T-4572-78
The Bulman Group Limited (demanderesse)
c.
«One Write» Accounting Systems Ltd. (défende-
resse)
Division de première instance, le juge Collier—
Toronto, 19, 20, 21 et 22 janvier 1982.
Droit d'auteur — Oeuvre littéraire — Action en contrefaçon
des droits d'auteur des formules d'affaires d'un système par
décalque — Formules comportant des rubriques, des sous-
rubriques et des espaces blancs pour l'inscription des chiffres
— Aucune valeur esthétique ni informative des formules selon
la défenderesse — Caractéristiques «littéraires» des formules
ou non — Existence ou non du droit d'auteur sur ces formules
— Action accueillie — Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970,
c. C-30, art. 2, 4(1), 22.
La demanderesse poursuit en contrefaçon des droits d'auteur
sur neuf formules d'affaires destinées à servir à la tenue de
livres de comptabilité. Les formules font partie de ce qu'on
désigne comme un système par décalque dont l'objet est de
supprimer la nécessité de répéter les inscriptions comptables.
Ces formules comportent diverses rubriques et sous-rubriques
et des espaces blancs destinés aux inscriptions des chiffres. La
défenderesse reconnaît avoir délibérément copié les neuf formu-
les en cause. S'il y a droit d'auteur, on admet qu'il y a eu
contrefaçon. La défenderesse reconnaît aussi que les formules
de la demanderesse sont conformes au critère de «l'originalité».
Mais la défenderesse soutient qu'elles ne sont pas «littéraires» et
qu'il s'ensuit qu'elles ne peuvent faire l'objet d'un droit d'au-
teur. Les formules n'auraient aucune valeur esthétique ni infor
mative; il échet d'examiner si elles peuvent faire l'objet d'un
droit d'auteur.
Arrêt: l'action est accueillie. Il est difficile de ne pas considé'
rer ces formules comme des compilations. Il n'y a rien dans la
jurisprudence qui indique que, pour qu'une compilation puisse
être considérée comme une oeuvre littéraire, la fourniture d'in-
formations intelligibles soit fondamentale. Le terme «littéraire»
dans la loi est employé dans le sens d'écrits ou d'imprimés et
non dans le sens de quelque définition du dictionnaire parlant
de communication d'idées, de renseignements ou de connaissan-
ces. Néanmoins, un simple imprimé ou écrit ne suffit pas. Pour
qu'il y ait droit d'auteur, il doit y avoir, dans une compilation
commerciale comme celle en cause, une notion littéraire d'aide
fonctionnelle, de guide ou d'indicateur pour une fin quelconque.
Les présentes formules font cela. Même si la communication
d'une information quelconque est nécessaire pour qu'une com
pilation devienne une «oeuvre littéraire», c'est le cas ici. Les
différentes rubriques apparaissant sur ces formules disent à
l'utilisateur ce qu'il doit inscrire, où il doit l'inscrire et de quelle
manière, dans bien des cas, il doit l'inscrire.
Arrêt appliqué: University of London Press, Ltd. c. Uni
versity Tutorial Press, Ltd. [1916] 2 Ch. 601. Arrêt
approuvé: Kalamazoo Division (Pty) Ltd. c. Gay [1978] 2
S.A.L.R. 184. Arrêts examinés: Bulman Group Ltd. c.
Alpha One- Write Systems B.C. Ltd. (1980) 54 C.P.R. (2»)
171, infirmé par (1981) 54 C.P.R. (2») 179; Real Estate
Institute of N.S.W. c. Wood (1923) 23 S.R.N.S.W. 349.
Arrêts mentionnés: G. A. Cramp & Sons, Ltd. c. Frank
Smythson, Ltd. [1944] 2 All E.R. 92; Ascot Jockey Club
Ltd. c. Simons (1968) 64 W.W.R. 411; William Hill
(Football) Ltd. c. Ladbroke (Football) Ltd. [1980] R.P.C.
539 (C.A.); [1964] 1 All E.R. 465 (C.L.).
ACTION.
AVOCATS:
I. Goldsmith, c.r., pour la demanderesse.
D. W. Buchanan pour la défenderesse.
PROCUREURS:
I. Goldsmith, c.r., Toronto, pour la demande-
resse.
Clark, Wilson & Company, Vancouver, pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse poursuit
en contrefaçon des droits d'auteur sur neuf formu-
les d'affaires. Les formules portent des numéros
d'identification, énumérés à l'annexe A de la dé-
claration. Les formules sont destinées à servir à la
tenue des livres de comptabilité d'affaires dans ce
qu'on appelle un système [TRADUCTION] «par
décalque». Elles sont conçues de façon, lorsque
agencées avec d'autres formules et les carbones
appropriés, à permettre de faire des inscriptions
par une seule opération d'écriture, au lieu de deux
ou trois, répétitives fondamentalement, dans divers
livres.
Le juge Addy, dans The Bulman Group Ltd. c.
Alpha One -Write Systems B.C. Ltd. (1980) 54
C.P.R. (2e) 171, donne cette description générale
des formules et de leur usage, aux pages 174 et
175:
[TRADUCTION] Les formules comptables en cause, que vise
le droit d'auteur, font partie essentiellement de ce qu'on désigne
comme un système «par décalque» dont l'objet est de supprimer
la nécessité de répéter les inscriptions comptables dans les
divers livres de comptabilité et autres documents d'ordre finan
cier requis pour une entreprise. Plusieurs formules de couleurs
différentes, afin qu'on puisse les reconnaître facilement, avec
lignes verticales et horizontales coïncidentes formant des espa-
ces rectangulaires destinés aux inscriptions des chiffres, sont
temporairement réunies ensemble sur une planche pourvue de
petites pinces qui passent au travers de trous pratiqués dans les
formules, maintenant colonnes et lignes parfaitement alignées.
Lorsqu'une inscription est faite sur la formule du dessus, la
même inscription est automatiquement reproduite grâce à un
papier carbone sur les autres formules placées en-dessous,
évitant ainsi l'obligation de répéter les inscriptions par quelque
autre procédé manuel ou mécanique. On peut alors enlever
chaque formule et la placer dans le cartable auquel elle est
destinée ou l'expédier à un tiers, selon le cas. Par exemple, les
premières séries des quatre formules en cause font partie d'un
système d'établissement de la liste de paye. La première for-
mule consiste en une «carte fiche de traitement» pour chaque
employé, la seconde est un «journal des salaires», la troisième,
une «feuille de données pour la paye» et la quatrième, une
«formule de chèques de paye» attachée à un talon donnant le
détail des gains, des diverses déductions, avantages, allocations
non imposables, etc. Ces quatre formules contiennent toutes,
disposées en colonnes verticales, les mêmes rubriques et sous-
rubriques telles que «salaires», «temps et temps supplémentaire»,
«salaire brut», «avantages», «déductions»: «C.A.C.», «impôt sur le
revenu», «régime de pension du Canada», etc. En d'autres mots,
l'ensemble des rubriques requises pour donner par le détail
l'ensemble des gains et bénéfices d'un employé, ce qu'il en est
advenu et s'ils sont imposables ou non apparaissent et sont
reportées, par une seule inscription sur la première, sur les
quatre formules. Les trois autres formules en cause font partie
de deux systèmes différents, l'un étant un «système d'émission
de chèques» comportant des formules de chèques en blanc et
l'autre, un «système de comptabilité-fournisseurs». Fondamen-
talement, l'idée est la même bien qu'il y ait beaucoup moins
d'inscriptions sur ces deux dernières catégories de formules. Par
exemple, les formules «comptes à payer» du «système comptabi-
lité-fournisseurs» ne comportent que sept colonnes avec les mots
«date», «ventilation», «référence», «remise», «débit», «crédit» et
«solde», le long d'une ligne horizontale comportant des colonnes
verticales sous chaque rubrique. Au sommet de la page sont
inscrites les expressions «nom et adresse», «n° de compte» et
«page».
Je fais mienne cette description générale des
formules en cause en l'espèce. On a aussi fait
allusion à d'autres caractéristiques et rubriques
lors de l'administration de la preuve. Par exemple,
il y a ce qu'on a appelé la boîte servant de [TRA-
DUCTION] «preuve» des déductions et contributions
d'assurance-chômage ainsi que ce qu'on a appelé le
[TRADUCTION] «système d'addition rapide». Je ne
crois pas qu'il soit nécessaire d'élaborer ici
là-dessus.
La défenderesse admet avoir délibérément copié
neuf des formules en cause. S'il y a droit d'auteur,
on reconnaît qu'il y a eu contrefaçon.
Le litige porte essentiellement sur l'existence du
droit d'auteur sur ces formules. La position de
l'avocat de la défenderesse est que les formules ne
peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur.
Voici la portion de l'article 4 de la Loi sur le
droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, qui importe:
4. (1) ... le droit d'auteur existe ... sur toute œuvre origi-
nale littéraire, dramatique, musicale ou artistique ....
Les définitions suivantes, de l'article 2 de la loi,
sont pertinentes:
2....
«toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique origi-
nale» comprend toutes les productions originales du domaine
littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou
la forme d'expression, telles que les livres, brochures et autres
écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dramatico-
musicales, les oeuvres ou compositions musicales avec ou sans
paroles, les illustrations, croquis et ouvrages plastiques rela-
tifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux
sciences;
«oeuvre littéraire» comprend les cartes géographiques et mari
nes, les plans, tableaux et compilations;
Me Buchanan, au nom de la défenderesse, a
reconnu franchement que les formules de la
demanderesse sont conformes au critère de «l'origi-
nalité». Ce sont les employés de la demanderesse
qui les ont créées; ce ne sont pas de simples copies
d'autres formules et elles ont exigé suffisamment
de jugement, d'habileté et de labeur pour échapper
au sort que la Chambre des lords réserva aux
journaux dans l'arrêt G. A. Cramp & Sons, Ltd. c.
Frank Smythson, Ltd. [ 1944] 2 All E.R. 92.
Je crois qu'il est difficile de ne pas considérer
ces formules comme des compilations. Mais la
défenderesse soutient qu'elles ne sont pas «littérai-
res». Il s'ensuit qu'elles ne peuvent faire l'objet
d'un droit d'auteur. Pour que des compilations
puissent être protégées, elles doivent, dit-on, four-
nir une information littéraire. En l'espèce, pour-
suit-on, les formules n'ont aucune valeur esthéti-
que ni informative ou, à tout le moins, n'ont
qu'une valeur informative insuffisante.
Le juge Addy avait bien accueilli un argument
semblable dans l'espèce Alpha. Mais la justesse de
cette décision est, à mon avis, incertaine si l'on
tient compte des remarques du juge Le Dain lors-
que le refus d'accorder l'injonction interlocutoire
fut réformé en appel ((1981) 54 C.P.R. (2e) 179).
La défenderesse a fait valoir certains commen-
taires du juge en chef Street dans l'espèce Real
Estate Institute of N.S.W. c. Wood (1923) 23
S.R.N.S.W. 349 aux pages 351 et 352:
[TRADUCTION] La compagnie demanderesse prétend posséder
un droit d'auteur sur une formule de contrat comportant des
conditions de vente de terrain en Nouvelle-Galles du Sud et se
plaint de ce que le défendeur, sans en avoir l'autorité, a
imprimé et publié un formulaire de contrat qui contrefait le
sien. La Cour est saisie de l'affaire en cet état par une requête
en injonction interlocutoire à laquelle on fait opposition par
voie d'exception, un document de ce genre ne pouvant être
l'objet d'un droit d'auteur. Je ne suis pas d'accord. L'originalité
de la compilation doit être considérée comme reconnue pour les
fins de la demande et je ne pense pas que l'on puisse soutenir
qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage littéraire au sens de la Imperial
Copyright Act de 1911, reçue par la Commonwealth Copyright
Act de 1912. Il n'est pas nécessaire qu'une oeuvre littéraire, aux
termes de la loi, possède des qualités littéraires. Il est bien
connu que divers genres de compilations, qui ne peuvent préten-
dre être de la littérature, donnent lieu à un droit d'auteur si
elles fournissent des renseignements intelligibles et si leur pré-
paration a nécessité un effort mental et une certaine industrie.
Les lois sur le droit d'auteur sont conçues pour protéger
l'expression d'idées. C'est ce que l'on fait remarquer clairement
dans l'espèce Hollinrake c. Truswell ([1894] 3 Ch. 420). Le
lord Chancelier Herschel! dit (à la p. 424): «L'objet de la
Copyright Act était d'interdire de publier une copie d'une
forme particulière d'expression par laquelle un auteur porte à la
connaissance du monde des idées ou quelque renseignement»; et
le lord juge Lindley ajoute (à la p. 427): «Le droit d'auteur,
toutefois, ne s'étend pas aux idées, ni aux plans, ni aux systè-
mes, ni aux méthodes; il est restreint à leur expression. Et là où
il n'y a pas plagiat de leur expression, il n'y a pas contrefaçon
du droit d'auteur.»
Le juge Macdonald, siégeant alors à la Cour
suprême de la Colombie-Britannique, mentionna
indirectement cette espèce dans l'affaire Ascot
Jockey Club Limited c. Simons (1968) 64
W.W.R. 411, dans un contexte factuel fort
différent.
Le passage bien connu et fort cité du jugement
du juge Peterson dans l'espèce University of
London Press, Ltd. c. University Tutorial Press,
Ltd. [1916] 2 Ch. 601, la page 608, donne le sens
général qu'il faut attribuer à l'expression «oeuvre
littéraire»:
[TRADUCTION] La première question qui se pose est: Ces
copies d'examen font-elles l'objet d'un droit d'auteur? L'art. 1,
par. 1 de la Copyright Act de 1911 dispose qu'un droit d'auteur
couvre «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artisti-
que originale», sous réserve de certaines conditions qui impor-
tent peu en l'espèce; la question est donc de savoir si ces copies
d'examen sont, aux termes de la loi, des oeuvres littéraires
originales. Quoique la loi ne définisse pas ce qu'est une oeuvre
littéraire, l'art. 35 dit ce que cela inclut; la définition n'est pas
tout à fait exhaustive mais l'article a été conçu pour montrer ce
qui, entre autres choses, doit être inclus dans la description
d'une «oeuvre littéraire»: «les cartes, diagrammes, plans, tables
et compilations sont assimilées à des 'oeuvres littéraires'». Il
peut être difficile de définir ce qu'est une «oeuvre littéraire» aux
termes de cette loi, mais il semble clair que cela ne se limite pas
à une «oeuvre littéraire» dans le sens où l'on entend, par
exemple, les romans de Meredith ou les écrits de Robert Louis
Stevenson. Lorsqu'on dit de ces écrits que ce sont des oeuvres
littéraires, on pense à leur qualité, à leur style et au poli
littéraire qui en ressort. La loi de 1842, qui protégeait les
«livres,,, protégeait par un droit d'auteur plusieurs écrits qui
n'avaient aucune prétention littéraire ainsi: une liste de contrats
de vente enregistrés, une nomenclature de chiens courants et
des saisons de chasse, des catalogues commerciaux; et je ne vois
aucune raison de conclure qu'on ait voulu, dans la présente loi,
restreindre les droits des auteurs. A mon avis, l'expression
«oeuvre littéraire» s'entend d'ouvrages écrits ou imprimés, indé-
pendamment de leur qualité ou de leur style. Le terme «litté-
raire» semble être utilisé un peu comme le terme «littérature»,
lorsqu'on parle de littérature politique ou électorale en parlant
d'un écrit ou d'un imprimé. Les copies d'examen sont, à mon
avis, des «oeuvres littéraires» aux termes de la présente loi.
Dans cette espèce, les «oeuvres» consistaient en
des copies d'examen de mathématiques. Il n'y a
pas d'indication dans l'espèce, ou dans toute autre
espèce anglaise citée, que, pour qu'une compilation
puisse être considérée comme une oeuvre littéraire,
la fourniture d'informations intelligibles est fonda-
mentale. Ainsi, on ne trouve aucun argument ni
prétention en ce sens dans les motifs et les plaidoi-
ries de l'affaire des billets de football: William
Hill (Football) Ltd. c. Ladbroke (Football) Ltd.
[1980] R.P.C. 539 (C.A.) et [1964] 1 All E.R. 465
(C.L.).
Je préfère l'opinion du juge Peterson, que le
terme «littéraire» dans la loi est employé dans le
sens d'écrits ou d'imprimés, à toute définition du
dictionnaire parlant de communication d'idées, de
renseignements ou de connaissances. Néanmoins,
un simple imprimé ou écrit ne suffit pas. Pour qu'il
y ait droit d'auteur, il doit y avoir, dans une
compilation commerciale comme celle en cause,
une notion, littéraire, d'aide fonctionnelle, de guide
ou d'indicateur pour une fin quelconque.
Les présentes formules, dans mon esprit, font
cela.
Même si la communication d'une information
quelconque est nécessaire pour qu'une compilation
devienne une «oeuvre littéraire», c'est le cas ici à
mon avis. Les différentes rubriques apparaissant
sur ces formules disent à l'utilisateur ce qu'il doit
inscrire, où il doit l'inscrire et de quelle manière,
dans bien des cas, il doit l'inscrire.
On m'a cité l'espèce sud-africaine Kalamazoo
Division (Pty) Ltd. c. Gay [1978] 2 S.A.L.R. 184.
Les formules d'affaires dans cette affaire parais-
sent avoir été fort similaires à celles en cause. La
seule question était alors de savoir s'il y avait droit
d'auteur sur ces formules. Dans l'affirmative, la
contrefaçon était reconnue.
M» Buchanan a déclaré, franchement, que, pour
donner effet à ses prétentions, il faudrait différen-
cier l'espèce Kalamazoo, l'ignorer ou la considérer
erronée.
L'espèce Kalamazoo est, à mon avis, bien
fondée en droit. Je statue dans le même sens, au
bénéfice de la demanderesse en l'espèce, en men-
tionnant les passages suivants:
Aux pages 188 et 189:
[TRADUCTION] Ce qu'il échet d'examiner en l'espèce c'est de
savoir s'il y a droit d'auteur sur les formules de la requérante.
M» Ipp, au nom de l'intimé, a admis que s'il y avait droit
d'auteur, il y avait alors contrefaçon. Il a fait valoir deux
moyens principaux, toutefois, pour soutenir qu'il n'y avait
aucun droit d'auteur sur les documents en cause. D'abord, si les
documents devaient former partie intégrante d'un système, ils
ne pouvaient faire l'objet d'un droit d'auteur. Cette proposition
s'appuyait sur l'espèce Hollinrake c. Truswell (1894) 3 Ch.
420. Dans cette espèce, le demandeur prétendait avoir un droit
d'auteur sur un patron de manche en carton comportant des
échelles, des chiffres et la façon de l'adapter aux manches de
toutes dimensions. On jugea qu'il ne pouvait y avoir droit
d'auteur en tant que «carte, diagramme ou plan» aux termes de
la Copyright Act alors en vigueur en Angleterre. Je ne consi-
dère pas que l'espèce Hollinrake puisse être de quelque utilité
en l'espèce. Les faits étaient fort différents. On considérait le
prétendu diagramme pour les manches pour lequel on deman-
dait la protection du droit d'auteur comme étant en réalité un
instrument de mesure semblable à une règle graduée. Il s'agis-
sait d'un morceau de carton, courbé de façon à représenter le
bras au-dessus comme au-dessous du coude avec, imprimé
dessus, les termes suivants: «Courbe supérieure; courbe infé-
rieure; courbe du dessous du bras; mesure du tour de la partie
épaisse du bras; mesure du tour de la partie épaisse du coude;
mesure des articulations de la main.» Le lord Chancelier HER-
SCHELL a fait remarquer que les mots et les chiffres du
diagramme, combinés, ne communiquaient aucune idée intelli
gible et ne pouvaient être d'aucune utilité pour personne, pris
indépendamment du carton sur lequel ils étaient imprimés:
«Il ne s'agit pas de simples instructions pour l'emploi du
patron, lequel en vérité est un instrument de mesure, mais
bien d'une partie de l'instrument lui-même sans laquelle il est
inutilisable, et instrument sans lequel elles sont tout à fait
inutiles.»
Le lord juge LINDLEY ajoute:
«Le critère du droit d'auteur, c'est la nature de ce qui est
publié. Si ce qui est publié ne peut l'être séparément, n'est
pas complet en lui-même mais n'est qu'une instruction sur un
outil ou une machine qu'on ne peut comprendre et dont on ne
peut se servir sans cet outil ou cette machine, alors, à mon
avis, on ne peut séparer l'instruction de l'outil ou de la
machine dont elle est en réalité partie intégrante pour que
son inventeur en ait le monopole selon la Copyright Act.»
Le lord juge DAVEY donne la description suivante de l'objet
dont la Cour avait été saisie dans l'espèce Hollinrake:
«Le diagramme pour les manches dont nous sommes saisis
ne donne aucune information ni instruction ... C'est la
représentation de la forme du bras d'une dame, ou plus
exactement d'une manche conçue pour le bras d'une dame,
avec certaines échelles pour la mesurer. Il n'est pas destiné à
fournir des informations ni à procurer du plaisir mais à
servir, en pratique, dans l'art de la confection. C'est en fait
un dispositif, un appareil, un outil, conçu pour venir en aide à
la couturière lorsqu'elle veut mesurer la manche de la robe
d'une dame qu'elle veut couper.»
On verra que dans l'espèce Hollinrake, la Cour était saisie d'un
cas entièrement différent de celui dont je suis saisi. En l'espèce
présente, les formules de la requérante ne sont imprimées sur
aucun instrument, sur aucun appareil, dispositif mécanique ou
outil dont elles seraient partie intégrante, indivisible. On ne
peut dire non plus que les formules ne communiquent aucune
idée intelligible ni qu'elles sont d'aucune utilité lorsque séparées
de l'instrument auquel elles appartiennent. Il s'agit de publica
tions complètes en elles-mêmes et non d'instructions sur un
outil ou une machine dont on ne peut les séparer. Dans le cas
d'espèce, je ne pense pas que l'espèce Hollinrake soit un
précédent justifiant de dire qu'aucun droit d'auteur n'existe sur
les formules de la requérante. Je ne souscris pas non plus à la
suggestion de l'avocat des intimés voulant que ce que la requé-
rante exige en fait, ce soit un droit d'auteur sur un système.
Et, à la page 191:
[TRADUCTION] M» Ipp a soutenu que quels qu'aient été le
labeur et le jugement nécessaires à la rédaction des formules de
la requérante, ils ont été fournis, non pour la compilation des
formules elles-mêmes, mais plutôt pour développer et mettre au
point un système de gestion de bureau employant des formules.
Je ne suis pas d'accord. Il me semble que la quantité de labeur,
d'habileté et de jugement qu'a dépensée M. Barr lors de la
compilation des formules elles-mêmes est suffisamment impor-
tante pour qu'il y ait droit d'auteur. De toute façon, je ne
considère pas que le seul fait d'avoir conçu les formules pour les
intégrer dans un système de gestion de bureau, comme celui
qu'a décrit M. Barr, exige de les considérer comme non suscep-
tibles d'un droit d'auteur. Développant son argument, M» Ipp a
soutenu, si je l'ai bien compris, que l'habileté, le labeur et
l'ingénuité de M. Barr visaient la production d'informations ou
la création d'un système et non la préparation ou la production
de formules. Il a mentionné le principe voulant qu'il ne puisse y
avoir droit d'auteur en matière d'information ou d'idées, soute-
nant qu'en fait M. Barr ne s'intéressait pas d'abord à la
production de documents mais aux informations conduisant à
un système qu'il voulait voir implanter. Je ne pense pas que
l'argument soit fondé. Les activités de M. Barr ne visaient pas
la production d'informations pour le public auxquelles aucun
droit d'auteur ne serait applicable, mais bien la production de
compilations d'un genre particulier, conçues et disposées d'une
certaine façon et contenant et exprimant certains renseigne-
ments d'une manière particulière. Un argument en quelque
sorte semblable à celui soutenu devant moi en l'espèce avait été
soutenu, et la Cour l'avait rejeté, dans l'espèce Football League
Ltd. c. Littlewoods Pools Ltd. (1959) 2 All E.R. 546, (Ch. D.),
espèce qu'a citée M» Ipp. Voir aussi Ladbroke Ltd. c. William
Hill Ltd. (1964) 1 All E.R. 465 (C.L.) où plusieurs des aspects
de l'espèce en cause furent considérés et où lord REID fait
l'observation intéressante, aux pp. 470 sqq., que les espèces où
l'on a refusé de reconnaître un droit d'auteur sur une compila
tion étaient comparativement peu nombreuses.
La demanderesse a gain de cause en l'action.
J'en viens maintenant à la nature du recours qui
devrait être accordé.
Il y a lieu, naturellement, à l'injonction perma-
nente habituelle. En défense, on prétend qu'aucun
autre remède ne devrait être accordé; la défende-
resse se trouverait dans le cas que prévoit
l'article 22 de la Loi sur le droit d'auteur:
22. Lorsque, dans une action exercée pour violation du droit
d'auteur sur une oeuvre, le défendeur allègue pour sa défense
qu'il ignorait l'existence de ce droit, le demandeur ne peut
obtenir qu'une injonction à l'égard de ladite violation, si le
défendeur prouve que, au moment de la commettre, il ne savait
pas et n'avait aucun motif raisonnable de soupçonner que
]'oeuvre faisait encore l'objet d'un droit d'auteur; mais si, lors
de la violation, le droit d'auteur sur cette oeuvre était dûment
enregistré sous le régime de la présente loi, le défendeur est
considéré comme ayant eu un motif raisonnable de soupçonner
que le droit d'auteur subsistait sur cette oeuvre.
Les formules de la demanderesse n'ont pas été
enregistrées aux termes de la loi. La défenderesse
prétend qu'elle ignorait l'existence du droit d'au-
teur sur les formules et qu'elle n'avait aucun motif
raisonnable de soupçonner qu'il y en- avait un.
Comme d'autres l'ont déjà dit, c'est là une disposi
tion curieuse, mal libellée.
M. Palin, président-directeur général de la
défenderesse, a témoigné pour affirmer l'existence
d'une pratique des compagnies de ce secteur d'ac-
tivité de copier délibérément, lorsqu'il y avait un
marché, les formules de leurs concurrents. Pour
cette raison, il a présumé qu'il n'y avait aucun
droit d'auteur sur les formules d'affaires. C'était,
comme je vois la chose, une présomption fort
injustifiée.
La défenderesse avait tort, en droit et en fait,
lorsqu'elle estimait que les formules de la deman-
deresse ne donnaient pas lieu à un droit d'auteur.
La défenderesse et ses dirigeants n'ont pu établir
à ma satisfaction qu'ils n'avaient «aucun motif
raisonnable de soupçonner que le droit d'auteur
subsistait» sur les formules. Il y avait, je pense, des
motifs raisonnables de présumer qu'il pouvait fort
bien y avoir droit d'auteur. La défenderesse a
préféré prendre ce risque. Une évaluation erronée
du droit et des faits ne peut servir d'excuse justi-
fiant d'échapper aux dommages-intérêts, à une
reddition de compte des profits et aux autres
recours auxquels peut prétendre la demanderesse.
Une ordonnance antérieure a été prononcée,
portant que la question des dommages-intérêts et
des bénéfices ferait l'objet d'une référence.
La demanderesse a aussi droit à ses dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.