T-6007-81
Sukhmander Singh (requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et
Paul Tétreault en sa qualité d'arbitre nommé en
vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 et le
procureur général du Canada (intimés)
Division de première instance, juge suppléant
Nitikman—Winnipeg, 13 janvier et 5 février 1982.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Mandamus
— Immigration — Enquête ouverte à la suite d'un rapport
établi en application de l'art. 27(2) de la Loi — Après que
l'arbitre eut conclu à l'expiration du statut de visiteur du
requérant, celui-ci a revendiqué le statut de réfugié — L'arbi-
tre s'est proposé de poursuivre l'audition afin d'établir, n'eût
été la revendication par le requérant du statut de réfugié, s'il y
avait lieu à ordonnance de renvoi ou à avis d'interdiction de
séjour — Le requérant a protesté, mais l'arbitre a refusé
l'ajournement — Le requérant sollicite l'ajournement de l'en-
quête et une décision à l'égard de sa revendication du statut de
réfugié — II échet d'examiner si l'arbitre a eu tort de refuser
d'ajourner l'enquête — Il faut déterminer s'il y a lieu à
ordonnance de renvoi ou à avis d'interdiction de séjour seule-
ment après qu'on a établi que le requérant n'est pas un réfugié
au sens de la Convention — Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, c. 52, art. 2, 27(2), 45(1), 46(1),(2), 115(1)q) —
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art.
35(3).
Le requérant est entré au Canada en tant que visiteur.
Quelques mois après l'expiration de son statut de visiteur, une
enquête en matière d'immigration a été ouverte à la suite d'un
rapport établi en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi sur
l'immigration de 1976. Après que l'arbitre eut conclu à l'expi-
ration du statut de visiteur du requérant, ce dernier a revendi-
qué le statut de réfugié. L'arbitre s'est proposé en premier lieu
de poursuivre l'audition afin d'établir, n'eût été la revendication
du statut de réfugié du requérant, si, dans les circonstances, il y
avait lieu à ordonnance de renvoi ou à avis d'interdiction de
séjour, et en second lieu, d'ajourner l'enquête en vertu du
paragraphe 45(1) de la Loi. Le requérant s'est opposé à cette
façon de procéder, mais l'arbitre a refusé d'ajourner l'enquête.
Le requérant sollicite maintenant, par voie d'ordonnance de
prohibition et de bref de mandamus, l'ajournement de l'enquête
et une décision à l'égard de sa revendication du statut de
réfugié. Il échet d'examiner si l'arbitre a commis une erreur en
n'ajournant pas l'audition après avoir constaté l'expiration du
statut de visiteur du requérant, et s'il y a lieu à ordonnance de
renvoi ou à avis d'interdiction de séjour seulement lorsqu'il a
été établi que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la
Convention.
Arrêt: les requêtes en bref de mandamus et en ordonnance de
prohibition sont rejetées, et l'affaire renvoyée à l'arbitre qui
doit poursuivre l'enquête en vertu du paragraphe 45(1) de la
Loi. Le requérant confond l'expression «aurait abouti» du para-
graphe 45(1) de la Loi (employée relativement à une ordon-
nance de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour) avec
l'expression «doit ... prononcer* du paragraphe 46(2). Il n'y a
ni ordonnance de renvoi ni avis d'interdiction de séjour avant
l'ajournement. L'arbitre devait poursuivre l'enquête afin d'éta-
blir si, n'eût été la revendication du statut de réfugié du
requérant, il y avait lieu à ordonnance de renvoi ou à avis
d'interdiction de séjour, et, une fois cette question tranchée,
d'ajourner l'enquête pour permettre l'instruction, de la manière
prévue par la Loi, de la prétention du requérant au statut de
réfugié.
Jurisprudence: arrêt appliqué: Ergul c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration [1982] 2 C.F. 98.
REQUÊTES.
AVOCATS:
Kenneth Zaifman pour le requérant.
Brian Hay pour les intimés.
PROCUREURS:
Margolis Kaufman Cassidy Zaifman Swartz,
Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT NITIKMAN: Dans son avis
de requête, le requérant conclut entre autres à ce
qui suit:
[TRADUCTION] a) Ordonnance interdisant à l'arbitre PAUL
TÉTREAULT de poursuivre l'enquête ouverte le 21 novembre
1981 sur le requérant, à la suite d'un rapport établi en
application de l'article 27(2) de ladite Loi sur l'immigration.
b) Bref de mandamus pour obliger PAUL TÉTREAULT
ajourner l'enquête commencée le 21 novembre 1981.
c) Bref de mandamus pour obliger PAUL TÉTREAULT à
ordonner que le requérant qui prétend être un réfugié au sens
de la Convention, en vertu de la Loi sur l'immigration de
1976 et du Règlement sur l'immigration de 1978, soit inter-
rogé sous serment à ce sujet par un agent d'immigration
supérieur.
d) Bref de mandamus pour obliger le ministre de l'Emploi et
de l'Immigration à examiner, conformément à la Loi sur
l'immigration de 1976 et au Règlement sur l'immigration de
1978, si le requérant est un réfugié au sens de la Convention.
Les faits, qui ne sont pas contestés, sont énoncés
comme suit aux paragraphes 1 à 6 de l'affidavit
produit à l'appui de la requête:
[TRADUCTION] 1. Je suis le requérant et, à ce titre, connais
avec certitude les faits rapportés au présent affidavit sauf les
informations indiquées comme étant de seconde main.
2. Citoyen de l'Inde, je suis né le 10 décembre 1955.
3. Je suis arrivé à Mirabel (Québec) le 19 mai 1981 avec visa
de visiteur valide jusqu'au 20 juin 1981.
4. Vers le 20 juin 1981, je me suis rendu au Centre d'immi-
gration du Canada, 3° étage, 175, rue Carlton, Winnipeg
(Manitoba) afin de revendiquer le statut de réfugié confor-
mément à la Loi sur l'immigration de 1976, modifiée.
L'agent d'immigration de service m'a informé que je pourrais
revendiquer le statut de réfugié lors de l'enquête qui aurait
lieu à l'expiration de mon statut de visiteur.
5. L'enquête présidée par l'arbitre Paul Tétreault a été
ouverte le 21 novembre 1981.
6. L'arbitre Paul Tétreault a conclu que mon statut de
visiteur était expiré et que de ce fait, je tombais sous
l'application de l'article 27(2)e) de la Loi sur l'immigration
de 1976.
Après que l'arbitre eut conclu à l'expiration du
statut de visiteur du requérant, celui-ci a revendi-
qué, par son avocat, le statut de réfugié.
La Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, c. 52, (ci-dessous désignée la Loi), définit
«réfugié au sens de la Convention» comme suit:
2....
... toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée
du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son
appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques
a) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut
ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays, ou
b) qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays
dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en
raison de ladite crainte, ne veut y retourner;
Le paragraphe 45(1) et l'article 46 de la Loi
portent respectivement:
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en
cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention,
doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi-
cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à
un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un
agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire
sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
46. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé conformé-
ment au ,paragraphe 45(5) que la personne en cause n'est pas
un réfugié au sens de la Convention, doit faire reprendre
l'enquête, dès que les circonstances le permettent, par l'arbitre
qui en était chargé ou par un autre arbitre, à moins que la
personne en cause ne demande à la Commission, en vertu du
paragraphe 70(1), de réexaminer sa revendication; dans ce cas,
l'enquête est ajournée jusqu'à ce que la Commission notifie sa
décision au Ministre.
(2) L'arbitre chargé de poursuivre l'enquête en vertu du
paragraphe (1), doit, comme si la revendication du statut de
réfugié n'avait pas été formulée, prononcer le renvoi ou l'inter-
diction de séjour de la personne
a) à qui le Ministre n'a pas reconnu le statut de réfugié au
sens de la Convention, si le délai pour demander le réexamen
de sa revendication prévu au paragraphe 70(1) est expiré; ou
b) à qui la Commission n'a pas reconnu le statut de réfugié
au sens de la Convention.
Après avoir constaté l'expiration du statut de
visiteur du requérant, l'arbitre a décidé, en premier
lieu, de poursuivre l'enquête afin d'établir, n'eût
été la revendication du statut de réfugié, si, à la
lumière des faits que ferait ressortir l'enquête, il y
avait lieu à ordonnance de renvoi ou à avis d'inter-
diction de séjour, et en second lieu, d'ajourner
cette enquête pour que le requérant soit interrogé
sous serment par un agent d'immigration supérieur
au sujet de sa revendication (paragraphe 45(1)).
Le requérant s'est opposé à ce que l'arbitre
poursuive l'enquête après avoir constaté l'expira-
tion de son statut de visiteur, par ce motif que
l'arbitre aurait dû ajourner immédiatement l'en-
quête et statuer sur la revendication du statut de
réfugié au sens de la Convention. L'arbitre ayant
refusé l'ajournement, le requérant a alors fait part
de sa volonté de contester la validité de la décision
de ce dernier. C'est pourquoi l'enquête n'a pas été
ajournée, mais suspendue temporairement.
Voici l'argument soutenu par le requérant: l'ar-
bitre a commis une erreur en n'ajournant pas
immédiatement l'audition après avoir constaté
l'expiration du statut de visiteur du requérant, et il
ne saurait rendre une ordonnance de renvoi ou
décerner un avis d'interdiction de séjour qu'après
avoir établi que le requérant n'est pas un réfugié
au sens de la Convention.
Je ne saurais accueillir cet argument du requé-
rant qui confond l'expression «aurait abouti» du
paragraphe 45 (1) avec l'expression «doit ... pro-
noncer» du paragraphe 46(2).
Afin de prévenir tout malentendu, je tiens à
souligner que ce que l'arbitre s'est proposé de
faire, et ce qu'il devait faire conformément d'ail-
leurs au paragraphe 45(1) de la Loi, c'était de
poursuivre l'enquête afin d'établir si, n'eût été la
revendication du statut de réfugié du requérant, il
y avait lieu à ordonnance de renvoi ou à avis
d'interdiction de séjour, et, une fois cette question
tranchée, d'ajourner l'enquête pour permettre
l'instruction, de la manière prévue par la Loi, de la
prétention du requérant au statut de réfugié au
sens de la Convention.
Il convient de noter qu'il n'y a ni ordonnance de
renvoi ni avis d'interdiction de séjour avant l'ajour-
nement d'une enquête. En effet, l'arbitre ne fait
que conclure que, n'eût été la revendication du
statut de réfugié, l'enquête aurait abouti à une
ordonnance de renvoi ou à un avis d'interdiction de
séjour.
Après avoir constaté l'expiration du statut de
visiteur du requérant, l'arbitre pouvait, en poursui-
vant son enquête, établir s'il y a lieu à ordonnance
de renvoi ou à avis d'interdiction de séjour en se
basant sur les témoignages portant, par exemple,
sur la situation financière du requérant, sur sa
volonté et ses moyens d'assumer les dépenses
nécessaires à son retour dans son pays d'origine, et
sur d'autres questions pertinentes.
Si le requérant se voit reconnaître à la fin le
statut de réfugié au sens de la Convention, l'en-
quête ajournée doit être reprise soit par l'arbitre
initialement saisi, soit par un autre, qui autorisera
le requérant à demeurer au Canada.
Si, par contre, le requérant se voit refuser le
statut de réfugié au sens de la Convention, l'en-
quête doit alors être reprise soit par l'arbitre initia-
lement saisi, soit par un autre, l'un ou l'autre
devant décerner l'ordonnance de renvoi ou l'avis
d'interdiction de séjour qui aurait dû être décerné,
n'eût été la revendication par le requérant du
statut de réfugié au sens de la Convention.
Par ces raisons, la requête en mandamus pour
contraindre l'arbitre à ajourner l'enquête ouverte
le 21 novembre 1981 est rejetée, ce qui entraîne le
rejet des autres requêtes en mandamus du requé-
rant ainsi que de sa requête en certiorari.
L'affaire est renvoyée à l'arbitre Paul Tétreault
qui doit reprendre et poursuivre l'enquête afin
d'établir si, n'eût été la revendication du statut de
réfugié au sens de la Convention, il y a lieu à
ordonnance de renvoi ou à avis d'interdiction de
séjour. Une fois qu'il se sera prononcé à cet égard,
il ajournera l'enquête et la revendication par le
requérant du statut de réfugié au sens de la Con
vention sera dès lors instruite conformément aux
dispositions de la Loi, comme indiqué plus haut.
Je me suis grandement inspiré des motifs de
jugement que le juge Louis Pratte de la Cour
d'appel fédérale a prononcés verbalement, le 9
octobre 1981, dans Ergul c. Le ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration [[1982] 2 C.F. 98],
motifs auxquels ont souscrit les autres membres du
collège et à la lumière desquels je suis parvenu
sans aucun mal à ma décision en l'espèce.
Le paragraphe 35(3) du Règlement sur l'immi-
gration de 1978, DORS/78-172, pris sous le
régime de l'alinéa 115(1)q) de la Loi et portant:
35....
(3) L'enquête ajournée selon la Loi ou le présent règlement
peut, avec le consentement de la personne en cause ou lorsque
aucune preuve réelle n'a été produite, être reprise par un arbitre
autre que celui qui a présidé l'enquête ajournée.
ne s'applique pas en l'espèce attendu, comme indi-
qué plus haut, que l'arbitre a refusé d'ajourner
l'enquête et qu'il va maintenant la poursuivre.
Ce n'est que dans le cas où, pour une raison
quelconque, l'arbitre n'est pas en mesure de
reprendre l'enquête, alors parce qu'il ne s'est pas
encore prononcé, que cette enquête pourrait être
reprise par un autre arbitre sous réserve du consen-
tement du requérant. Faute de consentement, l'af-
faire devra être renvoyée à l'agent d'immigration
supérieur responsable pour qu'il ordonne la tenue
d'une nouvelle enquête.
Cette conclusion est conforme à la décision
Ergul, précitée, qui définit de façon claire et con
cise les cas d'application du paragraphe 35(3) du
Règlement et les raisons pour lesquelles celui-ci est
inopérant lorsqu'une enquête a été correctement
ajournée par l'arbitre initialement saisi.
La Cour n'alloue pas de dépens en l'espèce.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.