A-2-81
Le Syndicat international des marins canadiens—
CTC-FAT-COI (requérant)
c.
Crosbie Offshore Services Limited, la Guilde de la
marine marchande du Canada, la Fraternité cana-
dienne des cheminots, employés des transports et
autres ouvriers et le Conseil canadien des relations
du travail (intimés)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte
et Le Dain—Ottawa, 8, 9, 10 février et 5 mars
1982.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Relations du
travail — Le Conseil canadien des relations du travail a excipé
de son incompétence pour rejeter la demande introduite par le
requérant pour être accrédité à titre d'agent négociateur d'une
unité composée d'employés de l'intimée Crosbie Offshore Ser
vices Limited — Ces employés travaillaient à titre de marins à
bord de navires qui faisaient la navette entre Terre-Neuve et
des plates-formes pétrolières opérant au large et des navires,
transportant principalement des approvisionnements — Les
autres fonctions consistaient dans la récupération et la mise en
place des ancres, le remorquage, la protection contre les ice
bergs et la prestation du service de secours — Les navires ne
s'occupaient ni de forage ni d'exploration — 60% des activités
de Crosbie consistaient à fournir des équipages aux navires et
aux plates-formes — Fournir de l'équipage aux navires occu-
pait 80% des activités d'armement de la société — Crosbie
était l'employeuse des employés en question — Demande
accueillie — Le Conseil avait compétence — Compte tenu des
dispositions précises relatives à l'application du Code conte-
nues dans les art. 2, 108, 121, 125 et 126, le Conseil n'avait
aucun pouvoir discrétionnaire à exercer — La compétence
dépend des faits relatifs à l'ouvrage, à l'entreprise ou affaire
— Une fois établi le bien-fondé d'une demande de redresse-
ment sous le régime de l'art. 28, la Cour n'a pas la liberté de
refuser d'intervenir — L'exploitation est à bon droit qualifiée
d'entreprise «maritime' et ne se limite pas à des activités
à l'intérieur de Terre-Neuve, mais elle s'exerce en grande
partie dans les eaux internationales — Les employés travail-
laient uniquement dans l'entreprise maritime internationale,
secteur d'activité nettement séparable de l'entreprise Crosbie
— Le pouvoir qu'a le Parlement de légiférer sur l'entreprise
maritime qui ne confine pas ses activités à la province, notam-
ment le pouvoir de légiférer sur l'emploi du personnel canadien
par un employeur canadien, relève du pouvoir que confère
l'art. 91(10) de l'A.A.N.B., 1867, de légiférer sur la navigation
et les bâtiments ou navires (shipping) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 ° Supp.), c. 10, art. 28 — Code
canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 2, 108, 121,
125(2),(3)b),c), 126 — Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice
Id, n° 5], art. 91(10).
Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation de la
décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail
a rejeté la demande introduite par le requérant pour être
accrédité à titre d'agent négociateur d'une unité composée
d'employés de l'intimée Crosbie Offshore Services Limited. Le
Conseil a jugé qu'il n'avait pas compétence pour connaître de la
demande, le Conseil des relations du travail de Terre-Neuve
s'étant déclaré compétent; que la demande introduite par le
requérant devant le Conseil canadien des relations du travail
constituait une manoeuvre destinée à éviter l'effet de la décision
rendue par le Conseil de Terre-Neuve, et à prendre l'avantage
sur le plan de la stratégie en soulevant une question constitu-
tionnelle; que le rôle principal du Conseil canadien des relations
du travail était de résoudre les conflits de travail et non de
s'engager dans «le débat sur les épineux problèmes qui opposent
les provinces au gouvernement fédéral»; et qu'«accepter de
connaître des présentes affaires ou de prendre quelque mesure
que ce soit pour rendre les choses encore plus compliquées ne
répondrait pas aux objectifs des lois sur la négociation collec
tive et ne serait pas dans l'intérêt des instances chargées de
l'appliquer». Les employés en question étaient employés à titre
de marins à bord de navires qui faisaient la navette entre
Terre-Neuve et les plates-formes pétrolières et les navires qui
faisaient de l'exploration pétrolière ou gazière dans le plateau
continental, en divers endroits situés entre 12 et 200 milles au
large des côtes de Terre-Neuve. Ces navires avaient pour
fonction principale le transport d'approvisionnements. Les fonc-
tions auxiliaires consistaient dans l'ancrage, le remorquage, la
protection contre les icebergs et la prestation du service de
secours. Tous ces navires étaient affrétés à temps par la société
pétrolière pour laquelle s'effectuait le travail de forage ou
d'exploration, et étaient à la disposition de cette société. Les
navires ne s'occupaient ni de forage ni d'exploration. Soixante
pour cent des activités de l'intimée Crosbie consistaient à
fournir des équipages canadiens aux navires et aux plates-for-
mes. Le reste de ses activités, soit 40%, consistait dans l'appro-
visionnement d'une des plates-formes, dans la prestation des
services de commercialisation, d'entremise et d'achats locaux
aux exploitants des navires de forage et des plates-formes.
Fournir de l'équipage aux navires occupait 80% des activités
d'armement de la société. L'intimée Crosbie est l'employeuse
des employés en question. Pour servir à bord d'un navire,
ceux-ci doivent signer avec le capitaine un contrat d'engage-
ment, mais ils continuent à être au service de l'intimée Crosbie.
Les intimés Crosbie et le Conseil canadien des relations du
travail font valoir que le Conseil avait le pouvoir discrétionnaire
de refuser d'exercer sa compétence pour connaître des deman-
des en accréditation. Ils soutiennent également que l'octroi de
redressement sous le régime de l'article 28 est facultatif. Le
requérant et la Guilde de la marine marchande du Canada
prétendent que les navires où travaillaient les employés fai-
saient partie d'une entreprise de transport qui s'étendait au-
delà des limites de la province et qui relevait donc de la
compétence législative fédérale. Le procureur général du
Canada soutient que l'entreprise à laquelle participaient les
navires et leurs équipages était l'exploration effectuée par des
sociétés pétrolières sur le plateau continental. Cet argument
fait valoir que la Couronne fédérale a le droit exclusif d'explo-
rer les fonds marins du plateau continental et d'y exploiter les
ressources minérales, et que le Parlement a le pouvoir exclusif
de légiférer sur ces ressources et sur les opérations d'exploration
et d'exploitation qui s'y rapportent. Le procureur général de
Terre-Neuve soutient qu'il s'agit d'une entreprise de nature
locale, dont les relations de travail relèvent, quant à leur
réglementation, de Terre-Neuve, et que ce pouvoir demeure
entier même si les activités ou les fonctions de ces employés
s'exercent en partie à l'intérieur des limites territoriales de la
province et en partie à l'extérieur de celles-ci. Il échet d'exami-
ner si le Conseil avait compétence pour connaître de la
demande.
Arrêt: la décision est infirmée, et l'affaire renvoyée au Con-
seil pour qu'il l'examine à nouveau en partant du principe que
le Conseil était compétent pour connaître de l'affaire.
Le juge en chef Thurlow: Compte tenu de la portée générale
des dispositions relatives à l'application du Code contenues
dans les articles 2 et 108, de l'emploi des formes verbales
«exerce» et «doit» aux articles 121, 125 et 126, de l'emploi de la
forme verbale «peut» au paragraphe 125(2) et aux alinéas
125(3)b) et c) et de l'emploi de chacun d'entre eux dans
d'autres dispositions du Code, le Conseil n'avait aucun pouvoir
discrétionnaire à exercer. La compétence du Conseil dépendait
entièrement des faits relatifs à l'ouvrage, entreprise ou affaire
pour lequel les employés en question ont été embauchés à
l'époque en cause. L'époque pertinente est celle où le Conseil
était saisi de la demande. Quant à l'argument que l'octroi de
redressement sous le régime de l'article 28 est facultatif, la
Cour a toujours estimé qu'une fois établi le bien-fondé d'une
demande de redressement sous le régime de cet article, elle n'a
pas la liberté de refuser d'intervenir. Toutefois, même si cette
opinion était erronée et que l'octroi d'un redressement en vertu
de l'article 28 devait être considéré comme facultatif, rien dans
les faits de l'espèce, que ce soit dans la conduite du requérant
ou autre chose, ne justifie que la Cour, dans l'exercice de son
pouvoir d'appréciation, refuse le redressement sollicité s'il res-
sort des faits que la demande relevait de la compétence du
Conseil canadien des relations du travail. L'intimée Crosbie
fournit des navires destinés au service des entreprises d'explora-
tion sous-marine. Même si elle est réduite à deux éléments,
savoir l'exécution d'un contrat pour l'utilisation d'un navire et
l'engagement d'un équipage pour ce navire, cette exploitation
est exactement qualifiée d'entreprise «maritime» au sens ordi-
naire du terme «maritime». L'exploitation ne se limite pas à des
activités maritimes à l'intérieur des limites de Terre-Neuve. Il
s'agit d'une entreprise dans laquelle les activités des navires qui
y participent s'exercent en grande partie dans les eaux interna-
tionales, quoiqu'en partie en Terre-Neuve également. La pres-
tation des services, notamment des services de transport, se fait
en grande partie dans les eaux internationales. 11 s'agit là du
cours normal et habituel de l'exploitation, et c'est dans cette
sphère d'activité que les marins employés par l'intimée Crosbie
s'acquittent de leurs tâches. Comme cette entreprise est une
entreprise maritime et que son exploitation ne se cantonne pas
dans la province de Terre-Neuve, le pouvoir de légiférer en
cette matière, notamment le pouvoir de légiférer sur l'emploi
d'un personnel canadien dans cette entreprise, sur les conditions
d'emploi fixées par un employeur canadien et sur les relations
de travail avec ce dernier, relève, en vertu de l'article 91,
rubrique 10 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867, du pouvoir qu'a le Parlement de légiférer sur la naviga
tion et les bâtiments ou navires (shipping), et non de l'un
quelconque des pouvoirs qu'a une législature provinciale de
légiférer sur les entreprises locales, sur les droits civils ou sur les
matières d'une nature locale dans les provinces. En outre, ces
employés travaillent uniquement dans l'entreprise maritime
internationale de l'intimée Crosbie, et il s'agit d'un secteur
d'activité nettement séparable de l'ensemble de l'entreprise
Crosbie.
Le juge Le Dain: S'appuyant sur l'affaire Underwater Gas
Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24
D.L.R. (2e) 673 (C.A.), confirmant (1960) 21 D.L.R. (2e) 345
(H.C. Ont.), le Conseil a caractérisé les activités comme faisant
partie intégrante de l'entreprise d'exploration pétrolière sous-
marine. L'activité maritime dans la présente affaire est tout à
fait différente. Elle est d'une ampleur et d'une portée différen-
tes et revêt un caractère distinct et indépendant.
Jurisprudence: arrêts appliqués: Northern Telecom Limi-
tée c. Les Travailleurs en communication du Canada
[1980] 1 R.C.S. 115; City of Montreal c. Harbour Com
missioners of Montreal [1926] A.C. 299. Décisions men-
tionnées: Le Conseil canadien des relations du travail c.
La ville de Yellowknife [1977] 2 R.C.S. 729; In re le
renvoi sur la validité de la Loi sur les relations industriel-
les et sur les enquêtes visant les différends du travail
[1955] R.C.S. 529; Seafarers' International Union of
Canada c. Zapata Marine Services Inc. [1980] 2 Can
LRBR 7. Distinction faite avec les arrêts: Three Rivers
Boatman Limited c. Conseil canadien des relations
ouvrières [1969] R.C.S. 607; Underwater Gas Developers
Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R.
(2e) 673 (C.A.), confirmant (1960) 21 D.L.R. (2e) 345
(H.C. Ont.); Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien
des relations ouvrières [1969] R.C.S. 851.
DEMANDE de contrôle judiciaire.
AVOCATS:
Joseph Nuss, c.r. et J. Brian Riordan pour le
requérant.
Ernest Rovet pour l'intimée Crosbie Offshore
Services Limited.
Raynold Langlois, c.r. et Claude Joli-Cceur
pour l'intimée la Guilde de la marine mar-
chande du Canada.
Personne n'a comparu pour l'intimée la Fra-
ternité canadienne des cheminots, employés
des transports et autres ouvriers.
Gordon Henderson, c.r. et Emilio Binavince
pour l'intimé le Conseil canadien des relations
du travail.
Brad Smith, c.r. et Marc Jewett pour l'inter-
venant le procureur général du Canada.
W. G. Burke-Robertson, c.r., pour l'interve-
nant le procureur général de Terre-Neuve.
PROCUREURS:
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour le
requérant.
Rovet & Associates, Toronto, pour l'intimée
Crosbie Offshore Services Limited.
Langlois, Drouin & Associés, Montréal, pour
l'intimée la Guilde de la marine marchande
du Canada.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour l'intimée la
Fraternité canadienne des cheminots, em
ployés des transports et autres ouvriers.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'intimé
le Conseil canadien des relations du travail.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intervenant le procureur général du Canada.
Burke-Robertson, Chadwick & Ritchie,
Ottawa, pour l'intervenant le procureur géné-
ral de Terre-Neuve.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: La demande
fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, tend à
l'examen et à l'annulation de la décision par
laquelle le Conseil canadien des relations du tra
vail a excipé de son incompétence pour rejeter la
demande introduite par le requérant en vertu du
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1,
pour être accrédité à titre d'agent négociateur
d'une unité composée de 116 employés de l'intimée
Crosbie Offshore Services Limited. Cette unité est
décrite comme suit:
[TRADUCTION] Tous les employés non brevetés travaillant à
bord de tous les navires exploités par l'employeur au Canada, à
l'exclusion de tous les employés brevetés ou de toute autre
personne qui, de l'avis du Conseil, occupe des fonctions de
direction. A partir de ports dans la province de Terre-Neuve,
ces navires approvisionnent des plates-formes pétrolières ou
d'autres installations, des navires et d'autres endroits au-delà
des limites de la province de Terre-Neuve.
La Guilde de la marine marchande du Canada,
intimée, et le procureur général du Canada soute-
naient la demande d'examen et d'annulation. S'y
opposaient: l'intimée Crosbie, le procureur général
de Terre-Neuve et le Conseil canadien des rela
tions du travail. La Fraternité canadienne des
cheminots, employés des transports et autres
ouvriers, intimée, n'a pas déposé d'exposé de
moyens ni participé aux procédures.
Les points de vue adoptés par les différentes
parties étaient très variés. En bref, le requérant et
la Guilde de la marine marchande du Canada
insistent principalement sur le fait que les navires
où travaillaient les employés faisaient partie d'une
entreprise de transport qui s'étendait au-delà des
limites de la province de Terre-Neuve et qui rele-
vait donc de la compétence législative fédérale. Le
procureur général du Canada fait valoir que l'en-
treprise à laquelle participaient les navires et les
équipages était l'exploration effectuée par des
sociétés pétrolières qui exploitaient des installa
tions et des navires de forage sur le plateau conti
nental à l'est de Terre-Neuve et du Labrador. Cet
argument fait valoir que la Couronne du chef du
Canada a le droit exclusif d'explorer les fonds
marins du plateau continental et d'y exploiter les
ressources minérales, et que le Parlement a le
pouvoir exclusif de légiférer sur ces ressources et
sur les opérations d'exploration et d'exploitation
qui s'y rapportent. Tout en se réservant d'exposer
la position de Terre-Neuve quant à la propriété des
ressources naturelles du plateau continental au
large des côtes de la province ou à la compétence
législative sur celles-ci, le procureur général de
Terre-Neuve soutient qu'une décision à l'égard de
ces questions n'était pas requise pour trancher la
présente demande, que l'entreprise dans laquelle
travaillent les employés est une entreprise locale
dont les relations de travail relèvent, quant à leur
réglementation, de la législature de Terre-Neuve,
et que ce pouvoir demeure entier même si les
activités ou les fonctions de ces employés s'exer-
cent en partie à l'intérieur des limites territoriales
de la province et en partie à l'extérieur de celles-ci.
Que le Conseil ait eu compétence ou non pour
instruire les demandes en accréditation, selon les
deux intimés Crosbie et le Conseil canadien des
relations du travail, celui-ci avait le pouvoir discré-
tionnaire de refuser d'exercer sa compétence et, en
l'espèce, était fondé à se prévaloir de ce pouvoir
pour rejeter la demande. Toujours selon eux, sur
examen sous le régime de l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale, il est loisible à la Cour d'accor-
der ou non le redressement sollicité et, eu égard
aux faits de la cause, ce pouvoir devrait être exercé
pour refuser ce redressement.
Dans sa décision à l'égard de la demande intro-
duite par le requérant, le Conseil a également
tranché et rejeté, pour les mêmes raisons, trois
autres demandes en accréditation, l'une d'elles
ayant été introduite par la Guilde de la marine
marchande du Canada pour représenter une unité
composée de personnel breveté travaillant sur les
mêmes navires, et les deux autres, par la Fraternité
canadienne des cheminots, employés des transports
et autres ouvriers: une pour les employés brevetés
et l'autre pour les employés non brevetés. En bref,
les motifs invoqués par le Conseil pour parvenir à
sa conclusion étaient, si je comprends bien, les
suivants. Le Conseil des relations du travail de
Terre-Neuve, saisi de demandes en accréditation
introduites par les mêmes syndicats à l'égard du
même personnel, avait conclu à sa compétence et
procédé à la tenue d'un scrutin de représentation.
La demande introduite par le requérant devant le
CCRT, qui avait été déposée après la tenue du
scrutin, mais avant le dépouillement de celui-ci,
constituait une manoeuvre procédurale destinée à
éviter l'effet de la décision rendue par le Conseil de
Terre-Neuve, et à prendre l'avantage sur le plan de
la stratégie en soulevant une question constitution-
nelle. Le rôle principal du CCRT était de résoudre
les conflits de travail et non de s'engager dans «le
débat sur les épineux problèmes qui opposent les
provinces au gouvernement fédéral>, et qu'«accep-
ter de connaître des présentes affaires ou de pren-
dre quelque mesure que ce soit pour rendre les
choses encore plus compliquées ne répondrait pas
aux objectifs des lois sur la négociation collective
et ne serait pas dans l'intérêt des instances char
gées de l'appliquer». Le Conseil décida par la suite
de «rejeter les présentes requêtes pour la raison que
nous n'avons pas la compétence constitutionnelle».
Les motifs invoqués par le Conseil, ou quelques-
uns d'entre eux, pourraient peut-être être considé-
rés comme des motifs adéquats lui permettant de
refuser d'exercer sa compétence pour instruire la
demande du requérant, si tant est que le Conseil
jouisse d'un pouvoir discrétionnaire en la matière.
Mais compte tenu de la portée générale des dispo
sitions relatives à l'application du Code canadien
du travail contenues dans les articles 2 et 108, de
l'emploi des formes verbales «exerce» et «doit» aux
articles 121, 125 et 126, de l'emploi de la forme
verbale «peut» au paragraphe 125(2) et aux alinéas
125(3)b) et c) et de l'emploi de chacun d'entre eux
dans les autres dispositions du Code, le Conseil
n'avait, selon moi, aucun pouvoir discrétionnaire à
exercer. La compétence du Conseil dépendait
entièrement des faits, et, à mon avis, il ne pouvait
faire autrement que de prendre en considération
ces faits et de décider si ceux-ci indiquaient que le
Conseil avait compétence, et de déterminer, en
conformité avec cette seule conclusion, s'il conve-
nait d'instruire ou de refuser d'instruire cette
demande.
Il s'ensuit qu'étant donné les motifs invoqués par
le Conseil, le rejet de la demande ne saurait être
confirmé. Je devrais ajouter qu'on a fait valoir plus
d'une fois dans le passé que l'octroi de redresse-
ment sous le régime de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale est facultatif, et que la Cour a
toujours estimé qu'une fois établi le bien-fondé
d'une demande de redressement sous le régime de
cet article, elle n'a pas la liberté de refuser d'inter-
venir. Toutefois, même si cette opinion était erro-
née et que l'octroi d'un redressement en vertu de
l'article 28 devait être considéré comme facultatif
au même titre que le bref de certiorari, je ne vois
rien dans les faits de l'espèce, que ce soit dans la
conduite du requérant ou autre chose, qui justifie-
rait que la Cour, dans l'exercice de son pouvoir
d'appréciation, refuse le redressement sollicité s'il
ressort des faits que la demande relevait de la
compétence du CCRT. Par conséquent, j'estime
qu'il y a lieu de rejeter les prétentions de l'intimée,
Crosbie, et du Conseil.
La question qui, à mon avis, doit être tranchée
en l'espèce est de savoir si le CCRT avait compé-
tence pour connaître de la demande du requérant.
Comme je l'ai indiqué, les faits relatifs à l'ouvrage,
entreprise ou affaire pour lequel les employés en
question ont été embauchés à l'époque en cause
constituent l'élément essentiel de cette question.
L'époque pertinente était, à mon avis, celle où le
Conseil était saisi de la demande. Si, pour quelque
raison que ce soit, le Conseil n'avait pas compé-
tence au moment du dépôt de la demande, il
pourrait quand même instruire celle-ci si des chan-
gements dans la situation survenus avant la déci-
sion du Conseil sur la demande lui conféraient
compétence. D'autre part, si, malgré le fait qu'il y
avait compétence au moment du dépôt de la
demande, des changements intervenus entre-temps
dans l'ouvrage, entreprise ou affaire avaient enlevé
au Conseil sa compétence, l'exercice de sa compé-
tence à ce moment ne saurait être justifié.
Les dispositions importantes du Code canadien
du travail sont l'article 108 prévoyant l'application
de la Partie V et l'article 2 donnant la définition
d'«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence
fédérale». Ces articles sont ainsi conçus:
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le
cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés
dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations
patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces
employés.
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou
«entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou
affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du
Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui
précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le
cadre de la navigation et des expéditions par eau (internes ou
maritimes), y compris la mise en service de navires et le
transport par navire partout au Canada;
b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou
entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou
s'étendant au-delà des limites d'une province;
c) toute ligne de navires à vapeur ou autres, reliant une
province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des
limites d'une province;
d) tout service de transbordeurs entre provinces ou entre une
province et un pays autre que le Canada;
e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien;
. 1) toute station de radiodiffusion;
g) toute banque;
h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada
déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du
Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé
entièrement dans les limites d'une province; et
i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au
pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;
Comme il ressort du texte précédent que cette
définition comprend «tout ouvrage, entreprise ou
affaire' ressortissant au pouvoir législatif du Parle-
ment du Canada» et comme sous le régime de
l'article 108, la Partie V s'applique aux employés
dans le cadre d'une entreprise fédérale et aux
patrons de ces employés dans leurs rapports avec
ces derniers, la question qui se pose quant à la
compétence du Conseil dans un cas de ce genre est
essentiellement de savoir si, sur le plan de la
Constitution, l'ouvrage, entreprise ou affaire pour
lequel les employés sont engagés ressort au pouvoir
législatif du Parlement. Dans l'affirmative, le Con-
seil est compétent. Autrement, il ne l'est pas.
Les principes constitutionnels à l'aide desquels
la question doit être tranchée sont résumés dans le
passage suivant du jugement rendu par le juge
' Pour une discussion de la portée de cette expression, voir Le
Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yel-
lowknife [1977] 2 R.C.S. 729, le juge Pigeon, aux pages 736 à
738.
Dickson dans l'affaire Northern Telecom Limitée
c. Les Travailleurs en communication du Canada 2 :
C'est dans l'ouvrage Canadian Constitutional Law de Laskin
(4' éd., 1975) que se trouve l'énoncé le plus exact et concis des
principes juridiques applicables en matière de relations de
travail (à la p. 363):
[TRADUCTION] En matière de relations de travail entre
employeur et employé, le partage des compétences entre le
Parlement et les législatures provinciales est fondé sur une
première conclusion selon laquelle, dans la mesure où elles
ont un aspect constitutionnel indépendant, ces relations relè-
vent de la compétence provinciale, et sur une deuxième
conclusion, selon laquelle, dans la mesure où elles ne consti
tuent qu'un aspect de certaines industries ou entreprises, leur
réglementation relève de la compétence constitutionnelle de
l'organisme habilité à réglementer l'industrie ou l'entreprise
dont il s'agit ...
Elaborant cette thèse, le juge Beetz a formulé dans l'arrêt
Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire mini
mum ([1979] 1 R.C.S. 754) certains principes que je me risque
à résumer comme suit:
(1) Les relations de travail comme telles et les termes d'un
contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du
Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans
ce domaine.
(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement
peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines
s'il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa
compétence principale sur un autre sujet.
(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné
peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux
relations de travail et aux conditions de travail, mais unique-
ment s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces
matières fait intégralement partie de cette compétence
fédérale.
(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une
entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de
ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement
liées à l'exploitation d'une entreprise, d'un service ou d'une
affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne
sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une
entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale.
(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une
affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature
de l'exploitation.
(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut consi-
dérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant
qu'«entreprise active», sans tenir compte de facteurs excep-
tionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pour-
rait être appliquée de façon continue et régulière.
Une décision récente du Labour Relations Board de la
Colombie-Britannique, Arrow Transfer Co. Ltd. ([1974] 1
Can. L.R.B.R. 29), expose la méthode retenue par les cours
pour déterminer la compétence constitutionnelle en matière de
relations de travail. Premièrement, il faut examiner l'exploita-
tion principale de l'entreprise fédérale. On étudie ensuite l'ex-
ploitation accessoire pour laquelle les employés en question
travaillent. En dernier lieu on parvient à une conclusion sur le
2 [1980] 1 R.C.S. 115 aux pages 131à 133.
lien entre cette exploitation et la principale entreprise fédérale,
ce lien nécessaire étant indifféremment qualifié «fondamental»,
«essentiel» ou «vital». Comme l'a déclaré le président de la
Commission, aux pp. 34 et 35;
[TRADUCTION] Dans chaque cas la décision est un jugement
à la fois fonctionnel et pratique sur le caractère véritable de
l'entreprise active et il ne dépend pas des subtilités juridiques
de la structure de la société en cause ou des relations de
travail.
Plus loin, après avoir discuté de l'entreprise de
communications de Bell Canada dont il était ques
tion, en tant qu'entreprise fédérale, dans la ques
tion en litige, le juge Dickson ajoute [à la page
135]:
Sur la base des grands principes constitutionnels exposés
ci-dessus, il est clair que certains faits sont décisifs sur la
question constitutionnelle. De façon générale, il s'agit notam-
ment:
(1) de la nature générale de l'exploitation de Telecom en tant
qu'entreprise active et, en particulier, du rôle du service de
l'installation dans cette exploitation;
(2) de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec
lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;
(3) de l'importance du travail effectué par le service de
l'installation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison
avec ses autres clients;
(4) du lien matériel et opérationnel entre le service de
l'installation de Telecom et l'entreprise fédérale principale
dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l'importance
de la participation du service de l'installation à l'exploitation
et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que
méthode de fonctionnement.
J'aborde maintenant les faits. Le dossier dont
dispose la Cour comprend:
(1) les documents transmis à la Cour par le
CCRT conformément à la Règle 1402(3), savoir
la demande et les réponses à celle-ci, la corres-
pondance y afférente, dont les mémoires, et,
notamment, le rapport d'un fonctionnaire
nommé par le Conseil pour faire enquête et
rapport sur la demande;
(2) quelque 18 volumes de documents histori-
ques, dont des cartes relatives à Terre-Neuve et
au Labrador, déposés, sur autorisation de la
Cour, par le procureur général du Canada rela-
tivement à la question de la propriété et du
pouvoir législatif en matière des droits d'explo-
ration du plateau continental, au large de Terre-
Neuve et du Labrador et d'exploitation des res-
sources minérales qui s'y trouvent; et
(3) l'affidavit de Richard A. Spellacy, président
de l'intimée Crosbie, et la transcription de son
contre-interrogatoire sur cet affidavit, qui est
devenue une pièce du procès par suite d'une
ordonnance de la Cour.
En dépit de son volume, le dossier ne donne
qu'une image floue de l'ouvrage, entreprise ou
affaire de l'employeur pour lequel les employés
sont embauchés. Voici toutefois les faits saillants.
A l'époque en cause, les employés en question
étaient employés à titre de marins à bord d'une
dizaine de navires qui faisaient la navette entre
St-Jean ou Botwood (Terre-Neuve) et trois plates-
formes pétrolières et quatre navires de forage qui
faisaient de l'exploration pétrolière ou gazière dans
le plateau continental, en divers endroits situés
entre douze et 200 milles au large des côtes de
Terre-Neuve. Ces navires avaient pour fonctions
(1) le transport d'approvisionnements et de
matériel à destination et en provenance des pla-
tes-formes et des navires de forage
(2) la prestation du service de secours
(3) la surveillance des icebergs et la protection
contre ceux-ci
(4) le remorquage des plates-formes en cas de
besoin, et
(5) la mise en place et la récupération des ancres
pour les plates-formes quand il le faut.
Aux époques en cause, tous ces navires étaient
affrétés à temps par la société pétrolière pour
laquelle s'effectuait le travail de forage ou d'explo-
ration à partir d'une plate-forme ou d'un navire de
forage, et étaient, quant aux services à rendre de
temps à autre, à la disposition de cette société. Le
remorquage de plates-formes était rare et repré-
sentait de cinq à sept pour cent des activités des
navires. Deux de ceux-ci étaient d'une plus grande
dimension et ne faisaient ni de remorquage ni
d'ancrage. Ils étaient simplement des navires ravi-
tailleurs. La durée des voyages aller-retour à partir
d'un port à la plate-forme ou au navire de forage
variait entre une journée et trois semaines, la durée
moyenne étant de cinq jours. La récupération et la
mise en place des ancres pour les trois plates-for-
mes s'imposaient lorsqu'elles se déplaçaient d'un
lieu de forage à un autre. Des règlements exi-
geaient qu'un navire de servitude demeure conti-
nuellement près des plates-formes pour prêter
assistance au besoin. Un voyage en service de
secours pouvait prendre de deux à sept jours.
Parfois, les navires transportaient également le
personnel des plates-formes et des navires de
forage en provenance et à destination des ports
lorsque ce personnel ne pouvait voyager par héli-
coptère à cause du mauvais temps. La protection
contre les icebergs consistait notamment à mettre
une corde autour d'un iceberg et à le remorquer si
cela était possible pour l'empêcher de mettre en
danger une plate-forme. Ces navires ont tous été
spécialement conçus à ces fins et pouvaient être
utilisés pour fournir les services que comportent les
opérations d'exploration et de forage sous-marins
presque partout dans le monde.
A part l'assistance fournie de la manière indi-
quée, le navire ne s'occupait pas de forage ni
d'exploration, cette tâche étant exécutée par la
société pétrolière à qui le navire a été frété à temps
ou pour le compte de celle-ci. A l'expiration du
contrat d'affrètement, le navire pouvait être
envoyé ailleurs ou frété de nouveau à la même
société pétrolière ou à une autre. A une occasion,
un des navires dont le contrat d'affrètement venait
d'expirer avait remorqué, jusqu'en Espagne, un
navire destiné à la ferraille. Aussitôt arrivés en
Espagne, les marins fournis par l'intimée revinrent
au Canada.
Neuf des dix navires étaient immatriculés en
Allemagne de l'Ouest et l'autre au Libéria. Tous
les dix avaient été frétés par leurs armateurs alle-
mands à OSA Ltd., société du Royaume-Uni qui
avait cédé les contrats d'affrètement à Crosbie
Enterprises Limited, société de Terre-Neuve qui
possède 51% des actions de l'intimée Crosbie.
Avant le 10 septembre 1980, date à laquelle la
demande du requérant a été déposée, les contrats
d'affrètement avaient été cédés à l'intimée Cros-
bie, qui les détenait pendant toute l'époque en
cause et au moment du rejet par le Conseil de la
demande le 30 décembre 1980. Il n'est pas clair s'il
s'agissait d'affrètements à temps ou coque nue. Il
n'est pas impossible que ces contrats présentent à
la fois des caractéristiques de l'affrètement à
temps et de l'affrètement coque nue. Le capitaine
et le maître-mécanicien de chacun des navires
étaient allemands. Il n'est pas clair s'ils étaient des
employés de l'armateur ou d'OSA Limited ou de
l'intimée Crosbie. Ils étaient probablement em
ployés des armateurs.
Depuis la décision du Conseil, le nombre des
navires en cause a été réduit à huit; un navire au
moins a été substitué à un autre; trois ou quatre
des navires ont commencé à naviguer sous pavillon
canadien, et les affrètements ont été cédés à Cros-
bie OSA Limited, société de Terre-Neuve dont
51% des actions appartiennent à l'intimée Crosbie.
Il me semble qu'aucun de ces changements n'in-
flue sur ma conclusion. Ils ont tous eu lieu après la
période en cause et, de toute façon, ils ne modifie-
raient en rien la question de compétence même
s'ils s'étaient produits pendant l'époque en cause.
L'intimée Crosbie n'est qu'une des nombreuses
filiales de Crosbie Enterprises Limited. A l'époque
en cause, 60% de ses activités consistaient à recru-
ter et à embaucher des équipages canadiens pour
les navires et les plates-formes. Le reste de ses
activités, soit 40%, consistait dans l'approvisionne-
ment d'une des plates-formes, dans la prestation
des services de commercialisation, d'entremise et
d'achats locaux aux exploitants des navires de
forage et des plates-formes, et dans l'exploitation
d'une entreprise appelée KAPPA, dont la nature
n'est pas décrite. Fournir de l'équipage aux navires
occupait 80% des activités d'armement de la
société. Depuis le dépôt de la demande du requé-
rant, le revenu tiré de ce service a baissé par
rapport à d'autres revenus. On ne sait pas s'il a
baissé en volume ou non. L'intimée Crosbie n'est
qu'une des différentes sociétés qui approvisionnent
les sept navires de forage et plates-formes dans
leurs activités d'exploration et qui leur fournissent
les services nécessaires. Elle est l'employeuse des
employés en question. Ses affaires se concentrent à
St-Jean. Elle paye les employés et leur fournit
d'autres avantages sociaux et des moyens de trans
port à St-Jean. Pour servir à bord d'un navire, ils
doivent signer avec le capitaine un contrat d'enga-
gement. Dans le cas d'un navire immatriculé en
Allemagne, ce contrat serait probablement celui
requis par la loi de ce pays. Bien qu'ils relèvent
ainsi du capitaine et de la loi du navire, ils conti-
nuent à être au service de l'intimée Crosbie.
Le dossier ne révèle pas le pays où ces plates-
formes et navires de forage sont immatriculés.
Puisque les travaux se font dans les eaux interna-
tionales, il n'y a pas lieu de présumer qu'ils sont
immatriculés au Canada. Ces navires sont spécia-
lement conçus et construits pour le forage en mer,
et sont équipés de dispositifs leur permettant de se
maintenir sur le lieu de forage sans qu'il soit
besoin de jeter l'ancre. Les plates-formes sont aussi
des navires. Elles sont autopropulsées, mais pour
une raison ou une autre, peuvent être remorquées
jusqu'à un lieu de forage. Une fois mise en place,
la plate-forme peut être en partie submergée et
fonctionne tout en reposant sur le fond lorsque
l'eau n'a pas plus de 120 pieds de profondeur. En
eau plus profonde et en particulier dans les eaux
dont s'agit, la plate-forme est partiellement sub
mergée mais flotte. Elle est maintenue en position
par des ancres qui, comme il a été indiqué, sont
mises en place par les navires de servitude.
Compte tenu du dossier, il n'y a pas lieu de
conclure que l'une quelconque des différentes per-
sonnes ou sociétés fournissant les navires de servi
tude ou offrant leurs services en matière d'explora-
tion est, en participation ou autrement, en tant que
filiale ou autrement, identique aux sociétés pétro-
lières ou autres qui font ou qui font faire de
l'exploration ou qu'elle est contrôlée par celles-ci.
A mon avis, ce que fait l'intimée Crosbie se fait
de concert avec des entreprises étrangères fournis-
sant, sur la scène internationale, des navires desti-
nés au service des entreprises d'exploration sous-
marine. Dans ce sens, l'entreprise de l'intimée
Crosbie ne constitue qu'une partie de l'entreprise
consistant à fournir des navires de servitude et les
services requis, notamment les services de trans
port. Cette partie de l'entreprise, dans le cas de
tout navire, consiste soit à souscrire un contrat
d'affrètement ou à prendre en charge l'affrètement
existant du navire, à affréter de nouveau le navire,
quand il le faut, à une société pétrolière qui
s'adonne à des activités d'exploration, à assumer
envers la société pétrolière affrétante la responsa-
bilité des obligations contractées par les armateurs
en vertu de l'affrètement, de fournir les services de
transport ou les autres services prévus au contrat, à
employer des marins brevetés et autres et à les
fournir au besoin pour servir sur le navire sous les
ordres de son capitaine.
A ce stade-ci, je devrais dire que même si elle
est réduite à deux éléments, savoir l'exécution d'un
contrat pour l'utilisation d'un navire et l'engage-
ment d'un équipage pour ce navire, cette exploita
tion est, à mon avis, exactement qualifiée d'entre-
prise [TRADUCTION] «maritime» au sens ordinaire
du terme «maritime». J'estime que ce point de vue
se trouve renforcé par le fait qu'une multiplicité de
navires et de contrats d'affrètement est en cause.
L'entreprise relève-t-elle alors du pouvoir légis-
latif du Parlement? Je pense que la réponse est
raisonnablement claire. L'exploitation ne se limite
pas à des activités maritimes à l'intérieur des
limites de Terre-Neuve. Il ne s'agit pas d'activités
maritimes dans les eaux intérieures d'un port
terre-neuvien à un autre port terre-neuvien 3 . Il ne
s'agit pas non plus d'une entreprise comportant un
va-et-vient entre des ports de Terre-Neuve nécessi-
tant, dans une faible mesure, eu égard à l'ensemble
de l'entreprise, la navigation en eaux internationa-
les pour se rendre d'un port terre-neuvien à un
autre. Il s'agit d'une entreprise dans laquelle les
activités des navires qui y participent s'exercent en
grande partie dans les eaux internationales, quoi-
qu'en partie en Terre-Neuve également. La presta-
tion des services, notamment des services de trans
port, se fait en grande partie dans les eaux
internationales. C'est à d'autres navires exploités
par d'autres dans les eaux internationales qu'est
faite la livraison des approvisionnements transpor
tés et que sont fournis les services. Il s'agit là du
cours normal et habituel de l'exploitation, et c'est
dans cette sphère d'activité que les marins em
ployés par l'intimée Crosbie s'acquittent de leurs
tâches.
A mon sens, cette entreprise est une entreprise
maritime; son exploitation ne se cantonne pas dans
la province de Terre-Neuve; le pouvoir de légiférer
en cette matière, notamment le pouvoir de légifé-
rer sur l'emploi d'un personnel canadien dans cette
entreprise, sur les conditions d'emploi fixées par un
employeur canadien et sur les relations de travail
avec ce dernier, relève donc, en vertu de l'article
91, rubrique 10 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5], du pouvoir qu'a
le Parlement de légiférer sur la navigation et les
bâtiments ou navires (shipping), et non de l'un
3 Three Rivers Boatman Limited c. Conseil canadien des
relations ouvrières [1969] R.C.S. 607. Comparer avec Under
water Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board
(1960) 24 D.L.R. (2 e ) 673 (C.A.), confirmant (1960) 21
D.L.R. (2') 345 (H.C. Ont.).
4 Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien des relations
ouvrières [1969] R.C.S. 851.
quelconque des pouvoirs qu'a une législature pro-
vinciale de légiférer sur les entreprises locales, sur
les droits civils ou sur les matières d'une nature
locale dans les provinces 5 . En tirant cette conclu
sion, je ne juge pas nécessaire de chercher à faire
entrer cette entreprise dans l'une quelconque des
exceptions à l'article 92, rubrique 10, ou au pou-
voir que le Parlement tient de l'article 91, rubrique
29.
A mon avis, le pouvoir de légiférer sur une telle
entreprise relève du pouvoir conféré au Parlement
du Canada par l'article 91, rubrique 10, celui de
légiférer sur les bâtiments ou navires (shipping).
Dans l'affaire City of Montreal c. Harbour Com
missioners of Montreal 6 , le Conseil privé a jugé
que le pouvoir ainsi conféré doit être largement
interprété. A mon sens, une entreprise maritime de
ce genre qui, parce qu'elle ne confine pas ses
activités à une province, revêt donc un caractère
essentiellement international, ne saurait relever du
pouvoir législatif provincial. Elle doit en effet, à
l'égard des éléments dans cette entreprise qui relè-
vent de la législation canadienne, ressortir au pou-
voir du Parlement en matière de bâtiments ou de
navires (shipping) prévu à l'article 91, rubrique
10.
En outre, il ressort des faits, tels que je les vois
et que je les ai décrits, que c'est uniquement dans
le cadre de cette entreprise particulière de l'inti-
mée Crosbie que les employés en question sont
embauchés. Il s'agit de leur activité normale et
habituelle dans l'exploitation de l'entreprise Cros-
bie. Ils ne s'acquittent pas d'autres tâches pour
l'entreprise Crosbie. Ils ne travaillent pas à terre,
dans des locaux de Crosbie, ni (à l'exception du
personnel breveté sur les mêmes navires) avec
d'autres employés de celle-ci. Ils constituent donc
un groupe nettement distinct d'autres personnes
employées dans l'ensemble de l'entreprise Crosbie
et aussi dans les autres activités commerciales de
celle-ci. Un changement ou une réduction du pour-
centage de revenu tiré de l'équipement de ces
navires en personnel n'importe pas. Ce qui
importe, c'est que ces employés travaillent unique-
ment dans l'entreprise maritime internationale de
5 In re le renvoi sur la validité de la Loi sur les relations
industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail
[1955] R.C.S. 529.
6 [1926] A.C. 299.
l'intimée Crosbie, et qu'il s'agit là d'un secteur
d'activité nettement séparable de l'ensemble de
l'entreprise Crosbie et de l'intimée Crosbie même.
J'estime donc qu'aux époques en cause, les
employés en question participaient à une entreprise
maritime qui relevait du pouvoir législatif du Par-
lement du Canada, que l'entreprise était une entre-
prise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale
au sens de la définition que donne l'article 2 du
Code canadien du travail, et que le Conseil cana-
dien des relations du travail, tant au moment du
dépôt par le requérant de la demande en accrédita-
tion qu'à celui du rejet de cette dernière, et égale-
ment dans l'intervalle, avait compétence pour ins-
truire et trancher la demande et aurait dû la juger
au fond.
Puisque je suis arrivé à cette conclusion sur la
base de ce que l'entreprise Crosbie à laquelle
participaient les employés en question revêtait la
nature d'une entreprise maritime relevant du pou-
voir législatif du Parlement du Canada, il n'est pas
nécessaire de prendre en considération ou de tran-
cher la question de savoir s'il est possible de con-
clure à la compétence fédérale sur les relations de
travail des employés en question en considérant
l'exploration pétrolière et gazière des sociétés
pétrolières comme une entreprise fédérale, et l'en-
treprise d'entretien et d'approvisionnement de la
Crosbie comme une partie vitale et essentielle de
cette exploration. Trancher le litige en fonction de
cette position du problème nécessiterait, si l'on
était persuadé que l'entreprise Crosbie pouvait être
ainsi considérée, qu'on tranche en faveur de la
Couronne du chef du Canada des questions relati
ves aux droits et pouvoirs respectifs de Terre-
Neuve et du Canada sur le plateau continental et
sur l'exploration et l'exploitation des ressources
minérales s'y trouvant. A mon avis, de telles ques
tions ne doivent être étudiées ou tranchées que
lorsqu'il est nécessaire de le faire et dans la mesure
où il est nécessaire de le faire. Donc, malgré
l'exposé très soigné fait par l'avocat Smith au nom
du procureur général du Canada .à l'appui du point
de vue fédéral, ces questions ne devraient, à mon
avis, être tranchées qu'au moment où cela est
essentiel à la solution d'un litige porté devant le
tribunal.
J'estime qu'il y a lieu d'infirmer la décision et de
renvoyer l'affaire au Conseil canadien des relations
du travail pour qu'il l'examine de nouveau en
partant du principe que le Conseil était compétent,
à l'époque du rejet de la demande introduite par le
requérant, pour statuer sur le fond de celle-ci.
LE JUGE PRATTE: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à la décision et
aux motifs du juge en chef.
Je désire seulement dire quelques mots à propos
de la question de caractérisation soulevée dans la
décision qu'a rendue le Conseil des relations du
travail de Terre-Neuve dans l'affaire The Sea
farers' International Union of Canada c. Zapata
Marine Services Inc. [ 1980] 2 Can LRBR 7, et
dans l'argumentation du procureur général du
Canada. D'après le Conseil, les activités auxquelles
participaient les équipages des navires ravitailleurs
n'étaient pas une entreprise maritime (shipping),
mais faisaient plutôt partie intégrante de l'entre-
prise d'exploration pétrolière sous-marine. L'avo-
cat du procureur général du Canada dit qu'il était
d'accord avec cette caractérisation des activités,
mais ne l'était pas, bien entendu, avec la conclu
sion du Conseil de Terre-Neuve quant à la compé-
tence législative. Tant le Conseil de Terre-Neuve
que le procureur général du Canada ont, à l'appui
de cette caractérisation, invoqué les décisions ren-
dues par la Haute Cour de l'Ontario et la Cour
d'appel de la même province dans l'affaire Under
water Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour
Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2e) 673
(C.A.), confirmant (1960) 21 D.L.R. (2 e ) 345
(H.C. Ont.). Dans cette affaire, une demande en
accréditation a été introduite pour quelque trente-
neuf employés de diverses catégories travaillant
dans divers secteurs d'une entreprise dont les acti-
vités se déroulent entièrement à l'intérieur des
limites de la province en vue de la mise en place et
du service d'installations de forage gazier sous-
marin dans le lac Érié. Cette entreprise nécessitait
l'utilisation de navires de divers genres, et certains
de ces employés faisaient partie de l'équipage des
navires; d'autres s'occupaient de divers travaux sur
ceux-ci. D'autres encore travaillaient à terre et sur
la plate-forme. Tant le juge Smily de la Haute
Cour que le juge d'appel Aylesworth de la Cour
d'appel ont jugé que les activités des navires ne
constituaient pas une entreprise maritime relevant
du paragraphe 91(10) de l'A.A.N.B. (bâtiments ou
navires (shipping)), mais faisaient partie de l'en-
treprise globale de mise en place et de service des
installations de forage gazier sous-marin. A suppo-
ser, avec déférence, qu'il s'agisse là d'une bonne
caractérisation dans cette affaire, l'espèce pré-
sente, à mon avis, est tout à fait différente. L'acti-
vité maritime dans la présente affaire est d'une
ampleur et d'une portée différentes et revêt un
caractère distinct et indépendant. Le fait que sa
fonction principale soit le transport d'approvision-
nements, et que les fonctions accessoires soient
l'ancrage, le remorquage, la protection contre les
icebergs et le secours, tous ces services étant desti-
nés aux plates-formes partiellement submergées, et
quelques-uns d'entre eux seulement aux navires de
forage, ne diminue en rien, à mon avis, le caractère
maritime (shipping) de cette activité. Même si l'on
concluait à la compétence législative de la province
pour réglementer l'exploration et l'exploitation des
ressources naturelles du plateau continental, cela
ne pourrait, à mon avis, avoir pour effet de sous-
traire les navires ravitailleurs au pouvoir général
du fédéral de légiférer sur une entreprise maritime
(shipping) dont les activités s'étendent au-delà des
limites d'une province. Il se peut que ces navires
ressortent à la réglementation provinciale pour ce
qui est de certains aspects de leurs activités, mais
les relations de travail entre les membres de l'équi-
page et leur employeur relèvent complètement de
la compétence législative fédérale relative aux
bâtiments ou navires (shipping).
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