A-100-80
William Claude Lyle (appelant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et juge suppléant
Verchere—Vancouver, 9 et 15 février 1982.
Immigration — Appel de la décision par laquelle la Com
mission d'appel de l'immigration a rejeté l'appel formé contre
une ordonnance d'expulsion — L'ordonnance a été rendue
avant l'abrogation de la Loi sur l'immigration de 1952, mais
l'audition de l'appel devant la Commission a eu lieu après
cette abrogation — La première décision par laquelle la
Commission a annulé l'ordonnance a été infirmée par la Cour,
et l'affaire lui a été renvoyée — La Cour a jugé que la Loi de
1952, plutôt que la Loi de 1976, devait s'appliquer — L'appe-
lant fait valoir que l'ordonnance, réputée constituer une peine,
a été réduite à néant en vertu de la nouvelle Loi, celle-ci ayant
écarté cette peine dans des cas semblables à celui de l'appelant
— La Commission a décidé (1) que la peine n'avait été ni
imposée ni prononcée après l'abrogation; (2) qu'écarter comme
des infractions susceptibles d'entraîner l'expulsion les infrac
tions commises par l'appelant ne constituait ni une réduction
ni une mitigation de la peine; (3) qu'elle était tenue, par
ordonnance de la Cour d'appel fédérale, d'appliquer la Loi de
1952 — La décision de la Commission équivaut à une décision
après l'abrogation — L'expression «infligée ou prononcée» est
clairement disjonctive — Une peine abolie sous le régime de la
Loi sur l'immigration de 1976 est «réduite» ou «mitigée»,
l'abolition équivalant à une réduction complète — Le troisième
motif invoqué par la Commission pour rejeter l'appel est
repoussé, l'art. 36e) de la Loi d'interprétation et l'art. 126a) de
la Loi de 1976 n'ayant pas fait l'objet d'un débat devant une
autre formation de la Cour — Appel accueilli — Loi sur
l'immigration, S.R.C. 1952 (Supp.), c. 325, art. 18(1)d) — Loi
sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 27(1)d),
32(5),(6), 125(3), 126a) — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970,
c. I-23, art. 36e) — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970,
c. N-1, art. 3.
Appel de la décision par laquelle la Commission d'appel de
l'immigration a rejeté l'appel formé par l'appelant contre une
ordonnance d'expulsion au motif qu'il était une personne visée à
l'alinéa 18(1)d) de la Loi sur l'immigration de 1952, ayant été
déclaré coupable d'une infraction sous le régime de l'article 3
de la Loi sur les stupéfiants. La décision par laquelle la
Commission a annulé l'ordonnance a été infirmée par une
formation de cette Cour, et l'affaire a été renvoyée à la
Commission pour qu'elle prenne une décision fondée sur la loi
en vigueur à l'époque de l'ordonnance (c.-à-d. le 4 janvier 1978)
et non sur la loi en vigueur au moment de l'audience de l'appel
(c.-à-d. après l'abrogation, le 10 avril 1978, de la Loi de 1952
par la Loi de 1976). Invoquant l'alinéa 36e) de la Loi d'inter-
prétation et l'alinéa 126a) de la Loi sur l'immigration de 1976,
l'appelant fait valoir que lorsqu'une ordonnance d'expulsion est
«réduite ou mitigée» par la Loi de 1976, cette ordonnance, si
elle est «infligée ou prononcée» après l'abrogation de la Loi de
1952, doit être réduite ou mitigée en conséquence. Puisque
l'alinéa 27(1)d) de la Loi de 1976 écarte l'ordonnance d'expul-
Sion dans un cas comme celui de l'appelant, celle-ci est réduite
à néant et doit donc être infirmée. La Commission a décidé (1)
que l'alinéa 126a) ne s'appliquait pas, la peine, c.-à-d. l'ordon-
nance d'expulsion, n'ayant pas été «infligée ou prononcée» après
l'abrogation de la Loi de 1952; (2) que l'alinéa 36e) ne s'appli-
quait pas puisque écarter une ordonnance d'expulsion pour les
infractions commises par l'appelant ne constitue ni une «réduc-
tion» ni une «mitigation»; et (3) qu'elle était tenue, en vertu de
l'ordonnance de la Cour d'appel, de juger l'affaire en appli-
quant la Loi de 1952. C'est cette décision qui fait l'objet de
l'appel.
Arrêt: l'appel est accueilli. La décision de la Commission
constituait une décision après l'abrogation de la Loi de 1952.
En statuant sur les appels formés à l'encontre des ordonnances
d'expulsion, la Commission, à l'évidence, prononce un juge-
ment, c.-à-d. qu'elle tranche la question ou décide de celle-ci.
Le raisonnement de la Commission suppose une interprétation
de l'alinéa 36e) qui substituerait «et» à «ou» dans l'expression
«infligée ou prononcée». L'expression étant clairement disjonc-
tive, on doit présumer que le législateur n'a pas voulu qu'«infli-
ger» et «prononcer» soient synonymes. Deuxièmement, puisque
l'abolition de la peine sous le régime de la Loi de 1976, comme
en l'espèce, représente une réduction ou mitigation complète ou
totale, la peine est «réduite» ou «mitigée» au sens de
l'alinéa 36e). Les alinéas 126a) et 36e) envisagent un cas où la
réduction ou mitigation de la peine est prévue dans le nouveau
texte législatif même, et non un cas où, dans une mesure très
restreinte, il est loisible à l'arbitre de réduire la peine, comme
au paragraphe 32(6) de la Loi de 1976 qui permet à l'arbitre,
dans certains cas, de remplacer une ordonnance d'expulsion par
un avis d'interdiction de séjour. Enfin, le troisième motif invo-
qué par la Commission pour rejeter l'appel doit être repoussé.
A l'audition de l'appel devant la première formation de cette
Cour, les débats ont porté uniquement sur l'interprétation, par
la Commission, du paragraphe 125(3) de la Loi de 1976, et la
décision de la Cour s'est fondée uniquement sur ce paragraphe.
En l'espèce, les alinéas 36e) et 126a) ont fait l'objet d'un débat,
et la Cour est persuadée que ces dispositions s'appliquent à
l'appelant.
APPEL.
AVOCATS:
James Aldridge pour l'appelant.
Alan Louie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rosenbloom, McCrea & Leggatt, Vancouver,
pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est formé, en vertu de
l'autorisation accordée par la présente Cour,
contre une décision que la Commission d'appel de
l'immigration a rendue le 30 novembre 1979 et par
laquelle elle a rejeté l'appel formé par l'appelant
contre une ordonnance d'expulsion rendue contre
lui le 4 janvier 1978.
Ayant obtenu le statut d'immigrant reçu le
29 août 1974, l'appelant, de citoyenneté améri-
caine, réside en permanence au Canada. Il a été
reconnu coupable, à deux reprises, de possession de
cocaïne, en violation de l'article 3 de la Loi sur les
stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1. Les deux con-
damnations étaient des déclarations sommaires de
culpabilité. A la suite d'une enquête spéciale tenue
en vertu de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1952
(Supp.), c. 325, une ordonnance d'expulsion fut
rendue contre l'appelant le 4 janvier 1978, au
motif qu'il était une personne visée à l'alinéa
18(1)d) de la Loi sur l'immigration de 1952,
ayant été déclaré coupable d'une infraction sous le
régime de l'article 3 de la Loi sur les stupéfiants.
L'appelant interjeta appel de l'ordonnance d'expul-
sion devant la Commission d'appel de l'immigra-
tion.
La Loi sur l'immigration de 1952 a été abrogée
et remplacée par la Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, c. 52, le 10 avril 1978. Les parties
reconnaissent que bien que l'appelant fût sujet à
expulsion sous le régime de l'alinéa 18(1)d) de la
Loi de 1952, il ne le serait pas sous l'empire de la
Loi de 1976, l'alinéa pertinent de celle-ci étant
l'alinéa 27(1)d). La Commission d'appel de l'im-
migration a annulé l'ordonnance d'expulsion (déci-
sion n° 1 de la Commission) au motif qu'en vertu
du paragraphe 125(3) de la Loi sur l'immigration
de 1976', elle était tenue d'examiner l'ordonnance
d'expulsion à la lumière des dispositions de fond de
la nouvelle Loi. La décision n° 1 de la Commission
a été portée en appel devant cette Cour. Une
formation de cette Cour a annulé cette décision et
renvoyé l'affaire à la Commission [TRADUCTION]
«pour jugement au motif qu'il faut se prononcer
sur la légitimité de l'ordonnance d'expulsion
rendue contre l'intimé en fonction de l'article
18(1)d) de la Loi sur l'immigration de 1952».
' Ledit paragraphe 125(3) est ainsi rédigé:
125... .
(3) Toute procédure engagée devant la Commission d'ap-
pel de l'immigration avant l'entrée en vigueur de la présente
loi doit être reprise et poursuivie en vertu et en conformité de
la présente loi.
La Cour a décidé qu'il fallait statuer sur le fond
de l'appel en appliquant la loi qui était en vigueur
à l'époque de l'ordonnance d'expulsion et non la loi
en vigueur au moment de l'audience. Elle a en
outre estimé que le paragraphe 125(3) (susmen-
tionné) n'autorisait pas la Commission à décider
de la légitimité de l'ordonnance d'expulsion rendue
en fonction des dispositions de fond de la Loi sur
l'immigration de 1976.
Conformément à l'ordonnance de la Cour préci-
tée, la Commission a procédé à une nouvelle audi
tion de l'affaire. A cette audition, l'avocat de
l'appelant s'est appuyé sur l'alinéa 36e) de la Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, lequel alinéa
porte ce qui suit:
36. Lorsqu'un texte législatif (au présent article appelé «texte
antérieur») est abrogé et qu'un autre texte législatif (au présent
article appelé «nouveau texte») y est substitué,
e) lorsqu'une peine, une confiscation ou une punition est
réduite ou mitigée par le nouveau texte, la peine, confiscation
ou punition, si elle est infligée ou prononcée après l'abroga-
tion, doit être réduite ou mitigée en conséquence;
L'avocat de l'appelant a également invoqué
l'alinéa 126a) de la Loi sur l'immigration de 1976,
qui est ainsi conçu:
126. Pour plus de certitude, il est précisé que
a) toute ordonnance d'expulsion rendue en vertu de la Loi
sur l'immigration, abrogée par le paragraphe 128(1) de la
présente loi, est réputée constituer une peine, confiscation ou
punition au sens de l'alinéa 36e) de la Loi d'interprétation;
D'après l'avocat, il résulte du rapprochement de
ces deux articles que lorsqu'une ordonnance d'ex-
pulsion est «réduite ou mitigée» par la Loi de 1976,
cette ordonnance, si elle est «infligée ou prononcée»
après l'abrogation de la Loi de 1952, doit être
réduite ou mitigée en conséquence. Puisque,
compte tenu des faits de l'espèce, la nouvelle Loi a
écarté complètement l'ordonnance d'expulsion, cel-
le-ci a été réduite à néant et doit donc être
infirmée.
La Commission a rejeté l'appel de l'appelant,
confirmé l'ordonnance d'expulsion et en a ordonné
l'exécution aussitôt que possible (décision n° 2 de
la Commission). C'est cette décision qui fait l'objet
du présent appel.
Si je comprends bien les motifs de la Commis
sion, l'appel a été rejeté pour trois motifs: en
premier lieu, l'alinéa 126a) susmentionné ne sau-
rait s'appliquer aux faits en l'espèce, puisque la
«peine» en question, c.-à-d. l'ordonnance d'expul-
sion, n'a pas été «infligée ou prononcée» après
l'abrogation de la Loi de 1952. A ce sujet, la
Commission dit ceci dans ses motifs (D.A., Vol.
III, p. 362):
[TRADUCTION] Pour revenir aux arguments de M. Aldridge
selon lesquels, bien que l'ordonnance d'expulsion ait été «infli-
gée» à M. Lyle avant l'abrogation, cette Commission est tenue
de la «prononcer» après l'abrogation, à mon avis, la Commis
sion, en tant que tribunal d'appel, ne «prononce» pas l'ordon-
nance d'expulsion dont elle est saisie en appel. Elle n'est pas et
n'a jamais été l'autorité ordonnant l'expulsion; son rôle en appel
se limite à déterminer si une ordonnance d'expulsion déjà
rendue est conforme à la loi: l'imposition de la «peine» a déjà
été faite.
A mon avis, la Commission a commis une erreur
en jugeant que dans l'appel de l'ordonnance d'ex-
pulsion dont elle était saisie, elle ne se «prononçait»
pas sur l'affaire. En statuant sur les appels formés
à l'encontre des ordonnances d'expulsion, la Com
mission, à l'évidence, prononce un jugement. Le
Black's Law Dictionary, cinquième édition, définit
le mot «Adjudge» notamment comme [TRADUC-
TION] «Juger, décider, trancher ...». On trouve de
semblables définitions dans The Concise Oxford
Dictionary et dans de nombreux autres ouvrages
reconnus. A la lecture de ses motifs, la Commis
sion me semble conclure que la seule «adjudica-
tion» (décision) que vise l'alinéa 36e) est la déci-
sion initiale prise lors de l'imposition de la peine.
Autrement dit, le raisonnement de la Commission
suppose nécessairement une interprétation de
l'alinéa 36e) qui substituerait et à ou dans l'expres-
sion «infligée ou prononcée». Si le législateur avait
voulu présenter cette expression de façon conjonc-
tive plutôt que disjonctive, il l'aurait fait. L'expres-
sion étant clairement disjonctive, on doit présumer
que le législateur n'a pas voulu qu'infliger et pro-
noncer soient synonymes. Étant donné les faits en
l'espèce, je suis convaincu que la décision n° 2 de la
Commission constituait une décision après l'abro-
gation de la Loi sur l'immigration de 1952.
La deuxième raison invoquée dans les motifs de
la Commission pour rejeter l'appel est qu'à son
avis, lorsque, comme en l'espèce, la Loi de 1976
écarte comme une infraction susceptible d'entraî-
ner l'expulsion les infractions commises par l'appe-
lant, on ne saurait dire qu'il s'agit là d'une «réduc-
tion> ou «mitigation» de la peine au sens de
l'alinéa 36e) de la Loi d'interprétation (susmen-
tionné). Par conséquent, cet alinéa ne s'applique
pas en l'espèce. Voici, à ce sujet, l'avis de la
Commission (D.A., Vol. III, pp. 361 et 362):
[TRADUCTION] En rapprochant l'alinéa 126a) de la Loi sur
l'immigration et le paragraphe 36(3) [sic] de la Loi d'interpré-
tation, on arrive d'abord à un résultat quelque peu surprenant,
conduisant à la conclusion qu'une ordonnance d'expulsion
rendue en vertu de la Loi sur l'immigration de 1952 avant
l'abrogation est réputée constituer une peine qui, si elle est
réduite ou mitigée par la Loi sur l'immigration de 1976, c.-à-d.
après l'abrogation de la Loi de 1952, doit, si elle est infligée
après l'abrogation, être réduite ou mitigée en conséquence. Il
semblerait s'agir là d'une contradiction, mais, à mon avis,
cette contradiction peut s'expliquer si l'on reconnaît que l'alinéa
126a) de la Loi sur l'immigration vise non pas les motifs
donnant lieu à une ordonnance d'expulsion, mais plutôt ses
conséquences. Sous le régime de la Loi de 1952, il n'existait
qu'un seul moyen de faire quitter le Canada à une personne
déclarée inadmissible ou, se trouvant au Canada, à une per-
sonne appartenant à une ou plusieurs catégories visées aux
alinéas du paragraphe 18(1). Ce moyen, c'est l'ordonnance
d'expulsion.
La Loi de 1976 prévoit trois moyens d'expulsion, savoir l'avis
d'interdiction de séjour, l'ordonnance d'exclusion et l'ordon-
nance d'expulsion. L'avis d'interdiction de séjour et l'ordon-
nance d'exclusion sont des «peines» moins graves qu'une ordon-
nance d'expulsion. Une personne contre qui l'ordonnance
d'expulsion a été rendue sous le régime de la Loi de 1952
pourrait, si l'ordonnance n'a pas été exécutée, interjeter appel
devant la Commission et invoquer l'alinéa 126a) de la Loi de
1976 pour faire «réduire» ou «mitiger» son ordonnance d'expul-
sion en demandant qu'elle soit remplacée par un avis d'interdic-
tion de séjour ou une ordonnance d'exclusion, si cette personne
tombe dans une catégorie à l'égard de laquelle il peut être
décerné un tel avis ou une telle ordonnance.
Sous le régime de la Loi sur l'immigration de 1976, la
délivrance d'un avis d'interdiction de séjour ou d'une ordon-
nance d'exclusion relève du pouvoir discrétionnaire de l'arbitre,
à l'égard de certaines catégories de personnes. Une personne
sollicitant la mitigation d'une ordonnance d'expulsion rendue
en vertu de la Loi sur l'immigration de 1952 devrait s'adresser
à un arbitre pour la réouverture de l'enquête tenue à son sujet,
en application de l'article 35 de la Loi sur l'immigration de
1976 (un arbitre peut rouvrir une enquête tenue par un enquê-
teur spécial en vertu de la Loi de 1952), ou, si elle a le droit
d'en appeler à la Commission et a exercé ce droit, solliciter
la Commission d'exercer sa compétence en vertu de l'alinéa
76(1)a) de la Loi sur l'immigration de 1976 pour «prononcer
toute autre ordonnance de renvoi que l'arbitre chargé de l'en-
quête aurait dû rendre». A noter que la Commission n'a aucun
pouvoir particulier pour délivrer un avis d'interdiction de
séjour, mais par l'extension de la règle adoptée dans l'affaire
Pratap c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et par
application du principe établi dans l'affaire Gana c. Le ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, la Commission pour-
rait probablement, dans un cas donné, prononcer une ordon-
nance d'exclusion plutôt qu'une ordonnance d'expulsion, à
l'égard d'une ordonnance d'expulsion rendue en vertu de la Loi
de 1952. Ce choix n'existait pas toutefois dans le cas de Lyle,
puisqu'en tant qu'immigrant reçu, il aurait été sujet à une
ordonnance d'expulsion, et seulement à une ordonnance d'ex-
pulsion, en raison du paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976.
En toute déférence, je ne saurais accepter ces
opinions émises par la Commission. Son raisonne-
ment laisse entendre que l'expression «réduite ou
mitigée» dans l'alinéa 36e) s'applique uniquement
à des situations où, en vertu de la Loi de 1976, un
arbitre a la liberté d'émettre un avis d'interdiction
de séjour ou une ordonnance d'exclusion au lieu
d'une ordonnance d'expulsion. (Paragraphes 32(5)
et 32(6) de la Loi de 1976.) L'erreur dans ce
raisonnement consiste, à mon avis, en ce que l'ali-
néa 36e) de la Loi d'interprétation fait état de la
«réduction» ou «mitigation» de la peine dans le
«nouveau texte». Aux fins de l'espèce, le nouveau
texte est la Loi sur l'immigration de 1976. Cette
loi ne réduit pas la peine en substituant l'avis
d'interdiction de séjour à l'ordonnance d'expulsion.
Le paragraphe 32(6) de la Loi sur l'immigration
de 1976 prévoit que dans certains cas, il est loisible
à l'arbitre, pourvu que certaines conditions déter-
minées aient été remplies, de remplacer une ordon-
nance d'expulsion par un avis d'interdiction de
séjour, mais, à mon avis, il ne s'agit pas là du
genre de disposition visé à l'alinéa 126a) de la Loi
sur l'immigration de 1976 et à l'alinéa 36e) de la
Loi d'interprétation. J'estime que ces dispositions
envisagent un cas où la réduction ou mitigation de
la peine est prévue dans le nouveau texte même, et
non dans une loi telle que celle de 1976 où il est
donné, dans une mesure très restreinte, le pouvoir
discrétionnaire de réduire la peine. Je suis d'accord
avec l'avocat de l'appelant qu'interpréter l'expres-
sion «réduite ou mitigée» de la manière suggérée
par la Commission conduirait à une situation anor-
male. Il en résulterait qu'un visiteur au Canada,
personne beaucoup moins attachée au Canada
qu'un résident permanent tel que l'appelant à l'ins-
tance, pourrait probablement bénéficier du choix
moins pénible d'un avis d'interdiction de séjour,
alors que le résident permanent, dont les liens qui
l'attachent au Canada sont beaucoup plus pro-
fonds, serait expulsé (parce que l'arbitre n'est pas
autorisé dans ce cas à émettre un avis d'interdic-
tion de séjour) pour une infraction, prévue à la Loi
de 1952, que le législateur a écartée comme une
infraction susceptible d'entraîner l'expulsion sous
le régime de la Loi de 1976 lorsqu'elle est commise
par un résident permanent. Ainsi, cette anomalie
consiste en ce que le visiteur serait mieux traité
que le résident permanent. Je ne pense pas que cet
alinéa doive être interprété de manière à produire
un tel résultat, surtout si on l'interprète à la
lumière de l'économie de la Loi sur l'immigration
de 1976, qui confère manifestement aux résidents
permanents au Canada des droits beaucoup plus
grands, quant au droit d'y demeurer, que ceux qui
sont donnés aux visiteurs. Par exemple, le renvoi
du Canada de visiteurs est envisagé dans un con-
texte plus large que pour les résidents permanents;
ceux-ci ont le droit de parrainer des candidats à la
résidence permanente; et ils sont en droit d'interje-
ter appel de la décision d'un arbitre devant la
Commission d'appel de l'immigration, alors que les
visiteurs ne le sont pas. Par ces motifs, je suis
arrivé à la conclusion que puisque l'abolition de la
peine sous le régime de la nouvelle Loi, comme en
l'espèce, représente une réduction ou mitigation
complète ou totale, elle est «réduite» ou «mitigée»
au sens de l'alinéa 36e) susmentionné, et que la
Commission a commis une erreur en ne décidant
pas ainsi.
Voici le troisième motif pour lequel la Commis
sion a rejeté l'appel (D.A., Vol. III, p. 363):
[TRADUCTION] De nouveau, comme on l'a fait remarquer
devant la Cour, le jugement et l'ordonnance de la Cour d'appel
fédérale sont catégoriques, et ce tribunal est tenu de s'y confor-
mer. La Cour d'appel fédérale a enjoint à la Commission de
juger cette affaire «en fonction de l'alinéa 18(1)d) de la Loi sur
l'immigration de 1952», et nous sommes tenus de le faire.
Je suis d'accord avec cette déclaration de la
Commission et, si ce n'était les faits exceptionnels
de l'espèce, ce motif, bien indépendamment des
autres motifs invoqués par la Commission, consti-
tuerait une base suffisante et légitime pour le rejet
de l'appel. Je dois, toutefois, aborder maintenant
les faits exceptionnels de l'espèce. Lorsqu'une
autre formation de cette Cour était saisie en appel
de la décision n° 1 de la Commission, les débats
portaient uniquement sur l'interprétation, par la
Commission, du paragraphe 125(3), précité, de la
Loi sur l'immigration de 1976. Une lecture atten
tive des motifs de la décision n° 1 de la Commis
sion (D.A., Vol. I, p. 141) confirme que celle-ci a
appliqué le paragraphe 125(3) rétroactivement,
tant au point de vue du fond qu'au point de vue de
la forme. Il découle clairement des motifs de cette
Cour sur appel de la décision n° 1 de la Commis-
sion (D.A., Vol. II, p. 208) qu'elle n'a pas accepté
l'interprétation qu'avait donnée la Commission du
paragraphe 125(3), et que ce point de vue consti-
tuait l'unique fondement de la décision de la Cour.
Les avocats des deux parties ont reconnu devant la
Cour que l'application des alinéas 36e) de la Loi
d'interprétation et 126a) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 n'avait fait l'objet d'un débat ni
devant la Commission dans le cadre de l'audience
n° 1, ni devant la formation de cette Cour qui
entendait l'appel formé contre la décision n° 1 de
la Commission. Ayant fait partie de la formation
de la Cour qui a entendu cet appel, je n'hésite
nullement à dire que si les dispositions des alinéas
36e) et 126a) susmentionnés avaient été portées à
l'attention de la Cour, j'aurais conclu à leur appli
cation aux faits de l'espèce, et, par conséquent, à
l'annulation de l'ordonnance d'expulsion en ques
tion. Je dis cela parce qu'on m'a persuadé, à cette
audience, que ces dispositions s'appliquent à l'ap-
pelant à l'instance pour les motifs exposés
ci-dessus.
J'estime donc qu'il y a lieu d'accueillir l'appel et
d'annuler l'ordonnance d'expulsion rendue contre
l'appelant.
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: Je souscris
aux motifs ci-dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.