration en est arrivée à la
conclusion que la décision de la surveillante n'était
pas déraisonnable, car elle avait des motifs de
croire que la visiteuse cachait des objets interdits;
que la décision n'était ni discriminatoire ni abu
sive; qu'elle avait été prise en vue d'assurer la
bonne marche, la discipline et l'efficacité du Ser
vice correctionnel.
Avant la modification du paragraphe (2) de
l'article 41 du Règlement sur le service des péni-
tenciers (précité), j'avais examiné le cas d'une
fouille à nu d'un détenu, qui sortait temporaire-
ment de prison pour des raisons médicales et sur
lequel ne pesait aucun soupçon précis d'introduc-
tion d'objets interdits. Accordant une injonction
interlocutoire pour interdire d'autres fouilles sur la
personne du demandeur, sauf en application du
paragraphe 2.31(2) (aujourd'hui le paragraphe
41(2)) du Règlement, j'avais écrit [à la page
549] z :
[TRADUCTION] Aux termes du. règlement 2.31(2), le chef de
l'institution doit soupçonner «en se fondant sur des motifs
raisonnables» que le «détenu ... est en possession» d'objets
introduits illégalement avant de pouvoir ordonner que «cette
personne» soit fouillée (c'est moi qui souligne).
Il va sans dire—si l'on se fonde sur ce qu'il est courant de
voir dans les prisons—que les détenus peuvent avoir en leur
possession à tout moment des objets introduits illégalement, et
qu'ils peuvent dans l'ensemble être à cet égard l'objet de
soupçons, voire de soupçons «raisonnables». Selon le règlement,
il appert qu'un particulier doit être l'objet de soupçons bien
précis, fondés sur «des motifs raisonnables», avant qu'on puisse
le fouiller. Le mot «détenu» est utilisé au singulier, le règlement
emploie l'expression «est» en possession et non «peut être» en
possession et l'ordre porte que «cette» personne soit fouillée. À
mon sens, une fouille générale de tous les détenus à leur sortie
de l'institution et à leur retour ne pourrait être justifiée que par
un règlement plus rigoureux, quels que soient par ailleurs
l'à-propos, l'utilité ou la nécessité d'une telle fouille. Si des
pouvoirs élargis sont nécessaires pour effectuer la fouille, ce qui
est fort possible, le règlement devrait être modifié dans ce sens.
2 Gunn v. Yeoman et al. (1979), 48 C.C.C. (2d) 544; 104
D.L.R. (3d) 116 (C.F. l' inst.).
À un stade ultérieur de la même affaire, mon
collègue, le juge Cattanach, jugea que la directive
du Commissaire relative aux fouilles et incompati
ble avec les dispositions du paragraphe 41(2), était
illégale et qu'en conséquence, la déclaration de
culpabilité de Gunn, pour refus d'obtempérer à un
ordre licite de se soumettre à une fouille à nu était
mal fondée en droit et devait être réformée. En
outre, les défendeurs se voyaient interdire de pro-
céder à d'autres fouilles sur la personne du deman-
deur, sauf dans le cas de l'application du paragra-
phe 41(2) du Règlement sur le service des
pénitenciers'. Le juge Cattanach dit, à la page
110:
11 faut qu'il ait eu lieu de croire que le détenu à fouiller a sur
lui des articles de contrebande.
Bien que le chef de l'institution soit peut-être fondé à soup-
çonner que tout détenu qui quitte l'institution et y retourne à
l'occasion de courtes absences autorisées, peut avoir en sa
possession de la contrebande, je ne pense pas que ce soupçon
soit justifié lorsqu'il s'agit d'un détenu donné. Il faut qu'il y ait
dans ce cas un soupçon précis; un soupçon général ne peut
suffire.
Par suite de ces jugements, le règlement sur le
service des pénitenciers a été modifié dans sa
forme actuelle (précitée) qui emploie l'expression
«lorsqu'il existe des motifs de croire» au lieu de
l'expression «soupçonne en se fondant sur des
motifs raisonnables».
Certes, le pouvoir discrétionnaire attribué aux
autorités pénitentiaires est ainsi élargi, mais il est
évident que ce nouveau libellé ne leur donne pas un
pouvoir illimité en matière de fouilles corporelles.
Il faut qu'il y ait un motif à la fouille corporelle et
j'estime que, malgré cette modification, ce motif
doit être, sinon «raisonnable», du moins plausible et
justifiable, en ce qui concerne le visiteur qu'il
s'agit de fouiller. En effet, toute autre interpréta-
tion de l'article modifié équivaudrait à donner un
droit absolu d'exiger la fouille corporelle de tout
visiteur, à la seule discrétion de la surveillante ou
du fonctionnaire de service au moment où il
demande à être introduit dans la prison. Un tel
motif n'existe apparemment pas en l'espèce puis-
que la seule justification donnée, après coup, était
que la visiteuse paraissait nerveuse. Bien des visi-
teurs se rendant au pénitencier doivent paraître
nerveux et, en l'espèce, une explication raisonnable
3 Gunn c. Yeoman, et autres, [1981] 2 C.F. 99 (l" inst.).
a été fournie: les problèmes personnels et familiaux
de Mme Allard qui pouvaient fort bien expliquer sa
nervosité. Il est vrai que la surveillante ignorait
cela (les autorités pénitentiaires avaient cependant
depuis 4 jours une certaine connaissance de sa
situation familiale), mais l'argument est fort ténu,
l'excuse bien mince, lorsqu'il s'agit de justifier une
fouille corporelle humiliante et dégradante. Il est
évident que le règlement, même modifié, ne saurait
justifier des fouilles ponctuelles, si souhaitables
soient-elles du point de vue de l'administration
pénitentiaire. Il est vrai, comme M. Rousseau le
rappelle, que la bonne conduite d'un détenu et un
dossier vierge en matière d'introduction d'objets
interdits ne permettent pas, en eux-mêmes, de
supposer qu'un visiteur ne tentera pas d'en intro-
duire en fraude, pour son usage ou pour celui
d'autres détenus. Mais Mmc Allard était déjà venue
voir le requérant à plusieurs reprises et il est admis
que rien, si ce n'est une nervosité apparente ce
jour-là, ne permettait de croire qu'elle cherchait à
introduire en fraude des objets interdits ou de la
drogue. Le fait qu'il existe une liste de détenus
suspects, dont les visiteurs sont régulièrement
fouillés, et que le nom du requérant n'y figure pas,
n'a d'importance que dans un raisonnement a con-
trario. Cette liste n'est certes pas exhaustive; son
existence ne saurait exclure la fouille des visiteurs
d'autres' détenus. La liste doit être mise à jour
régulièrement. Toutefois, l'absence du nom du
requérant sur cette liste indique que ce n'est pas
parce qu'il était suspect que la fouille de Mn"
Allard a été ordonnée en cette occasion.
Une enquête subséquente n'a fait que confirmer
et justifier la décision prise sur le moment, comme
on pouvait s'y attendre, à moins que les autorités
ne soient prêtes à reconnaître que le règlement
modifié autorise maintenant les fouilles ponctuel-
les ou les fouilles au moindre soupçon. Le fait que
le requérant n'a pas été entendu au cours de cette
enquête interne importe peu. Il n'était pas présent
lorsque l'incident a eu lieu et il n'avait rien à
ajouter aux observations que lui et son procureur
avaient soumises par écrit. L'enquête était de
nature administrative.
J'irai jusqu'à dire que si l'ordre initial de procé-
der à une fouille corporelle était justifié et qu'en
conséquence, le refus de s'y soumettre ne l'était
pas, la suspension des visites pour trois mois n'était
alors nullement déraisonnable. Si on soupçonne
avec raison un visiteur d'introduire en fraude des
objets interdits, le refus d'une fouille qui confirme-
rait ou dissiperait les soupçons est en lui-même
suspect, corrobore les premiers soupçons et justifie
le refus d'admettre le visiteur pendant trois mois
avant que l'on révise cette décision. Le litige sera
donc tranché dans un sens ou dans l'autre selon
que la fouille était au départ justifiable ou non,
selon le Règlement.
En l'espèce, contrairement à la seconde action
engagée par Gunn devant le juge Cattanach, il n'y
a pas conflit entre les directives et le Règlement.
En effet, la directive modifiée respecte le texte du
règlement, employant l'expression «raisons de
croire» qui équivaut à l'expression «motifs de
croire» utilisée dans le règlement modifié.
On reconnaîtra, comme le fait observer M.
Jean-Marc Lavoie au nom des intimés dans son
affidavit, que la drogue est entrée dans l'établisse-
ment Leclerc, malgré les mesures qui ont été prises
pour en prévenir l'introduction. Les avocats ont
expliqué à l'audience que les visiteurs ne sont pas
séparés des détenus par une cloison et qu'ils ne
sont pas seuls non plus, dans une pièce séparée,
avec le détenu et un gardien; les visites ont lieu
dans un parloir où plusieurs détenus peuvent rece-
voir des visiteurs en même temps sous la surveil
lance d'un garde unique, qui se place à un endroit
situé en surplomb de la pièce. Dans ces conditions,
il n'est pas impossible qu'un visiteur en donnant la
main au détenu, le plus naturellement du monde,
ou même en l'embrassant, parvienne à lui trans-
mettre des objets interdits sans attirer l'attention
du garde. Il y a 478 détenus dans l'établissement et
il est très difficile pour le service des pénitenciers
d'y maintenir l'ordre. Néanmoins, le Règlement et
les directives prises en application, qui, en l'espèce,
ne sont pas en conflit avec le règlement 41(2),
doivent être scrupuleusement observés; les droits
de fouille ne peuvent excéder ce qui y est prévu.
On a débattu du point de savoir si les visites sont
un droit ou un privilège et si le certiorari est le
recours approprié et applicable en l'espèce.
Dans In re la Loi sur les pénitenciers et in re
Culhane, un jugement non publié de la Division de
première instance, en date du 6 octobre 1977 (n°
du greffe T-2168-77) on a jugé que [aux pages 4 et
5]:
... il n'y a pas de droit légalement établi permettant spéciale-
ment à un membre du public de visiter un établissement et ses
détenus ... S'il y a des droits acquis ou «privilèges., expressé-
ment ou tacitement reconnus dans les textes législatifs, il s'agit
... de privilèges personnels des détenus, et non ceux des
membres du public en général ... une décision, rendue pour des
motifs de sécurité, ordonnant qu'un certain membre ou que des
membres du public ne soient pas admis à visiter la prison ou les
détenus qui y sont incarcérés, est une décision de nature
administrative qui, par sa nature même, n'exige pas qu'il soit
donné avis des choses invoquées ou alléguées ... et n'emporte
pas le droit à ce qu'on appelle une audition. Elle ne justifie pas
non plus cette Cour d'intervenir par voie de certiorari ou autres
mesures prohibitives, lorsqu'il est simplement allégué que la
décision est arbitraire, déraisonnable ou injuste.
Cette décision est la source du principe selon
lequel le droit ou privilège de visite s'attache au
détenu lui-même et non aux visiteurs, de sorte que
l'instance actuelle a été engagée à bon droit au
nom du détenu, Bryntwick. Comme l'indique le
jugement, la décision était indubitablement admi
nistrative et ne justifiait pas l'intervention d'un
tribunal par voie de certiorari à ce titre et la
conclusion du juge en ce sens se fonde sur le fait
que la décision n'était ni arbitraire, ni déraisonna-
ble, ni injuste. En l'espèce présente, le requérant
soutient que le Règlement n'a pas été respecté, non
pas que la décision est arbitraire, déraisonnable ou
injuste.
Le requérant prétend qu'il existe un «droit», et
non simplement un «privilège», de visite des déte-
nus; il se réfère à une brochure, intitulée «Droits et
responsabilités des détenus», que le Service correc-
tionnel du Canada remet aux détenus. Elle n'a
qu'une valeur informative et ne saurait, bien
entendu, se substituer à la loi et aux règlements.
Sous la rubrique «Programmes», l'alinéa 11f)
porte:
Les privilèges concernant les visiteurs et la correspondance, qui
peuvent conformément aux directives être accordés aux déte-
nus, doivent être tels qu'en toutes circonstances ils contribuent
à la rééducation et à la réadaptation du détenu.
Il est intéressant de noter que si la brochure parle
des «Droits et responsabilités des détenus», cet
alinéa parle, lui, des «privilèges» de visite. Une
décision américaine, à laquelle la Cour a été ren-
voyée, traite d'une question assez similaire; il s'agit
de State of Hawaii v. Martinez en Cour suprême
de Hawaii'', affaire dans laquelle l'appelante avait
été reconnue coupable de possession de marijuana
sur les preuves réunies par suite d'une fouille
qu'avaient exigée les autorités de la prison, avant
de l'admettre dans la prison. L'appel contestait,
pour des motifs constitutionnels, l'admissibilité des
preuves réunies lors de la fouille. Dans son témoi-
gnage, l'a surveillante qui avait procédé à la fouille
à nu a déclaré que bien qu'elle ait remarqué des
signes d'intoxication dans l'apparence et le com-
portement de l'appelante, elle avait pris sa décision
non pas dans l'exercice de son pouvoir discrétion-
naire mais en vertu des règlements de la prison.
Toutefois, la Cour jugea qu'il n'existait aucun
règlement de ce genre. Le jugement dit, notam-
ment, à la page 1286:
[TRADUCTION] Nous estimons qu'il existe une différence
fondamentale entre la détention et la fouille d'un individu
exerçant un droit légal ou constitutionnel, comme celui de
circuler dans les rues d'une ville ou de traverser une frontière,
et la fouille sans détention, imposée comme condition d'admis-
sion dans une prison. Dans le premier cas, la liberté et l'intimité
individuelles ne sont pas fondamentalement touchées par l'acti-
vité exercée; aussi est-ce sur le gouvernement que pèse le lourd
fardeau de justifier l'atteinte. Mais l'appelante ne prétend pas
posséder un droit constitutionnel ou légal d'accès à la prison. Le
dossier laisse fortement présumer qu'elle a requis cet accès
sachant qu'elle serait soumise à une fouille à nu de routine.
Pour éviter la fouille, l'appelante n'avait qu'à ne pas demander
à entrer, et sa situation était donc très différente de celle d'une
personne qui, circulant licitement, est interpellée et forcée de se
soumettre à une fouille avant d'avoir le droit de poursuivre sa
route.
Plus loin, sur la même page, on trouve:
[TRADUCTION] Sans laisser entendre que les protections
constitutionnelles des visiteurs dans les prisons ne sauraient être
supérieures à celles dévolues aux détenus, nous pensons que
celui qui demande à entrer dans une prison, à titre purement
personnel, ne saurait prétendre à aucune immunité à l'encontre
des mesures de sécurité raisonnables qui sont appliquées aux
détenus de la prison.
On a également cité le sommaire de cette
affaire, qui dit notamment, à la page 1282:
[TRADUCTION] ... lorsque le visiteur qui demande à être admis
dans la prison a connaissance de la pratique de la fouille à nu,
par suite de visites antérieures, le consentement à la fouille est
tacite ...
Celui qui demande à entrer dans une prison à titre purement
personnel ne saurait prétendre à aucune immunité à l'encontre
des mesures de sécurité raisonnables qui sont appliquées aux
détenus de la prison.
4 580 P.2d 1282 (Sup. Ct. Hawaii 1978).
Toutefois, cette affaire ne nous concerne pas direc-
tement puisque la visiteuse, M`"e Allard, n'avait
manifestement connaissance d'aucune pratique
consistant à exiger une fouille à nu avant son
admission dans la prison qui eût permis de con-
clure qu'elle y avait donné son consentement
tacite. D'ailleurs, cette jurisprudence ne paraît pas
statuer spécifiquement sur l'interprétation ou l'ap-
plication de règlements formulés spécialement
pour les visiteurs des prisons.
On a cité abondamment l'arrêt de principe cana-
dien Martineau c. Le Comité de discipline de
l'Institution de Matsqui 5 . Bien qu'ait été en cause
dans ce cas la réclusion d'un détenu dans une unité
spéciale de correction pour infraction flagrante et
grave à la discipline, ce qui est une question beau-
coup plus sérieuse que la demande faite à un
visiteur de se soumettre à une fouille à nu, certains
des mêmes principes s'appliquent, dont particuliè-
rement l'emploi d'un bref de certiorari en Division
de première instance de notre Cour, comme
recours approprié. Mon collègue, le juge Mahoney,
de la Division de première instance, avait jugé la
Cour compétente pour casser l'ordonnance, par
voie de certiorari, si elle était d'avis que le tribunal
n'avait pas agi équitablement bien que, sur l'excep-
tion déclinatoire dont il était saisi, il n'ait pas eu à
décider si, d'après les faits de l'espèce, l'intimé
avait agi d'une manière inéquitable. Sa décision
fut infirmée en Cour d'appel qui, dans un arrêt
statuant sur une demande selon l'article 28 et
confirmé en Cour suprême', s'était déjà déclarée
incompétente pour réformer l'ordonnance, parce
que les condamnations étaient des décisions admi-
nistratives qui n'étaient pas judiciaires ni quasi
judiciaires. La Cour d'appel déclara que les con-
damnations en cause ne pouvaient donc être con-
testées sur le fondement de l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10, par voie de bref de certiorari.
La Cour suprême, après un examen complet de
la jurisprudence existante, y compris son propre
arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional
Board of Commissioners of Police', selon lequel
l'obligation d'agir équitablement est plus large que
celle d'appliquer les règles de la justice naturelle, a
5 [ 1 9 80] 1 R.C.S. 602.
6 Martineau et autre c. Le Comité de discipline des détenus
de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118.
7 [ 1979] 1 R.C.S. 311.
jugé que l'équité procédurale allait bien au-delà de
la distinction à faire entre les fonctions administra-
tives, d'une part, et les fonctions judiciaires et
quasi judiciaires, d'autre part, et qu'il était donc
possible d'étendre la portée du certiorari aux déci-
sions qui ne sont pas strictement judiciaires ou
quasi judiciaires. Voici ce qu'en dit le juge Dick-
son, à la page 628:
Il semble clair que bien que les cours n'interviennent pas
volontiers dans l'exercice de pouvoirs disciplinaires, que ce soit
au sein des forces armées, des services de police ou d'un
pénitencier, il n'y a aucune règle de droit qui exempte nécessai-
rement l'exercice de ces pouvoirs disciplinaires d'un examen par
certiorari.
Aux pages 629 et 630, il écrit:
4. Un comité de discipline des détenus n'est pas une cour.
C'est un tribunal qui doit déterminer des droits après audition
de la preuve. Même s'il n'est pas obligé, dans l'exécution de ce
qui est essentiellement une tâche administrative, de tenir un
procès de nature judiciaire, respectant les règles de procédure et
de preuve d'une cour, le comité est néanmoins soumis à une
obligation d'agir équitablement et une personne lésée par une
violation de cette obligation a le droit de demander un redresse-
ment à la Division de première instance de la Cour fédérale,
par voie de certiorari.
En l'espèce, nous ne parlons pas, bien entendu, de
la décision officielle d'un comité de discipline de
prison, mais uniquement de la décision ponctuelle
d'une surveillante d'ordonner une fouille à nu,
décision confirmée plus tard par une enquête
administrative informelle des autorités de la
prison. Néanmoins, la même obligation d'équité
devrait s'appliquer. C'est ce qu'indique le paragra-
phe suivant de l'arrêt, à la page 630:
5. Il faut souligner que les cours n'interviendront pas dans
tous les cas de violation des règles de procédure carcérale. La
nature même d'un établissement carcéral requiert que des
décisions soient prises «sur-le-champ. par les fonctionnaires et
le contrôle judiciaire doit être exercé avec retenue. Une inter
vention ne sera pas justifiée dans le cas d'incidents triviaux ou
purement théoriques. Il ne s'agit pas de savoir s'il y a eu une
violation des règles carcérales, mais plutôt s'il y a eu une
violation de l'obligation d'agir équitablement compte tenu de
toutes les circonstances. Les règles ont leur importance pour
répondre à cette question: elles révèlent le degré de protection
procédurale dont doivent jouir les détenus, de l'avis des autori-
tés carcérales.
À mon avis, que les visites de la compagne du
requérant soient en l'espèce considérées comme un
droit ou un privilège, on lui a inéquitablement
demandé de se soumettre à une fouille à nu humi-
liante, pour des raisons qui étaient, pour le moins,
très minces, et qui ne lui ont même pas été com-
muniquées. De plus, ce traitement particulier, à
cette occasion, contrevenait au paragraphe 41(2)
du Règlement sur le service des pénitenciers,
modifié, et aux directives d'application, puisqu'il
n'existait aucun «motif» légitime «de croire» qu'elle
cachait un objet interdit. Je dis en outre que le
certiorari est bien le recours approprié en l'espèce
et, en conséquence, j'accueille la requête, avec
dépens, j'annule l'ordonnance suspendant pour une
durée indéterminée les droits de Mme Francine
Allard de visiter son conjoint de fait, le requérant
Paul Thomas Bryntwick. L'autorisation de repren-
dre les visites doit être accordée sans délai.
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