T-6273-81
Ranjit Singh Pannu (requérant)
C.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, les 18 et 21 décembre 1981; le
ler septembre 1982.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Habeas
corpus — Immigration — Ordonnance de détention — Possi-
bilité d'obtenir un bref d'habeas corpus dans les cours supé-
rieures des provinces — La Division de première instance de la
Cour fédérale ne possède pas le pouvoir, inhérent ou prévu par
la loi, de délivrer un bref d'habeas corpus purement et simple-
ment — Il est contraire à la logique qu'elle puisse délivrer un
bref d'habeas corpus assorti d'un certiorari — La Cour d'ap-
pel fédérale a le pouvoir, en vertu de l'art. 28, d'examiner une
décision soumise â un processus judiciaire ou quasi judiciaire
— Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10,
art. 18, 25, 28 — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
chap. 52, art. 27, 29, 30 — Déclaration canadienne des droits,
S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III/, art. 2c)(iii)
— Charte canadienne des droits et libertés, étant la Partie I de
la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9, 10c).
Le requérant avait été détenu conformément à une ordon-
nance de détention délivrée par un arbitre en vertu de la Loi sur
l'immigration de 1976. La demande visait à obtenir une ordon-
nance d'habeas corpus assortie d'un certiorari. Bien que le
requérant ait été libéré sous cautionnement au moment de
l'audition de la demande, les avocats ont demandé que la Cour
se prononce sur la question de savoir si la Division de première
instance de la Cour fédérale a compétence pour accorder le
redressement demandé.
Jugement: la demande est rejetée. La Cour fédérale du
Canada n'a pas de pouvoirs inhérents. Sa compétence lui est
conférée par la Loi. Il est admis que la Division de première
instance n'a pas compétence pour délivrer un bref d'habeas
corpus purement et simplement mais l'avocat du requérant
prétend qu'elle a compétence pour accorder le bref de certiorari
qui assortit l'habeas corpus. Cependant, l'application de la
logique suppose qu'une cour ne peut avoir le pouvoir de délivrer
un bref qui assortit un autre bref qu'elle n'a pas le pouvoir de
délivrer. La Déclaration canadienne des droits et la Charte
canadienne des droits et libertés maintiennent le droit de faire
vérifier la légalité de sa détention par voie d'habeas corpus. Ce
droit s'exerce dans les cours supérieures des provinces. Bien que
la Division de première instance de la Cour fédérale n'ait pas le
pouvoir de délivrer un bref d'habeas corpus, elle peut délivrer
les autres brefs de prérogative et accorder des injonctions. On
ne peut admettre l'argument de l'avocat du requérant que la
Cour d'appel fédérale n'a pas compétence pour entendre une
affaire de cette espèce. En vertu de l'article 28, la Cour d'appel
fédérale a le pouvoir d'examiner et d'annuler les décisions
rendues par un office fédéral à l'exception des décisions de
nature administrative qui ne sont pas soumises à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire. L'ordonnance en l'espèce a eu
pour conséquence que le requérant a été privé de sa liberté,
peut-être pendant longtemps, et la Cour d'appel a compétence
pour réviser l'ordonnance. La privation du droit à la liberté est
une affaire grave et l'arbitre devait rendre sa décision d'une
manière judiciaire ou quasi judiciaire.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Cavanaugh c. Le commissaire des pénitenciers, [1974] 1
C.F. 515 (P' inst.); Johns c. Le commissaire des péniten-
ciers, [1974] 1 C.F. 545 (P' inst.); Sadique c. Le ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration et autre, [1974]
1 C.F. 719 (P' inst.); Mitchell c. Sa Majesté la Reine,
[1976] 2 R.C.S. 570.
DÉCISIONS CITÉES:
National Indian Brotherhood et autres c. Juneau et
autres (No 2), [1971] C.F. 73 (C.A.); In re Peltier,
[1977] 1 C.F. 118 (1" inst.); Le ministre du Revenu
national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495;
[1978] CTC 829.
DEMANDE.
AVOCATS:
K. Zaifman pour le requérant.
C. Henderson pour l'intimé.
PROCUREURS:
Margoilis, Kaufman, Cassidy, Zaifman &
Swartz, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Il s'agit d'une
demande produite le 17 décembre 1981 visant à
obtenir une ordonnance d'habeas corpus qui per-
mettrait l'audition d'une requête pour la libération
du requérant du Centre de détention provincial, et
à obtenir une ordonnance de certiorari qui annule-
rait l'ordonnance de détention du requérant déli-
vrée le 16 décembre 1981 par Kevin Flood, un
arbitre nommé conformément à la Loi sur l'immi-
gration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
Cette demande m'a été présentée au Palais de
justice de Winnipeg le 18 décembre 1981. Au
début, le représentant du ministère public a sou-
levé l'objection que cette Cour n'a pas compétence
pour accorder une ordonnance d'habeas corpus.
Après que les avocats des deux parties eurent
plaidé longuement ce point, l'avocat du requérant
a demandé une ordonnance de subpcenas visant
certains témoins, ce qui a été refusé. Les deux
avocats ont exprimé le désir d'obtenir des déclara-
tions sous serment au nom de leur client. L'avis de
requête n'a été signifié au représentant du minis-
tère public que le 17 décembre 1981, et il n'avait
pas eu la possibilité de consulter son client pour
obtenir des directives relativement à une déclara-
tion sous serment. A cette fin, j'ai remis l'audience
au lundi 21 décembre 1981.
Le lundi en matinée, j'ai reçu les deux avocats
en chambre. A ce moment, le requérant avait été
libéré sous cautionnement. La question d'une
détention illégale était devenue théorique. A la
demande des deux avocats, j'ai ordonné le renvoi
de l'affaire sine die, les avocats devant présenter
des arguments écrits sur la question de la compé-
tence de cette Cour. Les deux avocats ont dit
souhaiter ardemment que la Cour tente de tran-
cher cette question de compétence qui, à leur avis,
n'était pas claire.
Les arguments écrits au nom de l'intimé ont été
produits le 26 janvier 1982, mais les arguments du
requérant n'ont pas été produits avant le 20 mai
1982.
La seule question débattue dans le cadre de
cette demande est celle de la compétence de la
Division de première instance de la Cour fédérale
de délivrer une ordonnance d'habeas corpus, ou
d'habeas corpus assorti d'un certiorari.
La Cour fédérale du Canada est purement une
cour créée par une loi, la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10. Contrairement
aux cours de common law et d'equity anglaises,
elle n'a pas de pouvoirs juridictionnels inhérents.
Contrairement aux cours supérieures des provin
ces, elle n'a pas hérité de tous les pouvoirs des
cours anglaises, et ils ne lui ont pas été attribués.
En conséquence, il faut vérifier quelle compétence
lui accorde la Loi, qui n'est elle-même valide que
dans la mesure où ses dispositions découlent des
pouvoirs législatifs que notre Constitution fédérale
accorde au Parlement. La question de la validité
de l'une quelconque des dispositions de la Loi sur
la Cour fédérale ne se pose pas en l'espèce.
Les articles 18, 28(1) et 25 sont les seuls articles
de la Loi sur la Cour fédérale qui se rapportent à
la compétence de la Division de première instance
en l'espèce. Ces articles se lisent:
18. La Division de première instance a compétence exclusive
en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref
de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo
warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre
tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral;
et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de
la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute
procédure engagée contre le procureur général du Canada
aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une
commission ou à un autre tribunal fédéral.
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
25. La Division de première instance a compétence en pre-
mière instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas
où une demande de redressement est faite en vertu du droit du
Canada si aucun autre tribunal constitué, établi ou maintenu en
vertu de l'un des Actes de l'Amérique du Nord britannique,
1867 1965 n'a compétence relativement à cette demande ou
ce redressement.
La question importante concernant l'alinéa a)
de l'article 18 est qu'il ne mentionne pas l'habeas
corpus dans la liste des redressements possibles, et
que l'alinéa b) accorde à la Division de première
instance le pouvoir d'entendre et de juger les
demandes de redressement mais qui se limitent au
redressement de la nature de celui qu'envisage
l'alinéa a). Ainsi, rien dans cet article n'appuie
l'opinion que la Division de première instance a
compétence pour délivrer un bref d'habeas corpus
ou pour accorder un redressement de la nature de
l'habeas corpus.
Si mon opinion se fondait uniquement sur la
façon dont j'interprète les termes de l'article 18, je
conclurais que la Division de première instance n'a
pas compétence pour accorder une demande d'ha-
becs corpus purement et simplement, mais elle ne
se fonde pas uniquement sur ce motif, puisque les
quelques arrêts qui ont été portés à ma connais-
sance vont en ce sens.
L'avocat de l'intimé, dans son plaidoyer et dans
son exposé écrit, a cité l'affaire Cavanaugh c. Le
commissaire des pénitenciers, [1974] 1 C.F. 515
(1 �e inst.), dans laquelle un détenu demandait un
jugement déclaratoire portant qu'il était détenu
illégalement et une ordonnance de libération.
Après avoir fait remarquer qu'il s'agissait en l'es-
pèce d'une demande de jugement déclaratoire en
vertu de l'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour
fédérale et non d'une demande d'habeas corpus, le
juge Cattanach a dit, à la page 522;
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne donne pas
compétence à la Division de première instance pour émettre un
bref d'habeas corpus. En conséquence et si l'on considère aussi
que le jugement déclaratoire demandé par la déclaration est
équivalent à une demande de bref d'habeas corpus, il me
semble douteux que j'ai la compétence requise pour examiner
cette question, mais, vu ma conclusion, dont j'ai déjà exposé les
motifs, que le demandeur n'a pas droit au redressement
demandé dans sa déclaration, il n'est pas nécessaire que je me
prononce sur cette question et je n'ai pas l'intention de le faire.
Cet extrait n'énonce pas clairement une opinion
judiciaire sur ce point, mais le juge indique qu'il a
un doute sur la question de savoir s'il aurait com-
pétence pour entendre l'affaire s'il avait eu à déci-
der cette question.
Dans l'affaire Johns c. Le commissaire des
pénitenciers, [1974] 1 C.F. 545 (1" inst.), dans
laquelle il s'agissait également d'une demande de
jugement déclaratoire portant que le demandeur
était illégalement détenu dans un pénitencier, le
savant juge Cattanach a de nouveau dit que le
redressement recherché était, pour l'essentiel, iden-
tique à celui qu'on peut obtenir au moyen d'un
bref d'habeas corpus, et il a dit [à la page 550]:
En vertu de l'article 18, le bref d'habeas corpus n'est pas
compris dans les compétences exclusives de la Division de
première instance.
Dans une autre affaire, j'ai exprimé des doutes quant à ma
compétence pour me prononcer par voie de jugement déclara-
toire lorsqu'une question pouvait à juste titre faire l'objet d'une
demande d'habeas corpus qui relève de la compétence inhé-
rente des tribunaux de common law. Je maintiens mon point de
vue, mais je n'ai pas l'intention de me prononcer sur la
question.
L'avocat a également cité l'affaire Sadique c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
et autre, [1974] 1 C.F. 719 (1f' inst.). Il s'agissait
entre autres, en l'espèce, d'une demande d'un bref
d'habeas corpus assorti d'un bref de certiorari, et
d'un bref de prohibition. Le juge suppléant Cowan
a cité l'article 18 et a alors dit [à la page 724]:
Il me semble tout à fait évident, en premier lieu, que la
Division de première instance de la Cour fédérale n'a pas
compétence pour émettre un bref d'habeas corpus. Il semble
même très douteux que le pouvoir d'émettre un bref d'habeas
corpus ait été de quelque manière conféré à la Cour fédérale.
De toute façon, il est tout à fait évident que la Division de
première instance de la Cour n'a aucunement le pouvoir
d'émettre un bref d'habeas corpus.
L'avocat du requérant ne conteste pas l'opinion
que la Division de première instance de la Cour
fédérale n'a pas compétence pour délivrer un bref
ou une ordonnance d'habeas corpus purement et
simplement. Il prétend que l'habeas corpus pris
isolément n'est pas la question en litige en l'espèce,
et que la véritable question est de savoir si cette
Cour a compétence pour accorder le bref de cer-
tiorari qui assortit l'habeas corpus. L'argument de
l'avocat de l'intimé ne touche aucunement cette
question, sans doute parce qu'il n'a pas cru néces-
saire de le faire. A mon avis, l'argument du requé-
rant comporte un problème de logique, savoir: une
cour peut-elle délivrer un bref qui assortit un autre
bref qu'elle n'a pas le pouvoir de délivrer et qui,
par conséquent, n'a pas été délivré? Est-il possible
d'émettre un bref qui assortit une chose qui n'exis-
te pas? Dans les circonstances, lorsque le bref
d'habeas corpus n'existe pas, il n'y a rien que le
bref de certiorari vienne assortir.
L'alinéa qui précède tente peut-être d'appliquer
trop strictement la logique. On n'a jamais dit de la
common law qu'elle adhère avec rigidité à la logi-
que pure. Les juges anglais, qui ont créé en bonne
partie la common law, et les juges canadiens, qui
les ont suivis dans une certaine mesure, ont sou-
vent adopté face à un problème juridique précis
une attitude plus pragmatique. Au lieu de suivre
aveuglément ce qu'ils estimaient être les règles de
la logique stricte, ils ont recherché et appliqué une
solution qui, à leur avis, semblait donner le meil-
leur résultat dans le cas d'espèce qui leur était
présenté et pour les cas semblables pour l'avenir.
Pour atteindre leur objectif d'une solution vrai-
ment appropriée, ils se sont souvent appuyés sur les
termes d'une loi ou sur des principes juridiques
pour établir une distinction entre l'affaire qui leur
était soumise et les autres affaires dans lesquelles
on avait appliqué une logique stricte. Il importe
d'examiner plus à fond ce problème.
En l'espèce, l'avocat du requérant s'appuie forte-
ment sur les articles 7, 9 et 10c) de la Charte
canadienne des droits et libertés, étant la Partie I
de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
qui fait partie de la nouvelle Constitution du
Canada. Ils se lisent en partie comme suit:
7. Chacun a droit à 'la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou
l'emprisonnement arbitraires.
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa
détention et d'obtenir, le cas échéant, sa libération.
L'avocat a mentionné l'arrêt Mitchell c. Sa
Majesté la Reine, [1976] 2 R.C.S. 570, dans
lequel la Cour suprême à la majorité a conclu que
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale niait à la
Cour du Banc de la Reine du Manitoba la compé-
tence de délivrer un bref de certiorari auxiliaire
d'un bref d'habeas corpus lorsqu'on demandait ce
redressement à l'encontre d'un tribunal fédéral.
Cet arrêt et d'autres qui l'ont suivi ont établi que
dans de tels cas, l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale a privé les Hautes Cours des provinces de
la compétence pour émettre ces brefs.
Dans l'arrêt Mitchell c. Sa Majesté la Reine, le
juge en chef Laskin, dissident, après avoir rejeté
l'opinion que l'appelant en l'espèce ne pouvait, par
certiorari auxiliaire, contester devant la Cour les
procédures qui se déroulaient devant la Commis
sion, a dit, à la page 578:
Pour moi, ce qui est plus pertinent en tant que reconnaissance
du droit à l'habeas corpus, est l'al. c)(iii) de l'art. 2 de la
Déclaration canadienne des droits et, si nécessaire, je l'inter-
préterais comme embrassant le certiorari auxiliaire de sorte
que le recours ne soit pas là comme un objet précieux dans une
vitrine, mais qu'on puisse l'exercer réellement.
Le sous-alinéa 2c)(iii) de la Déclaration cana-
dienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C.
1970, Appendice III], se lit:
2.... et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'inter-
préter ni s'appliquer comme
c) privant une personne arrêtée ou détenue
(iii) du recours par voie d'habeas corpus pour qu'il soit
jugé de la validité de sa détention et que sa libération soit
ordonnée si la détention n'est pas légale;
Au bas de la page 577 du recueil, le juge en chef
Laskin avait dit:
Je n'ai aucun doute quant au droit de s'adresser à un tribunal
supérieur d'une province pour obtenir un bref d'habeas corpus.
Seule une loi fédérale expresse à cette fin pourrait priver un
citoyen de ce recours. La Loi sur la Cour fédérale ne renferme
rien de tel. Le paragraphe (5) de son art. 17 mentionne que la
Cour fédérale a compétence exclusive pour entendre une
demande d'habeas corpus à l'égard d'un membre des Forces
canadiennes en service à l'étranger; la Loi ne parle pas ailleurs
de l'habeas corpus, qui n'est mentionné ni à l'art. 18 ni à l'art.
28, les deux principales dispositions concernant la compétence
en matière d'examen des décisions d'organismes fédéraux.
Bien que l'extrait ci-dessus se trouve dans des
motifs de dissidence, le principe qu'on y énonce
concernant la compétence d'une cour supérieure
d'une province d'entendre une demande d'habeas
corpus n'est pas contesté dans les motifs de juge-
ment des juges formant la majorité dans l'arrêt
Mitchell. Cependant, la demande en l'espèce n'est
pas adressée à une cour supérieure d'une province
mais à la Division de première instance de la Cour
fédérale. J'estime que cette distinction est impor-
tante. On ne peut contester, à mon avis, l'opinion
du juge en chef Laskin qu'une cour supérieure
d'une province a compétence sur les procédures
d'habeas corpus. Ces cours ont toujours eu compé-
tence en cette matière et aucune loi ne leur a retiré
cette compétence. Mais cette compétence n'a pas
été attribuée à la Division de première instance de
la Cour fédérale. Quand le juge en chef Laskin a
ajouté, dans l'extrait précité, que, si c'est néces-
saire, il interpréterait le droit à l'habeas corpus
comme embrassant le certiorari auxiliaire, il par-
lait d'une cour qui a compétence pour délivrer un
bref d'habeas corpus, qui s'assortit souvent d'un
bref ou d'une ordonnance de certiorari. Je ne vois
pas comment on peut appliquer ses mots à la
Division de première instance de la Cour fédérale,
qui n'a pas compétence pour délivrer un bref ou
une ordonnance d'habeas corpus, soit purement et
simplement ou assorti d'un bref de certiorari.
Même à l'égard de la compétence d'une cour
provinciale, la Cour suprême à la majorité, soit six
des neuf juges, a conclu qu'une cour supérieure
d'une province n'a pas compétence pour délivrer
un bref de certiorari auxiliaire d'un bref d'habeas
corpus lorsqu'il s'agit d'une demande de redresse-
ment à l'encontre d'une décision ou d'une ordon-
nance d'un office, d'une commission ou d'un autre
tribunal fédéral. La décision de la majorité consti-
tue l'arrêt de la Cour. Par conséquent, les motifs
du juge en chef Laskin qui, n'eût été ce fait,
auraient été très convaincants et que deux juges de
la Cour ont acceptés, n'énoncent pas le principe
dominant en droit, même à l'égard de la compé-
tence d'une cour supérieure d'une province de
délivrer un bref ou une ordonnance de certiorari
auxiliaire d'un bref d'habeas corpus dans les cas
de ce genre.
Ni le sous-alinéa 2c)(iii) de la Déclaration
canadienne des droits ni l'alinéa JOc) de la Charte
canadienne des droits et libertés ne mentionnent le
certiorari. Toutes deux maintiennent le droit d'un
détenu de faire vérifier la légalité de sa détention
par voie d'habeas corpus, mais c'est tout. On peut
s'adresser aux cours supérieures des provinces pour
faire reconnaître ce droit sans, cependant, suivant
l'arrêt Mitchell de la Cour suprême, avoir droit au
certiorari auxiliaire dans les cas où il s'agit d'une
décision d'un office, d'une commission ou d'un
autre tribunal fédéral. Aucune de ces lois ne laisse
entrevoir une intention d'étendre la compétence de
la Division de première instance de la Cour fédé-
rale, une cour créée par une loi, pour y inclure le
pouvoir de délivrer un bref d'habeas corpus,
assorti ou non d'un certiorari, une compétence
qu'elle n'a jamais eue jusqu'à présent et que seul le
Parlement peut lui accorder au moyen d'une loi.
Bien que la Division de première instance de la
Cour fédérale n'ait pas le pouvoir de délivrer un
bref d'habeas corpus, elle n'est pas inutile. Elle a
compétence exclusive en première instance pour
délivrer une injonction, et pour délivrer les brefs de
prérogative de certiorari, de prohibition, de man-
damus et de quo warranto. L'injonction, ainsi que
les brefs de certiorari, de prohibition et de manda-
mus, sont fréquemment demandés et accordés
dans les cas appropriés. Dans bien des cas, un bref
de certiorari en cassation s'est avéré un redresse-
ment utile, sans qu'il soit nécessaire de recourir à
l'habeas corpus.
Le requérant fait valoir que la Cour d'appel
fédérale n'a pas compétence pour entendre une
affaire de cette espèce et que, par conséquent,
l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale s'appli-
que et donne compétence à la Division de première
instance puisque aucune autre cour n'a compé-
tence pour accorder l'habeas corpus assorti d'un
certiorari. Il est donc nécessaire d'examiner la
compétence de la Cour d'appel fédérale.
Comme nous l'avons vu, l'article 28 (précité) de
la Loi sur la Cour fédérale prévoit que nonobstant
l'article 18 ou toute autre loi, la Cour d'appel a
compétence pour entendre et juger une demande
d'examen et d'annulation d'une décision ou ordon-
nance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement sou-
mise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire,
rendue par un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures
devant un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral, pour les motifs énoncés aux ali-
néas a), b) ou c) de cet article. La compétence de
la Cour est limitée de la façon énoncée à cet article
et non autrement. Ainsi, sa compétence n'est pas
exclue du simple fait que la décision ou l'ordon-
nance dont il s'agit est de nature administrative.
Pour exclure la compétence de la Cour, il importe
que la décision ou l'ordonnance ne soit pas soumise
à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
L'avocat du requérant allègue que l'ordonnance
de détention en l'espèce n'est pas une des ordon-
nances qu'envisage l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, parce qu'il ne s'agit pas d'une
ordonnance définitive qui décide des droits du
requérant soumis à l'arbitre dans l'enquête que
celui-ci dirige. Il allègue en outre que l'ordonnance
n'est pas légalement soumise à un processus judi-
ciaire ou quasi judiciaire. A l'appui du premier de
ces arguments, il mentionne deux opinions judi-
ciaires. La première est l'énoncé suivant du juge en
chef Jackett de la Cour d'appel fédérale dans
l'arrêt National Indian Brotherhood et autres c.
Juneau et autres (No 2), [1971] C.F. 73 (C.A.), où
cet éminent juge dit, à la page 79:
Je ne prétends pas avoir formulé d'opinion quant au sens des
termes «décision ou ordonnance» dans le contexte de l'art.
28(1), mais il me semble que l'on veut dire qu'il s'agit d'une
décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal
en vertu de sa constitution et non pas la myriade d'ordonnances
ou de décisions accessoires qui doivent être rendues avant de
trancher définitivement l'affaire.
La seconde est l'énoncé suivant du juge Maho-
ney de la Division de première instance dans l'af-
faire In re Peltier, [1977] 1 C.F. 118 (lie inst.),
aux pages 121 et 122:
La signification du mot «décision», tel qu'il est employé dans
l'article 28, fait l'objet d'une jurisprudence de plus en plus
grande. En général, il semble que la Cour d'appel décide de
plus en plus, dans ses propres jugements, d'effectuer la révision
uniquement des ordonnances ou décisions finales, en ce sens
que la décision ou l'ordonnance en question est bien celle que le
tribunal a reçu ordre de rendre, décision qui comporte des
obligations ou des droits. La Cour d'appel ne fera pas la
révision des nombreuses décisions ou ordonnances qu'elle doit
habituellement rendre au cours des procédures précédant une
décision finale.
Les premiers mots de l'énoncé du juge en chef
Jackett indiquent clairement qu'il ne s'est pas
formé une opinion définitive sur la question et qu'il
ne faut pas prendre ce qui suit ces mots pour son
opinion définitive. Le juge Mahoney a adopté une
position semblable. Il parle du sens du terme «déci-
sion» comme étant l'objet d'une jurisprudence en
évolution. A mon avis, aucun de ces énoncés ne se
veut l'exposé final d'une opinion applicable dans
tous les cas. Les termes employés à l'article 28, à
mon avis, peuvent recevoir une interprétation plus
restrictive qui laisse au moins entrevoir la possibi-
lité de certaines exceptions. Les termes employés
se rapportent à une décision rendue «par un office,
une commission ou un autre tribunal fédéral ou à
l'occasion de procédures devant un office, une
commission ou un autre tribunal fédéral». Je souli-
gne les termes «à l'occasion de procédures». Ils ne
restreignent pas manifestement la compétence aux
décisions ou aux ordonnances rendues à la fin des
procédures lorsqu'on est parvenu à une décision
finale sur les questions en litige. Je suis entière-
ment d'accord que ce n'est pas chaque ordonnance
incidente rendue à l'occasion d'une procédure qui
est destinée à faire ou qui doit faire l'objet d'un
examen par la Cour d'appel, mais je crois qu'une
ordonnance de détention dans des circonstances
comme celles en l'espèce peut être destinée à faire
l'objet d'un examen. L'ordonnance a eu pour con-
séquence que le requérant a été immédiatement
privé de sa liberté, peut-être jusqu'à ce que soit
complétée l'enquête entreprise par l'arbitre. Étant
donné que le requérant a demandé le statut de
réfugié au Canada et que l'examen de cette
demande peut être long, le requérant peut être
privé de sa liberté pendant longtemps, peut-être
sans qu'il puisse obtenir un redressement appro-
prié, à moins qu'il n'ait droit à un examen par la
Cour d'appel sur une demande faite en vertu de
l'article 28. Je conclus que dans les circonstances
en l'espèce, la Cour d'appel aurait compétence en
vertu de l'article 28 pour entendre une demande de
révision de l'ordonnance de détention.
Lorsqu'il fait valoir que l'ordonnance de déten-
tion en l'espèce n'est pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, l'avocat du
requérant s'appuie sur les critères énoncés par le
juge Dickson de la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Le ministre du Revenu national c. Coopers
and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; [1978] CTC
829. Il reconnaît que l'ordonnance de détention
répond à un de ces critères, savoir qu'elle porte
atteinte aux droits du requérant, mais il fait
remarquer que ce seul facteur n'entraîne pas
nécessairement l'obligation d'agir de façon judi-
ciaire.
Le terme «nécessairement» dans le critère men-
tionné indique que le fait qu'une décision porte
atteinte aux droits d'une personne ne signifie pas
en soi, dans tous les cas, que la décision doit être
prise d'une manière judiciaire ou quasi judiciaire.
D'autre part, il est évident qu'il ne signifie pas
qu'un tel fait ne produit jamais, par lui-même, ce
résultat. Dans un tel cas, la question de savoir si la
décision doit être prise d'une manière judiciaire ou
quasi judiciaire dépendra des circonstances de l'es-
pèce. On tiendra compte des droits de la personne
auxquels la décision portera atteinte, ainsi que de
la manière suivant laquelle ces droits seront tou-
chés et de la mesure dans laquelle ils seront tou-
chés. Si le droit touché est d'importance minime et
si l'effet de la décision est peu considérable et de
courte durée, la décision administrative devra com-
porter des facteurs plus importants pour que le
fonctionnaire qui la rend soit tenu d'agir d'une
manière judiciaire ou quasi judiciaire. Mais si le
droit touché est important et si la décision peut
priver la personne de ce droit, même pour une
durée relativement courte, ces circonstances peu-
vent l'obliger à rendre la décision d'une manière
judiciaire ou quasi judiciaire.
En l'espèce, l'ordonnance de détention a privé le
requérant de sa liberté pour la période durant
laquelle l'enquête a été remise, du 16 au 30 décem-
bre 1981. Selon la loi, la liberté est un des droits
les plus importants d'une personne, et la privation
de liberté pour deux semaines est une affaire
grave. A mon avis, l'arbitre devait donc rendre sa
décision d'une manière judiciaire ou quasi
judiciaire.
Ma conclusion se fonde sur d'autres motifs.
L'enquête de l'arbitre en l'espèce a été tenue par
suite d'un rapport et d'une directive établie en
vertu du pouvoir que le paragraphe 27(3) de la Loi
sur l'immigration de 1976 accorde au sous-minis-
tre. Le rapport avait été établi en vertu de l'alinéa
27(2)e) et énonçait que le requérant était entré au
Canada en qualité de visiteur le 31 juillet 1981,
qu'il était autorisé à visiter le Canada jusqu'au 13
octobre 1981, qu'il est resté au Canada après cette
date sans autorisation et qu'il avait donc perdu sa
qualité de visiteur.
Le paragraphe 27(4) exige que l'enquête concer-
nant la personne visée dans le rapport soit tenue
dès que les circonstances le permettent. L'enquête
a pour but d'établir si, de fait, suivant les termes
de l'alinéa 27(2)e), la personne «est entrée au
Canada en qualité de visiteur et y [est] demeur[é]
après avoir perdu cette qualité».
Suivant le paragraphe 29(1), l'enquête doit
avoir lieu, dans la mesure du possible, en présence
de la personne qui en fait l'objet. Suivant le para-
graphe 30(1), la personne doit être informée
qu'elle a droit aux services d'un avocat, d'un pro-
cureur ou de tout autre conseil pour la représenter.
En vertu du paragraphe 30(2), l'arbitre peut rece-
voir les preuves qu'il considère dignes de foi eu
égard aux circonstances de chaque espèce et
fonder sa décision sur ces preuves soumises lors de
l'enquête.
La Loi ne décrit nulle part l'enquête comme une
audience, mais il semble évident qu'elle a les
mêmes buts qu'une audience. L'obligation que la
personne qui fait l'objet de l'enquête soit présente,
et son droit d'être représentée par un avocat signi-
fient certes qu'elle peut s'opposer aux preuves
apportées contre elle et offrir des preuves en vue de
les réfuter. A mon avis, elle peut en outre faire
valoir des motifs à l'encontre de sa détention sous
garde.
L'arbitre doit évidemment fonder sa décision sur
les éléments de preuve dont il dispose, qui ne
peuvent être que ceux fournis à l'audience. Il doit
apprécier la preuve. Il s'agit donc d'un processus
judiciaire ou quasi judiciaire.
En définitive, je conclus qu'en vertu des termes
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, la
Cour d'appel fédérale a compétence pour entendre
et juger une demande d'examen et d'annulation
d'une décision ou d'une ordonnance de la nature de
l'ordonnance de détention rendue par l'arbitre en
l'espèce.
Étant donné ma décision relative à la compé-
tence de la Cour d'appel fédérale, il n'y a pas lieu
d'examiner l'argument de l'avocat du requérant
concernant l'effet de l'article 25 de la Loi sur la
Cour fédérale qui, si ma décision est juste, ne
s'applique pas en l'espèce.
La demande en l'espèce est rejetée pour le motif
que la Division de première instance n'a pas com-
pétence pour l'entendre.
L'intimé a droit aux dépens.
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