T-5141-79
Le navire C. F. Todd, The Canadian Fishing Com
pany Limited et John Katnic (demandeurs)
c.
Le navire Tana Warrior, British Columbia Pack
ers Limited et Willis Crosby (défendeurs)
Division de première instance, juge Addy—
Vancouver, 18 janvier et 10 février 1982.
Droit maritime — Pratique — Requête en vue d'ajouter une
demande reconventionnelle à la défense malgré la prescription
— La Limitation Act de C.-B. ne prévoit pas de prescription en
matière de demande reconventionnelle — Selon l'art. 38 de la
Loi sur la Cour fédérale, les règles de droit relatives à la
prescription des actions en vigueur dans une province s'appli-
quent à une instance en Cour fédérale dans le cas où la cause
de l'action a pris naissance dans la province, sous réserve d'une
disposition contraire de toute autre loi — Prescription de deux
ans prévue par l'art. 645 de la Loi sur la marine marchande du
Canada en matière d'action pour avarie causée à un navire par
un autre navire, mais pouvoir discrétionnaire de la Cour de
proroger ce délai — Abordage dans les eaux territoriales de
C.-B. — Avant l'introduction de l'action, les défendeurs ont
notifié aux demandeurs leur intention de déposer une demande
reconventionnelle en dommages-intérêts s'ils engageaient une
action — Deux mois après l'institution de l'action, dépôt d'une
défense se bornant à nier la négligence — Fourniture de tous
les détails des avaries causées au navire défendeur lors d'in-
terrogatoires préalables tenus plusieurs mois avant l'expira-
tion du délai de prescription — Dans les pourparlers en vue de
transiger, les défendeurs soutiennent que les deux parties ont
été négligentes — Plus d'un an après l'expiration du délai de
prescription, les demandeurs annoncent leur intention de s'ap-
puyer sur la prescription de deux ans prévue à l'art. 645 de la
Loi sur la marine marchande du Canada — La Limitation Act
de C.-B. ne s'applique pas — Principes régissant l'exercice du
pouvoir discrétionnaire de prorogation du délai en vertu de
l'art. 645 de la Loi sur la marine marchande du Canada — La
Cour peut tenir compte des circonstances générales du cas
d'espèce — Requête accueillie — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38 — Loi sur la marine
marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 645(1),(2) —
Limitation Act, S.R.C.-B. 1979, c. 236, art. 4(1)a).
Les défendeurs demandent l'autorisation de modifier leur
défense pour y ajouter une demande reconventionnelle, après
expiration du délai de prescription de deux ans. L'abordage des
deux navires a eu lieu en novembre 1978 dans les eaux territo-
riales de la Colombie-Britannique. En août 1979, les avocats
des défendeurs ont appris que les demandeurs avaient l'inten-
tion d'engager une action et ils ont répondu qu'en ce cas, les
défendeurs formeraient une demande reconventionnelle en
dommages-intérêts. L'action a été engagée en octobre 1979 et
une défense, se bornant à nier la négligence, a été produite en
décembre 1979. Les interrogatoires préalables ont eu lieu en
avril 1980 et les défendeurs ont fourni tous les détails des
avaries causées à leur navire. Au cours des négociations en vue
de transiger, les défendeurs ont prétendu qu'il y avait eu
négligence de la part des deux parties et que toute juridiction
saisie du litige partagerait la responsabilité. La prescription
extinctive a été acquise en novembre 1980. En décembre 1981,
les pourparlers s'étant poursuivis, les défendeurs ont indiqué
qu'ils avaient l'intention de s'appuyer sur la prescription de
deux ans du paragraphe 645(1) de la Loi sur la marine
marchande du Canada. Les défendeurs soutiennent que,
comme l'accident s'est produit dans les eaux territoriales de la
Colombie-Britannique, l'article 4 de la Limitation Act de cette
province s'applique. Cet article dispose que la prescription ne
s'applique pas à une demande reconventionnelle. L'article 38 de
la Loi sur la Cour fédérale porte que «Sauf disposition con-
traire de toute autre loi», les règles de droit relatives à la
prescription des actions en vigueur dans une province s'appli-
quent à toute procédure devant la Cour fédérale relativement à
une cause d'action qui prend naissance dans cette province. Le
paragraphe 645(1) de la Loi sur la marine marchande du
Canada prévoit qu'aucune action en dommages-intérêts n'est
soutenable contre un bâtiment à moins que les procédures ne
soient intentées dans un délai de deux ans à compter de la date
à laquelle l'avarie a été causée. Toutefois, le paragraphe 645(2)
prévoit que la Cour peut proroger ce délai dans la mesure et
aux conditions qu'elle juge convenables.
Arrêt: la requête est accueillie. La Limitation Act de la
Colombie-Britannique ne s'applique pas en l'espèce puisqu'il
existe une autre loi, en l'occurrence l'article 645 de la Loi sur la
marine marchande du Canada, relative à la prescription appli
cable en l'instance. La question se pose donc de savoir quel
principe général devrait fonder la décision de proroger ou non
le délai selon le paragraphe 645(2). Les tribunaux n'ont pas
suivi une règle de preuve étroite exigeant que la partie requé-
rante fournisse d'abord un motif véritable d'écarter la prescrip
tion, autre que l'erreur, l'inadvertance ou l'ignorance, avant
d'examiner l'équité de la demande par rapport aux parties et les
autres circonstances de l'espèce. Ils tiennent compte des cir-
constances générales et, lorsque la partie poursuivie paraît ne
subir aucun préjudice réel (autre que la perte du droit de se
prévaloir de la prescription) que des conditions spéciales dans
l'ordonnance de prorogation ne sauraient corriger et lorsque,
compte tenu de tous les faits pertinents, la prorogation parait
être dans le meilleur intérêt de la justice, l'ordonnance est
accordée, indépendamment du fait que le motif fondamental du
délai ait pu être l'inadvertance, l'erreur ou l'ignorance de la loi.
Quant aux circonstances générales du présent cas d'espèce,
c'est uniquement par inadvertance qu'aucune demande recon-
ventionnelle n'a été incluse dans la défense. Par ailleurs, les
demandeurs n'ont jamais sciemment tenté d'amener les défen-
deurs à laisser le délai courir. Les demandeurs ne subiront
aucun préjudice que les dépens ne pourraient réparer, si ce n'est
la perte de la prescription de deux ans. D'après la demande
reconventionnelle, si certains des faits allégués étaient établis,
la demande reconventionnelle des défendeurs contre les deman-
deurs serait probablement valide en droit et il se pourrait même
que les défendeurs subissent un préjudice sérieux s'il leur était
interdit de l'intenter. Les défendeurs avaient avisé les deman-
deurs, avant le début des procédures, qu'en cas d'action dirigée
contre eux, ils feraient une demande reconventionnelle pour
leurs propres dommages-intérêts. Au cours des négociations en
vue d'une transaction et avant l'expiration du délai de prescrip
tion, les demandeurs avaient appris que les défendeurs s'atten-
daient à un partage de la responsabilité. Il se peut que les
avocats des demandeurs n'aient pas su qu'aucune demande
reconventionnelle ne figurait dans les écritures. Il y avait eu des
interrogatoires préalables sur l'étendue et le détail du montant
des dommages des défendeurs et des rapports d'experts mariti-
mes sur le sujet avaient été déposés plusieurs mois avant qu'il
n'y ait prescription.
Jurisprudence: décision appliquée: A. G. Kelloway c. Engi
neering Consultants Limited [1972] C.F. 932. Décision
examinée: The Llandovery Castle [1920] P. 119. Décisions
mentionnées: Sarnia Steamships Ltd. c. Dominion Foun
dries and Steel Ltd. [1948] R.C.E. 253; Heath c. Kane (N°
2), Hartikainen c. Kane (N° 2) (1976) 15 O.R. (2e) 262;
The Arraiz (1924) 132 L.T. 715; Chemainus Towing Co.
Ltd. c. Le navire ..Capetan Yiannis» [1966] R.C.É. 717.
Décisions analysées: Philipp Brothers c. Torm, A/S, DIS,
Cast Lines (1979) 105 D.L.R. (3e) 763 (C.F., 1t° inst.);
Hijos de Romulo Torrents Albert S.A. c. Le navire ..Star
Blackford» [1979] 2 C.F. 109.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Michael J. Bird pour les demandeurs.
J. J. L. Hunter pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour les demandeurs.
Davis & Company, Vancouver, pour les
défendeurs.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: Il s'agit en l'espèce de deux
navires, des bâtiments de pêche, impliqués dans un
abordage en mer.
Les défendeurs demandent l'autorisation de
modifier leur défense pour y ajouter une demande
reconventionnelle. Il y a eu prescription, biennale.
Voici les faits en cause, énoncés chronologique-
ment:
(1) L'abordage eut lieu le 2 novembre 1978 dans
les eaux territoriales de la Colombie-Britanni-
que, à Deep Water Bay.
(2) En août 1979, les avocats des défendeurs
apprenaient que les demandeurs avaient l'inten-
tion d'engager une action; le 8 août 1979, ils
écrivaient aux avocats des demandeurs disant
que si une action était engagée, ils avaient ins
truction d'accepter signification de la déclara-
tion et de former une demande reconvention-
nelle en dommages-intérêts au nom de leurs
clients. Aussi, s'il y avait saisie du navire défen-
deur, ils verraient à faire saisir le navire
demandeur.
(3) Les demandeurs intentèrent une action le 24
octobre 1979; il y eut production d'une défense
deux mois plus tard, le 31 décembre 1979.
(4) La défense ne soutient pas qu'il y a eu
négligence des demandeurs; elle se borne à nier
qu'il y ait eu négligence des défendeurs. L'ajout
proposé alléguerait la négligence des deman-
deurs et, bien entendu, réclamerait des domma-
ges-intérêts en demande reconventionnelle. Con
clusion subsidiaire, on excipe aussi de la faute
commune en défense à l'action principale.
(5) Les parties ont déposé et se sont communi-
qué des listes de pièces un mois plus tard.
(6) Il y a eu interrogatoire préalable des parties
en avril 1980. Lors de l'interrogatoire préalable
des défendeurs, on demanda et obtint tous les
détails des avaries causées au navire défendeur
et les rapports d'expertise furent étudiés. Les
demandeurs prétendent toutefois que ces détails
ne furent exigés que dans le but de déterminer la
nature et la localisation des avaries du navire
défendeur afin d'établir précisément le point
d'impact et les positions respectives des navires
au moment du choc, non afin d'étudier les mon-
tants d'une demande éventuelle en dommages-
intérêts des défendeurs.
(7) Avant que la prescription extinctive ne soit
acquise, le 1°f novembre 1980, les parties échan-
gèrent plusieurs lettres en vue de transiger. Dans
cette correspondance, les avocats des défen-
deurs, le 30 juillet 1980, prétendent qu'il y a eu
négligence de la part des deux parties et que
toute juridiction saisie du litige partagerait la
responsabilité. La lettre comporte aussi la décla-
ration suivante: [TRADUCTION] «Je suis prêt à
recommander que l'on transige pour % [pour-
centage effacé pour les fins de la requête] parta-
geant ainsi la responsabilité selon le montant des
dommages approuvé par nos experts respectifs.»
Après avoir accusé réception de cette lettre, le
19 août 1980, les avocats des demandeurs répon-
dirent qu'ils soumettaient la chose à Ieurs
clients.
(8) Le 1" novembre 1980, il y eut prescription,
de deux ans.
(9) Le 24 février 1981, les demandeurs répondi-
rent finalement qu'ils ne croyaient pas qu'un
tribunal partagerait la responsabilité mais, afin
d'éviter la prolongation du litige, ils étaient prêts
à transiger en prenant pour base un certain
pourcentage de responsabilité. Cette lettre tou-
tefois ne mentionnait que les dommages-intérêts
revendiqués par les demandeurs, ignorant ceux
exigés par les défendeurs.
(10) Après avoir accusé réception de cette der-
nière lettre, les avocats des défendeurs écrivirent
le 5 juin 1981 qu'ils offraient de transiger en
prenant en compte les deux réclamations selon
un partage quelconque de la responsabilité. On
évaluait expressément les dommages-intérêts des
deux parties. Ne recevant aucune réponse, ils en
réclamaient une le 9 septembre 1981; le 14
septembre, les avocats des demandeurs répon-
daient qu'ils demandaient des instructions à
leurs clients avant de répondre.
(11) Les défendeurs réclamèrent de nouveau
une réponse le 16 novembre 1981, laquelle les
avocats des demandeurs répondirent, le 18
novembre 1981, de nouveau, qu'ils attendaient
des instructions. Enfin, le 22 décembre 1981, ils
écrivirent pour refuser l'offre du 5 juin 1981 et,
pour la première fois, notifier aux défendeurs
qu'aucune action séparée ou demande reconven-
tionnelle n'avait été engagée, indiquant qu'ils
avaient l'intention de s'appuyer sur la prescrip
tion de deux ans du paragraphe 645(1) de la Loi
sur la marine marchande du Canada, S.R.C.
1970, c. S-9, contre toute demande en domma-
ges-intérêts de la part des défendeurs.
En premier lieu, les défendeurs soutiennent que,
comme l'accident s'est produit dans les eaux terri-
toriales de la Colombie-Britannique, l'article 4 de
la Limitation Act de cette province s'applique
(S.R.C.-B. 1979, c. 236). Voici l'alinéa 4(1)a) de
cette loi:
[TRADUCTION] 4. (1) Il n'y a pas prescription lorsqu'a été
engagée une action à laquelle la présente ou toute autre loi
s'applique, dans les cas suivants:
a) une demande reconventionnelle, y inclus l'ajout d'une
nouvelle partie comme défenderesse reconventionnelle;
Le paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédé-
rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, porte:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles
de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre
sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant
la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance
dans cette province ....
La circonstancielle en début d'article est sans équi-
voque et doit recevoir plein effet. Il existe une
«toute autre loi», soit l'article 645 de la Loi sur la
marine marchande du Canada, relative à la pres
cription; il s'ensuit que la Limitation Act de la
Colombie-Britannique ne s'applique pas en l'es-
pèce. Voici les dispositions pertinentes de l'article
645 de la Loi sur la marine marchande du
Canada:
645. (1) Nulle action n'est soutenable aux fins d'exercer une
réclamation ... contre un bâtiment ou contre ses propriétaires
relativement à toute avarie ou perte causée à un autre bâti-
ment, ... occasionnées par la faute du premier bâtiment, que ce
bâtiment soit entièrement ou partiellement en faute, à moins
que les procédures ne soient intentées dans un délai de deux ans
à compter de la date à laquelle l'avarie ou la perte ou la mort
ou les blessures ont été causées ....
(2) Toute cour compétente pour connaître d'une action à
laquelle se rapporte le présent article peut, conformément aux
règles de cour, proroger ce délai, dans la mesure et aux
conditions qu'elle juge convenables.....
Il ne fait aucun doute qu'en droit une demande
reconventionnelle constitue essentiellement une
action séparée, qui, généralement parlant, est sou-
mise aux mêmes règles de prescription que toute
autre action ordinaire. Il existe certaines excep
tions, comme lorsque l'action principale est enga
gée à la toute dernière minute et que le défendeur,
qui n'a pas intenté de demande reconventionnelle,
croyant avec raison que le demandeur n'avait pas
l'intention d'agir contre lui, est, en raison de l'en-
gagement à la toute dernière minute de l'action du
demandeur, incapable d'agir avant que n'arrive la
prescription prévue par la loi. Les tribunaux dans
un tel cas, normalement, n'appliquent pas la pres
cription lorsque le défendeur a agi promptement
après avoir pris connaissance de la demande du
demandeur même si la législation sur la prescrip
tion est impérative et, comme dans le cas du
paragraphe 645(2) de la Loi sur la marine mar-
chande du Canada, n'attribue expressément à la
Cour aucun pouvoir de prorogation du délai de
prescription.
La question se pose donc de savoir quel principe
général devrait fonder ma décision de proroger ou
non le délai selon le paragraphe 645(2).
La jurisprudence anglaise, interprétant une dis
position similaire de la législation de ce pays,
semble partir du principe que celui qui prétend
exercer ce recours doit d'abord avoir une fort
bonne raison pour ne pas appliquer la législation;
cela démontré, la Cour se borne à départager les
parties selon l'équité et le cas d'espèce avant de
décider de proroger ou non.
Mais une règle en quelque sorte plus large et
plus équitable apparaît avec l'espèce The Llando-
very Castle [1920] P. 119 [à la page 125]:
[TRADUCTION] ... ce pouvoir discrétionnaire ne peut être
utilisé au profit d'un demandeur que dans des circonstances
spéciales, autorisant de ne pas donner effet à la prescription
légale.
Notons que dans la recherche d'un véritable ou
justifiable motif de proroger, on ne s'attache pas
uniquement à la raison qu'avait la partie en droit
de poursuivre de ne pas l'avoir fait, mais bien à ces
circonstances spéciales en général. Le juge Barlow,
juge de district en amirauté, dans l'espèce Sarnia
Steamships Ltd. c. Dominion Foundries and Steel
Ltd. [1948] R.C.E. 253, approuva la règle de
l'espèce Llandovery et le juge en chef Estey, qui
siégeait alors à la Haute Cour, l'appliqua expressé-
ment dans l'espèce Heath c. Kane (N° 2), Harti-
kainen c. Kane (N° 2) (1976) 15 O.R. (2 ° ) 262.
Dans l'espèce Philipp Brothers c. Torm, AIS,
DIS, Cast Lines (1979) 105 D.L.R. (3°) 763 (C.F.,
ire inst.), mon collègue, le juge Walsh, accepta
l'adjonction d'un codemandeur après que la
prescription a été acquise en se fondant sur l'arrêt
de la Cour d'appel fédérale Hijos de Romulo
Torrents Albert S.A. c. Le navire «Star Black-
ford» [1979] 2 C.F. 109, (1979) 26 N.R. 85, où
trois nouveaux demandeurs avaient été adjoints
bien qu'il y ait eu prescription. Ces deux espèces
auraient été fondées sur la Règle 425 qui, expres-
sément, traite des corrections du nom d'une partie,
même lorsque cela implique la substitution d'une
nouvelle partie à l'ancienne. Mais ni dans l'une
espèce, ni dans l'autre, les faits ne me semblent
conformes à la Règle, interprétée littéralement, car
il est difficile de comprendre comment l'adjonction
d'une partie entièrement nouvelle, jamais mention-
née auparavant, ni décrite faussement comme une
autre, puisse être considérée comme une correction
d'écriture. Ces modifications furent accordées
parce que la partie poursuivie (les défendeurs dans
ces espèces) ne subissait aucun préjudice sauf la
perte de la défense de prescription et n'était nulle-
ment induite en erreur quant aux dommages-inté-
rêts réclamés. Comme l'a dit le juge Walsh, à la
page 766 de l'espèce précitée, Philipp Brothers c.
Torm:
[TRADUCTION] Compte tenu de ces décisions qui font état
d'efforts certains déployés en vue de régler en fonction de
l'équité des réclamations qui autrement pourraient être rejetées
par suite d'une erreur de la demanderesse, erreur qui ne
désavantage pas réellement la défenderesse qui connaît très
bien tous les faits à l'origine de l'action, je suis d'avis d'accueil-
lir la présente requête en modification de l'intitulé de la cause
pour y ajouter B.S. Livingstone & Co. Inc. à titre de demande-
resse. Les dépens afférents à la présente requête sont à la
charge de la demanderesse quelle que soit l'issue de la cause.
Dans l'espèce antérieure A. G. Kelloway c.
Engineering Consultants Limited [1972] C.F. 932,
ce même juge avait passé outre à la prescription
que crée le paragraphe 536(1) de la Loi sur la
marine marchande du Canada en matière de sau-
vetage, conformément au pouvoir de prorogation
que le paragraphe 536(2) attribue à la Cour. Or, si
l'action n'avait pas été engagée, c'était en raison
du fait que l'avocat des demandeurs «était acca-
paré par d'autres tâches».
Le libellé du paragraphe 536(2) dont était saisi
le juge Walsh est absolument identique au para-
graphe 645(2) sur le fondement duquel la présente
demande est faite. A la page 934 du recueil pré-
cité, le juge dit:
... mais la première partie de l'article 536(2) accorde à la cour
le plus large pouvoir d'appréciation, en lui permettant de
proroger le délai de deux ans dans lequel, aux termes de
l'article 536(1), on doit entamer les procédures, «dans la
mesure et aux conditions qu'elle juge convenables.... .
Il faisait ainsi siens les commentaires du Maître
des rôles Pollock dans l'espèce The Arraiz (1924)
132 L.T. 715, à la page 716, cités aussi avec
approbation par le juge suppléant Sheppard dans
l'espèce Chemainus Towing Co. Ltd. c. Le navire
«Capetan Yiannis», [1966] R.C.É. 717.
A la page 937 du recueil, le juge Walsh dit aussi
qu'il ne constate l'existence d'aucune «raison suffi-
sante», ce qu'exige la jurisprudence anglaise, mais
il estime n'être pas obligé d'en constater, le pouvoir
discrétionnaire de la Cour demeurant intact dans
chaque espèce. Toutefois, il poursuit en donnant
trois motifs sur lesquels, de toute évidence, il fonde
sa décision d'accorder la prorogation demandée; il
est évident qu'il estime que la réunion de ces
circonstances constitue un motif suffisant, une jus
tification suffisante, d'accorder une prorogation.
Ces trois motifs sont: le fait, au vu des écritures,
que l'action semblait fondée de prime abord; le fait
que les défenderesses avaient toujours su qu'une
demande pouvait être intentée, qu'elles ne subis-
saient aucun préjudice et que, par ailleurs, les
demandeurs, eux, en subiraient un si la requête
était rejetée; enfin, le fait que les défenderesses en
puissance n'avaient pas comparu lors de l'instruc-
tion de la demande.
Pour décider s'il existe une raison véritable, les
tribunaux dans les espèces ci-dessus n'ont pas suivi
une règle de preuve étroite qui aurait requis de
la partie demandant qu'on écarte la prescription
de fournir en premier lieu un motif véritable
de l'écarter, autre que l'erreur, l'inadvertance ou
l'ignorance, avant d'examiner l'équité de la
demande par rapport aux parties et les autres
circonstances de l'espèce. Ils prennent en compte
les circonstances générales et, lorsque la partie
poursuivie paraît ne subir aucun préjudice réel
(autre que la perte du droit de se prévaloir de la
prescription) que des conditions spéciales dans l'or-
donnance de prorogation ne sauraient corriger et
lorsque, compte tenu de tous les faits pertinents, la
prorogation paraît être dans le meilleur intérêt de
la justice, l'ordonnance est accordée, indépendam-
ment du fait que le motif fondamental du délai ait
pu être l'inadvertance, l'erreur ou l'ignorance de la
loi.
Quant aux circonstances générales du présent
cas d'espèce, il est admis que c'est uniquement par
inadvertance qu'aucune demande reconvention-
nelle n'a été incluse dans la défense. Par ailleurs,
les demandeurs n'ont jamais volontairement cher-
ché à induire les défendeurs à laisser le temps
passer. Les demandeurs ne subiront aucun préju-
dice que les dépens ne pourraient réparer si ce
n'est la perte de la prescription extinctive de deux
ans. D'après la demande reconventionnelle, si les
faits articulés, ou à tout le moins certains d'entre
eux, étaient établis, la demande reconventionnelle
des défendeurs contre les demandeurs serait sans
doute valide en droit; et il se pourrait fort bien que
les défendeurs subissent un préjudice sérieux s'il
leur était interdit de l'intenter. Les défendeurs
avaient avisé les demandeurs avant même que
l'action ne soit engagée, que s'ils avaient à se
défendre, ils intenteraient une demande reconven-
tionnelle pour leurs propres dommages-intérêts.
Au cours des négociations en vue d'une transac
tion, avant qu'il n'y ait prescription, on avait pré-
venu les demandeurs que les défendeurs s'atten-
daient à un partage de la responsabilité et à des
dommages respectifs des parties. Au vu de l'offre
de transaction expresse et détaillée, offre
postérieure à la prescription, il semblerait, d'après
les réponses répétées des avocats des demandeurs,
disant qu'ils attendaient des instructions de leurs
clients pour répondre à l'offre de transaction,
qu'eux-mêmes aient ignoré, ou à tout le moins
aient oublié à ce moment-là, qu'aucune demande
reconventionnelle ne figurait dans les écritures. Il y
avait eu des interrogatoires préalables sur l'éten-
due et le détail du montant des dommages des
défendeurs et des rapports d'experts maritimes sur
le sujet avaient été déposés plusieurs mois avant
qu'il n'y ait prescription. Si l'action avait été enga
gée en Cour suprême de Colombie-Britannique,
rien n'aurait pu interdire d'intenter la demande
reconventionnelle.
Compte tenu des faits ci-dessus, il sera fait droit
à la requête, aux conditions suivantes:
1) la modification proposée de la défense et la demande recon-
ventionnelle seront produites et signifiées dans les 10 jours de la
présente ordonnance;
2) les défendeurs paieront les frais de la présente requête quelle
que soit l'issue de la cause;
3) advenant que les demandeurs exigent des interrogatoires
préalables supplémentaires des défendeurs, ceux-ci s'y confor-
meront, s'ils sont justifiés, et tous les frais de ces interrogatoi-
res, y compris les honoraires d'avocats, seront aux dépens des
défendeurs, quelle que soit l'issue de la cause.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.