T-6021-82
Domenico Vespoli, Precision Mechanics Ltd.,
80591 Canada Limited, et Paradis Vespoli Ltée
(requérants)
c.
La Reine du chef du Canada et le procureur
général du Canada (intimés)
et
Jacques Morel (mis-en-cause)
Division de première instance, juge Dubé—
Montréal, 16 août; Ottawa, 18 octobre 1982.
Impôt sur le revenu — Pratique — Demande tendant à la
détermination de la question de l'application du privilège des
communications entre client et avocat prévu à l'art. 232 de la
Loi de l'impôt sur le revenu — L'art. 232(4) prévoit que «... le
client ... peut ... dans un délai de 14 jours ... demander à un
juge ... de rendre une ordonnance ...» — La demande a été
déposée dans le délai prescrit, et présentée à la date la plus
rapprochée qui était toutefois après l'expiration du délai Si—
la demande avait été faite devant un juge de la Cour supé-
rieure, une date plus rapprochée aurait pu être obtenue — Il a
été jugé que la Division de première instance est compétente
pour connaître de la demande faite au-delà du délai de 14
jours prévu par la Loi — Demande accueillie — La demande
est parfaite lorsqu'elle a été déposée et que l'avis de requête
indiquant une date de présentation à un jour des requêtes a été
signifié — Les requérants ont satisfait aux exigences de délai
imposées par la loi — Droit absolu de s'adresser, en vertu de
l'art. 232(1)a), à la Cour fédérale ou à un juge de la Cour
supérieure — Il a également été jugé que la Cour n'a nulle-
ment le pouvoir de proroger le délai prévu pour former une
demande fondée sur l'art. 232 — Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231(4), 232(1)a),(4) — Règles
317(2), 319(1),(2), 320 de la Cour fédérale.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Linett c. La Reine, [1980] 1 C.F. 591 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Regina v. Dartford Justices, Ex Parte Dhesi (publiée
dans Times Newspaper Law Report, le 23 juillet 1982);
Regina v. Manchester Stipendiary Magistrates, [1982] 3
W.L.R. 331 (H.L.).
REQUÊTE.
AVOCATS:
Guy Du Pont pour les requérants.
Paul Fortugno pour les intimés.
PROCUREURS:
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour les
requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: Il s'agit d'une demande fondée
sur le paragraphe 232(4) de la Loi de l'impôt sur
le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, tendant à
l'émission d'une ordonnance fixant une date et un
lieu où sera décidée la question de savoir si les
requérants jouissent du privilège des communica
tions entre client et avocat quant aux documents,
aux dossiers et aux autres papiers saisis le 8 juillet
1982 dans les locaux de leurs avocats et gardés
sous scellés depuis par Jacques Morel, shérif
adjoint du district de Montréal.
L'avocat des intimés s'oppose à la demande,
alléguant que celle-ci n'a pas été faite dans le délai
de 14 jours à compter du jour où la saisie a été
effectuée. Il est constant que la saisie a été prati-
quée le 8 juillet 1982 conformément à une ordon-
nance qu'un juge de la Cour supérieure, district de
Montréal, a rendue le 22 juin 1982 en vertu du
paragraphe 231(4) de la Loi. L'avis de requête des
requérants notifiant que la demande serait portée
devant la Cour fédérale, à Montréal, le 16 août
1982, est daté du 19 juillet 1982. Il a été déposé
devant la Cour fédérale le 20 juillet 1982.
J'ai été saisi de la requête le 16 août 1982
lorsque l'avocat des requérants a demandé et
obtenu un délai pour déposer des arguments écrits
en réponse à l'objection des intimés. Les requé-
rants font valoir principalement que le premier
jour des requêtes, pendant les grandes vacances à
Montréal, qui venait après la saisie était le 12
juillet 1982, et qu'ils n'étaient pas à même de
préparer la demande appropriée et de donner au
sous-procureur général du Canada l'avis de trois
jours requis pour pouvoir mettre au rôle la
demande pour audition à cette date. Le second
jour des requêtes à Montréal pendant les grandes
vacances, soit le 16 août 1982, était donc la date la
plus rapprochée pour la présentation de la requête.
Le paragraphe 232(4) est ainsi rédigé:
232....
(4) Lorsqu'un document a été saisi et placé sous garde, en
vertu du paragraphe (3), le client, ou l'avocat au nom de
celui-ci, peut
a) dans un délai de 14 jours à compter de la date où le
document a été ainsi placé sous garde, demander à un juge,
moyennant un avis de requête de 3 jours adressé au sous-pro-
cureur général du Canada, de rendre une ordonnance
(i) fixant une date (au plus tard 21 jours après la date de
l'ordonnance) et un lieu, où sera décidée la question de
savoir si le client jouit du privilège des communications
entre client et avocat quant au document, et
(ii) exigeant du gardien qu'il présente le document au juge
à ces temps et lieu;
b) signifier une copie de l'ordonnance au sous-procureur
général du Canada et au gardien dans les 6 jours de la date
où elle a été rendue, et, dans le même délai, verser au gardien
les dépenses estimatives pour le transport du document à
destination et en provenance du lieu de l'audition et sa
protection; et
c) s'il a procédé ainsi que l'alinéa b) l'autorise, demander,
aux temps et lieu fixés, une ordonnance décidant la question.
La Couronne soutient que le délai de 14 jours
qu'impose le paragraphe 232(4) est obligatoire: si
le législateur avait voulu autoriser la Cour à accor-
der une prorogation de délai, il l'aurait dit. Par
exemple, le paragraphe 167(4) prévoit que lors-
qu'aucun appel n'a été interjeté dans le délai
imparti par l'article 172, une demande peut être
faite à la Cour en vue d'obtenir une prolongation.
Or, la Loi ne prévoit pas une telle disposition de
prorogation relativement à l'article 232.
La Couronne soutient aussi que les requérants
n'étaient pas limités aux jours des requêtes prévus
par la Cour fédérale. Ils auraient pu très bien
s'adresser à un juge de la Cour supérieure de la
province de Québec, qui est également «juge» au
sens de l'alinéa 232(1)a).
Les intimés prétendent donc que cette Cour est
incompétente pour connaître de la demande faite
au-delà de 14 jours prévu par la Loi.
Selon les requérants, la position de la Couronne
est trop rigide et les prive d'un droit très impor
tant, savoir la protection du privilège des commu
nications entre client et avocat. Ils font valoir
également que les droits d'un contribuable ne sau-
raient se perdre à cause de simples questions de
pure forme: une interprétation large doit être pré-
férée à cette approche stricte qui entraînerait la
déchéance de droits individuels importants.
Tout intéressants que soient ces arguments, ils
ne confèrent évidemment pas à la Cour le pouvoir
d'accorder des prorogations de délai lorsqu'un tel
pouvoir n'est pas précisé dans la Loi'.
L'avocat des requérants soulève, indirectement,
un autre point qui mérite un examen plus favora
ble. La date de la demande faite à un juge est-elle
la date de son audition (le 16 août 1982) ou la date
à laquelle l'avis de requête est déposé au greffe de
la Cour fédérale (le 20 juillet 1982), celle-ci étant,
bien entendu, dans le délai de 14 jours? L'avocat
cite des causes de jurisprudence 2 selon lesquelles
une plainte écrite est déposée aux fins de la
Magistrates Courts Act 1980 anglaise lorsqu'elle
est reçue au bureau du greffier par un membre du
personnel qui est expressément ou implicitement
autorisé à la recevoir.
Le paragraphe 232(4) prévoit que «. le client,
ou l'avocat au nom de celui-ci, peut ... dans un
délai de 14 jours . .. demander à un juge . .. de
rendre une ordonnance ...». Comment saisit-on un
juge en vertu des Règles de la Cour fédérale? On
le fait en déposant un avis de requête et en signi-
fiant cet avis, qui doit indiquer une date de présen-
tation à un jour des requêtes 3 . Comme il a été
mentionné, les requérants ont fait en sorte que leur
requête soit présentée à la date la plus rapprochée
' Voir Linett c. La Reine, [1980] 1 C.F. 591 (C.A.).
2 Regina v. Dartford Justices, Ex Parte Dhesi (publiée dans
Times Newspaper Law Report, le 23 juillet 1982); Regina v.
Manchester Stipendiary Magistrates, [1982] 3 W.L.R. 331
(H.L.).
3 Règle 319. (1) Lorsqu'il est permis de faire une demande à
la Cour, à un juge ou un protonotaire, la demande doit être
faite par voie de requête.
(2) Une requête doit être appuyée par un affidavit certifiant
tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui
ressortent du dossier; cet affidavit doit être déposé, et une
partie adverse peut déposer un affidavit en réponse.
Règle 320. (1) Un avis de requête, autre qu'une demande ex
parte, doit être déposé, avec les affidavits à l'appui au moins 2
jours avant le moment fixé dans l'avis pour la présentation de la
requête, sauf ordre contraire de la Cour.
(2) Nul avis de requête ne peut être déposé à moins qu'il
n'indique expressément que la requête sera présentée à une
séance prévue à la Règle 317 ou 318 ou à une séance fixée en
vertu de l'une ou l'autre de ces règles.
Règle 317. ...
(2) Les séances des grandes vacances tenues aux fins d'enten-
dre des requêtes seront annoncées par le juge en chef adjoint
avant le 15 juin de chaque année. [C'est moi qui souligne.]
possible, c'est-à-dire au jour des requêtes en août,
à Montréal. Ils auraient pu obtenir d'un juge de la
Cour supérieure une date plus rapprochée, mais ils
sont en droit, en vertu de la Loi, de porter leur
requête devant un juge de la Cour fédérale. A mon
avis, ils l'ont fait lorsqu'ils ont à bon droit saisi la
Cour d'un avis de requête dûment déposé dans le
délai de 14 jours.
La requête est par conséquent accueillie avec
dépens, et la détermination de la question de savoir
si les requérants jouissent d'un privilège des com
munications entre client et avocat quant aux docu
ments susmentionnés sera entendue à un jour des
requêtes, soit le 1" novembre 1982, 10h 30, au
Palais de Justice de Montréal.
ORDONNANCE
La requête est accueillie avec dépens. L'audition
prévue pour trancher la question de savoir si les
requérants jouissent d'un privilège des communica
tions entre client et avocat quant aux documents
aura lieu au Palais de Justice de Montréal, le lundi
1" novembre 1982, 10 h 30. Le gardien devra
conserver sous scellés lesdits documents confiés à
sa garde et ce, jusqu'à cette date, et il devra alors
les produire au juge présidant.
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