T-5083-80
Terry James Sahanatien (demandeur)
c.
Leslie G. Smith, en sa qualité de registraire du
registre des Indiens (défendeur)
Division de première instance, juge Cattanach—
Toronto, 16 mars; Ottawa, 24 mars 1982.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Mandamus — Indiens — Inscription — Le
demandeur est le fils naturel d'une mère indienne émancipée et
d'un père indien inscrit — Le demandeur a été légalement
adopté par des parents qui sont des Indiens inscrits — S'étant
vu refuser l'inscription prévue à la Loi sur les Indiens, le
demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant qu'il a le
droit d'être inscrit comme Indien et un bref de mandamus
enjoignant au registraire d'agir en conséquence — L'art. Il de
la Loi sur les Indiens précise quelles personnes ont droit à
l'inscription — L'art. 12 précise quelles personnes n'ont pas le
droit d'être inscrites — La filiation paternelle du demandeur
ne lui donnait pas le droit d'être inscrit sous le régime de
l'art. 11(1)d), parce qu'il n'était pas un enfant légitime — Il
n'avait pas non plus le droit d'être inscrit à titre d'enfant
illégitime de sa mère en vertu de l'art. 11(1)e), parce qu'elle ne
tombait dans aucune des catégories visées à l'art. 11(1)a),b) ou
d) en raison de son émancipation — En vertu de l'art. 86(1) de
la Loi sur le bien-être de l'enfance d'Ontario, le demandeur
devient l'enfant des parents adoptifs, et cesse d'être l'enfant de
la personne qui en était le parent avant l'ordonnance d'adop-
tion — L'art. 88 de la Loi sur les Indiens prévoit que les lois
provinciales sont applicables aux Indiens, sauf dans la mesure
où lesdites lois sont incompatibles avec la Loi sur les Indiens
— Il échet d'examiner si un enfant non indien par définition a
droit à l'inscription en raison de son adoption par des parents
indiens — Existe-t-il une incompatibilité avec la Loi sur les
Indiens? — Le demandeur est débouté de sa demande de
redressement, parce que l'adoption d'un enfant non indien par
des parents indiens aurait pour effet de contourner les condi
tions précises d'inscription prévues à l'art. 11 de la Loi sur les
Indiens, créant ainsi une incompatibilité avec celle-ci — Loi
sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 11, 12, 88 — Loi sur
le bien-être de l'enfance, S.R.O. 1980, c. 66, art. 86.
Jurisprudence: arrêt appliqué: Les parents naturels c. Le
Superintendent of Child Welfare [1976] 2 R.C.S. 751.
ACTION.
AVOCATS:
R. N. Weekes pour le demandeur.
I. MacGregor pour le défendeur.
PROCUREURS:
Sullivan & Weekes, Gravenhurst, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Au début de l'instruc-
tion de cette affaire, l'avocat du demandeur, avec
l'assentiment de celui du défendeur, a demandé
l'autorisation de modifier l'intitulé de la cause en
substituant le nom de Leslie G. Smith à celui de
H. H. Chapman, cité comme registraire du regis-
tre des Indiens, poste occupé par M. Chapman en
vertu de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6.
Ce dernier occupait ce poste au commencement de
cette action, mais il a pris sa retraite et a été
remplacé par M. Smith avant que ne débute
l'instruction.
J'ai agréé la demande de modification de l'inti-
tulé de la cause et accepté le consentement de
l'avocat du défendeur comme une requête tendant
à obtenir une modification corrélative du paragra-
phe 3 de la défense.
Au début de l'instruction, les avocats des parties
s'étaient également mis d'accord sur un exposé des
faits. Compte tenu de la modification de l'intitulé
de la cause et des plaidoiries, le paragraphe 2 de
l'exposé conjoint des faits, que je reproduis dans sa
totalité, n'est pas exact:
[TRADUCTION] EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
1. Le demandeur réside dans le canton de Muskoka Lakes, dans
la municipalité de Muskoka, province d'Ontario, et est engagé
comme chauffeur d'autobus pour écoliers.
2. Au commencement de cette action, le défendeur était le
registraire du registre des Indiens en vertu de la Loi sur les
Indiens.
3. Le demandeur est le fils naturel de Louise York et de Larry
King. Il est né le 23 septembre 1955. Louise York et Larry
King ne se sont jamais mariés.
4. Ladite Louise York a été émancipée en même temps que son
père, Isaac Elmer York, et les autres membres de la famille de
ce dernier en vertu du décret CP 50/262 pris le 23 janvier 1948
par le gouverneur général en conseil conformément à
l'article 114 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chapitre 98. A
partir de cette date, elle cessa d'être Indienne au sens de ce
terme dans la Loi des Indiens.
5. Ledit Larry King est un Indien inscrit qui était et qui est
toujours membre de la réserve de Parry Island.
6. Le 12 juin 1959, le demandeur a été légalement adopté par
Gordon et Violet Sahanatien par ordonnance de la Cour de
district du district de Muskoka.
7. Gordon et Violet Sahanatien sont des Indiens inscrits, étant
membres de la réserve indienne de Gibson.
8. Le demandeur, Terry James Sahanatien, réside dans la
réserve indienne de Gibson.
9. Le défendeur a refusé au demandeur l'inscription prévue à la
Loi sur les Indiens.
Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire
portant qu'il a le droit d'être inscrit comme Indien
et comme membre de la réserve indienne de
Gibson, et un bref de mandamus enjoignant au
registraire d'agir en conséquence.
Il ne fait pas de doute que la mère du deman-
deur était, comme son père, une Indienne de race
pure. Selon la «lex sanguis», le demandeur l'est
aussi, mais ce fait ne lui donne nécessairement pas
le droit d'être inscrit.
Si la mère du demandeur n'avait pas été éman-
cipée sur la demande présentée par le père de
celle-ci pour son propre compte, pour le compte de
sa femme et de ses enfants mineurs non mariés,
elle n'aurait pas été réputée ne pas être une
Indienne au sens de la Loi sur les Indiens, et le
demandeur aurait eu le droit d'être inscrit, sous
réserve de la protestation prévue au paragraphe
12(2) de la Loi sur les Indiens.
Les articles applicables de la Loi sur les Indiens
sont les articles 11 et 12, lesquels sont ainsi
rédigés:
11. (1) Sous réserve de l'article 12, une personne a droit
d'être inscrite si
a) elle était, le 26 mai 1874, aux fins de la loi alors intitulée:
Acte pourvoyant à l'organisation du Département du Secré-
taire d'État du Canada, ainsi qu'à l'administration des
Terres des Sauvages et de l'Ordonnance, chapitre 42 des
Statuts du Canada de 1868, modifiée par l'article 6 du
chapitre 6 des Statuts du Canada de 1869 et par l'article 8
du chapitre 21 des Statuts du Canada de 1874, considérée
comme ayant droit à la détention, l'usage ou la jouissance des
terres et autres biens immobiliers appartenant aux tribus,
bandes ou groupes d'Indiens au Canada, ou affectés à leur
usage;
b) elle est membre d'une bande
(i) à l'usage et au profit communs de laquelle des terres
ont été mises de côté ou, depuis le 26 mai 1874, ont fait
l'objet d'un traité les mettant de côté, ou
(ii) que le gouverneur en conseil a déclarée une bande aux
fins de la présente loi;
c) elle est du sexe masculin et descendante directe, dans la
ligne masculine, d'une personne du sexe masculin décrite à
l'alinéa a) ou b);
d) elle est l'enfant légitime
(i) d'une personne du sexe masculin décrite à l'alinéa a) ou
b), ou
(ii) d'une personne décrite à l'alinéa c);
e) elle est l'enfant illégitime d'une personne du sexe féminin
décrite à l'alinéa a), b) ou d); ou
J) elle est l'épouse ou la veuve d'une personne ayant le droit
d'être inscrite aux termes de l'alinéa a), b), c), d) ou e).
(2) L'alinéa (1)e) s'applique seulement aux personnes nées
après le 13 août 1956.
12. (1) Les personnes suivantes n'ont pas le droit d'être
inscrites, savoir:
a) une personne qui
(i) a reçu, ou à qui il a été attribué, des terres ou certificats
d'argent de métis,
(ii) est un descendant d'une personne décrite au
sous-alinéa (i),
(iii) est émancipée, ou
(iv) est née d'un mariage contracté après le 4 septembre
1951 et a atteint l'âge de vingt et un ans, dont la mère et la
grand-mère paternelle ne sont pas des personnes décrites à
l'alinéa 11(1)a), b) ou d) ou admises à être inscrites en
vertu de l'alinéa 11(1)e),
sauf si, étant une femme, cette personne est l'épouse ou la
veuve de quelqu'un décrit à l'article 11, et
b) une femme qui a épousé un non-Indien, sauf si cette
femme devient subséquemment l'épouse ou la veuve d'une
personne décrite à l'article 11.
(2) L'addition, à une liste de bande, du nom d'un enfant
illégitime décrit à l'alinéa 11(1)e) peut faire l'objet d'une
protestation en tout temps dans les douze mois de l'addition et
si, à la suite de la protestation, il est décidé que le père de
l'enfant n'était pas un Indien, l'enfant n'a pas le droit d'être
inscrit selon cet alinéa.
(3) Le Ministre peut délivrer à tout Indien auquel la présente
loi cesse de s'appliquer, un certificat dans ce sens.
(4) Les sous-alinéas (1)a)(i) et (ii) ne s'appliquent pas à une
personne qui,
a) en conformité de la présente loi, est inscrite à titre
d'Indien le 13 août 1958, ou
b) est un descendant d'une personne désignée à l'alinéa a) du
présent paragraphe.
(5) Le paragraphe (2) s'applique seulement aux personnes
nées après le 13 août 1956.
En vertu de l'alinéa 11(1)d), la filiation pater-
nelle du demandeur ne lui donnait pas le droit
d'être inscrit, parce qu'il n'était pas un enfant
légitime.
Il n'avait pas non plus le droit d'être inscrit à
titre d'enfant illégitime de sa mère en vertu de
l'alinéa 11(1)e), parce qu'elle ne tombait dans
aucune des catégories visées aux alinéas 11(1)a),
b) ou d) en raison de son émancipation. (Voir le
sous-alinéa 12(1)a)(iii) et les articles 109 et 110.)
Ainsi qu'il est exposé au paragraphe 6 de l'ex-
posé conjoint des faits, le demandeur a été adopté
légalement par Gordon et Violet Sahanatien, qui
sont des Indiens inscrits et membres de la réserve
indienne de Gibson.
Le paragraphe 86(1) de la Loi sur le bien-être
de l'enfance, S.R.O. 1980, c. 66, est ainsi rédigé:
86 (1) À compter du jour où une ordonnance d'adoption est
émise et à toutes fins, l'enfant adoptif, tout comme s'il était né
de l'adoptant,
a) devient l'enfant de l'adoptant et celui-ci devient le,
parent de l'enfant adoptif; et
b) cesse d'être l'enfant de la personne qui en était le parent
avant l'émission de l'ordonnance d'adoption et cette
personne cesse d'être le parent de l'enfant adoptif sauf
lorsque la personne est le conjoint de l'adoptant,
et tous les droits et toutes les responsabilités d'un gardien légal
de l'enfant dont a été investie une agence d'adoption, conformé-
ment au paragraphe 69(3), prennent fin.
En vertu de ce paragraphe, le demandeur
devient l'enfant des parents adoptifs, et cesse
d'être l'enfant de la personne qui était son père ou
sa mère avant l'ordonnance d'adoption, en l'occur-
rence, de sa mère.
L'article 88 de la Loi sur les Indiens est ainsi
conçu:
88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de
quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'appli-
cation générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province
sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard,
sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la
présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou
statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la
mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute ques
tion prévue par la présente loi ou y ressortissant.
C'est ainsi qu'une loi provinciale, tel le
paragraphe 86(1) de la Loi sur le bien-être de
l'enfance d'Ontario, s'applique sauf dans la mesure
où elle est incompatible avec la Loi sur les Indiens.
L'expression «à toutes fins» employée dans le
paragraphe 86(1) de la Loi sur le bien-être de
l'enfance doit être interprétée comme renvoyant à
toutes fins relevant de la compétence législative
provinciale. Elle ne devrait pas être interprétée
comme ayant une incidence sur les statuts et les
droits acquis à titre d'Indien sous le régime de la
Loi sur les Indiens. C'est une règle fondamentale
d'interprétation des lois que s'il existe deux inter-
prétations possibles, dont l'une conduirait à ce que
la loi soit déclarée ultra vires, et l'autre à ce
qu'elle soit reconnue intra vires, la dernière inter-
prétation doit prévaloir.
Dans l'affaire Les parents naturels c. Le
Superintendent of Child Welfare [ 1976] 2 R.C.S.
751, la Cour suprême a été unanime à reconnaître
qu'est valide une ordonnance d'adoption prise sous
le régime de l'Adoption Act, S.R.C.-B. 1960, c. 4,
autorisant des parents non indiens à adopter un
enfant indien.
Le juge de première instance a conclu à l'exis-
tence d'une incompatibilité entre l'Adoption Act et
la Loi sur les Indiens. Selon lui, l'application de
l'Adoption Act a pour effet de retirer aux Indiens
le statut que leur accorde la Loi sur les Indiens et
duquel découlent certains droits.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a
unanimement décidé que l'adoption ne modifiait
en rien le statut d'Indien. Elle a conclu que
l'Adoption Act, en tant que loi provinciale d'appli-
cation générale, s'applique à l'adoption des enfants
indiens, et n'est inopérante que dans la mesure où
elle est incompatible avec la Loi sur les Indiens.
La question soulevée est de savoir si des parents
non indiens peuvent légalement adopter un enfant
indien. La Loi sur les Indiens envisage la question
de l'adoption mais elle n'y pourvoit pas. Cela
étant, les lois provinciales s'appliqueraient: il n'en
existe pas d'autres.
La Loi sur les Indiens n'interdit pas l'adoption
d'un enfant indien par des parents non indiens. A
supposer que l'enfant perde son statut d'Indien par
suite de l'adoption par des parents non indiens, il
n'y aurait aucun conflit entre l'Adoption Act et la
Loi sur les Indiens (voir le juge Beetz, aux
pages 784 et 785).
A propos de la question principale, la Cour a
unanimement conclu qu'il n'y avait aucun conflit
entre la Loi sur les Indiens et l'Adoption Act,
puisque l'adoption par des parents non indiens ne
privait pas l'enfant de ce statut. L'enfant a acquis
un statut additionnel, et cela n'a pas porté atteinte
à son statut originaire, qui demeurait inviolé.
Dans la présente action, c'est exactement le
contraire qui s'est produit. Le demandeur, enfant
non indien uniquement au sens de la Loi sur les
Indiens, a été adopté par des parents indiens.
La question est de savoir si en vertu de cette
adoption, le demandeur acquiert le droit à l'ins-
cription à laquelle il n'avait autrefois pas droit.
Cela revient, à mon avis, à déterminer s'il y a
une incompatibilité avec la Loi sur les Indiens.
Si l'adoption d'un enfant non indien par des
parents indiens a pour effet de contourner les
conditions préalables précises d'inscription prévues
à l'article 11 de la Loi sur les Indiens, il y a, dans
ce sens, incompatibilité. Tel serait le cas en
l'espèce.
En conséquence, le demandeur sera débouté de
sa demande de redressement, et l'action sera
rejetée.
A mon avis, les faits sont tels que les parties
supporteront leurs dépens respectifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.