T-2272-82
Quasar Helicopters Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine et le ministre des Approvisionnements et
Services (défendeurs)
Division de première instance, juge Cattanach—
Vancouver, 6 mai; Ottawa, 12 mai et 7 juin 1982.
Couronne — Contrats — Appel d'offres — Délai de sou-
mission — Politique du MAS au sujet des soumissions reçues
en retard — Empreinte des machines à affranchir de Postes
Canada comme preuve de la date d'expédition — Utilisation
par la demanderesse d'une machine de ce genre lors de la mise
à la poste de sa soumission — MAS informé à tort qu'il s'agit
d'une machine privée — Adjudication du contrat à un autre
sans qu'on tienne compte de la soumission de la demanderesse
— Action en jugements déclaratoires que l'adjudication est
nulle et qu'il fallait tenir compte de la soumission de la
demanderesse — Demande de dommages-intérêts pour man-
quement à la justice naturelle — Action rejetée — Aucun
manquement à un devoir d'équité par le Ministre vu le respect
de procédures raisonnables — Il serait injuste envers les
autres soumissionnaires de réexaminer les soumissions
Nature délictuelle de l'action en dommages — Pas de mau-
vaise foi démontrée — Point de savoir si le Ministre ou la
Reine ont été portés à bon droit parties défenderesses — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 2g),
18 — Règles 480 et 500 de la Cour fédérale — Loi sur le
ministère des Approvisionnements et Services, S.R.C. 1970,
chap. S-18, art. 5, 11 — Loi sur l'administration financière,
S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 8 — Règlement sur les marchés
de l'État, C.R.C., chap. 701, art. 8, 9.
Le ministère des Approvisionnements et Services (MAS) a
lancé un appel d'offres à ses fournisseurs, dont la demande-
resse. Les conditions de soumission remises à la demanderesse
stipulaient: qu'il incombait au soumissionnaire exclusivement
de voir à ce que sa soumission soit livrée à temps; que la
soumission reçue après l'heure de clôture mais avant l'adjudica-
tion du contrat serait prise en compte pourvu qu'elle ait été
mise à la poste au moins 48 heures avant l'heure et la date de
clôture et que les empreintes des machines à affranchir ne
constituaient pas une preuve acceptable de mise à la poste de
l'envoi en temps voulu. En fait, le MAS acceptait les emprein-
tes d'affranchissement comme preuve concluante de la date
d'expédition si elles appartenaient à Postes Canada. Cette
pratique n'avait pas été notifiée aux soumissionnaires mais a
fini par être connue dans ce milieu industriel.
Le président de la compagnie demanderesse a présumé qu'il
en était ainsi en se fondant sur son expérience passée et ce qui
était notoire dans le métier. Sa soumission, portant une
empreinte d'affranchissement imprimée par Postes Canada,
avait été mise à la poste plus de 48 heures avant le terme du
délai. Elle a été reçue après expiration du délai mais avant
l'adjudication du contrat. Faisant enquête auprès des fonction-
naires de Postes Canada, auxquels on avait souligné l'impor-
tance vitale de fournir des renseignements exacts, le MAS s'est
fait dire, à tort, qu'il s'agissait d'une machine à affranchir
privée. La soumission ne pouvait donc être acceptée en vertu de
la pratique habituelle et elle a été retournée sans qu'on en
tienne compte; si les faits véritables avaient été connus, la
proposition aurait été examinée. La demanderesse a fait savoir
qu'elle avait utilisé une machine à affranchir de Postes Canada,
ce qui fut établi après vérification. Le MAS a refusé de
réexaminer les offres, ayant conclu un contrat avec une autre
compagnie.
La demanderesse agit en jugements déclaratoires que la
décision ministérielle d'adjuger le contrat sans tenir compte de
sa proposition est nulle et qu'elle avait droit à ce que celle-ci
soit réexaminée avant l'adjudication du contrat; elle agit aussi
en dommages-intérêts généraux pour manquement aux règles
de la justice naturelle et l'inobservation par le Ministère de la
procédure autorisée.
Jugement: l'action est rejetée. En refusant de tenir compte de
la proposition de la demanderesse, le Ministère a respecté à la
lettre la marche à suivre prescrite et en vérifiant l'origine de
l'empreinte d'affranchissement, il a suivi avec exactitude la
démarche habituelle. Cette procédure était la plus raisonnable
et la plus exacte qu'on puisse imaginer dans les circonstances.
Qu'elle n'ait pas été sans faille ne lui enlève pas son caractère
équitable. En conséquence, le Ministre n'a manqué à aucune
obligation d'équité à supposer qu'il ait eu une telle obligation.
Pour des raisons similaires, le second jugement déclaratoire
doit aussi être refusé: le Ministère, ayant suivi une procédure
juste, a décidé que la soumission était tardive et a refusé d'en
tenir compte. Il n'a découvert les véritables faits qu'après la
conclusion d'un contrat valide, ayant effet, avec une autre
compagnie. Réviser l'adjudication afin de tenir compte de la
soumission de la demanderesse, qui n'a pas été ouverte, consti-
tuerait une injustice manifeste pour ceux dont les soumissions
ont été ouvertes, notamment pour le soumissionnaire gagnant,
dont le montant de l'offre est connu, alors que l'on sait mainte-
nant que la soumission de la demanderesse était inférieure. Le
même raisonnement s'appliquerait avec plus de force encore s'il
fallait reprendre l'ensemble de l'exercice, sans parler du temps
que cela prendrait, alors qu'il est urgent de commencer le levé.
Il n'y a pas eu allégation de négligence, mais une action en
dommages-intérêts sur le fondement d'un manquement aux
règles de la justice naturelle, en l'occurrence l'inobservation par
le Ministère de la procédure qu'il avait lui-même établie. Après
examen, la réclamation a été rejetée. Cette action est de nature
délictuelle et doit être fondée sur l'infliction d'un dommage par
abus délibéré de l'autorité publique. Or, aucun élément de
mauvaise foi n'a été établi en l'espèce.
Le juge du fond a substitué à la défenderesse nommée, Sa
Majesté la Reine, le ministre des Approvisionnements et Servi
ces parce que l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne vise
pas la Couronne. Le jugement présuppose que le Ministre
agissait en sa capacité administrative et qu'il pourrait y avoir
dommages-intérêts s'il était établi que le défendeur avait
manqué à son devoir d'équité procédurale ou que le droit
subjectif de la demanderesse à ce que sa proposition soit
examinée par le défendeur lui avait été dénié. Toutefois,
réflexion faite, le Ministre paraît être le défendeur approprié à
la demande de jugements déclaratoires alors que c'est la Cou-
ronne qui l'est dans le cas de l'action en dommages.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Le ministre du Revenu national et autre c. Creative
Shoes Ltd., et autres, [1972] C.F. 993 (C.A.); Bates v.
Lord Hailsham, [1972] 1 W.L.R. 1373 (Ch.D.).
DÉCISIONS CITÉES:
Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui (No. 2), [1980] 1 R.C.S. 602; Zamulinski v.
The Queen, [1956-60] R.C.E. 175; Greenway, exécuteur
de la succession Mancuso c. La Reine, [ 1980] 1 C.F. 269
(1re inst.).
AVOCATS:
G. K. Martin pour la demanderesse.
Mary Humphries pour les défendeurs.
PROCUREURS:
G. K. Martin, Vancouver, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La défenderesse pre-
mière nommée dans l'intitulé de cause est Sa
Majesté la Reine, mais on conclut, notamment, à
jugements déclaratoires.
Dans Le ministre du Revenu national et autre c.
Creative Shoes Ltd., et autres, [1972] C.F. 993
(C.A.), le juge Thurlow (c'était alors son titre),
parlant au nom de la division d'appel, a dit, aux
pages 998 et 999:
Je suis également d'avis que c'est à bon droit que le juge
Walsh a traité la procédure comme une demande formulée en
vertu de la Règle 603b) en ce qui concerne l'exercice par la
Cour de sa compétence en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale; toutefois, cela me semble avoir pour consé-
quence que les demandes en dégrèvement, qu'on ne peut formu-
ler qu'à l'aide d'une action instituée par l'intermédiaire d'une
déclaration, ne sont pas recevables dans une telle procédure et
que la Couronne ne pouvait en tout cas être constituée réguliè-
rement partie intimée à une telle procédure, puisque l'article 18
ne confère de compétence qu'à l'égard des organismes suivants:
«un office, une commission ou un autre tribunal fédéral», ce qui,
d'après la définition de l'article 2g), ne comprend pas la
Couronne. Lorsqu'on a fait ressortir ces questions au cours des
débats, l'avocat des intimées a abandonné les paragraphes B(4),
B(6) et B(7) des demandes en dégrèvement. Il faut donc, en
tout cas, mettre hors de cause la Couronne et il n'est pas utile
d'examiner davantage les paragraphes B(4), B(6) et B(7) des
demandes en dégrèvement.
En début d'instruction, l'avocat de la défende-
resse ayant attiré l'attention sur ce commentaire,
l'intitulé de cause a été modifié, avec le consente-
ment des avocats des deux parties, sur demande
orale de l'avocat de la défenderesse, pour substi-
tuer à la Couronne le ministre des Approvisionne-
ments et Services.
J'ai alors fait remarquer que le Ministre, en la
qualité dans laquelle il a agi en l'espèce, n'exerçait
pas une compétence juridictionnelle (judiciaire ou
quasi judiciaire) mais uniquement une fonction
administrative.
Dans l'espèce Bates v. Lord Hailsham, [1972] 1
W.L.R. 1373 (Ch.D.), le juge Megarry a dit, à la
page 1378:
[TRADUCTION] ... dans ce qu'on appelle le quasi-judiciaire, on
applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine
administratif ou exécutif, l'obligation générale d'agir équitable-
ment.
Cette obligation existe en l'espèce à l'égard de la
demanderesse.
Dans l'arrêt Martineau c. Le Comité de disci
pline de l'Institution de Matsqui (N° 2), [1980] 1
R.C.S. 602, le juge Dickson a passé en revue la
jurisprudence responsable de l'apparition de la
théorie de l'équité procédurale dans la prise de
décisions administratives, et en a conclu [à la page
622] que: «... la justice élémentaire exige une
certaine protection dans la procédure».
Aux alinéas 14 et 15 de la déclaration, on
soutient que:
[TRADUCTION] 14. Le ministère des Approvisionnements et
Services est un organisme légal, constitué selon la loi cana-
dienne, et, en tant que tel, il doit observer les règles de la justice
naturelle.
15. En décidant d'adjuger le contrat sans tenir compte de la
proposition de la demanderesse, le ministère des Approvisionne-
ments et Services et ses mandataires ont enfreint les règles de la
justice naturelle, causant par là un préjudice, des dommages et
des débours à la demanderesse. Il y a eu manquement aux
règles de la justice naturelle notamment par:
a. Excès de pouvoir ou incompétence;
b. Exclusion de faits pertinents;
c. Abus d'un pouvoir discrétionnaire;
d. Non-respect de sa propre procédure dûment autorisée et
établie;
e. Recours à des principes erronés.
Comme le Ministre responsable du fonctionne-
ment du Ministère qu'il dirige a, dans les circons-
tances faisant l'objet de l'action, agi en une capa-
cité administrative, j'ai autorisé la demanderesse à
modifier ces paragraphes pour y substituer l'ex-
pression [TRADUCTION] «équité procédurale» à
l'expression «justice naturelle» dans les trois cas où
cette expression apparaît. Ce qui a été fait, avec
l'agrément de l'avocat des défendeurs.
Ce n'est pas sans réserve que je considère les
[TRADUCTION] «détails» articulés [soit les alinéas
15a à 15e] comme de vrais détails et non comme
des conclusions de droit non fondées, ne découlant
pas des faits articulés, sauf peut-être pour l'alinéa
15d, parlant du non-respect par la défenderesse de
«sa propre procédure dûment autorisée et établie».
Cependant, personne ainsi n'a été trompé. L'ins-
truction de l'affaire et l'administration des preuves
ont porté sur le comportement inéquitable de la
défenderesse au détriment de la demanderesse.
L'affaire était fort urgente et a été présentée
comme telle. Elle impliquait l'appui aérien par
hélicoptère d'un levé aérien que devait effectuer la
Division géodésique du ministère de l'Énergie, des
Mines et des Ressources, à compter du 1" mai
1982, date depuis longtemps passée.
Mon collègue le juge Walsh, en accordant une
injonction provisoire, obligeant Sa Majesté à faire,
le 8 avril 1982, devant avoir effet jusqu'au pro-
noncé du jugement sur l'action de la demanderesse
en jugement déclaratoire, a dit que, comme la
défenderesse n'avait pas déposé sa défense et que
le délai de dépôt courait toujours, la Cour ne
pouvait ordonner immédiatement d'instruire l'ac-
tion mais qu'il était de l'intérêt des deux parties
que l'instruction ait lieu le plus tôt possible, de
préférence avant le lei mai 1982, lorsque, présumé-
ment, seraient réalisées toutes les conditions sus-
pensives de l'instruction.
Appel de l'injonction accordée par le juge Walsh
fut immédiatement interjeté, en moins de trois
jours francs.
Il y a eu, le 29 avril 1982, dépôt d'une défense,
datée du 28 avril 1982.
Une requête conjointe, en fixation du jour et du
lieu de l'instruction, datée du 30 avril 1982, a été
déposée au greffe de Vancouver le 3 mai 1982 et
reçue par le juge en chef adjoint le 5 mai.
Chaque partie devait citer un témoin et produire
cinq pièces littérales. L'instruction durerait un
jour. Il aurait été plus réaliste de prévoir trois
jours.
Un juge devait être disponible à Vancouver les 5
et 6 mai 1982, mais la défenderesse était incapable
d'assurer la présence de son unique témoin à Van-
couver avant le jeudi 6 mai, aussi ai-je fixé l'ins-
truction à Vancouver à cette date. L'instruction ne
s'est pas terminée le 6 mai 1982, malgré un prolon-
gement de séance. Aussi, comme les parties
devaient se présenter à Ottawa le 11 mai, pour
débattre de l'appel de l'ordonnance du juge Walsh,
l'affaire fut ajournée au 12 mai à Ottawa.
La demanderesse conclut à jugement déclara-
toire disant que le contrat, accordé sans tenir
compte de la réponse de la demanderesse à l'appel
d'offres, est nul et sans effet; que l'offre de la
demanderesse doit être étudiée avant que le con-
trat ne soit adjugé (ce qui équivaut à demander le
renouvellement de l'appel d'offres). Elle conclut
aussi à une injonction interlocutoire (accordée par
le juge Walsh, une question qui n'est pas l'affaire
du juge du fond de toute façon) et à des domma-
ges-intérêts généraux et spéciaux.
Sont spéciaux les dommages établis avec certi
tude; on ne saurait y avoir droit s'ils ne sont pas
expressément articulés dans les écritures. Or,
aucune articulation n'a été faite à ce sujet, aussi
l'avocat de la demanderesse a-t-il fait savoir qu'il
abandonnait cette conclusion.
La conclusion à des dommages généraux
demeure toutefois.
J'aurais tendance à penser que les articulations
de l'alinéa 15 de la déclaration autorisaient à
conclure à des dommages généraux: n'ayant pas
respecté sa propre procédure, dûment établie et
autorisée, et ayant accordé le contrat sans tenir
compte de l'offre de la demanderesse, la défende-
resse aurait enfreint son obligation d'équité procé-
durale causant par là un préjudice, des dommages
et des débours à la demanderesse.
Réflexion faite, il se peut que j'aie accepté un
peu trop vite que le ministre des Approvisionne-
ments et Services soit substitué comme défendeur
à Sa Majesté. II aurait été plus approprié d'adjoin-
dre le Ministre comme défendeur aux jugements
déclaratoires uniquement et de conserver Sa
Majesté comme défenderesse à la demande de
dommages-intérêts généraux uniquement. Toute
l'instruction s'est déroulée sur ce fondement, ainsi
que les argumentations présentées au nom des
parties. Je révise donc, dans cette mesure, l'ordon-
nance que j'avais faite, confiant qu'aucun préju-
dice n'est ainsi causé à l'une ou l'autre des parties.
11 devint tout à fait manifeste lors de l'adminis-
tration par les parties de leur preuve, qu'il ne serait
pas possible de connaître des preuves relatives aux
dommages généraux au cours de l'audience de
Vancouver.
La demanderesse n'a pas, dans les dix jours qui
ont précédé l'instruction, présenté de requête, sur
le fondement de la Règle 480, pour non-adminis
tration de preuves à l'instruction quant aux dom-
mages et référence à cet égard après l'instruction,
le cas échéant.
Toutefois, en vertu du paragraphe (2) de la
Règle 480, la Cour, de son propre mouvement,
peut rendre une telle ordonnance au cours de
l'instruction, aussi ai-je ordonné, si, par suite de la
décision rendue, la question des dommages géné-
raux demande toujours à être résolue, qu'il y ait
référence pour en établir le montant.
On articule nullement dans les écritures la négli-
gence d'un préposé de la Couronne, dans l'exercice
de ses fonctions, pour justifier l'octroi de domma-
ges-intérêts, motif pris de négligence de la Cou-
ronne. Comme dit précédemment, seul justifierait
d'accorder des dommages-intérêts généraux un
manquement de la défenderesse à son devoir d'agir
équitablement envers l'offre ou proposition de la
demanderesse.
Si la demanderesse jouissait du droit subjectif de
voir son offre prise en considération par le Minis-
tère responsable, et que ce droit lui ait été dénié,
elle peut ester car c'est un principe fondamental
que la violation d'un droit subjectif justifie un
recours en dommages-intérêts (voir Zamulinski v.
The Queen, [1956-60] R.C.E. 175 et Greenway,
exécuteur de la succession Mancuso c. La Reine,
[1980] 1 C.F. 269 (lre inst.)).
En cas d'ordonnance de référence quant aux
dommages, découlant d'une décision reconnaissant
qu'un droit subjectif a été dénié à la demanderesse,
cette référence devra être fondée sur les écritures,
inchangées, sans que ne soit autorisée aucune révi-
sion avant la référence.
La raison en est que l'affaire a été instruite sur
le fondement des articulations des écritures actuel-
les (si on excepte les modifications d'ordre techni
que apportées avec l'agrément des parties et sans
préjudice de leur droit). Agir autrement serait
manifestement injuste envers la défenderesse qui, à
l'instruction, a opposé une défense aux articula
tions actuelles des écritures; elle ne devrait pas
avoir à se défendre d'autre chose lors de la
référence.
Il se peut que dans certaines circonstances une
modification des écritures postérieure à l'instruc-
tion s'impose au sujet de la responsabilité d'un
défendeur avant la tenue de la référence par l'arbi-
tre chargé de déterminer le montant des domma-
ges (la Règle 500(5) dispose qu'une copie, certifiée
conforme, des écritures doit être fournie à l'arbi-
tre), mais ce n'est pas le cas ici, la conclusion à des
dommages-intérêts reposant sur les faits articulés
dans les écritures.
Cette action découle des obligations, pouvoirs et
attributions du Ministre, qu'énonce l'article 5 de la
Loi sur le ministère des Approvisionnements et
Services, S.R.C. 1970, chap. S-18, d'acquérir et de
fournir au ministère de l'Énergie, des Mines et des
Ressources, un autre ministère du gouvernement
du Canada, les services de nolisement aérien dont
il a besoin.
En vertu de l'article 11 de cette Loi, sous réserve
des règlements applicables du gouverneur en con-
seil, ou du conseil du Trésor, le Ministre peut
conclure des contrats dans les domaines qui sont
de son ressort.
Le Règlement sur les marchés de l'État,
C.R.C., chap. 701, que prend le gouverneur en
conseil en application de la Loi sur l'administra-
tion financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, porte en
son article 8 qu'avant la conclusion d'un marché
l'autorité contractante, en l'espèce le ministre des
Approvisionnements et Services, doit lancer un
appel d'offres, sauf dans certains cas, dont aucun
ne s'applique en l'espèce.
L'article 9 dispose qu'en ce qui concerne un
contrat de services, le présent contrat en est un
selon l'article interprétatif du Règlement, l'auto-
rité contractante doit avoir recours à une liste de
fournisseurs représentative, de l'avis de l'autorité
contractante, des fournisseurs des services requis.
Cela a été fait.
Un appel d'offres, daté du 24 février 1982, a été
envoyé à trente-huit fournisseurs de services de
transport par hélicoptère représentatifs, dont la
demanderesse.
Le document s'intitulait «Demande de proposi
tion», mais, dans le corps du texte, il y a une note
explicative disant qu'il faut remplacer, partout où
il apparaît, le terme «offre» par le terme
«proposition».
En fait, il s'agit d'un appel d'offres qui, lorsque
complété par le soumissionnaire, devient une offre
en bonne et due forme; on s'écarte cependant de la
soumission habituelle en matière de construction
en ce sens qu'il ne s'agit pas d'une invitation à
faire des offres. L'offre, soumission ou proposition,
constitue une «pollicitation» qui, lorsque acceptée
par l'auteur de l'appel d'offres, constitue un
contrat.
C'est ce qu'exprime on ne peut plus clairement
l'alinéa 11, apparaissant sous le titre «Conditions»,
de la demande de proposition, dont voici le texte:
Au besoin, le soumissionnaire conclura avec Sa Majesté un
contrat officiel renfermant les conditions (non incompatibles
avec les conditions de la présente soumission) que Sa Majesté
pourra exiger. Tant qu'un tel contrat officiel n'aura pas été
conclu, la présente soumission et toute acceptation de celle-ci
par Sa Majesté constitueront un contrat complet, le seul exis-
tant entre les parties.
M. Dunn, président de la demanderesse, a
déclaré dans son témoignage avoir reçu du Minis-
tère la demande de proposition, datée du 24 février
1982, peu de temps après.
En contre-interrogatoire, M. Dunn a reconnu
avoir aussi reçu, inclus avec la demande de propo
sition, un «Avis aux fournisseurs».
L'avis aux fournisseurs a été admis en preuve
comme pièce D-1; le voici:
AVIS AUX FOURNISSEURS
Le ministère des Approvisionnements et Services a pour politi-
que et pratique de retourner une soumission à l'envoyeur si elle
est reçue au MAS après l'heure et la date de clôture qui ont été
fixées, sauf si le timbre d'oblitération apposé sur l'enveloppe
contenant la soumission indique que la soumission a été mise à
la poste au moins 48 heures avant l'heure et la date de clôture
(96 heures pour l'extérieur du Canada).
1. Si vous utilisez une machine à affranchir, nous vous suggé-
rons de faire parvenir votre soumission par courrier recom-
mandé, poste certifiée ou livraison par exprès, pour confirmer
qu'elle a été mise à la poste au moins 48 heures avant l'heure et
la date de clôture (96 heures pour l'extérieur du Canada).
NOTE:
Les empreintes des machines à affranchir ne sont pas d'ordi-
naire oblitérées par la Société canadienne des postes et ne
constituent donc pas une preuve acceptable que l'envoi a été
posté en temps voulu.
2. Si la soumission a été mise à la poste moins de 48 heures
avant l'heure et la date fixées pour la clôture, (96 heures pour
l'extérieur du Canada) vous devriez songer à soumettre votre
offre de prix par des moyens télégraphiques, à moins d'indica-
tion contraire dans l'appel d'offres.
Seule une erreur de manutention imputable au MAS pourra
excuser le retard d'une soumission télégraphiée. Les erreurs de
manutention attribuables à d'autres parties, le mauvais achemi-
nement, le volume de traffic [sic], les perturbations atmosphéri-
ques ou toute autre cause de retard dans la remise des réponses
télégraphiques qui serait attribuable à la compagnie de télégra-
phe ne pourra excuser le retard d'une soumission télégraphiée.
Il incombe au soumissionnaire exclusivement de voir à ce que
sa soumission soit livrée à temps. Cette responsabilité ne peut
être imputée au gouvernement. Si, par exemple, on achemine
une soumission qui devra passer en douane avant que le MAS
n'en prenne possession, le soumissionnaire doit prévoir un délai
suffisant pour que la soumission se rende quand même avant la
date et l'heure limites prévues. De tels cas ne peuvent être
interprétés comme des «retards injustifiés dans le courrier*.
Pour de plus amples renseignements, veuillez téléphoner ou
écrire à:
Le Secrétaire exécutif
Administration des Approvisionnements
Ministère des Approvisionnements et Services
Ottawa, Canada
K1A 0S5
Téléphone: (819) 997-2686
ou
à l'agent de projet désigné dans
l'invitation à soumissionner.
L'offre devait être rédigée sur la formule fournie
et retournée, dans une enveloppe spéciale adressée
au Secrétaire, Administration des approvisionne-
ments du Ministère, à l'adresse indiquée, à Hull
(Québec).
Le jour et l'heure de clôture des offres étaient,
d'après la formule, le 18 mars 1982, 10 h, heure
normale de l'Est [HNE].
De même, le jour et l'heure d'ouverture des
offres étaient le 18 mars 1982, 10 h du matin.
M. Dunn savait fort bien, par suite de son
expérience avec le Ministère et vu le premier
alinéa des conditions (pièce P-2) et l'avis aux
fournisseurs (pièce D-1), qu'une «soumission»
(terme employé par la pièce P-2) mise à la poste
au moins 48 heures avant le jour et l'heure de
clôture, au Canada (96 heures lorsque à l'extérieur
du Canada), serait considérée comme dans les
délais, sous réserve de la preuve, jugée acceptable
par le Ministère, du jour et de l'heure de mise à la
poste. Il était expressément signalé que «Les
empreintes des machines à affranchir ... ne cons
tituent ... pas une preuve acceptable que l'envoi a
été posté ...».
L'avis aux fournisseurs en fournit implicitement
la raison.
Certains particuliers possèdent et utilisent des
machines à affranchir. Des vignettes ou cachets de
machines à affranchir peuvent être placés sur une
enveloppe par l'expéditeur dans les délais bien que
l'enveloppe, elle, soit déposée au bureau de poste
tout à fait hors délai. Comme Postes Canada
n'oblitère pas les empreintes d'affranchissement
imprimées, le Ministère ne saurait les accepter
comme preuve d'expédition dans les délais. Des
critères différents doivent donc s'appliquer si, à la
demande de l'expéditeur, un fonctionnaire des
postes a oblitéré l'empreinte d'affranchissement au
moyen d'une oblitération lisible indiquant le jour
et l'heure de réception et d'oblitération, lesquels
coïncident. Il en irait de même des timbres-poste
qu'on achète et colle sur les enveloppes.
Il en est ainsi aussi des empreintes d'affranchis-
sement imprimées par Postes Canada: elles ne sont
pas oblitérées. Toutefois, si l'empreinte est impri-
mée par Postes Canada, la difficulté qui existe
dans le cas de l'usage privé des machines à affran-
chir disparaît; il reste cependant à établir si la
machine à affranchir appartient à un particulier
ou à Postes Canada.
Cela est possible.
Chaque machine à affranchir comporte un
numéro d'enregistrement qui apparaît sur l'em-
preinte qu'elle imprime. Postes Canada possède un
registre des numéros d'enregistrement de toutes les
machines à affranchir; aussi, si le numéro d'enre-
gistrement de l'empreinte est lisible, le propriétaire
de la machine peut facilement être identifié.
Mais Postes Canada garde jalousement le secret
du nom des propriétaires de ces machines.
M. G. M. Lafrenière, Secrétaire exécutif, Admi
nistration des approvisionnements, conscient de
son devoir de fonctionnaire de bien servir le public,
a institué entre sa direction et Postes Canada une
procédure par laquelle un fonctionnaire de sa
direction téléphone à un fonctionnaire de Postes
Canada et lui donne le numéro d'enregistrement
de l'empreinte d'affranchissement afin de savoir si,
d'après les registres de Postes Canada, la machine
à affranchir portant ce numéro d'enregistrement
appartient ou non à Postes Canada.
M. Lafrenière a insisté auprès de Postes Canada
sur la nécessité vitale de l'exactitude des renseigne-
ments transmis. Il est inutile d'insister sur les
conséquences graves pouvant découler de la fourni-
ture de renseignements inexacts.
Il a aussi pu obtenir que Postes Canada donne
priorité à l'expédition du courrier placé dans les
enveloppes jaunes spéciales fournies avec les
demandes de propositions pour le retour des offres
ou pour servir d'adresse, sous forme d'étiquettes.
M. Dunn savait, ou avait des raisons de croire,
que les empreintes d'affranchissement qu'impri-
mait Postes Canada étaient acceptées comme
preuve de la date de mise à la poste, en dépit des
avertissements écrits interdisant d'avoir recours à
ce mode de preuve inséré dans les conditions, dans
l'avis aux fournisseurs et dans d'autres documents
semblables.
C'était là un service que M. Lafrenière avait
choisi de fournir, et fournissait effectivement, aux
soumissionnaires pour leur commodité.
Aussi, le 15 mars 1982, M. Dunn a-t-il donné
instruction à sa secrétaire de mettre à la poste, ce
jour-là, la réponse de la demanderesse à la
demande de proposition. Il lui a expressément
donné comme instruction de ne pas avoir recours à
la machine à affranchir de la demanderesse, mais
de déposer l'enveloppe dans laquelle était insérée
l'offre et sur laquelle l'enveloppe spécialement
fournie par le Ministère était collée, comme une
étiquette, et servait d'adresse, au bureau de poste
de Richmond (Colombie-Britannique). C'est ce
que fit précisément la secrétaire. On ne lui a pas
demandé d'exiger que l'empreinte d'affranchisse-
ment soit oblitérée, ni d'acheter, et d'y coller, des
timbres-poste, qui auraient été oblitérés selon
l'usage.
Selon M. Dunn, il était avantageux pour un
soumissionnaire d'attendre au dernier moment,
après s'être assuré d'un coussin de sécurité, pour
déposer son offre.
C'est pourquoi il avait donné pour instruction de
mettre à la poste la soumission le 15 mars 1982, au
bureau de poste de Richmond (C.-B.), sachant
qu'une soumission mise à la poste, au Canada,
quarante-huit heures avant 10 heures, HNE, le 18
mars 1982, serait dans les délais et considérée
comme tel. Une soumission mise à la poste à
Richmond (C.-B.), à 7 heures, heure du Pacifique,
le 16 mars 1982, aurait donc été mise à la poste
quarante-huit heures avant 10 heures, HNE, le 18
mars 1982.
Il est évident, d'après l'empreinte d'affranchisse-
ment, que l'enveloppe a été mise à la poste à
Vancouver (C.-B.), le «15 III '82», ce qui doit
vouloir dire le 15 mars 1982, et que l'empreinte a
été imprimée par le «METER XX COMPTEUR xx
576299». Les deux symboles qui suivent le terme
anglais METER et le terme français COMPTEUR
sont totalement indéchiffrables, même pour un
Champollion, mais le nombre 576299 est d'une
clarté cristalline.
Au verso de l'enveloppe, encore cachetée, appa-
raît ce qui semble être une oblitération postale
indiquant la date de réception à Ottawa (Canada):
les lettres MR apparaissent, suivies d'une
empreinte, fort pâle, qui pourrait être composée de
chiffres, peut-être le nombre 18, suivi du nombre
82, parfaitement lisible lui. Peut-être que cette
oblitération signifie que Postes Canada a reçu
cette enveloppe à l'un de ces terminus le 18 mars
1982, mais ce nombre qui me paraît être 18 ne
peut être identifié avec aucun degré de certitude.
De toute façon, il y a une autre oblitération
lisible indiquant que le colis a été reçu dans la salle
du courrier MAS, sigle identifiant, d'après la
réponse donnée à ma question, le ministère des
Approvisionnements et Services, le «mar 19 1982»;
une flèche indique, sur un cadran de vingt-quatre
heures, 9 heures du matin, la date de réception de
l'enveloppe ce jour-là.
C'était hors délai.
La procédure conçue par M. Lafrenière fut donc
mise en branle.
Le 19 mars 1982, un fonctionnaire du ministère
des Approvisionnements et Services responsable de
cette tâche téléphona donc au fonctionnaire de
Postes Canada responsable de la tâche réciproque
pour savoir si, d'après les dossiers de Postes
Canada, la machine à affranchir portant le
numéro d'enregistrement 576299 appartenait à
Postes Canada. (Je présume que le fonctionnaire
examinait les numéros d'enregistrement des
machines qu'utilisait Postes Canada et si le
numéro 576299 n'y apparaissait pas, ce devait être
qu'il s'agissait d'une machine appartenant à un
particulier.)
Postes Canada fit savoir qu'elle n'utilisait pas la
machine à affranchir portant le numéro 576299.
En conséquence, le fonctionnaire du ministère
des Approvisionnements et Services nota la chose
dans un registre tenu à cette fin.
La pièce D-3 est constituée par une feuille de ce
registre dont la première inscription porte la date
«19-3-82». Le numéro de machine à affranchir
inscrit est le «576299», la «City» (ville) de mise à la
poste est «VOR», sans doute Vancouver, le «Co.
Name» (nom de la compagnie) inscrit est
«QUASAR», la colonne intitulée «POST OFFICE
METER» (machine à affranchir du bureau de poste)
a été laissée en blanc et la dernière colonne com-
portant l'inscription «COMPANY M» (vraisembla-
blement les lettres «ETER» n'ont pas été reproduites
dans la photocopie) est cochée ce qui indique que
le numéro 576299 renvoie à une machine à affran-
chir appartenant à un particulier.
Sur réception de ce renseignement, R. G. Miller
expédia un avis, daté du 19 mars 1982, la pièce
P-4, dont les titres, inversés après filmage, devant
un miroir se lisent: «NOTICE TO SUPPLIERS» et
«AVIS AUX FOURNISSEURS», à l'intention de la
demanderesse; en voici le texte:
LA SOUMISSION QUE VOUS NOUS AVEZ ENVOYÉE EN RÉPONSE
À LA DEMANDE DE SOUMISSION SUSMENTIONNÉE A ÉTÉ
REÇUE EN RETARD, ET C'EST POURQUOI NOUS VOUS LA
RENVOYONS.
LE MINISTÈRE A POUR PRINCIPE DE NE PAS ACCEPTER LES
SOUMISSIONS REÇUES APRÈS L'HEURE ET LA DATE LIMITES
FIXÉES. CETTE POLITIQUE EST STRICTEMENT OBSERVÉE ET,
PAR SOUCI DE JUSTICE ENVERS TOUS LES INTÉRESSÉS, ELLE
NE PEUT ÉTRE MODIFIÉE EN AUCUN CAS.
C'EST AU SOUMISSIONNAIRE QU'IL REVIENT DE S'ASSURER
QUE LA SECTION DE LA RÉCEPTION DES SOUMISSIONS DU
BUREAU DU SECRÉTAIRE EXÉCUTIF REÇOIT SON OFFRE DANS
LES DÉLAIS PRESCRITS. POUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNE-
MENTS, VOIR L'aAVIS AUX FOURNISSEURS» AU VERSO.
Je crois que la pièce P-3 n'est que le verso de la
pièce P-4, qui y renvoie, ce que démontrent aussi
les titres inversés apparaissant en transparence.
Cela étant, cet «Avis aux fournisseurs» (pièce
P-3) s'ajoute et vraisemblablement explique un
peu mieux la qualification de tardive donnée à la
soumission de la demanderesse, comme le montre
le recto (pièce P-4).
De toute façon, la demanderesse a reçu la pièce
P-3 par après; elle ne saurait être considérée
comme préavis des exigences en matière de mise à
la poste.
L'enveloppe de la demanderesse, dans laquelle la
soumission avait été placée, lui a été retournée
sans avoir été ouverte.
Un manuel intitulé «Guide de la politique des
approvisionnements», sert d'instructions ou de
directives aux fonctionnaires du Ministère au sujet
de la politique à suivre dans le cas des soumissions
tardives; celle-ci est énoncée à l'article 6, sous la
rubrique «Politique», la voici:
6. Les soumissions en retard ne devront pas être acceptées.
Elles devront être renvoyées sans délai, non décachetées, à
moins qu'il soit nécessaire d'ouvrir l'enveloppe en vue d'identi-
fier le contenu et(ou) le nom et l'adresse de l'expéditeur.
C'est aussi ce que répète en substance l'avis
envoyé à la demanderesse, lequel rejette, comme
tardive, la soumission.
La responsabilité de l'envoi des soumissions
appartient au soumissionnaire, comme le souligne
l'article 14 du Guide de la politique des approvi-
sionnements, que voici:
14. Il incombe au soumissionnaire exclusivement de voir à ce
que sa soumission soit livrée à temps. Cette responsabilité ne
peut être imputée au gouvernement. Si, par exemple, on ache-
mine une soumission qui devra passer en douane avant que le
MAS n'en prenne possession, le soumissionnaire doit prévoir un
délai suffisant pour que la soumission se rende quand même
avant la date et l'heure limites prévues. De tels cas ne peuvent
être interprétés comme des «retards injustifiés dans le courrier»
et ne sont pas sujets aux lignes directrices prévues pour les cas
de retards attribuables au service des postes.
En substance, c'est ce que répète le troisième
paragraphe de l'avis de rejet envoyé à la demande-
resse par après.
Il existe une autre catégorie de soumissions,
différentes des soumissions tardives; on les qualifie
de soumissions «retardées».
Les soumissions tardives sont rejetées purement
et simplement.
Les soumissions retardées, reçues avant que le
contrat ne soit adjugé, sont présumées reçues à
temps, même si elles l'ont été hors délai.
L'article 7 du manuel, que voici, énonce la
politique suivie dans le cas des soumissions
retardées:
7. Une soumission retardée reçue avant l'adjudication des
contrats sera considérée comme reçue à temps à condition que:
a) il puisse être prouvé que la soumission n'est pas arrivée dans
les délais stipulés uniquement à cause d'un retard inusité dans
le service des postes;
ou
b) il puisse être prouvé que la soumission est parvenue à temps
au NIAS pour être déposée à l'endroit prévu pour la réception
des soumissions et qu'elle y aurait été effectivement déposée
avant l'heure et la date de clôture si la distribution interne avait
été effectuée comme à l'ordinaire et qu'une erreur commise par
le MAS n'en avait pas retardé la livraison.
Les articles 8 et 9 du manuel tentent de circons-
crire ce qu'est un délai acceptable; les voici:
8. Pour que l'on puisse dire que le retard est dû uniquement à
une anomalie dans le service des postes, il importe de savoir
quel jour et à quelle heure la soumission a été mise à la poste et
de connaître le temps requis pour l'acheminer. En règle géné-
rale, on estime qu'une période de 48 heures constitue un délai
suffisant pour permettre au courrier mis à la poste au Canada
d'arriver à temps. Pour les besoins de la présente politique, il
doit être évident qu'une soumission a été postée 48 heures avant
la date et l'heure limites pour être considérée comme ayant été
postée dans les délais prescrits. On estime par conséquent que
lorsque le courrier a été mis à la poste moins de 48 heures avant
la date limite, le délai prévu n'étaitpas suffisant pour permettre
qu'il soit livré à temps et il ne pourra être accepté, sauf si le
MAS l'a reçu à temps mais a négligé de la déposer à l'endroit
prévu.
9. Les principes ci-dessus s'appliquent aux soumissions mises à
la poste ailleurs qu'au Canada, mais une période de 96 heures
avant la date de clôture constitue alors le délai estimé suffisant.
L'article 10, qui suit, décrit ce qui est considéré
comme une preuve acceptable:
10. Si une soumission a effectivement été envoyée «à temps»,
conformément aux lignes directrices 8 et 9, mais qu'elle ait été
retardée dans le courrier, il faut pouvoir en fournir la preuve de
la façon suivante:
Le cachet de la poste ou un récipissé [sic] officiel de courrier
recommandé, de poste certifiée ou d'envoi exprès ayant
spécifiquement trait à la soumission en question et portant
l'heure et la date de l'inscription. Il sera considéré que
lorsque les récipissés [sic] ne portent que la date et non la
date et l'heure, la soumission aura été mise à la poste à la
date indiquée, à la même heure que celle prévue pour la
remise des soumissions et au fuseau horaire de l'endroit où
elles doivent être remises. Les cachets ou les récipissés [sic]
ne portant que l'heure sans la date ne feront pas foi.
L'article 12 mentionne expressément le courrier
oblitéré mécaniquement:
12. Lorsque l'enveloppe a été affranchie par une machine
appartenant au soumissionnaire, et ne porte que la date du
timbre imprimé par la machine, celle-ci ne sera pas une preuve
acceptable que la soumission a été mise à la poste à temps,
conformément aux lignes directrices 8 et 9.
Ce manuel n'est qu'une directive donnée aux
fonctionnaires du Ministère sur la façon de faire
un appel d'offres (sous réserve du Règlement sur
les marchés de l'État) et d'en disposer.
Toutefois, cette politique sur la procédure à
suivre est communiquée aux futurs soumissionnai-
res à bien des égards.
Dans la pièce D-1, un avis aux fournisseurs joint
à la demande de proposition adressée à la deman-
deresse, cité ci-dessus, on énonce la politique du
Ministère au sujet des offres tardives: «... sauf si
le timbre d'oblitération apposé sur l'enveloppe con-
tenant la soumission indique que la soumission a
été mise à la poste (au Canada) au moins 48
heures avant l'heure et la date de clôture ...s.
On a souligné que les empreintes des machines à
affranchir ne constituent pas une preuve accepta
ble d'un envoi dans les délais. C'est là une affirma
tion catégorique; aucune mention n'est faite de
l'arrangement de M. Lafrenière et des cas où une
empreinte de machine à affranchir est acceptable.
On signale aussi le fait que la responsabilité de
l'arrivée dans les délais de la soumission appartient
uniquement au soumissionnaire. L'avis répète en
partie le texte de l'article 14 du Guide de la
politique des approvisionnements.
Le premier alinéa des conditions est dans le
même sens.
On fait une mise en garde au sujet des soumis-
sions confiées à la poste.
Les empreintes de machines à affranchir ne sont
pas acceptées comme preuve de mise à la poste
parce que ces empreintes ne sont pas, normale-
ment, oblitérées au bureau de poste.
Si le soumissionnaire utilise sa propre machine à
affranchir, on suggère d'envoyer la soumission par
courrier recommandé, certifié ou par exprès, afin
d'avoir une preuve de mise à la poste dans les
délais.
Certains faits importants ne sont pas mentionnés
expressément. Si une soumission retardée est reçue
après que le contrat a été adjugé, il n'en sera pas
tenu compte, même si elle a été mise à la poste au
Canada dans le délai de 48 heures. (Voir l'article 7
du Guide de la politique des approvisionnements,
selon lequel une soumission retardée doit être
reçue avant que le contrat ne soit adjugé.)
On ne m'a fourni aucune preuve que cette
modalité ait été expressément, et par écrit, portée
à l'attention des soumissionnaires éventuels, ni
comment ceux-ci auraient pu, autrement, connaî-
tre cette condition pratique, que dicte le bon sens.
M. Lafrenière a dit dans son témoignage qu'au
cours de ses sept années d'expérience, le nombre de
contrats adjugés par an étant de 50,000 ou plus,
aucune soumission retardée n'avait été reçue après
l'adjudication du contrat.
Même en l'espèce, la soumission de la demande-
resse a effectivement été reçue peu après le terme
du délai, mais avant l'adjudication du contrat.
Elle fut considérée comme tardive sur la foi des
renseignements fournis par Postes Canada; selon
ceux-ci, la preuve de la mise à la poste devenait
inadmissible. Aussi la soumission n'a pas été quali-
fiée de «retardée».
Autre incohérence: en dépit de l'affirmation
répétée que les empreintes de machine à affranchir
ne sont pas acceptées comme preuve de mise à la
poste dans les délais, elles le sont si l'empreinte est
le fait d'une machine du bureau de poste pourvu,
condition supplémentaire, que le numéro d'enregis-
trement de la machine reproduit sur l'empreinte
soit lisible. Je présume qu'une semblable exigence
de lisibilité s'applique à la date d'oblitération
qu'imprime le bureau de poste.
M. Dunn, président de la demanderesse, a reçu
le 24 mars 1982 l'avis, daté du 19 mars 1982, pièce
P-4, rejetant l'offre de la demanderesse, soit plus
de soixante-douze heures après la mise à la poste.
M. Dunn a immédiatement réagi. Il a, le 24
mars 1982, téléphoné au bureau du Secrétaire
exécutif et protesté que la soumission de la deman-
deresse avait été mise à la poste le 15 mars 1982,
plus de quarante-huit heures avant la date de
clôture. Vu le décalage horaire de trois heures, les
bureaux du gouvernement à Ottawa allaient
fermer. Le fonctionnaire qui a reçu la communica
tion téléphonique a pris des notes, exhaustives, afin
de porter la chose à l'attention de M. Lafrenière le
lendemain matin.
Le 25 mars 1982, M. Lafrenière réagissait rapi-
dement. Il faisait une enquête brève mais
complète.
La fonctionnaire qui avait, la première fois,
téléphoné à son homologue de Postes Canada, et
s'était fait dire que la machine à affranchir
numéro 576299 n'appartenait pas à Postes
Canada, répéta sa demande de renseignements, nul
doute en insistant davantage sur la nécessité 'd'une
information exacte. Cette fois-là, après vérifica-
tion, on l'informa que la machine numéro 576299
appartenait bien à un bureau de la Société cana-
dienne des postes, en Colombie-Britannique (à
Richmond).
Les nouveaux statut et direction de Postes
Canada ne semblent pas avoir eu pour consé-
quence une amélioration notoire de la qualité et de
la compétence de son personnel.
L'une des responsabilités de la Direction que
dirige M. Lafrenière consiste à recevoir les offres,
soumissions ou propositions faites en réponse à
l'invitation à faire des offres, ou appel d'offres, à
les conserver en sûreté jusqu'à la date de clôture de
l'appel, puis à assurer leur remise diligente à la
direction de l'administration des contrats, une
direction séparée et distincte de celle que dirige M.
Lafrenière. Les fonctionnaires de l'administration
des contrats ont pour tâche d'étudier les offres
reçues, d'en faire la sélection et d'adjuger le con-
trat au soumissionnaire jugé le plus apte. Le jour
et l'heure de clôture pour la réception des offres
sont aussi ceux de leur ouverture.
Lorsque M. Lafrenière a connaissance d'une
soumission retardée, comme ce peut être le cas s'il
apprend, par télégramme ou autrement, qu'une
soumission a été mise à la poste, il alerte la
direction de l'administration des contrats; c'est
aussi le cas pour les soumissions retardées reçues
après la date de clôture mais incluses dans celles
qu'on envoie à cette direction.
Comme la soumission de la demanderesse a été
considérée comme tardive, elle n'a pas été incluse
dans celles remises à la direction de l'administra-
tion des contrats.
Le 23 mars 1982, cette direction notifiait par
télex Viking Helicopters Ltd., d'Ottawa (Ontario),
que sa soumission avait été acceptée, demandant
d'accuser réception, ce qui fut aussitôt fait.
Je mentionne expressément ce fait dans mon
résumé des événements vu qu'à l'alinéa 9 de la
déclaration, la demanderesse soutient:
[TRADUCTION] ... qu'aucun contrat n'a été fait, conclu ou
signé pour le nolisement d'un hélicoptère conformément à la
demande de proposition du 24 février 1982 (pièce P-2)
en date du 31 mars 1982, date de la déclaration.
L'alinéa 6 de la défense nie l'alinéa 9 de la
déclaration et soutient que:
[TRADUCTION] ... ledit contrat a été adjugé à Viking Helicop
ters Ltd. le 23 mars 1982.
À mon avis, un contrat valide a été conclu le 23
mars 1982 entre Sa Majesté la Reine et Viking
Helicopters Ltd.
Le fait est qu'il y a contrat lorsqu'une partie fait
une pollicitation et qu'une autre l'accepte.
La demande de proposition du 24 février 1982
devient une offre lorsque le soumissionnaire la
complète.
Voici le texte de l'encadré de la première page:
SOUMISSION Au: Ministère des Approvisionnements et Servi
ces
Nous offrons par la présente de vendre et(ou) de fournir à Sa
Majesté la Reine du chef du Canada, aux conditions énoncées
dans la présente et au verso, les articles et(ou) les services
énumérés ici et sur toute feuille ci-annexée, au(x) prix
indiqué(s).
Il s'agit là manifestement d'une offre et non
simplement d'une invitation à faire des offres.
Voici l'alinéa 11 des conditions, à la page 2 de la
demande de proposition (pièce P-2):
11. Au besoin, le soumissionnaire conclura avec Sa Majesté un
contrat officiel renfermant les conditions (non incompatibles
avec les conditions de la présente soumission) que Sa Majesté
pourra exiger. Tant qu'un tel contrat officiel n'aura pas été
conclu, la présente soumission et toute acceptation de celle-ci
par Sa Majesté constitueront un contrat complet, le seul exis-
tant entre les parties.
La soumission constitue une pollicitation qui a
été acceptée par le télex du ministère des Approvi-
sionnements et Services. En conséquence, il y a eu
offre de Viking Helicopters Ltd. et acceptation de
cette offre par Sa Majesté le 23 mars 1982; il
s'ensuit qu'il y a eu contrat entre ces parties le 23
mars 1982.
Apprenant, en réponse à sa directive, que Postes
Canada avait par erreur fait savoir au ministère
des Approvisionnements et Services, le 19 mars
1982, que la machine à affranchir portant le
numéro 576299 n'appartenait pas à Postes
Canada, alors que c'était le cas, ce que confirma
une recherche plus approfondie de Postes Canada
le 25 mars 1982, M. Lafrenière a réuni les fonc-
tionnaires de sa Direction responsables, ainsi que
ceux de l'administration des contrats, pour exami
ner les solutions possibles.
Selon les renseignements dont disposaient les
fonctionnaires de sa Direction le 19 mars 1982, la
soumission de la demanderesse était tardive. La
preuve de la date d'expédition était une empreinte
d'affranchissement. Selon la politique du Minis-
tère, qu'on avait clairement portée à la connais-
sance des soumissionnaires, ce n'était pas là une
preuve d'expédition acceptable. En outre, il y avait
le service qu'offrait aux soumissionnaires l'arran-
gement de M. Lafrenière avec Postes Canada,
service selon lequel les empreintes de machines à
affranchir pouvaient constituer une preuve accep
table d'expédition dans les délais si Postes Canada
confirmait que la machine à affranchir lui appar-
tenait. Ce service, certes, n'a jamais été expressé-
ment inclus dans le Guide de la politique, ni
l'arrangement d'abord purement interministériel,
puis interministériel et interagence de la Cou-
ronne, dans les demandes de proposition ou dans
les documents accompagnateurs, comme les avis
aux fournisseurs; néanmoins, le fait que les
empreintes de machines à affranchir pouvaient
constituer une preuve admissible a fini, avec le
temps, par être connu des soumissionnaires, sans
doute à l'usage.
M. Dunn, quoiqu'il n'en ait pas été expressé-
ment informé par instructions écrites émanant du
Ministère, a «présumé» que c'était le cas, en se
fondant sur son expérience passée.
Mais le fait brut demeure: le 19 mars 1982, le
Ministère se faisait dire que la machine à affran-
chir portant le numéro 576299 n'était pas une
machine de Postes Canada; l'empreinte était donc
inacceptable comme preuve d'expédition dans les
délais. De cela, il découlait que la soumission de la
demanderesse était tardive et elle fut traitée
comme telle.
Le 25 mars 1982, il fut établi que la soumission
de la demanderesse n'était pas en fait tardive,
ayant été mise à la poste le 15 mars 1982, au
Canada, plus de 48 heures avant l'échéance, et
ayant été reçue le 19 mars 1982 dans la salle du
courrier du Ministère; n'avait été de ce renseigne-
ment inexact, elle pouvait être qualifiée de soumis-
sion retardée et être considérée comme telle à ce
moment-là, si la vérité avait été connue à l'époque.
Voici quelles étaient les options possibles:
(1) annuler le contrat adjugé à Viking Helicop
ters Ltd., avec pour résultat possible une action
en dommages-intérêts pour inexécution de con-
trat, et
a) tenir compte de l'offre de la demanderesse
autant que des autres offres,
b) recommencer tout le processus depuis le
début avec un nouvel appel d'offres et étudier
les offres reçues, ou
(2) refuser de tenir compte de l'offre de la
demanderesse et s'en tenir à l'état actuel des
choses.
Après mûre réflexion, il fut décidé d'adopter la
seconde solution; plusieurs raisons militaient en ce
sens.
D'abord et avant tout, il y avait eu contrat entre
Sa Majesté et Viking Helicopters Ltd. le 23 mars
1982, lequel, pour les raisons que j'ai déjà men-
tionnées, était valide et en vigueur.
Réexaminer les offres en y incluant celle de la
demanderesse, qui n'avait pas été ouverte, consti-
tuerait de toute évidence une injustice pour ceux
dont les offres avaient été ouvertes, particulière-
ment pour le soumissionnaire heureux dont le
montant de l'offre était maintenant connu; il avait
également été révélé que l'offre de la demande-
resse était inférieure. Ainsi les dés auraient été
pipés en faveur de la demanderesse et le secret de
la procédure d'appel d'offres anéanti.
Le même raisonnement s'appliquait d'autant
plus au cas où on aurait repris l'exercice depuis le
début, sans compter le temps perdu, et il était
urgent d'entreprendre le levé.
On a donc choisi de rejeter l'offre de la deman-
deresse pour deux raisons:
(1) le 19 mars 1982, lorsque l'offre de la deman-
deresse fut reçue, il n'existait aucune preuve
admissible que l'offre de la demanderesse avait
été expédiée dans les délais, et
(2) lorsqu'il fut établi que l'offre avait effective-
ment été expédiée dans les délais, le contrat
avait déjà été adjugé.
M. Lafrenière et ses collègues ayant pris cette
décision, celui-ci téléphona à M. Dunn pour lui
dire que l'offre de la demanderesse ne serait pas
examinée. Il confirma cette conversation par un
télex, daté du 26 mars 1982 (pièce P-6), que voici:
[TRADUCTION] Suite à notre conversation téléphonique du 25
mars 1982, je confirme que votre offre, faite au ministère des
Approvisionnements et Services, en réponse à la demande de
proposition 03GW.23244-2-4006, a été reçue après le jour et
l'heure d'échéance. Un examen complet de la situation a indi-
qué que l'offre vous avait été retournée parce que considérée
tardive, selon les renseignements obtenus à l'époque.
Vérification faite, suite à vos commentaires d'hier, l'empreinte
de machine à affranchir appartenait bien à la Société cana-
dienne des postes, et non à votre compagnie, comme l'avait
antérieurement prétendu la Société canadienne des postes. Tou-
tefois, le contrat a déjà été adjugé, par télex, en date du 23
mars 1982, à Viking Helicopters Ltd., à un taux de $250
l'heure. Regrette de devoir vous informer ne pouvoir tenir
compte de votre offre.
Sur ce refus de tenir compte de l'offre de la
demanderesse, M. Dunn téléphona au ministre des
Approvisionnements et Services, le 25 mars 1982,
et parvint à rejoindre le Secrétaire exécutif du
Ministre.
Celui-ci prit note de la plainte de M. Dunn et
s'engagea à porter la chose à l'attention du Minis-
tre, afin qu'elle soit considérée; il donna à M.
Dunn l'assurance qu'il serait informé des suites de
l'affaire.
M. Dunn a repris l'essentiel de cette conversa
tion dans un télex, daté aussi du 25 mars 1982,
lequel semble adressé au Ministère en général et
non au Ministre en particulier. Dans son témoi-
gnage, il a dit avoir envoyé le télex à titre de
confirmation écrite.
M. Dunn n'a reçu aucune réponse, ni du Minis-
tre, ni de son Secrétaire exécutif. 11 s'est aussi
adressé à son député.
Il n'en résulta rien qui satisfasse M. Dunn, d'où
la présente action.
La demanderesse conclut à deux jugements
déclaratoires; voici le texte du premier:
[TRADUCTION] a. Jugement déclarant que la décision du minis-
tère des Approvisionnements et Services et de ses agents de
clore sa demande de proposition n° 03GW.23244-2-4006 et
d'adjuger le contrat de fourniture de services d'hélicoptères que
mentionne la demande de proposition, sans considérer l'offre de
la demanderesse, est nulle et de nul effet.
Cela sous-entend, pour que le contrat intervenu
entre Sa Majesté et Viking Helicopters Ltd. soit
déclaré nul, qu'il doit y avoir eu manquement à
une obligation générale d'équité qui interdise à Sa
Majesté d'accepter l'offre de Viking Helicopters
Ltd. ou, comme l'avocat de la demanderesse l'ex-
plique, que Sa Majesté, ce faisant, commette un
excès de pouvoir.
Les articles 8 et 9 du Règlement sur les marchés
de l'État exigent qu'avant de conclure un contrat il
y ait appel d'offres, sauf les exceptions prévues à
l'article 8, ce qui n'était pas le cas.
Lorsque l'appel d'offres est obligatoire,
l'article 9 porte que, dans le cas d'un contrat de
services, l'appel doit être fait soit sous forme d'an-
nonce dans les journaux, soit à partir d'une liste de
fournisseurs représentatifs.
Outre cela, il n'existe aucune disposition légale
expresse qui concerne la procédure à suivre en
matière d'appel d'offres. Il appartient à l'autorité
contractante d'y pourvoir, sous réserve uniquement
d'une obligation générale tacite d'équité.
C'est ce que le Ministère a fait.
D'abord et avant tout, on fixe, lors d'un appel
d'offres, le jour et l'heure de l'échéance, en un lieu
spécifié. Cette pratique est si logique, connue et
universellement acceptée, qu'aucune disposition
expresse à cet égard n'a à être incluse dans la
procédure.
Il suffit d'indiquer le jour, l'heure, et le lieu de
clôture des offres.
C'est ce qui a été fait dans la demande de
proposition.
Le Ministère a énoncé la procédure que devaient
suivre ses fonctionnaires en matière d'appel d'of-
fres dans son Guide de la politique des approvi-
sionnements dont, bien qu'il s'agisse d'un ouvrage
de régie interne, les principales caractéristiques ont
été portées à la connaissance des soumissionnaires,
d'un appel d'offres à l'autre, sous forme de condi
tions stipulées dans la demande de proposition
(pièce P-2), et dans l'avis aux fournisseurs (pièce
D-1) joint à la demande de proposition, ainsi que
dans l'avis explicatif envoyé aux fournisseurs en
cas de rejet d'une offre tardive (pièces P-3 et P-4).
La principale condition c'est que le soumission-
naire est seul responsable de la réception de son
offre dans les délais, responsabilité dont il ne peut
se défaire. Cela est affirmé catégoriquement.
Corollaire de cette condition, les offres tardives
ne peuvent être acceptées et doivent être retour-
nées à l'expéditeur.
Si la procédure s'en était tenue là, l'équité aurait
été on ne peut plus sauve et une instance comme le
cas d'espèce en cause n'aurait pu exister.
Mais le Ministère a fait des concessions aux
soumissionnaires. On a prévu l'envoi des offres par
courrier au Canada au moins quarante-huit heures
avant la date d'échéance, pourvu toujours qu'il y
ait preuve acceptable d'une mise à la poste dans les
délais, comme le prévoient les articles précités du
Guide de la politique des approvisionnements.
Le Guide de la politique des approvisionnements
énonce aussi ce qui constitue une preuve accepta
ble d'une mise à la poste dans les délais, en son
article 10.
L'article 12 du Guide porte qu'une empreinte
d'une machine à affranchir appartenant à un four-
nisseur n'est pas une preuve acceptable de mise à
la poste dans les délais, pour les raisons évidentes
mentionnées précédemment.
Les renseignements fournis aux soumissionnai-
res dans les conditions et les avis aux fournisseurs
ne restreignent pas les empreintes d'affranchisse-
ment inadmissibles à celles des machines apparte-
nant aux fournisseurs, mais à tout le courrier en
général ainsi affranchi, y compris les empreintes
des machines appartenant à Postes Canada, bien
que cela ne soit pas expressément dit. Tout ce
qu'on y dit, c'est que «Les empreintes des machines
à affranchir ... ne constituent ... pas une preuve
acceptable que l'envoi a été posté en temps voulu>.
Ainsi, si l'information fournie par ce moyen aux
fournisseurs n'était pas complétée, toutes les
empreintes de machines à affranchir ne seraient
pas acceptées comme preuve de mise à la poste
dans les délais, même si le Guide de la politique
des approvisionnements ne mentionne que les
machines à affranchir appartenant à des particu-
liers. Cela serait raisonnable d'ailleurs, compte
tenu de la difficulté de distinguer entre les machi
nes appartenant à des particuliers et celles appar-
tenant à Postes Canada, et compte tenu que
l'article 10 du Guide de la politique des appro-
visionnements, qui énonce ce qui constitue une
preuve acceptable de mise à la poste dans les
délais, exclut les empreintes de machines à affran-
chir; ce faisant, j'interprète «cachet de la poste»
comme ayant une acception différente de l'em-
preinte qu'imprime une machine à affranchir
appartenant à Postes Canada.
Cela étant, l'offre de la demanderesse ne serait
pas conforme à la procédure adoptée par le Minis-
tère à ces égards, qui, à mon avis, est raisonnable
et juste; aussi aurait-elle à bon droit été rejetée
comme tardive.
Toutefois, outre ces procédures écrites internes,
communiquées aux soumissionnaires par les condi
tions et les avis aux fournisseurs, M. Lafrenière a
instauré un service et une procédure par lesquels
les empreintes postales d'une machine à affranchir
appartenant à Postes Canada peuvent être identi
fiées, celui-ci adoptant la pratique d'accepter les
empreintes ainsi identifiées comme preuve d'une
mise à la poste dans les délais.
Cette procédure, conçue pour la commodité des
soumissionnaires éventuels, s'écarte de l'exclusion
stricte des empreintes de machines à affranchir et
de leur inadmissibilité comme preuve de mise à la
poste dans les délais, indépendamment de la pro-
priété de la machine.
Cette pratique n'est incorporée dans aucun
manuel de procédures ou guide du Ministère et n'a
été incluse dans aucune condition, instruction, ni
dans aucun avis, écrits, remis aux soumissionnai-
res; mais sa simple mise en œuvre l'a fait connaître
par ceux qui soumissionnent fréquemment, comme
la demanderesse.
Ces soumissionnaires sont donc conduits à se
fier, et se fient effectivement, c'est ce qu'a fait la
demanderesse, à cette procédure par laquelle le
dépôt de l'offre au bureau de poste quarante-huit
heures (au Canada) avant l'échéance fait que l'of-
fre sera dans les délais, sans aucune autre démar-
che de l'expéditeur, sous trois réserves, que l'expé-
diteur peut ne pas connaître:
(1) l'empreinte postale doit être celle d'une
machine appartenant à Postes Canada;
(2) le numéro d'enregistrement doit être lisible
et identifiable, de même que la date et l'heure de
réception, et
(3) la soumission est effectivement reçue (si on
présume que les autres précautions que propo-
sent les avis aux fournisseurs n'ont pas été
prises) au lieu prévu pour l'ouverture des offres
avant l'adjudication du contrat.
La faute du Ministère, si faute il y a, fut de ne
pas donner avis formel de cette pratique et de ces
restrictions aux soumissionnaires éventuels.
Sur cette toile de fond que constituent les faits
énoncés, l'offre de la demanderesse a été mise à la
poste dans les quarante-huit heures, une empreinte
de Postes Canada l'a affranchie et elle a été reçue
le jour qui suit la date de clôture, mais avant
l'adjudication du contrat; cependant, les arrange
ments intervenus avec Postes Canada, unique pos-
sesseur de l'information nécessaire pour identifier
les empreintes de machines à affranchir comme
étant celles de Postes Canada, ont fait défaut dans
le cas d'espèce, au moment crucial.
Le Ministère s'est fondé sur une information
erronée, que lui avait fournie Postes Canada, pour
qualifier de tardive l'offre de la demanderesse.
À mon avis, le Ministère était justifié de ce
faire.
La demanderesse conclut à deux jugements
déclaratoires: premièrement, comme le dit l'extrait
antérieurement cité de la déclaration, que le con-
trat adjugé est nul et de nul effet.
À l'époque, le Ministère rejeta l'offre de la
demanderesse comme tardive; il avait suivi sa pro-
cédure écrite à la lettre et, en vérifiant l'origine de
l'empreinte de la machine à affranchir, il avait
respecté sa procédure de vérification avec exacti
tude. Cette procédure était la plus raisonnable et
la plus adéquate que l'on pouvait imaginer.
Cette procédure était équitable et elle a été
suivie. En conséquence, le Ministre et ses fonction-
naires n'ont nullement manqué à leur obligation
d'équité, si on en présume l'existence, ce que nie
l'avocat de la défenderesse, et ce dont je n'ai pas à
décider. Que cette procédure ne se soit pas révélée
infaillible ne la rend pas inéquitable. La faute en
est à un tiers, qui a fourni des renseignements
incorrects, que le Ministère était justifié de croire
fondés.
Ainsi, le jugement déclaratoire, auquel conclut
la demanderesse à l'alinéa a de ses conclusions, est
mal fondé.
À l'alinéa c des conclusions, on conclut à un
second jugement déclaratoire, que voici:
[TRADUCTION] c. Jugement déclaratoire que la demanderesse a
droit à ce que l'offre qu'elle a soumise au Secrétaire de
l'administration des approvisionnements du ministère des
Approvisionnements et Services, en vertu de l'appel d'offres n°
03GW.23244-2-4006, soit étudiée par le ministère des Approvi-
sionnements et Services, avant qu'il soit décidé d'adjuger le
contrat de fournitures des services d'hélicoptère que mentionne
l'appel d'offres.
En premier lieu, ce jugement déclaratoire serait
incompatible avec l'alinéa 9 de la déclaration;
selon cet alinéa, au 31 mars 1982, date de la
déclaration, aucun contrat n'avait été fait, conclu
ou signé pour le nolisement d'un hélicoptère.
Cette articulation est contraire aux faits démon-
trés. Il y a eu adjudication du contrat à Viking
Helicopters Ltd. lors de l'acceptation de son offre,
le 23 mars 1982, par télex (pièce D-4), envoyé ce
jour-là, contrat, pour les motifs dits précédem-
ment, valide et ayant toujours effet.
La procédure que s'était imposée le Ministère
veut qu'une offre retardée, reçue après l'adjudica-
tion du contrat, ne soit pas considérée (voir l'arti-
cle 7 du Guide de la politique des approvisionne-
ments).
Certes, il n'est pas prouvé que cette circonstance
ait été expressément communiquée aux soumis-
sionnaires, mais cette politique est trop conforme à
l'usage commercial universellement accepté pour
ne pas être évidente.
Que la réponse de la demanderesse à l'appel
d'offres puisse être considérée comme une offre
retardée n'a été établi par le destinataire que le 25
mars 1982, alors que le contrat avait déjà été
adjugé.
La qualification d'offre retardée ne peut être
faite rétroactivement, le 25 mars 1982 pour le 19
mars 1982, date de réception véritable de l'offre
par le destinataire, car à cette date elle était
considérée comme tardive, qualification que le
Ministère était alors en droit de faire, pour les
motifs précités.
En conséquence, il s'ensuit que la demanderesse
n'a pas droit au jugement déclaratoire qu'elle
réclame à l'alinéa c de ses conclusions.
Ainsi, ne demeure que la question des domma-
ges-intérêts généraux, la demanderesse ayant
abandonné ses conclusions à des dommages spé-
ciaux, pour les motifs antérieurement exprimés.
La déclaration n'articule aucun fait qui puisse
fonder une action délictuelle de négligence.
La créance de la demanderesse en dommages-
intérêts doit être fondée sur les articulations de
l'alinéa 15 dont voici la version initiale:
15. En décidant d'adjuger le contrat sans tenir compte de la
proposition de la demanderesse, le ministère des Approvisionne-
ments et Services et ses mandataires ont enfreint les règles de la
justice naturelle, causant par là un préjudice, des dommages et
des débours à la demanderesse. Il y a eu manquement aux
règles de la justice naturelle notamment par:
a. Excès de pouvoir ou incompétence;
b. Exclusion de faits pertinents;
c. Abus d'un pouvoir discrétionnaire;
d. Non-respect de sa propre procédure dûment autorisée et
établie;
e. Recours à des principes erronés.
Au début de l'instruction, l'avocat de la deman-
deresse a modifié cet alinéa en remplaçant les
termes «justice naturelle», partout où ils apparais-
saient, par «équité procédurale». Les détails articu-
lés aux alinéas a, b, c et e ne sont pas particulière-
ment appropriés lorsqu'on les applique à un
organisme n'exerçant qu'une fonction administra
tive; ils s'appliquent plutôt à un organisme habilité
à agir judiciairement ou quasi judiciairement.
Certes, bien des règles de la justice naturelle
coïncident avec l'obligation d'équité, mais les faits
constatés excluent en l'espèce les quatre alinéas
mentionnés.
L'alinéa 15d peut cependant servir de fonde-
ment à une action délictuelle en dommages-inté-
rêts, je pense, mais les délits de cette nature sont
mal définis. Ceux que je connais consistent à infli-
ger un dommage par un abus délibéré d'autorité
publique. Un élément de mauvaise foi semble
nécessaire.
En l'espèce, ces éléments manquent complète-
ment. Les fonctionnaires du Ministère étaient de
bonne foi et ont agi raisonnablement.
D'ailleurs, il n'y a déni d'aucun droit pouvant
autoriser la demanderesse à invoquer les arrêts
Zamulinski v. The Queen et Greenway, exécuteur
de la succession Mancuso c. La Reine (précités).
En conséquence, aucune référence en évaluation
du montant des dommages n'est requise.
Tout au long de ce qui précède, j'ai employé le
terme «défenderesse» au féminin singulier. Lorsque
le contexte l'exige, c'est le cas pour les jugements
déclaratoires, il s'agit d'un «défendeur»: le ministre
des Approvisionnements et Services.
Lorsqu'il s'agit de la demande en dommages-
intérêts, l'emploi du terme «défenderesse» se réfère
à Sa Majesté la Reine.
Par les motifs qui précèdent, la demanderesse
est déboutée de ses conclusions à jugements décla-
ratoires et l'action est rejetée, les dépens allant aux
défendeurs si demandés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.