T-500-82
Walter Kuhr, et Walter Kuhr, Charles R. Hart,
Robert Allen et Walter Kuhr, fils, associés sous la
raison sociale Dona Genoveva Partnership, et
ladite Dona Genoveva Partnership (demandeurs)
c.
Le navire Friedrich Busse et Hochseefischerei
Nordstern A.G. (défendeurs)
Division de première instance, juge Addy—Van-
couver, 8 et 17 février 1982.
Droit maritime — Compétence — Les demandeurs doivent,
par contrat, fournir du poisson en mer au navire défendeur
obligé de demeurer sur certains champs de pêche spécifiés
pour recevoir livraison des prises et les payer — Inexécution
du contrat selon les demandeurs — Conclusion des défende-
resses à la radiation de la déclaration et au rejet de l'action
pour incompétence ou pour motif qu'une juridiction cana-
dienne constitue un forum non conveniens — Selon les défen-
deurs, il n'y a pas d'action réelle contre le navire puisque rien
dans la déclaration n'est allégué contre le propriétaire et qu'il
n'y a donc pas d'action personnelle — La Division de première
instance est-elle compétente aux termes de l'art. 22(2) de la
Loi sur la Cour fédérale en matière de demande née d'un
contrat de fourniture de poissons? — Le litige est-il de la
compétence de la Division de première instance en matière de
droit maritime canadien en vertu de l'art. 22(1) de la Loi sur la
Cour fédérale? — La Cour fédérale est-elle un forum conve-
niens? — Requête rejetée — La fourniture de poissons est
indispensable à l'exploitation du navire — Matière de nature
essentiellement maritime — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22(1),(2):),m).
Les propriétaires du navire défendeur, un navire-usine trai-
tant le poisson, demandent la radiation de la déclaration et le
rejet de l'action. Les demandeurs soutiennent que les défen-
deurs n'ont pas observé le contrat par lequel les demandeurs se
sont engagés à remettre leurs prises en mer au navire défen-
deur, ce dernier devant demeurer sur certains champs de pêche
spécifiés, prendre livraison des prises des demandeurs et en
verser le prix. Les propriétaires défendeurs soutiennent que la
Cour n'est pas compétente pour connaître de la demande pour
trois raisons: (1) on ne peut engager une action réelle contre le
navire parce que rien dans la déclaration n'est spécifiquement
articulé contre le propriétaire du navire en sa qualité de pro-
priétaire et qu'en conséquence aucune action personnelle ne
peut être intentée contre lui; (2) la fourniture de poissons sur la
base d'un contrat ne tombe pas sous l'emprise de l'alinéa
22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale qui confère à la Division
de première instance compétence en matière de toute demande
née d'une convention relative à l'utilisation d'un navire, ni sous
celle de l'alinéa 22(2)m) qui lui confère compétence en matière
de fourniture à un navire des marchandises nécessaires à son
exploitation; et (3) la matière du litige n'est pas de la compé-
tence générale en matière maritime attribuée à la Cour fédérale
par l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale. Les défendeurs
soutiennent aussi qu'une juridiction canadienne est en l'espèce
un forum non conveniens.
Arrêt: la requête est rejetée. Selon la déclaration, la société
défenderesse doit certaines sommes et des dommages-intérêts.
Les propriétaires peuvent être reconnus débiteurs de cette
créance puisqu'ils ont signé le contrat et doivent en tirer profit.
Lorsque le propriétaire s'engage à ce que son navire soit présent
dans un certain secteur à une époque donnée et à ce qu'il
effectue certaines tâches, en l'espèce prendre livraison et verser
le prix des prises des demandeurs, il est, en droit, responsable
de l'exécution de ce contrat. La fourniture de poissons à un
navire ne saurait être considérée comme une convention relative
à l'utilisation d'un navire au sens de l'alinéa 22(2)i). L'utilisa-
tion dont il s'agit c'est l'utilisation que fait d'un navire un tiers
autre que le propriétaire. L'alinéa 22(2)m) doit nécessairement
inclure la fourniture des approvisionnements nécessaires sans y
être limité. En d'autres termes, la fourniture de marchandises
peut ne pas être nécessaire à l'exploitation du navire mais
seulement complémentaire ou accessoire, tant qu'elle concourt,
ou est destinée à concourir, à l'exploitation du navire. En
l'espèce, la livraison du poisson est absolument essentielle au
navire exploité pour ce qui est sa raison d'être, en l'occurrence,
la pêche. Quant au troisième point, le contrat traite du trans-
bordement effectif de marchandises et de leur livraison en
haute mer d'un navire à l'autre. Ces marchandises doivent
provenir d'un secteur marin précis et les parties contractantes
sont convenues que leurs navires doivent procéder aux opéra-
tions prévues et à l'exécution des stipulations du contrat dans ce
secteur spécifié. Il est difficile de concevoir un cas, un contrat,
qui ait un caractère plus maritime. La Cour d'amirauté d'An-
gleterre, de laquelle la Cour fédérale tient sa compétence en
matière maritime, se serait assurément présumée compétente.
Compte tenu de la décision Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le
navire «Juzan Marw. [1974] 2 C.F. 488, qui applique le critère
de l'essence véritable du contrat à la lumière de tous les faits et
du cas d'espèce, et de la décision Underwater Gas Developers
Ltd. c. Ontario Labour Relations Board [1960] O.R. 416, qui
applique celui des caractéristiques et objets dominants, il est
clair que le caractère maritime prédomine et qu'il s'agit d'une
matière de droit maritime canadien comme le prévoit le para-
graphe 22(1). Quant à la question du forum non conveniens, le
navire a été saisi à Vancouver alors qu'on y effectuait des
réparations qui n'avaient rien à voir avec l'exécution du contrat.
Les demandeurs sont américains; la société défenderesse est
allemande; le navire a été immatriculé en Allemagne; le contrat
a été conclu dans ce dernier pays et devait être exécuté hors de
notre juridiction; paiement a été offert et accepté en monnaie
américaine. Toutefois, comme l'indique l'arrêt Antares Ship
ping Corporation c. Le Navire «Capricorn» [1977] 2 R.C.S.
422, la considération primordiale doit être l'existence d'un
autre tribunal plus approprié à la réalisation des fins de la
justice; il s'ensuit que d'autres facteurs ont un impact direct sur
le litige. Une inspection a révélé qu'en toute probabilité le
navire sous-rapportait les quantités de prises et que le contenu
de certains blocs de poissons avait été faussement marqué. Le
navire aurait quitté les eaux de pêche américaines dans le but
de se débarrasser des prises et d'échapper aux poursuites. Les
demandeurs soutiennent que ces actions constituent une inexé-
cution du contrat de la part des défendeurs. Compte tenu de la
conduite frauduleuse reprochée aux défendeurs et de la crainte
que la levée de la saisie du navire, en l'absence de toute sûreté
appropriée, ait pour résultat la perte de toute possibilité d'in-
demnisation, la Cour constitue le tribunal le plus à même de
servir les fins de la justice.
Jurisprudence: décision suivie: Western Nova Scotia Bait
Freezers Limited c. Le navire «Shamrock» [1939] R.C.É.
53. Décisions appliquées: Sumitomo Shoji Canada Ltd. c.
Le navire «Juzan Maru» [1974] 2 C.F. 488; Underwater
Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board
[1960] O.R. 416; Antares Shipping Corporation c. Le
Navire «Capricorn» [1977] 2 R.C.S. 422. Distinction faite
avec les décisions: Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire
«Armar» [1973] C.F. 1232; Elesguro Inc. c. Ssangyong
Shipping Co. Ltd. [1981] 2 C.F. 326; Marazura Navega-
cion S.A. c. Oceanus Mutual Underwriting Association
(Bermuda) Ltd. [1977] 1 Lloyd's Rep. 283 (Q.B.
(Com.Ct.)).
REQUÊTE.
AVOCATS:
John R. Cunningham pour les demandeurs.
D. G. Rae pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Macrae, Montgomery & Cunningham, Van-
couver, pour les demandeurs.
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour les
défendeurs.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: Le navire défendeur a été saisi
à Vancouver à l'instigation des demandeurs au
moment de la production de la déclaration en cette
action. Par suite de l'autorisation donnée de com-
paraître sous condition, la présente demande a été
faite au nom des propriétaires du navire défendeur;
elle conclut à une fin de non-recevoir de la déclara-
tion en cause et au rejet de l'action au motif
d'incompétence ou, subsidiairement, au motif
qu'une juridiction canadienne constituerait un
forum non conveniens.
Le Friedrich Busse, immatriculé en Allemagne,
est un navire-usine traitant le poisson et les
demandeurs, propriétaires du Dona Genoveva, qui
pêchaient au large de l'Alaska et des îles Aléou-
tiennes, remettaient leurs prises au Friedrich
Busse pour qu'il les traite en mer conformément à
un contrat conclu et signé en Allemagne entre la
société défenderesse et un représentant des deman-
deurs. Dans ce contrat (au par. 2), la société
défenderesse se présente comme propriétaire du
Friedrich Busse. Il semble finalement, d'après la
déposition sous serment qu'administra en preuve le
requérant, que le navire aurait appartenu, et
appartiendrait, en fait à une filiale appartenant
elle-même entièrement à la défenderesse, la Ree-
derei Friedrich Busse Hochseefischerei Nordstern
A.G. & Co. Kommanditgesellschaft.
Vu la similarité des noms, que les propriétaires
véritables sont une filiale de la société défenderesse
et que cette dernière est considérée elle-même
comme propriétaire, je n'accorde aucune impor
tance au fait que le contrat ne soit pas au nom du
propriétaire réel. Je présume en cet état de la
cause, pour les fins de la présente requête, en
l'absence de preuve contraire, que le contrat a été
conclu au nom des propriétaires véritables, qu'ils le
savaient parfaitement et y consentaient.
Le premier moyen invoqué, que la Cour est
incompétente pour connaître de la demande, com-
porte trois volets.
Le premier serait qu'on ne pourrait engager une
action réelle contre le navire parce qu'il n'existe-
rait aucune action personnelle contre le proprié-
taire du navire. L'avocat du requérant fait valoir,
au soutien de cet argument, que rien dans la
déclaration n'est articulé contre le propriétaire du
navire en tant que propriétaire et qu'aucune
créance dont le propriétaire serait débiteur ne
serait reconnue en droit si elle était articulée. Le
requérant invoque l'arrêt Westcan Stevedoring
Ltd. c. Le navire «Armar» [1973] C.F. 1232. Je
souscris entièrement au principe qu'approuva, le
faisant sien, le juge Collier dans cette espèce: une
créance réelle contre un navire dépend de l'exis-
tence d'une dette de son propriétaire indépendam-
ment de la législation et le Parlement n'avait pas
l'intention, en attribuant à la Cour fédérale com-
pétence en matière maritime, de modifier ce prin-
cipe. Dans cette dernière espèce toutefois, il
importe de se rappeler que, contrairement à l'es-
pèce en cause, il avait été reconnu que les proprié-
taires n'étaient nullement débiteurs. C'est ce que
fait ressortir fort clairement le juge Collier à la
page 1234 du recueil précité:
Lutz a de bonne foi reconnu qu'il n'avait jamais discuté avec
les propriétaires du navire ou son capitaine de cette question
d'aconage. Il a déclaré que sa compagnie ne s'est pas fondée sur
le crédit du navire ou de ses propriétaires, mais qu'elle a fourni
ses services au vu du crédit des affréteurs ou de leurs sous-
agents. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce en cause, la déclaration articule que
la société défenderesse doit le montant des prises
fournies au navire et des dommages-intérêts parce
que le navire n'est pas demeuré dans les eaux de
pêche de la mer de Bering ni sur les champs de
pêche des îles Aléoutiennes et du golfe d'Alaska.
Les propriétaires à ce titre pourraient être recon-
nus débiteurs de cette créance puisqu'ils ont signé
le contrat (ou, pour les raisons précitées, pour les
fins de la présente requête, doivent être considérés
comme l'ayant signé) et qu'ils en profiteront. Lors-
que le propriétaire s'engage à ce que son navire
soit présent dans un certain secteur à une certaine
époque et à ce qu'il effectue certaines tâches, en
l'espèce prendre livraison et verser le prix des
prises des demandeurs, il est, en droit, de toute
évidence responsable de l'exécution de ce contrat.
Le premier argument du requérant donc ne saurait
être retenu.
Le second consiste à dire qu'aucune action ne
saurait être accueillie contre le navire de toute
façon car la fourniture de poissons sur le fonde-
ment d'un contrat ne tombe pas sous l'emprise des
divers alinéas du paragraphe 22(2) de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, plus
particulièrement des alinéas i) et m) qu'invoquent
les demandeurs. Ce moyen est en fait relié à un
troisième selon lequel, en outre, la matière du
litige ne serait pas de toute façon de la compétence
générale en matière maritime attribuée à notre
juridiction par le paragraphe 22(1). Je traiterai ces
deux moyens comme un seul.
Voici les portions pertinentes de l'article 22:
22. (1) La Division de première instance a compétence
concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement est
faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du
Canada en matière de navigation ou de marine marchande,
sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait
l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il
est déclaré pour plus de certitude que la Division de première
instance a compétence relativement à toute demande ou à tout
litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
i) toute demande née d'une convention relative au transport
de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au
louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
m) toute demande relative à des marchandises, fournitures
ou services fournis à un navire, où que ce soit, pour son
exploitation ou son entretien, et notamment, sans restreindre
la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à
l'aconage ou gabarage;
J'admets qu'un contrat de fourniture de poissons
à un navire ne saurait être considéré, simplement
du fait que le navire traite du poisson et utilise le
poisson fourni, comme une «convention relative
... à l'utilisation .. . d'un navire» aux termes de
l'alinéa i). Il est clair que dans ce contexte, l'em-
ploi du terme «utilisation» vise l'utilisation que fait
d'un navire un tiers autre que le propriétaire: une
convention pour son usage de même qu'un contrat
de nolisement ordinaire seraient ejusdem generis.
Toutefois, la question de savoir si l'alinéa m)
s'applique n'est pas aussi claire. Il se peut fort bien
que le terme «exploitation» de cet alinéa vise non
seulement le fait pour ce navire de naviguer mais
aussi l'exploitation générale de toutes ces fonctions
comme celle de recevoir livraison de poissons en
haute mer et de les traiter même lorsque ce traite-
ment consiste en la même opération que celle
qu'effectue une usine de traitement de poissons à
terre.
Nulle part dans l'énumération du paragraphe
(2) de l'article 22 ne mentionne-t-on les contrats
de fourniture d'équipement nécessaire au navire.
Ces créances ont longtemps été reconnues comme
relevant du droit maritime canadien ainsi que de la
compétence de l'ancienne Cour de l'Échiquier du
Canada et donc, aujourd'hui, de la Cour fédérale
du Canada.
L'espèce Western Nova Scotia Bait Freezers
Limited c. Le navire «Shamrock» [1939] R.C.É.
53, une décision de la Cour de l'Échiquier, l'illus-
tre bien. Le navire en cause se livrait aussi à des
opérations de pêche. Le contrat concernait la four-
niture de bouette et de glace au navire pour lui
permettre de poursuivre sa pêche. On statua que la
bouette et la glace constituaient des fournitures
nécessaires compte tenu de la vocation du navire.
Le docte juge dit, aux pages 54 et 55 du recueil
précité:
[TRADUCTION] Deux défenses sont opposées à l'action: la
première, que les biens fournis n'étaient pas des «fournitures
nécessaires» au sens que donnent à ce terme les juridictions
d'amirauté; d'ailleurs, il n'y a aucune preuve que la bouette et
la glace aient été nécessaires au moment de la livraison. Le
bâtiment se livrait à des activités de pêche et la preuve adminis-
trée montre que la glace et la bouette sont essentielles à cette
industrie de la façon dont s'y livrait le Shamrock. Je pense
aussi, indépendamment de toute preuve des faits du cas d'es-
pèce, si l'on connaît l'activité à laquelle se livrait le navire, que
l'on doit en conclure que la bouette et la glace lui sont
nécessaires comme approvisionnements d'équipement 'nécessai-
res car la jurisprudence interprète ceux-ci comme atout ce qui
convient à l'activité auquelle le navire est destiné; tout ce que le
propriétaire du navire, en homme prudent, commanderait s'il
était présent à ce moment-là»: le juge en chef Abbott, dans
l'arrêt Webster c. Seekamp ((1821) 4 B. & E. Ald. 352; 106
E.R. 966).
Il me semble qu'on ne peut pas considérer des
activités de pêche comme de la navigation et du
transport maritime, comme l'exploitation d'un
navire en tant que navire, au sens étroit, pas plus
que l'obtention de la livraison de poissons en haute
mer par achat et traitement de ceux-ci. En l'es-
pèce, le navire a été conçu pour cette activité, à
laquelle il se livrait, et pour nulle autre. L'obten-
tion de poissons est absolument essentielle au
navire exploité pour cet objet dont c'est la raison
d'être. On ne saurait raisonnablement différencier
les faits des deux espèces. Je crois donc, en l'ab-
sence d'erreur de droit manifeste dans la décision
précitée, ou d'un changement subséquent du droit
depuis lors, que je dois suivre cette décision. Il n'y
a là, à mon avis, aucune erreur de droit et le seul
changement dans le droit opéré depuis lors a été
l'adoption de l'article 22 de la Loi sur la Cour
fédérale.
L'expression «fournitures nécessaires» ne se
retrouve pas dans l'énumération du paragraphe
22(2) de la Loi sur la Cour fédérale. En essence,
toutefois, elle serait couverte par le libellé de l'ali-
néa m) précité; si l'on devait chercher à distinguer
les deux notions, on ne pourrait que conclure que
le libellé de l'alinéa m) doit nécessairement inclure
la fourniture des approvisionnements nécessaires
sans y être limité. En d'autres mots, la fourniture
de marchandises, de matériaux ou de services peut
ne pas être nécessaire à l'exploitation mais seule-
ment complémentaire, accessoire, tant qu'elle con-
court, ou qu'on la destine à concourir, à l'exploita-
tion du navire. D'ailleurs, mise à part l'extension
apparente que l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la
Cour fédérale apporte à cette notion d'équipement
nécessaire du navire, nous constatons que l'inter-
prétation plutôt restrictive originale qui en avait
été faite a été considérablement élargie. Dans
l'Admiralty Jurisdiction and Practice of the High
Court of Justice de Roscoe (5 e édition), nous
trouvons ce qui suit, à la page 203:
[TRADUCTION] ... quoique désignant d'abord les réparations
indispensables, les ancres, câbles, voiles et approvisionnements,
le terme a acquis maintenant, de toute évidence, un sens plus
large que les exigences des temps modernes ont amplifié et
amplifient encore, graduellement, comme l'indique l'espèce The
Mecca où l'on a statué que le péage des canaux tombait sous
son emprise. On ne saurait distinguer entre l'équipement néces-
saire au navire et l'équipement nécessaire au voyage; tout ce qui
raisonnablement est nécessaire à l'activité particulière à
laquelle s'adonne le navire doit être compris dans cette
catégorie.
Ce qui est tout aussi important toutefois, c'est
de savoir si un contrat intervenu entre les proprié-
taires de deux navires, dont l'un doit fournir le
poisson en haute mer à l'autre, qui, lui, doit
demeurer sur certains champs de pêche spécifiés
pour y recevoir livraison du poisson et le payer,
tombe sous l'emprise des termes «droit maritime
canadien ou d'une autre loi du Canada en matière
de navigation ou de marine marchande» du para-
graphe 22(1).
Il est bien établi que la Cour fédérale du
Canada, comme la Cour de l'Échiquier du Canada
qui la précéda, outre toute compétence d'attribu-
tion qu'elle peut avoir en matière maritime ou
autrement, possède la compétence dont jouissait
formellement les juridictions d'amirauté d'Angle-
terre à l'époque où la Cour de l'Échiquier du
Canada acquit sa compétence en matière mari
time. Il est évident que les navires-usines n'exis-
taient pas et ne pouvaient exister à cette époque et
donc, qu'en fait, les cours d'amirauté anglaises
n'auraient pas pu exercer leur compétence. La
question qu'il faut donc se poser n'est pas de savoir
si effectivement elles ont exercé leur compétence
dans de tels cas mais si elles auraient été, en droit,
justifiées de le faire à l'époque si la question s'était
posée.
Ce contrat ne stipule pas une simple translation
de la propriété de certains biens mais traite aussi,
ce qui est plus essentiel, de leur transbordement
véritable et de leur délivrance en haute mer d'un
navire à l'autre. Ces biens doivent provenir d'une
aire de la mer dont les parties contractantes sont
convenues et leurs navires doivent être exploités là
et ils doivent exécuter les stipulations du contrat
dans cette aire spécifiée. Il est difficile de conce-
voir un cas, un contrat, qui ait un caractère plus
maritime. Je suis sûr que toute Cour d'amirauté
anglaise saisie des mêmes faits se serait assuré-
ment présumée compétente et fondée en droit à
statuer sur le litige opposant les parties.
Le requérant s'est aussi appuyé sur une autre
décision du juge Collier, soit l'espèce Sumitomo
Shoji Canada Ltd. c. Le navire «Juzan Maru»
[1974] 2 C.F. 488; 49 D.L.R. (3 e ) 277. Dans cette
espèce, la Cour déclina sa compétence manifeste-
ment parce que, à l'examen de l'essence véritable
du contrat, à la lumière de tous les faits et du cas
d'espèce, il apparaissait que les aspects maritimes
des arrangements d'affaires intervenus entre les
parties étaient minimes voire accidentels (voir p.
284 du recueil précité) [[1974] 2 C.F. aux pp. 496
et 497]; l'essence de l'arrangement n'était pas
maritime. Je souscris entièrement à ce principe et
au critère dit des caractéristiques et objets domi
nants appliqué dans l'espèce Underwater Gas
Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations
Board (1960) 24 D.L.R. (2 e ) 673; [1960] O.R.
416. Ce sont précisément ces critères qui, appli-
qués aux faits de l'espèce en cause, me convain-
quent que son caractère maritime prédomine.
Je juge donc, indépendamment de la question de
savoir si le contrat concerne la fourniture d'équipe-
ments nécessaires ou s'il relève de l'alinéa
22(2)m), que de toute façon il s'agit d'une matière
de droit maritime canadien comme le prévoit le
paragraphe 22(1).
J'en viens maintenant à la question du forum
non conveniens.
Le navire a été saisi à Vancouver alors qu'on y
effectuait des réparations et, en conséquence, notre
juridiction a compétence territoriale sur le bâti-
ment. La question du forum conveniens est, bien
entendu, une question totalement différente de
celle de la compétence; elle ne se pose que si la
Cour est compétente.
Les demandeurs sont américains; la société
défenderesse est allemande; le navire a été imma-
triculé en Allemagne; le contrat a été conclu là-bas
et devait être exécuté hors de notre juridiction;
paiement a été offert et accepté en monnaie améri-
caine et la réparation et l'entretien du navire, qui
l'ont amené dans un port canadien, et ont donc
permis sa saisie, n'ont rien à voir avec l'exécution
du contrat, fondement de l'action. Il semblerait à
première vue, à la lumière de ces faits, qu'une
juridiction canadienne ne constitue pas un forum
conveniens lorsque se pose la question d'instruire
l'actuel litige.
Il existe cependant d'autres facteurs ayant un
impact direct sur le litige. Bien que les opérations
du navire défendeur aient eu lieu dans une large
mesure à l'intérieur des limites de pêche américai-
nes de 200 milles, il ne pouvait y être saisi pour
une question de droit maritime à moins de se
trouver dans les 3 milles d'eaux territoriales de ces
limites, les 197 autres milles n'étant, entre autres
choses, qu'une zone de gestion de la pêche échap-
pant à la compétence territoriale générale des
États-Unis.
Alors que le contrat était en vigueur, à la suite
de rapports selon lesquels le navire défendeur
enfreignait son autorisation ou licence de pêche lui
permettant d'opérer dans la zone de gestion de
pêche américaine, des inspecteurs de l'Administra-
tion nationale des océans et de l'atmosphère du
département du Commerce des États-Unis montè-
rent à bord. D'après le rapport que prépara le
procureur du gouvernement américain, lequel
recommande de poursuivre le navire, l'inspection
révéla qu'en toute probabilité avaient été sous-rap-
portées entre 750 et 1,400 tonnes métriques de
morue et que sur 100 échantillons de poissons
prélevés dans les blocs étiquetés merlan, 94 étaient
en fait de la morue. En cas de condamnation sur
les accusations retenues, des amendes considéra-
bles pouvaient s'ensuivre: $2,500 par jour à comp-
ter du 13 janvier 1981, jusqu'au 13 avril 1981, jour
de l'inspection, et possibilité de saisie-exécution du
bâtiment. Le navire quitta les eaux américaines de
pêche le jour qui suivit l'inspection et apparem-
ment gagna Mexico soi-disant pour y faire des
réparations mais, d'après les demandeurs, dans le
but inavoué d'échapper aux poursuites et de se
débarrasser de sa pêche. Les demandeurs fondent
en partie leur demande sur cette inexécution du
contrat que constituerait ce départ des lieux de
pêche.
Le bâtiment aurait relâché à Dutch Harbour en
Alaska environ cinq fois depuis le début du litige
mais, apparemment, pendant des intervalles fort
courts uniquement. Les demandeurs auraient été
incapables de connaître à l'avance quand il allait
relâcher dans ce port et un commencement de
preuve établirait que Dutch Harbour est fort éloi-
gné de la Cour fédérale américaine d'Alaska et
qu'il est donc fort difficile à un huissier de s'y
rendre en temps utile pour procéder à la saisie d'un
navire qui ne fait que s'y ravitailler. Aucune
preuve n'existe que le navire réintégrera les eaux
territoriales américaines à nouveau quoiqu'il ait,
prétend-on, l'intention de regagner les champs de
pêche au large de la côte d'Alaska pour y poursui-
vre ses opérations habituelles une fois terminées les
réparations auxquelles on procède ici.
Il n'existe aucune preuve que les défendeurs
subiraient un préjudice s'il leur fallait fournir une
caution pour obtenir la levée du navire comme ce
fut le cas en l'espèce Marazura Navegacion S.A. c.
Oceanus Mutual Underwriting Association (Ber-
muda) Ltd. [1977] 1 Lloyd's Rep. 283 (Q.B.
(Com.Ct.) ).
De plus, comme le navire ne regagnera pas
l'Allemagne mais demeurera au large de la côte
occidentale de l'Amérique du Nord, c'est-à-dire
fort à proximité de notre juridiction, je ne puis
entrevoir aucune difficulté particulière pour les
défendeurs ni préjudice à leur égard du point de
vue de la preuve à administrer. En outre, l'agent
des défendeurs aux États-Unis ne se trouve qu'à
quelques milles, à Seattle, dans l'État de
Washington.
Les espèces Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le
navire «Juzan Maru» [précitée] et Elesguro Inc. c.
Ssangyong Shipping Co. Ltd. [1981] 2 C.F. 326;
117 D.L.R. (3 e ) 105, qu'ont citées les défendeurs
ne sont que de peu d'utilité et peuvent être diffé-
renciées. Ni dans l'une ni dans l'autre, les causes
de la demande ne portent sur le navire saisi.
L'arrêt de principe le plus récent régissant les
facteurs que doit prendre en compte le juge du
fond lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire en
matière de forum conveniens est l'arrêt de la Cour
suprême du Canada Antares Shipping Corpora
tion c. Le Navire «Capricorn» [1977] 2 R.C.S.
422. Dans cet arrêt, son auteur, le juge Ritchie, au
nom de la majorité de la Cour, a dit, à la page 448:
Plusieurs décisions décrivent sous différents aspects les divers
facteurs qui influent sur l'application de cette doctrine, et nous
en mentionnerons quelques-uns ci-dessous; parmi eux, on peut
citer les avantages réciproques pour toutes les parties intéres-
sées, y compris le demandeur, l'inopportunité d'empiéter sur la
juridiction d'un État étranger, l'inconvénient de juger une
affaire dans un pays lorsque la cause d'action a pris naissance
dans un autre, régi par des lois différentes, et ce qu'il en coûte
pour réunir des témoins étrangers.
Selon moi, cependant, la considération primordiale qui doit
guider la cour lorsqu'en exerçant son pouvoir discrétionnaire,
elle refuse d'accéder à une telle requête, doit être l'existence
d'un autre tribunal, plus commode et plus approprié à la
poursuite de l'action et à la réalisation des fins de la justice. Il
faut évidemment juger chaque cas selon les faits en cause ....
A la page 451 du même recueil, le juge cite aussi
le juge Megarry dans l'espèce G.A.F. Corporation
c. Amchem Products Inc. [1975] 1 Lloyd's Rep.
601 (C.A.), où il dit:
[TRADUCTION] Lorsque je prends en considération le forum
conveniens, je n'oublie pas que l'on a dit que l'expression ne
signifie pas le tribunal «commode», mais le tribunal «approprié»
ou le tribunal «qui répond le mieux aux fins de la justice». Voir
The Atlantic Star, 1973 2 All E.R. 175.
A la page 453, le juge Ritchie cite en l'approuvant
la remarque suivante de lord Sumner dans l'arrêt
La Société du Gaz de Paris c. La Société Ano-
nyme de Navigation Les Armateurs Francais
[1926] S.C. (C.L.) 13:
[TRADUCTION] Je crois qu'il faut envisager la question ainsi: la
Cour doit rechercher la meilleure façon d'établir et de servir les
fins de la justice en l'espèce, compte tenu des faits qui lui sont
présentés et en autant qu'elle puisse les évaluer à l'avance ...
Il faut lire dans l'expression «forum non conveniens» l'intention
de trouver le tribunal qui se prête davantage aux fins de la
justice et qui est le plus approprié parce que la poursuite du
procès devant lui offre le plus de chances d'atteindre ces fins.
Il approuve aussi le commentaire suivant de lord
Simon dans l'espèce The Atlantic Star [1973] 2
All E.R. 175 aux pages 197 et 198:
[TRADUCTION] Les navires se dérobent facilement. Le pouvoir
de les saisir dans n'importe quel port et d'intenter une action in
rem est de plus en plus nécessaire, compte tenu de la coutume
de la propriété unique des navires et l'usage des pavillons de
complaisance. Un grand pétrolier, naviguant avec négligence,
peut causer des dommages considérables aux plages ou à
d'autres navires; il évitera soigneusement les ports situés dans le
ressort d'un tribunal «compétent». Si la partie lésée parvient à le
saisir ailleurs, on opposera énergiquement (comme le font les
appelantes en l'espèce) que: «Le défendeur n'a aucun lien avec
le tribunal, si ce n'est qu'il a été saisi dans son ressort». Mais
souvent, ce sera la seule façon d'obtenir justice.
Le navire aurait-il été saisi dans les eaux améri-
caines ou une garantie aurait-elle été fournie à un
tribunal américain que l'instruction dans cette
juridiction aurait certainement été préférable.
Mais ce n'est pas le cas et, à la lumière de la
conduite frauduleuse qu'on impute aux défendeurs,
et que semble démontrer, jusqu'à un certain point,
la preuve administrée, à la lumière aussi de la peur
des demandeurs que la levée de la saisie en l'ab-
sence de toute sûreté appropriée aurait fort proba-
blement pour résultat la perte de toute possibilité
d'indemnisation, le fait que le navire a été saisi
dans notre juridiction acquiert une importance
accrue.
Comme il a été dit dans l'espèce The Atlantic
Star et dans bien d'autres affaires maritimes, un
navire, de par sa mobilité même, se dérobe; on
peut l'aliéner facilement, en quelque lieu lointain
et le produit de la vente peut tout aussi facilement
être mis hors d'atteinte du plaideur légitime.
Compte tenu des circonstances existant actuelle-
ment, je crois que notre juridiction constitue le for
le plus à même de servir les fins de la justice et en
fait, semble-t-il, le seul où justice peut être rendue.
La requête des défendeurs sera donc rejetée avec
dépens.
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