A-541-81
Capitaine Gordon L. Barker (requérant)
c.
L'Administration de pilotage du Pacifique, M.
Jean-Luc Pépin, ministre des Transports (inti-
més)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Pratte et
juge suppléant Verchere—Vancouver, 22, 23, 24 et
30 mars 1982.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Pilotage —
Suspension par l'Administration de pilotage du Pacifique du
brevet du requérant pour négligence dans l'exercice de ses
fonctions — Rejet par le ministre des Transports de la
demande de révision de la décision de l'Administration —
Demande de contrôle judiciaire de la décision ministérielle
Pilotage du navire dans une passe étroite, de nuit, la mer
n'étant pas étale — Objet immergé touché et avaries —
Constatation par le Ministre d'une absence de soin et d'atten-
tion de la part du requérant — En cause: la décision de
l'Administration et la décision du Ministre — Aucune preuve
qu'emprunter la passe de nuit était inhabituel — Un accident
antérieur dans la passe, impliquant le même pilote, n'entre pas
en ligne de compte pour établir la négligence — Assertion par
le Ministre que ces points étaient «particulièrement pertinents
à la question de la négligence», préjudiciable au requérant —
Demande accueillie — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), c. 10, art. 28 — Loi sur le pilotage, S.C. 1970-
71-72, c. 52, art. 12, 17(1),(3),(4), 18(2),(4),(5), 42e).
Demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre
des Transports qui rejetait une demande de révision d'une
décision de l'Administration de pilotage du Pacifique. Cette
dernière décision suspendait le brevet de pilote du requérant
pour une période de trente jours, pour négligence dans l'exer-
cice de ses fonctions. Le navire que pilotait le requérant a
heurté dans une passe étroite, de nuit et alors que la mer n'était
pas étale, un obstacle immergé et, d'après ce qui a été ultérieu-
rement constaté, a été avarié. Le Ministre, considérant les
preuves administrées, constata une absence de soin et d'atten-
tion de la part du requérant. Selon le Ministre, certains points
étaient particulièrement pertinents à la question de la négli-
gence: le requérant savait qu'il n'était pas recommandé d'em-
prunter la passe la nuit; ce n'était pas une pratique habituelle;
sa méthode de navigation, «à l'mil», était imprudente; et c'était
le second accident qui lui arrivait dans la passe. Il échet
d'examiner si l'Administration et le Ministre ont été impartiaux
ou s'il y avait motif de craindre le contraire; si les accusations
retenues contre le requérant lui ont été régulièrement commu
niquées ou non et si elles ont été modifiées; si l'Administration
et le Ministre ont fondé leur décision sur des constatations de
faits erronées; et si c'est à tort qu'ils n'ont pas appliqué le
principe de la preuve hors de tout doute raisonnable ni celui de
la prépondérance de la preuve.
Arrêt: la demande est accueillie et l'affaire renvoyée au
Ministre pour réexamen. La constatation du Ministre, qu'il
était inhabituel d'emprunter la passe de nuit, ne saurait être
retenue. Les preuves montrent que certains pilotes l'ont
empruntée de nuit. De plus, on ne peut tenir compte d'un
accident antérieur pour conclure à la négligence du requérant.
L'assertion par le Ministre que ces points étaient «particulière-
ment pertinents à la question de la négligence» a été très
préjudiciable au requérant. Par ces motifs, la décision est
réformée et renvoyée au Ministre pour réexamen. Les autres
moyens du requérant sont sans fondement. Il n'existe aucune
preuve de partialité ou de crainte raisonnable de partialité. De
même, il n'y a pas de fondement à l'affirmation que les motifs
de la suspension n'ont pas été régulièrement communiqués ou
qu'ils ont été modifiés. Quant à la charge de la preuve, c'est au
requérant qu'il appartenait de convaincre l'Administration ou
le Ministre que sa conduite n'avait pas été négligente. Il
n'appartenait pas à l'Administration de démontrer, au-delà de
tout doute raisonnable ou par prépondérance de la preuve, les
accusations retenues contre le requérant. Suffisamment de
preuves permettaient de constater que la méthode du requérant
de navigation «à l'ceil» était imprudente. L'affirmation que le
non-recours au radar avait rendu cette méthode de navigation
imprudente était une question de fait qu'il appartenait au
Ministre de trancher. Enfin, le Ministre disposait de preuves
pour conclure que le requérant savait qu'on déconseillait l'utili-
sation, de nuit, de la passe en question.
DEMANDE de contrôle judiciaire.
AVOCATS:
J. D. L. Morrison pour le requérant.
W. O'M. Forbes pour l'intimée l'Administra-
tion de pilotage du Pacifique.
Alan Louie pour l'intimé le ministre des
Transports.
PROCUREURS:
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour le
requérant.
Owen, Bird, Vancouver, pour l'intimée l'Ad-
ministration de pilotage du Pacifique.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé le ministre des Transports.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Il s'agit d'une
demande de contrôle, sur le fondement de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, d'une décision du ministre des
Transports rendue conformément au paragraphe
18(5) de la Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, c.
52. La décision ministérielle rejetait une demande
de révision d'une décision de l'Administration de
pilotage du Pacifique qui suspendait, pour une
période supplémentaire de trente jours, le brevet
de pilote du requérant, ayant jugé, après trois jours
d'audience, que le navire Delta America, que pilo-
tait le requérant à l'époque en cause
[TRADUCTION] ... a heurté un obstacle immergé dans la passe
Porlier et que le capitaine Barker s'est montré négligent dans
ses fonctions comme l'indique l'«Avis sur les mesures que
l'Administration compte prendre« en date du 17 octobre 1980:
a) De nuit, la mer n'étant pas étale, en dépit des avertissements
antérieurs qu'il n'était pas recommandé d'emprunter ce passage
hormis à l'étale et de jour;
b) A vitesse excessive; et
c) Sans tenir suffisamment compte d'un déjaugement à l'ar-
rière, accentué par la vitesse, du peu de fond et du danger de
toucher des écueils immergés.
L'Administration de pilotage du Pacifique est
l'une de ces Administrations, constituées sur le
fondement de la Loi sur le pilotage, qui exercent,
à l'égard d'une région particulière définie, les pou-
voirs relatifs au pilotage que leur attribue la Loi.
L'article 12 porte:
12. Une Administration a pour objets d'établir, de faire
fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la
navigation, un service de pilotage efficace dans la région indi-
quée dans l'annexe en ce qui concerne cette Administration.
Le paragraphe 17(1) confère au président d'une
Administration de pilotage le pouvoir de suspendre
un brevet de pilote pour quinze jours au maximum
«lorsqu'il a des raisons de croire que le pilote
breveté . .. a été négligent dans ses fonctions». Le
paragraphe 17(3) oblige le président qui suspend
un brevet à faire rapport à l'Administration qui a,
en vertu du paragraphe 17(4), le pouvoir de confir-
mer ou d'annuler la suspension. Le même paragra-
phe confère aussi à l'Administration le pouvoir de
suspendre le brevet pour une période supplémen-
taire d'au plus un an pourvu, condition nécessaire,
qu'avant le terme de la suspension prononcée par
le président, elle notifie le pilote breveté par écrit
de la mesure et des motifs qu'elle a de la prendre.
Le paragraphe 18(2) oblige alors l'Administration
à fournir au pilote breveté une possibilité raisonna-
ble de se faire entendre avant de prendre la
mesure. Le paragraphe 18(4) confère à l'Adminis-
tration qui tient une telle audience les pouvoirs que
la Partie I de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970,
c. I-13, attribue à un commissaire. Le gouverneur
en conseil, sur le fondement de l'alinéa 42e) de la
Loi, a réglementé la procédure à suivre lors de
telles audiences.
C'est en vertu de ces dispositions légales que la
seconde suspension, de trente jours, a été imposée.
L'incident de la passe Porlier s'est produit le 20
décembre 1979. Le 6 octobre 1980, le président
suspendait, conformément à ses pouvoirs, le brevet
du requérant pour quinze jours et, le 16 octobre
1980, l'Administration notifiait au requérant son
intention d'ordonner une suspension additionnelle
de soixante jours pour des motifs libellés, à toutes
fins pratiques, dans les mêmes termes que ceux
déjà cités de la décision. L'audience qu'avait
demandée le requérant eut lieu les 18, 19 et 20
décembre 1980 et la décision de l'Administration,
qui imposait une suspension additionnelle de trente
jours plutôt que de soixante, fut prononcée le 30
décembre 1980.
Le requérant s'adressa alors au Ministre sur le
fondement du paragraphe 18(5) demandant la
révision de la décision, ce qui donna la décision
ministérielle entreprise en l'espèce.
Le paragraphe 18(5) dispose que « ... le titu-
laire d'un tel brevet ... qui est suspendu ... en
application des articles . .. 17 ... peut, après
qu'une audience a été tenue par une Administra
tion ... demander au Ministre de reviser la déci-
sion de l'Administration; lorsque, après examen de
la demande et de toute documentation présentée
avec celle-ci, le Ministre est d'avis que . le
brevet ... n'aurait pas dû être suspendu ... il peut
ordonner à l'Administration ... d'annuler la sus
pension ... ou ... de réduire la période de suspen
sion, en imposant, le cas échéant, les conditions
relatives au brevet ... qu'il estime appropriées.»
Lorsqu'il demanda la révision, le requérant solli-
cita une audience du Ministre mais elle lui fut
refusée. Par la suite, suivant la procédure qu'avait
prescrite le Ministre, le requérant déposa un
mémoire de 78 pages, auxquelles répondit un
mémoire de 13 pages de l'Administration; le
requérant y répliqua par un mémoire additionnel
de quelque 15 pages. Le Ministre fut aussi saisi
des pièces produites et d'une transcription des
témoignages donnés à l'audience devant la Com
mission de l'Administration de pilotage du Pacifi-
que. La décision ministérielle, après avoir décrit
l'instance et résumé les positions respectives des
parties poursuit:
[TRADUCTION] Prenant en compte tous les moyens qu'on
m'a fait valoir, je suis d'avis que ce qui est en cause ce n'est pas
de savoir si le «DELTA AMERICA) a touché un écueil, une bille
ou quelque autre objet immergé non identifié au cours de la
nuit du 20 décembre 1979. Au contraire, l'incident de la passe
Porlier, dont la conséquence a été la découverte d'avaries au
«DELTA AMERICA» n'a servi qu'à mettre en lumière les circons-
tances dans lesquelles le capitaine Barker s'est engagé dans la
passe. La cause exacte de l'avarie du «DELTA AMERICA» n'a pas
été déterminée avec certitude mais cela n'est pas nécessaire
pour résoudre la question que soulève l'incident. Cette question,
c'est de savoir si les faits qui ont été démontrés relativement à
la manière dont le capitaine Barker s'est engagé dans la passe
constituent de la négligence.
L'avocat de l'appelant et celui de l'Administration de pilo-
tage du Pacifique ont administré de nombreuses preuves sur de
nombreux points de pertinence variable. La Commission de
l'Administration de pilotage du Pacifique était libre de les
jauger, de les accepter ou de les rejeter selon qu'elle le jugeait
bon. Je ne constate aucune preuve de partialité de sa part.
Je suis d'avis que les points suivants sont particulièrement
pertinents à la question de la négligence:
1. Le capitaine Barker savait qu'il n'était pas recommandé
d'emprunter la passe Porlier la nuit, ce qui n'était pas une
pratique habituelle.
2. Les instructions nautiques du Service hydrographique cana-
dien recommandent pour la passe Porlier trois conditions de
passage: un bâtiment maître de sa manoeuvre, une mer étale, et
une navigation à la carte. L'Administration de pilotage du
Pacifique avait recommandé au capitaine Barker de n'emprun-
ter la passe qu'à l'étale. Le 20 décembre 1979, la passe Porlier
fut empruntée à un moment qui n'était nullement celui de
l'étale.
3. Vu l'étroitesse de la passe, le manque de fond, la présence de
courants, la possibilité de déjaugement et la nécessité d'obser-
ver la carte soigneusement, un passage à toute vitesse était
imprudent et déraisonnable.
4. La méthode de navigation du capitaine Barker, «à ]'oeil»,
alors que les aides à la navigation et les instructions nautiques
lui auraient permis de mieux établir sa position, était impru-
dente si l'on prend en compte que les amers visuels sont d'utilité
restreinte la nuit.
5. C'était le second accident qui arrivait au capitaine Barker
dans la passe Porlier.
6. La protection de l'environnement et la sécurité des navires
exigent de naviguer prudemment et d'éviter tout risque non
nécessaire.
7. Aucune urgence ni nécessité ne poussait à emprunter la passe
Porlier la nuit du 20 décembre 1979; on aurait pu emprunter
d'autres passes plus sûres sans grande perte de temps ni
d'argent.
Considérant ces points, la documentation écrite fournie et les
témoignages donnés, je constate une absence de soin et d'atten-
tion de la part de l'appelant. Les arguments qu'on a soulevés au
nom de l'appelant ne sont pas des circonstances atténuantes, à
mon avis, pour la négligence dont il est constaté qu'il a fait
preuve; en conséquence, l'appel doit être rejeté.
Dans son mémoire et à l'instruction devant la
Cour, l'avocat du requérant a cherché à étendre la
portée de la demande selon l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale de façon à contester non
seulement la décision ministérielle mais aussi celle
de l'Administration, demandant qu'elles soient
toutes deux réformées. Comme la seule demande
dont la Cour soit saisie est celle où l'on conclut au
contrôle de la décision ministérielle, la contestation
de la décision de l'Administration ne peut être
instruite et les moyens qu'on a fait valoir à cet
égard ne sauraient être pris en compte si ce n'est
dans la mesure où ils peuvent concerner la décision
ministérielle entreprise.
En bref, voici les moyens invoqués pour contes-
ter les deux décisions:
A. Les principes de la justice naturelle n'au-
raient pas été observés:
a) la Commission de l'Administration de
pilotage du Pacifique, soit n'était pas
impartiale, soit laissait suffisamment
craindre qu'elle ne le soit pas,
b) le Ministre, soit n'a pas été impartial,
soit a laissé suffisamment craindre ne
pas l'avoir été,
c) les accusations retenues contre le requé-
rant ne lui ont jamais été régulièrement
communiquées et ont été modifiées de
moment en moment de façon à permet-
tre une décision qui lui soit défavorable.
B. L'Administration et le Ministre ont fondé
leur décision sur des constatations de faits
erronées, faites sans tenir compte des pièces
dont ils étaient saisis, et
C. C'est à tort en droit que l'Administration et
le Ministre, en considérant les preuves admi-
nistrées, n'ont pas appliqué, quant à leur
mode, le principe de la preuve hors de tout
doute raisonnable ni même celui de la
prépondérance.
Quant aux points A et C, la Cour est d'avis,
après audition de la longue plaidoirie de l'avocat
du requérant, que les moyens invoqués sont sans
fondement; aussi n'a-t-elle pas jugé bon d'inviter
l'avocat de l'Administration ou celui du Ministre à
y répliquer. Il n'existe aucune preuve de partialité,
ou de crainte raisonnable de partialité, de la part
de l'Administration, comme de sa Commission, ou
du Ministre, qui puisse raisonnablement être
déduite.
De plus, il n'existe aucune base permettant de
dire que les motifs de la suspension n'ont pas été
régulièrement communiqués au requérant ou qu'ils
ont été modifiés. Le requérant a peut-être présumé
et fondé sa défense sur l'impression que la seule
question en cause était de savoir si le Delta Ame-
rica avait touché l'écueil Romulus ou quelque
corps-mort mais, comme il est noté dans la déci-
sion du Ministre, l'Administration et le Ministre
n'avaient pas seulement à décider de la cause du
dommage mais de la question plus large de la
négligence dont aurait pu faire preuve le requé-
rant, compte tenu du contenu de l'avis qui lui avait
été donné, dans l'exécution de ses fonctions, soit le
pilotage du bâtiment. D'ailleurs, s'il y avait quel-
que mode rigoureux de preuve à exiger dans une
instance devant l'Administration ou le Ministre,
d'après les dispositions particulières et somme
toute inhabituelles de cette loi, c'est le requérant
qui aurait la charge de convaincre l'Administra-
tion ou le Ministre, le cas échéant, que sa conduite,
lors du pilotage du navire, n'avait pas été négli-
gente, dans aucun des aspects qu'énonce l'avis. Il
ne s'agit pas ici d'une accusation retenue contre
lui, qu'il appartiendrait à l'Administration de
démontrer, soit au-delà de tout doute raisonnable,
soit par prépondérance de preuve. Il s'agit de
fournir au titulaire d'un brevet, avant de le sanc-
tionner, la possibilité de se faire entendre au sujet
des fautes qu'il aurait commises dans l'exécution
de ses fonctions de pilote, lesquelles auraient été
mises en lumière au cours de l'enquête sur les
avaries subies par le navire qu'il pilotait.
Sous le point B, le requérant conteste non seule-
ment les constatations de l'Administration mais
aussi chacun des points énumérés dans les paragra-
phes que j'ai cités de la décision ministérielle, le
paragraphe 2, dont la contestation a été abandon-
née, excepté. Quant à la plupart de ces points de
contestation, la Cour a été d'avis qu'ils étaient sans
fondement et, à l'exception des paragraphes numé-
rotés 1, 4 et 5, n'a pas invité l'avocat du Ministre
ou de l'Administration à y répliquer.
Pour ce qui est des constatations du paragraphe
numéroté 4 de la décision ministérielle, à mon avis,
suffisamment de preuves autorisaient le Ministre à
conclure, comme il l'a fait, que la méthode du
capitaine Barker de naviguer «à l'oeil», alors que les
aides à la navigation et les instructions nautiques
l'auraient aidé à déterminer sa position, était
imprudente. Le bâtiment avait été engagé à une
vitesse considérable dans une passe, large il est vrai
de 0.4 mille, mais dont le chenal navigable était
étroit et où la marée produisait un courant. Il n'a
fait aucun usage réel du radar pourtant à sa
disposition; il lui aurait indiqué sa position précise
au moment d'approcher la passe, de s'y engager et
de la franchir. Que, dans ce cas, le fait de ne pas
avoir eu recours au radar ait rendu cette méthode
de naviguer imprudente n'est pas une question de
droit mais de fait qu'il appartenait au Ministre de
décider.
Je suis aussi convaincu, quant au paragraphe 1,
que la lettre qu'a écrite l'Administration au requé-
rant, le 22 janvier 1974, constituait une preuve
permettant au Ministre de conclure, comme il l'a
fait, que le requérant savait qu'on ne recomman-
dait pas d'emprunter la passe Porlier de nuit. La
lettre portait à la connaissance du requérant que
les représentants des pilotes avaient recommandé à
leurs membres, recommandation qu'endossait
l'Administration, d'emprunter divers chenaux
étroits de la région pour un passage sûr, la passe
Porlier n'y étant pas mentionnée. Les membres de
l'Administration en avaient donc conclu que la
majorité des pilotes ne recommandait pas d'em-
prunter la passe Porlier; si d'aventure on s'y enga-
geait, ce devrait être de jour, à mer étale. La
mesure dans laquelle cette opinion peut avoir reçu
l'appui des pilotes qui ont eu à choisir entre la
passe Porlier et d'autres routes n'est pas en cause.
Ce qui est en cause, et est évident, c'est qu'il n'y
avait eu aucune recommandation des représentants
des pilotes, comme de l'Administration, de l'em-
prunter de nuit.
La lettre toutefois, à mon avis, n'établit pas que
ce «n'était pas une pratique habituelle» que d'em-
prunter la passe Porlier de nuit et, à mon avis, le
dossier ne recèle aucune preuve qui justifie une
telle conclusion. La seule preuve à ce sujet est en
sens contraire. Le requérant a déclaré dans son
témoignage l'avoir empruntée de nuit à quatre
occasions sur cinq en 1980. Dans son témoignage,
le capitaine Home, président de la British Colum-
bia Coast Pilots Limited, dit:
[TRADUCTION] Q. Capitaine Horne, pouvez-vous nous dire
si des pilotes autre que le capitaine Barker, ont emprunté
la passe Porlier dans l'exercice général de leurs fonctions?
R. Oui.
Q. Et parmi ces pilotes certains ont-ils emprunté la passe
Porlier de nuit?
R. Oui.
Q. Comment savez-vous cela, monsieur?
R. Et bien, j'ai vérifié les fiches sources.
Je suis en conséquence d'avis que la constatation
du Ministre, qu'il était inhabituel d'emprunter la
passe Porlier de nuit, ne repose pas sur la preuve et
qu'elle ne saurait être retenue.
Je suis aussi d'avis, malgré les arguments des
avocats du Ministre et de l'Administration, qu'en
cherchant à déterminer si le requérant a été négli-
gent dans l'exercice de ses fonctions à cette occa
sion, le fait qu'il ait eu un premier accident dans la
passe Porlier est sans pertinence et le demeure en
dépit du fait que cet accident antérieur se soit
aussi produit de nuit alors que la mer n'était pas
étale. Certes, un accident antérieur dans la passe
Porlier aurait pu être pris en compte lorsqu'il se
serait agi de déterminer, la négligence une fois
établie, la durée de la suspension. Un accident
antérieur, à mon avis, n'a pas à être pris en compte
cependant lorsqu'on conclut à la négligence du
requérant lors de l'incident en cause.
Il n'est pas inconcevable que la constatation
qu'il n'est pas de pratique habituelle d'emprunter
la passe Porlier de nuit n'ait eu que peu d'impor-
tance comme fondement de la décision ministé-
rielle. Néanmoins, cela fait partie des points que la
décision décrit comme «particulièrement pertinents
à la question de la négligence». Il en va de même
pour le point où l'on dit que c'était le second
accident du requérant dans la passe Porlier. Dire
cela, me semble-t-il, loin d'être de peu d'impor-
tance, peut au contraire être fort préjudiciable au
requérant. Je réformerais donc la décision et ren-
verrais l'affaire au Ministre pour qu'il la réexa-
mine et statue en prenant en compte (1) qu'il n'est
pas établi qu'il était inhabituel d'emprunter la
passe Porlier de nuit, et (2) que le fait que l'inci-
dent en cause soit le second accident qu'ait subi le
requérant dans la passe Porlier n'est pas pertinent
et ne devrait pas être pris en compte lorsqu'il s'agit
de décider si le requérant a été ou non négligent
dans l'exécution de sa fonction cette nuit-là.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à cet avis.
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: J'y souscris
aussi.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.