A-349-80
La Reine (appelante)
c.
Anton J. Pongratz (intimé)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup
pléant Kelly—Toronto, 19 avril; Ottawa, 19 mai
1982.
Impôt sur le revenu — Pénalités — Appel du jugement par
lequel le juge de première instance a accueilli l'appel formé
par l'intimé contre la nouvelle pénalité qui lui avait été
imposée pour l'année 1977 — De 1972 1977 inclusivement, le
contribuable n'a pas produit dans les délais ses déclarations
d'impôt sur le revenu à cause des exigences de ses affaires et
de son manque de fonds pour acquitter l'impôt en souffrance
— Des mises en demeure de production lui ont été envoyées de
1974 1977 inclusivement — Le contribuable s'est défendu
d'avoir eu l'intention de ne pas payer l'impôt et a nié l'exis-
tence d'un projet destiné à le soustraire à l'impôt — Paiement
de la pénalité pour production tardive et du montant de
l'impôt en souffrance lors de la production des déclarations
d'impôt — L'appelante fait valoir que l'imposition d'une
pénalité civile pour évasion fiscale volontaire en vertu de l'art.
163(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu est justifiée lorsqu'il y
a omission volontaire de produire une déclaration d'impôt, ou
que le juge de première instance aurait dû conclure, compte
tenu de la preuve, que le retard délibéré à produire les
déclarations constituait une tentative volontaire de se sous-
traire au paiement — L'appelante prétend aussi que la tenta
tive de se soustraire à l'imposition comprend la tentative
d'éluder le paiement de l'impôt de façon temporaire — Le juge
de première instance a condamné l'intimé aux dépens malgré
le fait que le jugement au fond ait été prononcé en faveur de ce
dernier — Le contribuable a formé un appel incident contre
l'adjudication des dépens — L'appel est rejeté, et le contre-
appel accueilli — La Cour a le pouvoir discrétionnaire de
déterminer si un refus volontaire de production de déclaration
de revenu a pour but de se soustraire au paiement de l'impôt
— La preuve permet au juge de première instance de ne pas
conclure à une tentative volontaire d'éluder le paiement de
l'impôt — L'interprétation de la Loi que propose l'appelante
impliquerait l'ajout des mots «pendant un certain temps» ou
«temporairement» — L'interprétation par la Cour ne doit
porter que sur les mots que le législateur a employés — Aussi
l'art. 163(4 parce qu'il impose une pénalité, doit-il être
interprété restrictivement et contre le fisc — On ne trouve
aucune justification à la décision d'adjuger les dépens en
faveur de la partie qui succombe à l'encontre de la partie qui a
gain de cause sauf en ce qui a trait au déroulement de la
poursuite — Rien dans la preuve soumise relativement au
comportement de l'intimé ne justifie d'adjuger les dépens
contre lui — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 162(1), 163(4 239(1)d) — Règle 344 de la Cour
fédérale.
Il est fait appel de la décision par laquelle la Division de
première instance a accueilli l'appel formé par l'intimé, en ce
qui concerne son année d'imposition 1977, contre la nouvelle
pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu. De 1972 1977 inclusivement, si le
contribuable a constamment omis de produire ses déclarations
d'impôt à la date prévue, c'est que c'est à cette période de
l'année que son bureau était le plus occupé et qu'il n'avait pas
alors les fonds nécessaires pour acquitter l'impôt. Des mises en
demeure lui ont été envoyées de 1974 à 1977 inclusivement. Le
contribuable savait qu'il était tenu par la Loi de produire sa
déclaration et d'acquitter tout impôt payable au plus tard le 30
avril de l'année suivant l'année d'imposition. Il s'est défendu
d'avoir eu l'intention de ne pas payer l'impôt et a nié l'existence
d'un projet destiné à le soustraire à l'imposition. Durant les
années 1972 1977, il s'était vu imposer la pénalité pour
production tardive prévue au paragraphe 162(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu et l'avait payée. Lors de la production de
ses déclarations, il avait aussi acquitté le montant des impôts
qu'il devait. Le paragraphe 163(1) impose une pénalité civile
pour la tentative volontaire de se soustraire à l'impôt. Le juge
de première instance a condamné l'intimé aux dépens malgré le
fait que le jugement au fond ait été prononcé en faveur de ce
dernier. L'intimé a formé un appel incident contre cette adjudi
cation de dépens.
Arrêt: l'appel est rejeté, et le contre-appel accueilli. Pour ce
qui est de la prétention qu'une omission volontaire de produire
une déclaration constitue une tentative volontaire d'éluder le
paiement de l'impôt, le raisonnement adopté dans l'affaire The
Queen v. Paveley, 76 DTC 6415 est convaincant. «Sur preuve
du `refus volontaire' de produire une déclaration d'impôt ... la
Cour peut, et non pas doit, conclure que l'accusé a agi dans
l'intention d'éluder le paiement de l'impôt.» Aussi, le législateur
n'a pas voulu que le paragraphe 163(1) s'applique automati-
quement à tout contribuable qui produit sa déclaration en
retard. Finalement, le Parlement a récemment augmenté la
pénalité prévue pour la production tardive de la déclaration, ce
qui fait que cette pénalité constitue une fois de plus un moyen
de dissuasion efficace. Il s'agit là d'une indication supplémen-
taire de la capacité et de la volonté du Parlement de s'attaquer
au problème des productions tardives de déclarations sans avoir
recours aux pénalités sévères que prescrit le paragraphe 163(1).
Quant à l'argument de l'appelante selon lequel la production
tardive répétée et délibérée équivalait à une tentative volontaire
d'éluder le paiement de l'impôt, les faits ont permis au juge de
première instance de refuser de conclure à une tentative volon-
taire de se soustraire à l'impôt: l'intimé a produit ses déclara-
tions de 1972, 1973 et 1978 sans qu'il soit nécessaire de le
mettre en demeure de le faire; l'intimé s'est conformé aux mises
en demeure de produire une déclaration envoyées par le Minis-
tre dans les deux mois qui ont suivi leur réception; toutes les
déclarations ont été produites dans l'année suivant la date fixée
pour la production, et l'intimé a acquitté l'impôt payable de
même que la pénalité prévue pour la production tardive lors-
qu'il a produit les déclarations; l'intimé s'est défendu d'avoir eu
l'intention de ne pas payer l'impôt et a nié l'existence d'un
projet destiné à le soustraire à l'impôt et, en 34 ans, on n'avait
pas mis en doute l'exactitude de ses déclarations. La conclusion
tirée par le juge de première instance était donc justifiée.
Finalement, l'argument que les mots «se soustraire» sont syno-
nymes du mot «éviter» va à l'encontre de la jurisprudence,
laquelle établit, en matière fiscale, une distinction entre le fait
de se soustraire à l'imposition et celui de l'éviter. La proposition
de l'appelante implique que l'on interprète le paragraphe
163(1) comme si les mots «se soustraire» étaient suivis des mots
«pendant un certain temps» ou «temporairement». Lorsque la
Cour interprète une loi, son interprétation ne doit porter que
sur les mots que le législateur a employés, et elle n'a pas le
pouvoir de combler les lacunes qu'elle détecte dans le texte.
Agir de la sorte constituerait pour elle une usurpation des
fonctions du législateur. Le juge de première instance n'a pas
appliqué aux faits un principe erroné. En outre, puisque le
paragraphe 163(1) impose une pénalité, il doit être interprété
restrictivement et contre le fisc. Quant au contre-appel, on ne
trouve aucune justification à l'exercice du pouvoir discrétion-
naire d'adjuger les dépens en faveur de l'appelante qui n'a pas
eu gain de cause. La Règle 344 prévoit que les frais suivent
l'issue de la cause sauf ordonnance contraire, et précise les
circonstances relatives au déroulement de la poursuite qui
peuvent donner lieu à une décision prescrivant qu'il ne sera pas
accordé de dépens à la partie en faveur de qui le jugement a été
prononcé ou adjugeant les dépens contre cette partie. Rien dans
la preuve soumise n'établit que l'intimé s'est comporté pendant
l'action d'une façon telle qu'il serait justifié d'adjuger les
dépens contre lui. Ce que le juge de première instance sanction-
nait en adjugeant les dépens contre l'appelant, c'était la con-
duite de l'appelant consistant à produire tardivement, à plu-
sieurs reprises, ses déclarations, ce qui, avait-il conclu
auparavant, n'enfreignait pas le paragraphe 163(1). Ni la Loi
de l'impôt sur le revenu ni les Règles de la Cour n'autorisent
une telle pénalité, et le contre-appel est accueilli.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Queen v. Paveley, 76 DTC 6415 (C.A. Sask.);
Magor et al. v. Newport Corporation, [1952] A.C. 189;
Tuck & Sons v. Priester (1887), 19 Q.B.D. 629.
DÉCISIONS CITÉES:
Medicine Hat Greenhouses Ltd. et al. v. The Queen, 81
DTC 5100 (C.A. Alb.); The Queen v. Regehr (1968), 3
C.C.C. 72 (C.A. Yuk.); Ciglen c. La Reine, [1970]
R.C.S. 804.
APPEL.
AVOCATS:
W. Lefebvre et I. MacGregor pour l'appe-
lante.
T. E. McDonnell et D. A. Giannini pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous - procureur général du Canada pour
l'appelante.
Little, Reeves, Mahoney, Jarrett & Hart,
London, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: La Cour est saisie de l'appel
d'une décision de la Division de première instance
par laquelle celle-ci accueillait l'appel interjeté par
l'intimé contre la nouvelle pénalité que lui avait
imposée le Ministre pour l'année d'imposition
1977, en application du paragraphe 163(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap.
148, modifiée par S.C. 1970-71-72, chap. 63, arti
cle 1 (ci-après appelée la Loi)'. Il sera aussi traité
dans les présents motifs du contre-appel formé par
l'intimé à l'encontre de l'adjudication des dépens à
l'appelante par le juge de première instance.
L'APPEL
Le considérant du jugement de la Division de
première instance pertinent au présent appel est
rédigé comme suit:
[TRADUCTION] Il ressort de la preuve présentée dans cet appel,
laquelle n'est formée que d'un exposé conjoint partiel des faits
et de la déposition du demandeur, que le Ministre n'a pas fait la
preuve des faits qui justifient l'imposition de la pénalité.
L'appel est donc accueilli et l'affaire renvoyée au Ministre
pour nouvel examen.
L'exposé des faits qui suit est tiré de l'exposé
conjoint des faits qui a été produit en première
instance. L'intimé est expert-comptable et exerce
seul depuis environ 34 ans. Entre autres choses, il
fait de la planification fiscale et remplit les décla-
rations d'impôt de sa clientèle constituée de parti-
culiers et de sociétés. Pendant ces 34 années, il a
rempli et produit sa propre déclaration d'impôt et
il savait qu'en vertu de la Loi, il devait produire sa
déclaration et acquitter l'impôt payable au plus
tard le 30 avril de l'année suivant l'année d'imposi-
tion. Il savait aussi que durant chaque année d'im-
position il devait payer, périodiquement, une partie
de son impôt. Le dossier de l'intimé concernant les
années d'imposition 1972 1977 peut être résumé
dans le tableau suivant:
Année 6c66qttn 0ete lvmvce 4.te de ]a trace d• ]e Gours Imp6t d
d'vmpoz vtvmn: provos vonnels pour 1 productvan de ecyuv tcer d
versfs productvon de demeure de de 1 retard: a date
le dëclare[ion production: décleratvon: imite de
roduc[von
1971 Aucun 30 avril 73 Aucune 27 nov.73 213 56,100.00
1973 un ral 71 21 no 70 306 56,120.20
1971 Aucun 30 avril 75 15 par, 76 mar. 76 506 $7,001.10
1975 51,500 30 avr71 76 3 nor. 76 52 567. 76 244 30490.90
1976 ua 30 avril 77 5.167. 77 50 5.4v. 75 275 07,134.00
1977 Aucun 30 avril 75 55 7471. le 11 sept. 76 154 55.466.15
' Le paragraphe 163(1) est rédigé en ces termes:
163. (1) Toute personne qui tente volontairement de se
soustraire à l'impôt qu'elle doit payer, en vertu de la présente
Partie, en ne produisant pas de déclaration de revenu dans la
forme et les délais requis par le paragraphe 150(1), est
passible d'une pénalité égale à 50% du montant de l'impôt
auquel elle a cherché à se soustraire.
Du témoignage de l'intimé, le seul témoin à
déposer à l'instruction, il ressort notamment ce qui
suit: avant 1972, il n'a pas toujours produit ses
déclarations dans les délais. En ce qui concerne
l'année d'imposition 1978, il a produit sa déclara-
tion le 9 juin 1979, ce qui fait à peu près 70 jours
de retard, et n'a versé aucun acompte provisionnel
sur l'impôt qu'il devait acquitter pour l'année
1978. S'il a constamment omis de produire ses
déclarations à la date prévue par la Loi, c'est que
c'est à cette période de l'année que son bureau
était le plus occupé et qu'il n'avait pas les fonds
nécessaires pour acquitter l'impôt. Il remettait
donc la préparation et la production de sa propre
déclaration à une période de l'année où cela lui
convenait mieux. Il a toutefois admis qu'il aurait
pu la remplir à temps car elle n'était pas compli-
quée. Il a aussi admis qu'il avait délibérément
choisi d'investir les fonds dont il disposait dans une
ferme qu'il exploitait plutôt que de s'en servir pour
acquitter l'impôt. Il a reconnu aussi ne pas avoir
essayé d'emprunter afin de payer l'impôt en souf-
france. Il s'est défendu cependant d'avoir eu l'in-
tention de ne pas payer l'impôt et a nié l'existence
de tout projet ou de plan destiné à le soustraire à
l'imposition. Il a souligné qu'en 34 ans, le Minis-
tère n'avait jamais mis en doute la justesse ou
l'exactitude de ses déclarations et qu'aucune accu
sation criminelle n'avait été portée contre lui en
vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Durant les
années d'imposition 1972 à 1977, il s'était vu
imposer la pénalité prévue au paragraphe 162(1)
de la Loi 2 et l'avait payée, la considérant comme
une conséquence naturelle du fait de ne pas pro-
duire ses déclarations à temps. Lors de la produc
tion de ses déclarations, il avait aussi acquitté le
montant des impôts qu'il devait.
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat de
l'appelante soutient d'abord que l'imposition de
2 Le paragraphe 162(1), pendant toute la période visée, était
rédigé en ces termes:
162. (1) Toute personne qui n'a pas fait de déclaration de
revenu dans les formes et à la date prévues au paragraphe
150(1) est passible d'une pénalité
a) d'un montant égal à 5% de l'impôt non payé au jour où
la déclaration devait être envoyée, si l'arriéré de l'impôt
payable en vertu de la présente Partie était inférieur à
$10,000, et
b) de $500, si au jour où la déclaration devait être envoyée,
l'arriéré de l'impôt payable en vertu de la présente Partie
était égal ou supérieur à $10,000.
pénalités en vertu du paragraphe 163(1) est justi-
fiée dans les cas, comme celui dont il est question
en l'instance, où le contribuable a volontairement
omis de produire une déclaration d'impôt dans les
formes et à la date que prescrit la Loi, cette
omission constituant une tentative volontaire d'élu-
der le paiement de l'impôt. Je ne puis accepter cet
argument. Le paragraphe 163(1) impose une sanc
tion civile à toute personne qui tente volontaire-
ment de se soustraire au paiement de l'impôt. La
disposition correspondante de la Loi qui impose
une sanction pénale est l'alinéa 239(1)d) qui pré-
voit que:
239. (1) Toute personne qui
d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté
d'éluder l'observation de la présente loi ou le paiement d'un
impôt établi en vertu de cette loi, ...
est coupable d'une infraction ....
Quoique le libellé des deux dispositions ne soit pas
identique, il est, à mon avis, très semblable et l'on
retrouve le mot «evade» dans la version anglaise
des deux textes*. J'ai donc trouvé très convaincant
le passage du jugement dans l'affaire The Queen y.
Paveley 3 dans lequel le juge Bayda qui était alors
juge à la Cour d'appel de la Saskatchewan a
affirmé:
[TRADUCTION] Il est donc clair que sur preuve du «refus
volontaire» de produire une déclaration d'impôt—la «manière»
dont on prétend que l'infraction prévue à l'alinéa 239(1)d) de la
Loi de l'impôt sur le revenu est commise—la Cour peut, et non
pas doit, conclure que l'accusé a agi dans l'intention d'éluder le
paiement de l'impôt. Si, en considérant l'ensemble de la preuve,
la Cour estime que cette conclusion est appropriée en l'espèce,
elle peut le faire. Si elle estime que ce n'est pas la conclusion
appropriée ou qu'il subsiste un doute raisonnable, alors il n'y a
pas lieu de le faire.
Le juge Harradence de la Cour d'appel a exprimé
une opinion similaire dans l'affaire Medicine Hat
Greenhouses Ltd. et al. v. The Queen 4 :
[TRADUCTION] Le fait de contrevenir à une disposition de la
Loi de l'impôt sur le revenu ne constitue pas en soi une
infraction au sens de l'alinéa 239(1)d). Une telle contravention
peut être un élément qu'il faut prouver quand on porte une
*N.D.T. Dans la version française de la Loi de l'impôt sur le
revenu, on emploie au paragraphe 163(1) les mots «se sous-
traire» et à l'alinéa 239(1)d), le mot «éluder».
3 76 DTC 6415 (C.A. Sask), p. 6421.
4 81 DTC 5100 (C.A. Alb.), p. 5104.
accusation en vertu de cet alinéa, mais on n'a pas prouvé qu'un
contribuable a volontairement éludé le paiement de l'impôt
quand on n'a prouvé que la contravention. Celle-ci peut être
volontaire ou ne pas l'être.
Comme l'a souligné l'avocat de l'intimé, si l'on
admettait cet argument de l'avocat de l'appelante,
cela signifierait qu'un contribuable qui aurait
volontairement produit sa déclaration en retard, en
la remettant le l er mai d'une année donnée, serait
passible de la même pénalité de base, équivalant à
50% de l'impôt non payé, que le contribuable qui a
délibérément produit sa déclaration avec un ou
deux ans de retard. On a admis qu'il est peu
probable que le Ministre impose la sanction prévue
au paragraphe 163(1) au contribuable qui produit
sa déclaration une journée en retard. Mais une
telle interprétation conduirait néanmoins à une
situation où des fonctionnaires du Ministère déter-
mineraient arbitrairement ce qui constitue un
retard suffisant pour justifier que soit imposée la
très sévère pénalité prévue au paragraphe 163(1).
Je ne crois pas que le législateur ait voulu que le
paragraphe 163(1) s'applique automatiquement à
tout contribuable qui produit sa déclaration en
retard.
Comme l'a également souligné l'avocat de l'in-
timé, le Parlement a considérablement augmenté
la pénalité prévue pour la production tardive de la
déclaration. En effet, il a récemment modifié le
paragraphe 162(1) [S.C. 1980-81-82, chap. 48,
art. 89] en abolissant le plafond antérieur de $500
prévu pour la pénalité de 5% et en augmentant
cette dernière en lui ajoutant un montant équiva-
lant à 1% de l'impôt impayé par mois de retard
jusqu'à un maximum de 12 mois. Par cette modifi
cation, le Parlement a augmenté la pénalité pour
production tardive afin que celle-ci apparaisse une
fois de plus comme un moyen de dissuasion effi-
cace. Il s'agit là d'une indication supplémentaire
de la capacité et de la volonté du Parlement de
s'attaquer au problème des productions tardives de
déclarations sans avoir recours aux pénalités sévè-
res que prescrit le paragraphe 163(1) pour la
tentative volontaire de se soustraire à l'impôt.
Donc, pour tous les motifs énoncés ci-dessus, je
rejetterais ce premier argument.
L'appelante a soumis, comme argument subsi-
diaire à celui sur lequel je me suis prononcé ci-des-
sus, que compte tenu de la preuve figurant au
dossier et de la conduite de l'intimé, le juge de
première instance aurait pu et aurait dû conclure
que le retard délibéré de l'intimé à produire sa
déclaration en 1977 constituait une tentative
volontaire de se soustraire à l'impôt qui justifiait
l'imposition de la pénalité prévue au paragraphe
163(1). L'appelante invoque à cet égard les omis
sions répétées et délibérées de l'intimé de produire
à temps ses déclarations d'impôt pour certaines
années d'imposition antérieures à 1977 aussi bien
que pour d'autres qui ont suivi cette date. La
faiblesse de cet argument, c'est qu'il ne tient pas
compte de l'ensemble de la preuve soumise au juge
de première instance. Lors du témoignage non
contredit qu'il a rendu à l'instruction, l'intimé a
précisé les faits suivants qui, à mon avis, permet-
traient au juge de première instance de prononcer
un jugement favorable à l'intimé et de refuser de
conclure à une tentative volontaire de se soustraire
à l'impôt. L'intimé a produit ses déclarations de
1972, 1973 et 1978 sans qu'il soit nécessaire de le
mettre en demeure de le faire. En ce qui concerne
les déclarations portant sur les années d'imposition
1974, 1975, 1976 et 1977, l'intimé s'est conformé
aux mises en demeure de produire une déclaration
envoyées par le Ministre: pour chacune de ces
années, la déclaration a été produite dans les deux
mois qui ont suivi la réception de la mise en
demeure. Les déclarations portant sur les années
d'imposition 1972 1978 ont toutes été produites
dans l'année suivant la date fixée pour la produc
tion et l'intimé a acquitté l'impôt payable de même
que la pénalité prévue pour la production tardive
lorsqu'il a produit les déclarations. L'intimé a spé-
cifiquement nié avoir eu l'intention de ne pas payer
l'impôt; il a nié aussi l'existence d'un plan destiné à
le soustraire à l'imposition. En 34 ans, le Ministère
n'a jamais mis en question la justesse ou l'exacti-
tude des déclarations de l'intimé; il n'a jamais non
plus porté contre ce dernier d'accusation criminelle
en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Quoi-
que les motifs prononcés par le juge de première
instance soient très brefs, la phrase suivante: «Il
ressort de la preuve présentée ... que le Ministre
n'a pas fait la preuve des faits qui justifient l'impo-
sition de la pénalité», constitue une indication
qu'au vu de la preuve soumise, le juge a bien tiré la
conclusion contraire à celle que propose l'appe-
lante. Dans ces circonstances, je ne suis pas con-
vaincu que cette conclusion tirée de l'ensemble de
la preuve était injustifiée ou arbitraire. Pour ces
motifs, je rejetterais le premier des arguments
subsidiaires présentés par l'appelante.
J'aborde maintenant ce que j'estime être le prin
cipal argument que l'avocat de l'appelante a
soumis dans sa plaidoirie en l'instance. Selon lui, le
juge de première instance a appliqué aux faits de
la cause un principe erroné. Selon l'avocat de
l'appelante, la tentative de se soustraire à l'imposi-
tion, infraction prévue au paragraphe 163(1), com-
prend la tentative de se soustraire à l'imposition ou
d'éluder le paiement de l'impôt de façon tempo-
raire et il n'est pas nécessaire que cette manoeuvre
soit faite dans le but d'éluder le paiement de
l'impôt à tout jamais. Pour étayer cette opinion,
l'avocat cite un extrait des motifs du juge Brown -
ridge de la Cour d'appel dans l'affaire Paveley
susmentionnée (page 6417): [TRADUCTION] «De la
même façon, je ne suis pas convaincu qu'il n'y a
pas d'évasion fiscale temporaire.» Il convient de
noter d'abord qu'à cause des faits de cette dernière
affaire, cet extrait n'est qu'un obiter dictum. Par
suite de son omission de produire ses déclarations
d'impôt pour trois années d'imposition après avoir
été mis en demeure de le faire, une accusation
fondée sur l'alinéa 239(1)d) de la Loi avait été
portée contre l'intimé. C'est donc dire que l'affaire
Paveley était un cas de non-production de déclara-
tions tandis que la présente espèce est un cas de
production tardive. De plus, l'extrait précité ne
semble pas exprimer une opinion décisive. Pour ces
motifs et comme les faits en l'instance diffèrent
considérablement de ceux de l'affaire Paveley, pré-
citée, l'argument fondé sur cet extrait ne saurait
emporter la conviction de la Cour.
En exposant cet argument, l'avocat de l'appe-
lante a soutenu que les mots «se soustraire»
employés au paragraphe 163(1) sont synonymes
du mot [TRADUCTION] «éviter». Cela, à mon avis,
va à l'encontre de la jurisprudence, laquelle établit,
en matière fiscale, une distinction entre le fait de
se soustraire à l'imposition et celui de l'éviter'. La
proposition de l'avocat de l'appelante implique
aussi que l'on interprète le paragraphe 163 (1)
comme si les mots «se soustraire» étaient suivis des
mots [TRADUCTION] «pendant un certain temps»
5 Voir à titre d'exemple: The Queen v. Regehr (1968), 3
C.C.C. 72 (C.A. Yuk.); Ciglen c. La Reine, [1970] R.C.S. 804,
à la p.812.
ou [TRADUCTION] «temporairement» ou d'autres
mots de même nature. Il faudrait donc ajouter au
paragraphe des mots qui n'y figurent pas. Dans
l'affaire Magor et al. v. Newport Corporation 6 , la
Chambre des lords a jugé que lorsque la Cour
interprète une loi, son interprétation ne doit porter
que sur les mots que le législateur a employés, que
celle-ci n'a pas le pouvoir de combler les lacunes
qu'elle détecte dans le texte et qu'agir de la sorte
constituerait pour elle une usurpation des fonctions
du législateur. Sur cette question, lord Simonds
s'est exprimé ainsi à la page 191:
[TRADUCTION] La Cour est tenue d'interpréter les mots que le
législateur a employés; il est possible que ces mots soient
ambigus, mais, même lorsqu'ils le sont, le pouvoir et le devoir
de la Cour de s'écarter du texte de la loi sont strictement
limités ....
Plus loin dans ce jugement, il critique l'opinion que
le lord juge Denning de la Cour d'appel a exprimée
et selon laquelle la Cour, lorsqu'elle découvre l'in-
tention du législateur et des ministres, doit com-
bler les lacunes. Lord Simonds s'exprime ainsi à
propos de cette opinion, à la page 191:
[TRADUCTION] Cela m'apparaît être, sous le mince prétexte de
l'interprétation, une usurpation pure et simple des fonctions du
législateur. Et cela se justifie d'autant moins quand la Cour
doit deviner comment le législateur aurait comblé la lacune s'il
l'avait découverte. Lorsqu'une lacune est décelée, c'est la modi
fication législative qui est le remède.
Je suis donc arrivé à la conclusion qu'il faut aussi
rejeter cet argument de l'appelante et que le juge
de première instance n'a pas appliqué aux faits un
principe erroné.
Comme je l'ai exprimé ci-dessus, j'estime que le
texte du paragraphe 163(1) est clair et qu'il ne
peut être interprété de la façon proposée par l'ap-
pelante. Même en supposant que cette interpréta-
tion est raisonnable, on ne pourrait encore donner
raison à l'appelante parce que le paragraphe
163(1) impose une pénalité, et qu'à ce titre, il doit
être interprété restrictivement et contre le fisc.
Comme l'a affirmé lord Esher, M.R., dans l'affaire
Tuck & Sons v. Priester 7 [à la page 6381:
[TRADUCTION] S'il existe une interprétation raisonnable qui
permette, dans un cas donné, d'éviter la pénalité, il faut l'adop-
ter. S'il existe deux interprétations raisonnables, il faut adopter
la plus clémente.
6 [1952] A.C. 189.
7 (1887), 19 Q.B.D. 629.
Pour tous les motifs exprimés ci-dessus, je suis
d'avis qu'il faut rejeter l'appel et annuler la nou-
velle pénalité imposée à l'intimé en vertu du para-
graphe 163 (1) pour l'année d'imposition 1977.
LE CONTRE-APPEL
Le juge de première instance a condamné l'in-
timé aux dépens malgré le fait que le jugement au
fond ait été prononcé en faveur de ce dernier. Le
juge a justifié sa décision sur les dépens comme
suit:
[TRADUCTION] Considérant tous les faits mis en preuve et la
conduite du demandeur, il s'agit en l'espèce d'un cas où il
convient de condamner le demandeur aux dépens. Le jugement
accordera donc les dépens à la défenderesse contre le deman-
deur; ce dernier sera tenu de payer à la défenderesse les frais de
cet appel.
En toute déférence, je ne puis trouver aucune
justification à la décision qu'a prise le juge, dans
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de statuer
sur les dépens, d'adjuger ceux-ci en faveur de
l'appelante et contre l'intimé malgré qu'au fond, il
ait donné raison à ce dernier. La Règle 344(1) de
la Cour fédérale prévoit que:
Règle 344. (I) Les dépens et autres frais de toutes les
procédures devant la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour
et suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire ...
Les divers autres paragraphes de la Règle 344
précisent les circonstances qui peuvent donner lieu
à une décision prescrivant qu'il ne sera pas accordé
de dépens à la partie en faveur de qui le jugement
a été prononcé ou adjugeant les dépens contre
cette partie. Cependant, toutes ces circonstances
sans exception ont trait au déroulement de la
poursuite et non à ce qui a précédé le début de
l'action. Rien dans la preuve soumise en l'instance
n'établit que l'intimé s'est comporté pendant l'ac-
tion d'une façon telle qu'il serait justifié d'adjuger
les dépens contre lui. Sa coopération a été com-
plète tout au long de l'action: il a accepté que soit
produit à l'instruction un exposé conjoint des faits
et a témoigné lors de l'instruction même si c'est le
Ministre qui avait la charge de la preuve. Il ressort
clairement de l'extrait de la décision du juge de
première instance (cité ci-dessus) que ce qu'il
sanctionnait en adjugeant les dépens contre l'in-
timé, c'était la conduite de l'intimé consistant à
produire tardivement, à plusieurs reprises, ses
déclarations d'impôt, ce qui, avait-il conclu aupa-
ravant, n'enfreignait pas le paragraphe 163(1).
L'effet de cette décision était d'imposer à l'intimé
une pénalité que ni la Loi de l'impôt sur le revenu
ni les Règles de cette Cour n'autorisaient.
En conséquence, j'accueillerais le contre-appel
avec dépens et annulerais l'adjudication des
dépens, en première instance, à l'appelante et
contre l'intimé. J'adjugerais à l'intimé et contre
l'appelante les dépens en première instance et en
appel.
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces
motifs.
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