T-2411-82
Connie Davidson, détenue en la Prison des
femmes (requérante)
c.
Tribunal disciplinaire de la Prison des femmes et
sa présidente, de l'extérieur, dame Helen P. King
(intimés)
Division de première instance, juge Dubé—
Ottawa, 15 et 16 avril 1982.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Condamnation de la requérante par un tribunal disciplinaire,
pour trois accusations distinctes de voies de fait — Condam-
nation, prononcée par la présidente, à trente jours d'isolement
pour chaque chef, à purger consécutivement — L'art. 38(4)b)
du Règlement prévoit un isolement maximum de 30 jours —
Pouvoir de la présidente de condamner à des peines consécuti-
ves — Selon la requérante, aucune peine consécutive à moins
de disposition expresse de la législation — Mention de l'art.
649(1) du Code criminel selon lequel une sentence commence
au moment où elle est imposée, sauf disposition législative
différente — Infraction disciplinaire, non criminelle — Aucune
disposition de la Loi sur les pénitenciers ou du Règlement ne
porte que la sanction pour une infraction disciplinaire est
purgée à compter de son imposition — Sens manifeste de l'art.
38(4)b): trois infractions distinctes, trois peines consécutives —
Pouvoir d'appréciation du juge — Requête rejetée — Code
criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 645(4), 649(1) — Règle-
ment sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c.
1251, art. 38(4)b), 396).
Jurisprudence: arrêt appliqué: R. c. Blake [1962] 2 Q.B.
377. Distinction faite avec l'arrêt: R. c. Oakes (1977) 37
C.C.C. (2') 84.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Fergus O'Connor pour la requérante.
E. R. Sojonky pour les intimés.
PROCUREURS:
Correctional Law Project (Projet droits des
détenus) Faculté de droit, Université Queen's,
Kingston, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DuBÉ: Cette requête conclut à un bref
de certiorari pour casser les deux condamnations
de 30 jours chacune à l'isolement disciplinaire
imposées par la présidente d'un tribunal discipli-
naire à la requérante, à purger consécutivement à
une autre peine de 30 jours, motif pris de l'incom-
pétence de la présidente en matière de condamna-
tion à des peines consécutives.
La requérante est détenue à la Prison des
femmes de Kingston en Ontario. Le 15 février
1982, elle a été condamnée par un tribunal disci-
plinaire du pénitencier pour trois accusations dis-
tinctes de voies de fait, en infraction à l'alinéa 39b)
du Règlement sur le service des pénitenciers,
C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1251. Ces voies de fait
furent perpétrées le même jour sur trois gardes
différents, de sexe féminin. Le 15 février, la prési-
dente l'a trouvée coupable des trois infractions et
l'a condamnée à 30 jours d'isolement pour chaque
chef, consécutivement, soit à un total de 90 jours
d'isolement.
L'avocat de la requérante soutient que les pou-
voirs de la présidente, fondés sur l'alinéa 38(4)b)
du Règlement sur le service des pénitenciers, ne
comportent pas celui de condamner à une peine
consécutive. Voici l'alinéa:
38....
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave
à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines
suivantes:
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une
période d'au plus trente jours;
Son avocat soutient que [TRADUCTION] «dans le
contexte du droit pénal» le pouvoir d'imposer des
peines consécutives découle uniquement de la
législation, soit le paragraphe 649(1) du Code
criminel du Canada, S.R.C. 1970, c. C-34, que
voici:
649. (1) Une sentence commence au moment où elle est
imposée, sauf lorsqu'un texte législatif pertinent y pourvoit de
façon différente.
Comme il n'existe aucune disposition dans la
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, ni
dans le Règlement sur le service des pénitenciers
prévoyant une condamnation à des peines consécu-
tives, cet avocat invite la Cour à appliquer à la Loi
et au Règlement qui portent atteinte aux libertés
des sujets de Sa Majesté, une interprétation qui
leur soit favorable. Il soutient que si un texte
législatif particulier est nécessaire en vertu du
Code criminel pour imposer des peines consécuti-
ves, a fortiori l'imposition de peines aussi sérieuses
que des temps d'isolement consécutifs ne devrait
avoir lieu que si la législation le prévoit expressé-
ment. L'avocat invoque un arrêt de la Cour d'ap-
pel d'Ontario, Regina c. Oakes (1977) 37 C.C.C.
(2 e ) 84, où le juge d'appel Martin a statué comme
suit [à la page 88]:
[TRADUCTION] Je serais porté à croire toutefois que le
pouvoir d'un tribunal canadien d'imposer une peine consécutive
dans le cas d'une infraction criminelle doit être recherché dans
la législation fédérale en vigueur.
Malheureusement pour la requérante, l'analogie
avec le Code criminel ne saurait lui venir vraiment
en aide. Le paragraphe 649(1) précité est précédé
du paragraphe 645(4), lequel autorise la Cour à
ordonner que les peines de prison de l'accusé, dans
certains cas, «soient purgées l'une après l'autre».
C'est là l'exception mentionnée au paragraphe
649(1). Comme on le souligne dans l'espèce
Regina c. Oakes, la règle habituelle est qu'une
peine de prison pour une infraction criminelle com
mence dès qu'elle est imposée et le pouvoir d'un
tribunal d'imposer une peine consécutive doit être
recherché dans la législation fédérale en vigueur.
Dans cette affaire, la Cour d'appel d'Ontario cons-
tata qu'aucun des cas énoncés au paragraphe
645(4) ne s'appliquait.
Nous n'avons pas affaire ici à une infraction
criminelle mais à une infraction disciplinaire; il
n'existe aucune disposition, que ce soit dans la Loi
sur les pénitenciers ou dans le Règlement sur le
service des pénitenciers, qui, comme dans le para-
graphe 649(1) du Code criminel, dise que la peine
en cas d'infraction disciplinaire doit être purgée
dès qu'elle est imposée. L'alinéa 38(4)b) du
Règlement sur le service des pénitenciers est clair:
«Le détenu qui commet une infraction ... grave à
la discipline est passible ... de l'interdiction de se
joindre aux autres pendant une période d'au plus
trente jours.» La requérante, ayant été condamnée
pour trois infractions disciplinaires distinctes peut
avoir à purger trois peines consécutives ne dépas-
sant pas 30 jours chacune.
Dans l'arrêt Regina c. Blake [1962] 2 Q.B. 377,
le requérant s'était reconnu coupable d'infractions
distinctes aux termes du Official Secrets Act,
1911, 1 & 2 Geo. 5, c. 28, et avait été condamné à
trois peines consécutives de 14 ans d'emprisonne-
ment chacune. Le requérant demanda l'autorisa-
tion d'en appeler au motif que, puisqu'une peine
maximum de 14 ans était prévue, une condamna-
tion à des peines consécutives de 14 ans chacune
équivalait à contourner le maximum prévu par la
Loi. La Cour débouta la demande statuant que,
lorsque chaque chef d'accusation comportait une
infraction séparée et distincte, et que la peine
maximum pour chaque infraction était de 14 ans,
il appartenait au juge d'apprécier si les peines
devaient être consécutives ou simultanées. La Cour
déclara (à la page 380):
[TRADUCTION] La réponse à cela c'est qu'il n'existe aucun
principe établi selon lequel un juge ne saurait condamner à des
peines consécutives pour plusieurs infractions dont la peine
maximum pour chacune est de 14 ans lorsque chaque infraction
imputée dans chaque chef est séparée et distincte.
A mon avis donc, aucun bref de certiorari ne
devrait être lancé en cassation des peines consécu-
tives. La requête est rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
La requête est rejetée avec dépens.
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