A-162-81
La Reine (appelante)
c.
Timagami Financial Services Limited (intimée)
Cour d'appel, juges Urie et Ryan, juge suppléant
Kelly—Toronto, 4 mai; Ottawa, 28 juillet 1982.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Appel —
Convention conclue par l'intimée pour vendre une partie de son
actif — La convention prévoyait le versement, dès la signature,
d'une partie du prix de vente, et le solde devait être payé au
moyen de versements échelonnés sur deux ans et demi —
L'intimée a inclus dans le calcul de son revenu seulement la
partie du prix de vente qui est arrivée à échéance en 1975 —
La Division de première instance a jugé que le mot «payable»
à l'art. 14(1) de la Loi était synonyme de «dû» — Appel rejeté
— Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 85
(abrogé par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 12) — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 14, 20.
Appel est interjeté du jugement de la Division de première
instance accueillant un appel formé contre de nouvelles cotisa-
tions par lesquelles le revenu imposable de l'intimée pour 1975
a été rajusté pour inclure les sommes relatives à la vente de la
clientèle qui, en vertu de la convention, devaient être versées au
cours des années suivantes. La Division de première instance a
jugé que le mot «payable» au paragraphe 14(1) de la Loi est
synonyme de «dû», c'est-à-dire qu'il désigne une obligation
actuelle de payer.
Arrêt: l'appel est rejeté. Le mot «payable» figurant au para-
graphe 14(1)—«... une somme est devenue payable à un
contribuable au cours d'une année d'imposition ...» doit être
entendu dans son sens ordinaire, courant. On ne saurait dire
que les montants qui, d'après les conditions expresses d'une
convention, ne doivent être payés à un contribuable qu'en 1976,
1977 et 1978 lui sont payables en 1975. Pour arriver à ce
résultat, il faut que le texte soit plus précis, plus explicite,
comme celui de l'alinéa 12(1)b): «Sont à inclure dans le calcul
du revenu tiré par un contribuable ... au cours d'une année
d'imposition ... toute somme recevable ... bien que la somme
ou une partie de la somme puisse n'être due que dans une année
postérieure ....» II' est peut-être illogique que le montant
admissible des immobilisations cumulatives d'un contribuable
comprenne des montants payables dans des années d'imposition
ultérieures; si tel est le cas, dans certaines circonstances, la Loi
est asymétrique.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
The Minister of National Revenue v. John Colford Con
tracting Company Limited, [ 1960] R.C.É. 433.
AVOCATS:
Wilfrid Lefebvre pour l'appelante.
J. L. McDougall, c.r., pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Fraser & Beatty, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Appel est formé contre le juge-
ment [[1981] 2 C.F. 777] par lequel la Division de
première instance a, le 24 février 1981, accueilli un
appel formé par l'intimée Timagami Financial
Services Limited («Timagami») contre de nouvelles
cotisations d'impôt sur le revenu établies par le
ministre du Revenu national relativement à ses
années d'imposition 1975, 1976 et 1977.
L'élément déterminant dans cet appel est l'inter-
prétation de l'expression «... une somme est deve-
nue payable à un contribuable au cours d'une
année d'imposition ...» (d'expression litigieuse»)
qui figure au paragraphe 14(1) de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, mod.
par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1, dans la
formulation en vigueur pendant les années d'impo-
sition en cause'.
Le paragraphe 14(1) est ainsi rédigé:
14. (1) Lorsque par suite d'une opération effectuée après
1971, une somme est devenue payable à un contribuable au
cours d'une année d'imposition à l'égard d'une entreprise qu'il
exploite ou qu'il a exploitée et que la contrepartie donnée par ce
contribuable pour cette somme était telle que, si le contribuable
avait effectué un paiement après 1971 pour cette contrepartie,
ce paiement aurait constitué pour le contribuable une dépense
en immobilisations admissible à l'égard de l'entreprise, il faut
inclure dans le calcul du revenu tiré dans l'année par le
contribuable de l'exploitation de l'entreprise, la fraction, si
fraction il y a, de la moitié de la somme ainsi payable (moitié
appelée ci-après dans le présent article un «montant en immobi-
lisations admissible» à l'égard de l'entreprise) qui est en sus du
montant admissible des immobilisations cumulatives à l'égard
de l'entreprise, existant immédiatement avant que la somme
ainsi payable soit devenue payable au contribuable.
Par une convention datée du 30 avril 1975,
Timagami a vendu à Hurontario Management
Services Limited («Hurontario»), pour le montant
de $150,000, son actif ou, du moins, une grande
1 Le paragraphe 14(1) a été abrogé et remplacé par le
paragraphe 7(1) de la Loi modifiant le droit fiscal, S.C.
1977-78, chap. 1. Tous les renvois à la Loi de l'impôt sur le
revenu dans ces motifs sont des renvois à la Loi applicable aux
années d'imposition 1975, 1976 et 1977, moins d'indication
contraire.
partie de son actif. Les parties sont convenues que
la somme de $141,474 était afférente à la vente de
la clientèle. En vertu de cette convention, Huron-
tario s'engageait à verser à Timagami, sur signa
ture de la convention, le montant de $20,000. Le
solde du prix de vente devait être payé au moyen
de versements échelonnés: un montant de $20,000
devenant dû et payable le 1" novembre 1975, un
autre montant de $20,000, le Zef mai et le 1"
novembre des années 1976 et 1977 et le 1" mai
1978, et le solde de $10,000 le 1" novembre 1978.
L'intérêt sur les versements devait être payé au fur
et à mesure que ceux-ci venaient à échéance.
Hurontario pouvait effectuer des paiements antici-
pés 2 . Il découle des éléments de preuve que ce
privilège a été exercé de temps à autre, et que le
prix avait été intégralement payé vers la fin de
1977.
En procédant à de nouvelles cotisations, le
Ministre a pris la position que la totalité du prix de
vente de $150,000 (qui comprendrait, bien
entendu, la somme de $141,474 relativement à la
vente de la clientèle), était devenue payable à
Timagami en 1975, et c'est sur cette base qu'il a
établi la cotisation en vertu du paragraphe 14(1).
Il est constant que, si le Ministre avait raison, la
somme à inclure dans le calcul du revenu de
Timagami pour 1975 serait de $38,905; ceci
découlerait de l'application de l'article 21 des
Règles de 1971 concernant l'application de l'im-
pôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
Partie III, art. 7 sqq.
2 Il y a tout lieu de citer la clause 4 de la convention:
[TRADUCTION] 4. Hurontario s'engage à verser à Timagami,
sur signature de la présente convention, le montant de vingt
mille dollars ($20,000.00). Le solde du prix de vente, soit
cent trente mille dollars ($130,000.00), ainsi que les intérêts
au taux de dix pour cent (10%) par année seront payés de la
manière suivante: le montant de vingt mille dollars
($20,000.00) l'égard du capital et des intérêts deviendra dû
et payable le I" novembre 1975; par la suite, le montant de
vingt mille dollars ($20,000.00) l'égard du capital et des
intérêts deviendra dû et payable le I" mai et le 1" novembre
des années 1976 et 1977 et le I" mai 1978. Le solde de dix
mille dollars ($10,000.00) ainsi que les intérêts courus
deviendront dus et payables le 1" novembre 1978. Huronta-
rio pourra verser, entièrement ou en partie, à n'importe quel
moment, sans préavis ni indemnité, le montant dû à
Timagami.
Timagami a interjeté appel des nouvelles cotisa-
tions au motif que seulement la partie du prix de
vente qui, en vertu de la convention, était arrivée à
échéance en 1975, était devenue payable pour
l'année d'imposition 1975; les versements qui
devaient devenir payables en 1976 et en 1977,
n'étaient pas, dit-on, payables avant leur échéance.
Le juge de première instance a accueilli l'appel au
motif que [à la page 779]: «. .. le mot `payable' à
l'article 14(1) est synonyme de `dû', c'est-à-dire
qu'il désigne une obligation de payer». Il a ordonné
[à la page 780] que la question soit «renvoyée pour
qu'il soit établi de nouvelles cotisations pour les
années d'imposition 1975, 1976 et 1977, d'une
manière conforme aux présents motifs». (Le juge
de première instance a souligné le fait que l'avocat
de Timagami avait convenu que, si son interpréta-
tion du terme «payable» au paragraphe 14(1) était
retenue, il ne s'opposerait nullement à ce que le
Ministre cotise la société pour les années 1976 et
1977 sur cette base.)
L'appelante a interjeté appel de ce jugement.
Le litige dont est saisie la Cour est le même que
celui porté devant le juge de première instance. La
principale prétention avancée devant cette Cour
par l'appelante est la suivante: [TRADUCTION] «.. .
le terme `payable' désigne, lorsqu'il s'agit d'une
obligation de payer, une dette qui n'est ni incer-
taine ni éventuelle et que le débiteur est légale-
ment tenu de payer, bien qu'elle puisse ne pas être
exigible immédiatement». La totalité du prix de
vente était ainsi devenue payable en 1975. L'inti-
mée fait valoir que l'expression litigieuse figurant
au paragraphe 14(1), si on l'interprète grammati-
calement et dans son sens ordinaire, signifie qu'une
somme d'argent ne devient payable que lorsqu'elle
devient due, c'est-à-dire lorsque le débiteur a
l'obligation légalement exécutoire de la payer. Et il
n'y a aucune raison valable, soutient-elle, pour ne
pas interpréter l'expression litigieuse dans son sens
ordinaire et grammatical.
Il me semble qu'un contribuable qui exploite
une entreprise et qui signe un contrat de vente de
sa clientèle ne considérerait pas une somme que
l'acquéreur a promis, en règlement partiel du prix
d'achat, de payer un an après la signature du
contrat comme une somme qui lui était devenue
payable l'année de la conclusion du contrat; il
considérerait, à mon sens, cette somme comme une
somme payable l'année suivante, à la date
d'échéance. Le contribuable ordinaire considére-
rait, à mon avis, les deux montants de $20,000 que
Hurontario a promis de payer au cours de 1975
comme des montants devenus payables en 1975,
mais il ne regarderait pas les versements qui, en
vertu des conditions expresses du contrat, ne deve-
naient «dus et payables» qu'en 1976 et en 1977
comme lui étant devenus payables en 1975.
L'avocat de l'appelante fait valoir toutefois que
le sens de l'expression litigieuse ne saurait être
déterminé en interprétant celle-ci seulement dans
le contexte du paragraphe 14(1). Ce paragraphe
n'est qu'une partie d'un ensemble de dispositions
législatives, introduites par la nouvelle Loi de l'im-
pôt sur le revenu, en vertu desquelles un contri-
buable a droit à des déductions (auparavant non
admises) lors du calcul de son revenu tiré d'une
entreprise ou d'un bien, sur la base des frais
engagés par lui dans l'acquisition d'une clientèle et
d'autres [TRADUCTION] «éléments incorporels».
(En l'espèce, nous ne nous occupons que de «clien-
tèle».) Aux fins du présent appel, le contexte perti
nent comprend au minimum l'alinéa 20(1)b) de la
Loi de l'impôt sur le revenu et le paragraphe
14(5), ainsi que le paragraphe 14(1). Je conviens
que ces dispositions additionnelles constituent le
contexte pertinent'.
L'alinéa 20(1)b) autorise un contribuable à
déduire jusqu'à dix pour cent du «montant admis
sible des immobilisations cumulatives» à la fin de
l'année dans le calcul de son revenu pour l'année
d'imposition 4 . L'expression «montant admissible
3 Voir E. A. Driedger, The Construction of Statutes
(Toronto, Butterworth's & Co. (Canada) Ltd., 1974) 67.
4 L'alinéa 20(1)b) est ainsi rédigé:
20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b)
et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une
entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent
être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent
entièrement à cette source de revenus ou la partie des
sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée
comme s'y rapportant:
b) toute somme qu'un contribuable peut déduire au titre
d'une entreprise, mais ne dépassant pas 10% du montant
admissible des immobilisations cumulatives relatives à
l'entreprise à la fin de l'année;
des immobilisations cumulatives» est défini à l'ali-
néa 14(5)a) de la Lois. Pour saisir cette définition,
il est nécessaire de l'interpréter en corrélation avec
la définition de «dépense en immobilisations
admissible» que donne l'alinéa 14(5)b) 6 .
Si j'ai bien compris l'argument de l'avocat, il
soutient principalement qu'il résulte du rapproche
ment du paragraphe 14(1) et des alinéas 14(5)a)
et b) que l'expression litigieuse «... une somme est
devenue payable à un contribuable au cours d'une
5 L'alinéa 14(5)a) est ainsi conçu:
14....
(5) Dans le présent article,
a) «montant admissible des immobilisations cumulatives»
d'un contribuable, à une date quelconque, au titre d'une
entreprise, signifie
(i) la moitié du total des dépenses en immobilisations
admissibles, au titre de l'entreprise, faites ou engagées
par le contribuable avant cette date,
diminuée
(ii) du total
(A) de toutes les sommes dont chacune correspond à
une année d'imposition du contribuable close avant
cette date et qui sont égales au montant déduit, en
vertu de l'alinéa 20(1)b), lors du calcul du revenu tiré
de l'entreprise, au cours de cette année, par le
contribuable,
(B) pour chaque montant en immobilisations admissi
ble, au titre de l'entreprise, devenu payable au contri-
buable avant cette date, du moins élevé des deux
montants suivants:
(I) le montant en immobilisations admissible, ou
(Il) le montant admissible des immobilisations
cumulatives d'un contribuable au titre de l'entre-
prise, existant immédiatement avant la disposition à
la suite de laquelle le montant en immobilisations
admissible est devenu payable, et
(C) toutes les sommes dont le montant admissible des
immobilisations cumulatives du contribuable à l'égard
de l'entreprise à la fin de toute année d'imposition du
contribuable se terminant avant cette date a été réduit
en vertu du paragraphe (3); ...
6 L'alinéa 14(5)b) prévoit notamment ce qui suit:
14....
(5) Dans le présent article,
b) «dépense en immobilisations admissible» d'un contribua-
ble au titre d'une entreprise signifie la partie de tout
débours qu'il a fait ou s'est engagé à faire ou de toute
dépense qu'il a faite ou engagée par suite d'une opération
effectuée après 1971 sous forme d'immobilisations, dans le
but de tirer un revenu de l'entreprise ou de lui faire
produire un revenu, autre que tout débours ou toute
dépense de cette nature
[Des exceptions sont exposées aux sous-alinéas (i) à (vi)
inclusivement; «clientèle» ne tombe dans aucune de ces
exceptions.]
année d'imposition ...» figurant au paragraphe
14(1) doit être interprétée comme signifiant que la
somme mentionnée est une somme à déterminer
d'après la comptabilité d'exercice. Il fait valoir
ensuite que d'après cette méthode, la somme paya
ble à Timagami en 1975 comprendrait non seule-
ment les montants expressément faits payables en
1975, mais aussi les montants que la convention a
décrits comme n'étant dus et payables qu'en 1976
et en 1977.
L'alinéa 14(5)b) définit «dépense en immobilisa-
tions admissible» comme signifiant, pour toutes
fins utiles, une dépense que le contribuable a faite
ou engagée pour acquérir de la clientèle, ce qui a
pour effet, soutient-on, d'y inclure les parties du
prix de vente de la clientèle payables dans le futur,
même dans des années d'imposition ultérieures. Il
en découle, prétend-on, que le montant admissible
des immobilisations cumulatives, selon la défini-
tion que donne de cette expression l'alinéa 14(5)a),
comprendrait non seulement les montants immé-
diatement payables, mais aussi les montants paya-
bles dans des années d'imposition ultérieures. Tou-
jours selon l'avocat, la logique exige que
l'expression litigieuse figurant au paragraphe
14(1) doive être interprétée de la même façon, de
sorte que les montants payables dans une année
d'imposition comprendraient ceux qui ne sont dus
que dans des années ultérieures.
Pour donner un autre exemple de la contradic
tion qui surviendrait si la prétention de l'intimée à
l'égard du sens de l'expression litigieuse était
acceptée, l'avocat fait mention de ce qu'en serait,
selon lui, la conséquence sous le régime du para-
graphe 14(5), disposition a)(ii)(B). Comme il a été
indiqué plus haut, l'alinéa 14(5)a) donne la défini-
tion de «montant admissible des immobilisations
cumulatives» d'un contribuable à un moment
donné. Pour toutes fins utiles, ce montant signifie
la moitié des dépenses en immobilisations admissi-
bles faites ou engagées par le contribuable avant
cette date, diminuée des montants qu'il a déduits
en vertu de l'alinéa 20(1)b) dans le calcul de son
revenu, et du montant en immobilisations admissi
ble devenu payable au contribuable avant cette
date. Il est allégué que si la prétention de l'intimée
était acceptée, il en résulterait que, en établissant
le montant admissible des immobilisations cumula-
tives d'un contribuable, on recourrait à la méthode
du report d'impôt variable lors de l'acquisition de
la clientèle par un acheteur, mais on ne ferait pas
usage de cette méthode relativement à l'effet de la
vente sur le compte du vendeur. Si je comprends
bien, il en serait ainsi (selon cette prétention) pour
cette raison: l'acheteur, en établissant son montant
admissible des immobilisations cumulatives, ferait
immédiatement entrer en ligne de compte le plein
prix de la clientèle qu'il a achetée, y compris les
montants qui ne deviennent réellement dus que
dans des années ultérieures; par contre, le vendeur
de la clientèle serait requis de réduire son montant
seulement de la somme réellement payable dans
l'année d'imposition. Il s'agirait là, dit-on, d'une
anomalie.
A supposer que la prétention de l'avocat relati-
vement à l'effet de l'expression «dépense ... faite
ou engagée» soit bien fondée, la conséquence pour-
rait bien être celle que l'avocat a indiquée.
Pour répondre brièvement à cet argument, il
suffit de se référer à l'explication proposée par
l'intimée dans son exposé des points de droit et de
fait: en droit fiscal canadien, il y a des cas [TRA-
DUCTION] «... où la Loi est asymétrique: c'est-à-
dire où les déductions et les additions au revenu
d'un contribuable ne sont pas soumises au même
régime». J'estime qu'il convient de souligner que
l'effet du paragraphe 14(1) est d'ajouter au revenu
d'un contribuable des montants qui ne seraient
manifestement pas susceptibles d'inclusion selon
les règles ordinaires. Il se peut que, par l'expres-
sion litigieuse, le législateur ait voulu étaler la
charge fiscale ajoutée sur la période où le revenu
présumé devient réellement payable au contribua-
ble'.
Je dois dire que selon moi, le sens de l'expression
litigieuse qui figure au paragraphe 14(1) est rai-
sonnablement clair, que cette expression soit inter-
prétée dans le seul contexte du paragraphe 14(1)
ou dans le contexte plus grand sur lequel l'appe-
lante a insisté. J'estime que dans ni l'un ni l'autre
de ces contextes, il n'est raisonnablement permis
de conclure que les montants qui (comme ceux en
l'espèce), d'après les conditions expresses d'une
7 Bien entendu, je me rends compte que l'article 21 des
Règles de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le
revenu réduit le poids de l'effet transitoire du paragraphe
14(1). Toutefois, je tiens compte de l'effet à long terme de ce
paragraphe.
convention, ne doivent être payés à un contribua-
ble qu'en 1976, 1977 et 1978, peuvent être consi-
dérés comme lui étant payables en 1975. Il fau-
drait plus que les contradictions (s'il s'agit
vraiment de contradictions) signalées par l'avocat
pour me persuader que l'expression litigieuse au
paragraphe 14(1) a le sens plutôt forcé qu'on a
proposé.
L'avocat de l'appelante s'appuie principalement
sur le jugement rendu par le juge Kearney dans
l'affaire The Minister of National Revenue v.
John Colford Contracting Company Limited».
Avant de conclure, je voudrais expliquer la raison
pour laquelle je ne trouve pas les prétentions de
l'avocat, fondées sur ce jugement, persuasives.
Dans l'affaire Colford, il s'agissait de l'imposi-
tion, à titre de montants recevables, de sommes
retenues en vertu de contrats de construction,
sommes qui devaient être payables seulement
après l'émission d'un certificat de l'ingénieur ou de
l'architecte. Il a été jugé que ces sommes n'étaient
pas imposables à titre de revenu antérieurement à
l'émission du certificat. Toutefois, pour ce qui est
d'un des contrats en cause, le [TRADUCTION] «con-
trat d'Ontario», il a été établi qu'un certificat avait
été émis dans l'année d'imposition en cause. En
conséquence, il a été décidé que la somme était
[TRADUCTION] «recevable» dans cette année-là,
bien qu'en vertu du contrat, cette somme fût paya
ble au cours d'une période ultérieure à l'émission
du certificat qui n'arriverait à terme que l'année
suivante. Dans ses motifs, le juge Kearney dit ceci
(à la page 441):
[TRADUCTION] A défaut d'une définition contraire dans la loi,
je pense qu'il ne suffit pas que le soi-disant bénéficiaire ait un
droit précaire de recevoir la somme en question, mais il doit
avoir un droit certain de la recevoir, même si elle n'est pas
nécessairement exigible.
C'est sur ce passage que l'avocat de l'appelante
s'est appuyé. Sa prétention est, si je la comprends
bien, qu'un montant qu'un contribuable peut rece-
voir à une époque donnée doit lui être payable à
cette époque. Je doute qu'aux fins de la Loi de
l'impôt sur le revenu, il en soit toujours ainsi. Quoi
qu'il en soit, les opérations dans l'affaire Colford,
notamment le «contrat d'Ontario», étaient claire-
ment des opérations auxquelles les dispositions de
8 [1960] R.C.É. 433, confirmé sans motifs par [1962] R.C.S.
viii.
l'ancien alinéa 85B(1)b) 9 étaient applicables. Les
sommes en question se rapportaient à la fourniture
de marchandises ou services dans le cours ordi-
naire de l'entreprise d'une société de construction.
Le juge Kearney l'a reconnu clairement. A propos
du «contrat d'Ontario», il s'exprime en ces termes à
la page 444:
[TRADUCTION] Ainsi donc, la condition suspensive a cessé
d'exister avant la fin de l'exercice financier 1953 du contribua-
ble, et les retenues de garantie payables en vertu de cette
condition ont acquis la qualité de comptes à recevoir à compter
de la date du certificat. On doit se rappeler que le paiement
final devait arriver à échéance trente jours après l'émission du
certificat, ce qui le ferait entrer dans l'exercice financier subsé-
quent du contribuable, et il a en fait été effectué le 11 avril
1953. Je ne pense pas que ce dernier puisse s'appuyer sur le
délai de paiement accordé pour justifier d'inclure le montant de
la retenue de garantie dans l'exercice financier où il est devenu
exigible. A mon avis, un compte dont le paiement est échelonné
doit être inclus dans l'année d'imposition où on peut dire qu'il
avait acquis la qualité de compte à recevoir, puisque l'art.
85B(1)b) prévoit qu'il sera ainsi inclus «nonobstant le fait que
le montant n'est pas recevable avant une année subséquente.
A mon avis, il est révélateur que le juge Kearney
ait mentionné expressément cette expression figu-
rant à l'alinéa 85B(1)b): «... puisque l'art.
85B(1)b) prévoit qu'il sera ainsi inclus `nonobstant
9 A cette époque, l'alinéa 858(1)b) était ainsi rédigé:
85B. (1) Dans le calcul du revenu d'un contribuable pour
une année d'imposition,
b) tout montant recevable à l'égard de biens vendus ou de
services rendus dans le cours de l'entreprise pendant l'an-
née doit être inclus, nonobstant le fait que le montant n'est
pas recevable avant une année subséquente, à moins que la
méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du
revenu provenant de l'entreprise et acceptée aux fins de la
présente Partie ne l'astreigne pas à inclure, dans le calcul
de son revenu, pour une année d'imposition, un montant
recevable, sauf s'il a été reçu dans l'année;
L'alinéa 12(1)b) de la Loi qui était en vigueur au cours des
années d'imposition 1975, 1976 et 1977 est ainsi rédigé:
12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un
contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une
année d'imposition, les sommes appropriées suivantes:
b) toute somme recevable par le contribuable au titre de la
vente de biens ou de la fourniture de services au cours de
l'année, dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise,
bien que la somme ou une partie de la somme puisse n'être
due que dans une année postérieure, sauf dans le cas où la
méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du
revenu tiré de son entreprise et acceptée aux fins de la
présente Partie, ne l'oblige pas à inclure dans le calcul de
son revenu pour une année d'imposition toute somme à
recevoir qui n'a pas été effectivement reçue dans l'année;
le fait que le montant n'est pas recevable avant une
année subséquente'».
Je trouve qu'il est intéressant de noter que tant
dans l'ancien alinéa 85B(1)b) que dans le nouvel
alinéa 12(1)b), on a jugé nécessaire, ou au moins
souhaitable, de préciser que le terme «recevable»
doit inclure des sommes qui ne seraient pas, dans
le langage ordinaire, considérées comme receva-
bles dans l'année d'imposition donnée. Au paragra-
phe 14(1), l'expression «payable au» est employée
sans que ce paragraphe indique qu'il doit lui être
donné une interprétation large ou un sens techni
que: dans ce paragraphe, l'expression litigieuse a
donc son sens ordinaire. J'ajouterais que si, au
paragraphe 14(1), on avait voulu faire une analo-
gie avec le terme «recevable» (tel que ce mot est
défini à l'alinéa 12(1)b)), il eût été très facile
d'employer l'expression «recevable par le contri-
buable» plutôt que «payable au contribuable».
En effet, le paragraphe 14(1) ne porte pas sur le
genre d'opérations visé à l'ancien alinéa 85B(1)b)
ou à l'actuel alinéa 12(1)b). Ces alinéas se rappor-
tent à ce qui, en règle générale, serait des recettes.
Le paragraphe 14(1) fait entrer dans le revenu
(aux fins d'impôt sur le revenu) les sommes qui, ce
paragraphe mis à part, ne constitueraient claire-
ment pas des recettes. On ne doit pas oublier cela
en interprétant le paragraphe 14(1).
En l'espèce, il y a eu une opération en 1975,
savoir la convention conclue entre Timagami et
Hurontario. En vertu de cette convention, des
montants 10 sont devenus payables à Timagami en
1975, 1976 et 1977, et aussi en 1978. (L'année
d'imposition 1978 n'est pas en cause en l'espèce.)
Je conviens avec le juge de première instance que
ces montants, sous réserve de leur transformation
en «montants en immobilisations admissibles»,
constituaient un revenu de Timagami dans les
années d'imposition où ils sont devenus payables à
celle-ci, ou, ajouterais-je, dans les années où ils ont
réellement été payés en cas de paiement à l'avance.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas néces-
saire de prendre en considération les arguments
avancés relativement à la constitution d'une provi
sion prévue à l'alinéa 20(1)n).
10 Voir la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23,
paragraphe 26(7).
J'estime qu'il y a lieu de rejeter l'appel avec
dépens.
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris aux
motifs de jugement que mon collègue le juge Ryan
a prononcés en l'espèce.
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