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T-4572-78
The Bulman Group Limited (demanderesse) c.
«One Write» Accounting Systems Ltd. (défende- resse)
Division de première instance, le juge Collier— Toronto, 19, 20, 21 et 22 janvier 1982.
Droit d'auteur Oeuvre littéraire Action en contrefaçon des droits d'auteur des formules d'affaires d'un système par décalque Formules comportant des rubriques, des sous- rubriques et des espaces blancs pour l'inscription des chiffres Aucune valeur esthétique ni informative des formules selon la défenderesse Caractéristiques «littéraires» des formules ou non Existence ou non du droit d'auteur sur ces formules Action accueillie Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, art. 2, 4(1), 22.
La demanderesse poursuit en contrefaçon des droits d'auteur sur neuf formules d'affaires destinées à servir à la tenue de livres de comptabilité. Les formules font partie de ce qu'on désigne comme un système par décalque dont l'objet est de supprimer la nécessité de répéter les inscriptions comptables. Ces formules comportent diverses rubriques et sous-rubriques et des espaces blancs destinés aux inscriptions des chiffres. La défenderesse reconnaît avoir délibérément copié les neuf formu- les en cause. S'il y a droit d'auteur, on admet qu'il y a eu contrefaçon. La défenderesse reconnaît aussi que les formules de la demanderesse sont conformes au critère de «l'originalité». Mais la défenderesse soutient qu'elles ne sont pas «littéraires» et qu'il s'ensuit qu'elles ne peuvent faire l'objet d'un droit d'au- teur. Les formules n'auraient aucune valeur esthétique ni infor mative; il échet d'examiner si elles peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur.
Arrêt: l'action est accueillie. Il est difficile de ne pas considé' rer ces formules comme des compilations. Il n'y a rien dans la jurisprudence qui indique que, pour qu'une compilation puisse être considérée comme une oeuvre littéraire, la fourniture d'in- formations intelligibles soit fondamentale. Le terme «littéraire» dans la loi est employé dans le sens d'écrits ou d'imprimés et non dans le sens de quelque définition du dictionnaire parlant de communication d'idées, de renseignements ou de connaissan- ces. Néanmoins, un simple imprimé ou écrit ne suffit pas. Pour qu'il y ait droit d'auteur, il doit y avoir, dans une compilation commerciale comme celle en cause, une notion littéraire d'aide fonctionnelle, de guide ou d'indicateur pour une fin quelconque. Les présentes formules font cela. Même si la communication d'une information quelconque est nécessaire pour qu'une com pilation devienne une «oeuvre littéraire», c'est le cas ici. Les différentes rubriques apparaissant sur ces formules disent à l'utilisateur ce qu'il doit inscrire, il doit l'inscrire et de quelle manière, dans bien des cas, il doit l'inscrire.
Arrêt appliqué: University of London Press, Ltd. c. Uni versity Tutorial Press, Ltd. [1916] 2 Ch. 601. Arrêt approuvé: Kalamazoo Division (Pty) Ltd. c. Gay [1978] 2 S.A.L.R. 184. Arrêts examinés: Bulman Group Ltd. c. Alpha One- Write Systems B.C. Ltd. (1980) 54 C.P.R. (2») 171, infirmé par (1981) 54 C.P.R. (2») 179; Real Estate
Institute of N.S.W. c. Wood (1923) 23 S.R.N.S.W. 349. Arrêts mentionnés: G. A. Cramp & Sons, Ltd. c. Frank Smythson, Ltd. [1944] 2 All E.R. 92; Ascot Jockey Club Ltd. c. Simons (1968) 64 W.W.R. 411; William Hill (Football) Ltd. c. Ladbroke (Football) Ltd. [1980] R.P.C. 539 (C.A.); [1964] 1 All E.R. 465 (C.L.).
ACTION. AVOCATS:
I. Goldsmith, c.r., pour la demanderesse. D. W. Buchanan pour la défenderesse.
PROCUREURS:
I. Goldsmith, c.r., Toronto, pour la demande- resse.
Clark, Wilson & Company, Vancouver, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse poursuit en contrefaçon des droits d'auteur sur neuf formu- les d'affaires. Les formules portent des numéros d'identification, énumérés à l'annexe A de la dé- claration. Les formules sont destinées à servir à la tenue des livres de comptabilité d'affaires dans ce qu'on appelle un système [TRADUCTION] «par décalque». Elles sont conçues de façon, lorsque agencées avec d'autres formules et les carbones appropriés, à permettre de faire des inscriptions par une seule opération d'écriture, au lieu de deux ou trois, répétitives fondamentalement, dans divers livres.
Le juge Addy, dans The Bulman Group Ltd. c. Alpha One -Write Systems B.C. Ltd. (1980) 54 C.P.R. (2e) 171, donne cette description générale des formules et de leur usage, aux pages 174 et 175:
[TRADUCTION] Les formules comptables en cause, que vise le droit d'auteur, font partie essentiellement de ce qu'on désigne comme un système «par décalque» dont l'objet est de supprimer la nécessité de répéter les inscriptions comptables dans les divers livres de comptabilité et autres documents d'ordre finan cier requis pour une entreprise. Plusieurs formules de couleurs différentes, afin qu'on puisse les reconnaître facilement, avec lignes verticales et horizontales coïncidentes formant des espa- ces rectangulaires destinés aux inscriptions des chiffres, sont temporairement réunies ensemble sur une planche pourvue de petites pinces qui passent au travers de trous pratiqués dans les formules, maintenant colonnes et lignes parfaitement alignées. Lorsqu'une inscription est faite sur la formule du dessus, la
même inscription est automatiquement reproduite grâce à un papier carbone sur les autres formules placées en-dessous, évitant ainsi l'obligation de répéter les inscriptions par quelque autre procédé manuel ou mécanique. On peut alors enlever chaque formule et la placer dans le cartable auquel elle est destinée ou l'expédier à un tiers, selon le cas. Par exemple, les premières séries des quatre formules en cause font partie d'un système d'établissement de la liste de paye. La première for- mule consiste en une «carte fiche de traitement» pour chaque employé, la seconde est un «journal des salaires», la troisième, une «feuille de données pour la paye» et la quatrième, une «formule de chèques de paye» attachée à un talon donnant le détail des gains, des diverses déductions, avantages, allocations non imposables, etc. Ces quatre formules contiennent toutes, disposées en colonnes verticales, les mêmes rubriques et sous- rubriques telles que «salaires», «temps et temps supplémentaire», «salaire brut», «avantages», «déductions»: «C.A.C.», «impôt sur le revenu», «régime de pension du Canada», etc. En d'autres mots, l'ensemble des rubriques requises pour donner par le détail l'ensemble des gains et bénéfices d'un employé, ce qu'il en est advenu et s'ils sont imposables ou non apparaissent et sont reportées, par une seule inscription sur la première, sur les quatre formules. Les trois autres formules en cause font partie de deux systèmes différents, l'un étant un «système d'émission de chèques» comportant des formules de chèques en blanc et l'autre, un «système de comptabilité-fournisseurs». Fondamen- talement, l'idée est la même bien qu'il y ait beaucoup moins d'inscriptions sur ces deux dernières catégories de formules. Par exemple, les formules «comptes à payer» du «système comptabi- lité-fournisseurs» ne comportent que sept colonnes avec les mots «date», «ventilation», «référence», «remise», «débit», «crédit» et «solde», le long d'une ligne horizontale comportant des colonnes verticales sous chaque rubrique. Au sommet de la page sont inscrites les expressions «nom et adresse», «n° de compte» et «page».
Je fais mienne cette description générale des formules en cause en l'espèce. On a aussi fait allusion à d'autres caractéristiques et rubriques lors de l'administration de la preuve. Par exemple, il y a ce qu'on a appelé la boîte servant de [TRA- DUCTION] «preuve» des déductions et contributions d'assurance-chômage ainsi que ce qu'on a appelé le [TRADUCTION] «système d'addition rapide». Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'élaborer ici là-dessus.
La défenderesse admet avoir délibérément copié neuf des formules en cause. S'il y a droit d'auteur, on reconnaît qu'il y a eu contrefaçon.
Le litige porte essentiellement sur l'existence du droit d'auteur sur ces formules. La position de l'avocat de la défenderesse est que les formules ne peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur.
Voici la portion de l'article 4 de la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, qui importe:
4. (1) ... le droit d'auteur existe ... sur toute œuvre origi- nale littéraire, dramatique, musicale ou artistique ....
Les définitions suivantes, de l'article 2 de la loi, sont pertinentes:
2....
«toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique origi- nale» comprend toutes les productions originales du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression, telles que les livres, brochures et autres écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dramatico- musicales, les oeuvres ou compositions musicales avec ou sans paroles, les illustrations, croquis et ouvrages plastiques rela- tifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences;
«oeuvre littéraire» comprend les cartes géographiques et mari nes, les plans, tableaux et compilations;
Me Buchanan, au nom de la défenderesse, a reconnu franchement que les formules de la demanderesse sont conformes au critère de «l'origi- nalité». Ce sont les employés de la demanderesse qui les ont créées; ce ne sont pas de simples copies d'autres formules et elles ont exigé suffisamment de jugement, d'habileté et de labeur pour échapper au sort que la Chambre des lords réserva aux journaux dans l'arrêt G. A. Cramp & Sons, Ltd. c. Frank Smythson, Ltd. [ 1944] 2 All E.R. 92.
Je crois qu'il est difficile de ne pas considérer ces formules comme des compilations. Mais la défenderesse soutient qu'elles ne sont pas «littérai- res». Il s'ensuit qu'elles ne peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur. Pour que des compilations puissent être protégées, elles doivent, dit-on, four- nir une information littéraire. En l'espèce, pour- suit-on, les formules n'ont aucune valeur esthéti- que ni informative ou, à tout le moins, n'ont qu'une valeur informative insuffisante.
Le juge Addy avait bien accueilli un argument semblable dans l'espèce Alpha. Mais la justesse de cette décision est, à mon avis, incertaine si l'on tient compte des remarques du juge Le Dain lors- que le refus d'accorder l'injonction interlocutoire fut réformé en appel ((1981) 54 C.P.R. (2e) 179).
La défenderesse a fait valoir certains commen- taires du juge en chef Street dans l'espèce Real Estate Institute of N.S.W. c. Wood (1923) 23 S.R.N.S.W. 349 aux pages 351 et 352:
[TRADUCTION] La compagnie demanderesse prétend posséder un droit d'auteur sur une formule de contrat comportant des conditions de vente de terrain en Nouvelle-Galles du Sud et se
plaint de ce que le défendeur, sans en avoir l'autorité, a imprimé et publié un formulaire de contrat qui contrefait le sien. La Cour est saisie de l'affaire en cet état par une requête en injonction interlocutoire à laquelle on fait opposition par voie d'exception, un document de ce genre ne pouvant être l'objet d'un droit d'auteur. Je ne suis pas d'accord. L'originalité de la compilation doit être considérée comme reconnue pour les fins de la demande et je ne pense pas que l'on puisse soutenir qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage littéraire au sens de la Imperial Copyright Act de 1911, reçue par la Commonwealth Copyright Act de 1912. Il n'est pas nécessaire qu'une oeuvre littéraire, aux termes de la loi, possède des qualités littéraires. Il est bien connu que divers genres de compilations, qui ne peuvent préten- dre être de la littérature, donnent lieu à un droit d'auteur si elles fournissent des renseignements intelligibles et si leur pré- paration a nécessité un effort mental et une certaine industrie. Les lois sur le droit d'auteur sont conçues pour protéger l'expression d'idées. C'est ce que l'on fait remarquer clairement dans l'espèce Hollinrake c. Truswell ([1894] 3 Ch. 420). Le lord Chancelier Herschel! dit la p. 424): «L'objet de la Copyright Act était d'interdire de publier une copie d'une forme particulière d'expression par laquelle un auteur porte à la connaissance du monde des idées ou quelque renseignement»; et le lord juge Lindley ajoute la p. 427): «Le droit d'auteur, toutefois, ne s'étend pas aux idées, ni aux plans, ni aux systè- mes, ni aux méthodes; il est restreint à leur expression. Et il n'y a pas plagiat de leur expression, il n'y a pas contrefaçon du droit d'auteur.»
Le juge Macdonald, siégeant alors à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, mentionna indirectement cette espèce dans l'affaire Ascot Jockey Club Limited c. Simons (1968) 64 W.W.R. 411, dans un contexte factuel fort différent.
Le passage bien connu et fort cité du jugement du juge Peterson dans l'espèce University of London Press, Ltd. c. University Tutorial Press, Ltd. [1916] 2 Ch. 601, la page 608, donne le sens général qu'il faut attribuer à l'expression «oeuvre littéraire»:
[TRADUCTION] La première question qui se pose est: Ces copies d'examen font-elles l'objet d'un droit d'auteur? L'art. 1, par. 1 de la Copyright Act de 1911 dispose qu'un droit d'auteur couvre «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artisti- que originale», sous réserve de certaines conditions qui impor- tent peu en l'espèce; la question est donc de savoir si ces copies d'examen sont, aux termes de la loi, des oeuvres littéraires originales. Quoique la loi ne définisse pas ce qu'est une oeuvre littéraire, l'art. 35 dit ce que cela inclut; la définition n'est pas tout à fait exhaustive mais l'article a été conçu pour montrer ce qui, entre autres choses, doit être inclus dans la description d'une «oeuvre littéraire»: «les cartes, diagrammes, plans, tables et compilations sont assimilées à des 'oeuvres littéraires'». Il peut être difficile de définir ce qu'est une «oeuvre littéraire» aux termes de cette loi, mais il semble clair que cela ne se limite pas à une «oeuvre littéraire» dans le sens l'on entend, par exemple, les romans de Meredith ou les écrits de Robert Louis
Stevenson. Lorsqu'on dit de ces écrits que ce sont des oeuvres littéraires, on pense à leur qualité, à leur style et au poli littéraire qui en ressort. La loi de 1842, qui protégeait les «livres,,, protégeait par un droit d'auteur plusieurs écrits qui n'avaient aucune prétention littéraire ainsi: une liste de contrats de vente enregistrés, une nomenclature de chiens courants et des saisons de chasse, des catalogues commerciaux; et je ne vois aucune raison de conclure qu'on ait voulu, dans la présente loi, restreindre les droits des auteurs. A mon avis, l'expression «oeuvre littéraire» s'entend d'ouvrages écrits ou imprimés, indé- pendamment de leur qualité ou de leur style. Le terme «litté- raire» semble être utilisé un peu comme le terme «littérature», lorsqu'on parle de littérature politique ou électorale en parlant d'un écrit ou d'un imprimé. Les copies d'examen sont, à mon avis, des «oeuvres littéraires» aux termes de la présente loi.
Dans cette espèce, les «oeuvres» consistaient en des copies d'examen de mathématiques. Il n'y a pas d'indication dans l'espèce, ou dans toute autre espèce anglaise citée, que, pour qu'une compilation puisse être considérée comme une oeuvre littéraire, la fourniture d'informations intelligibles est fonda- mentale. Ainsi, on ne trouve aucun argument ni prétention en ce sens dans les motifs et les plaidoi- ries de l'affaire des billets de football: William Hill (Football) Ltd. c. Ladbroke (Football) Ltd. [1980] R.P.C. 539 (C.A.) et [1964] 1 All E.R. 465 (C.L.).
Je préfère l'opinion du juge Peterson, que le terme «littéraire» dans la loi est employé dans le sens d'écrits ou d'imprimés, à toute définition du dictionnaire parlant de communication d'idées, de renseignements ou de connaissances. Néanmoins, un simple imprimé ou écrit ne suffit pas. Pour qu'il y ait droit d'auteur, il doit y avoir, dans une compilation commerciale comme celle en cause, une notion, littéraire, d'aide fonctionnelle, de guide ou d'indicateur pour une fin quelconque.
Les présentes formules, dans mon esprit, font cela.
Même si la communication d'une information quelconque est nécessaire pour qu'une compilation devienne une «oeuvre littéraire», c'est le cas ici à mon avis. Les différentes rubriques apparaissant sur ces formules disent à l'utilisateur ce qu'il doit inscrire, il doit l'inscrire et de quelle manière, dans bien des cas, il doit l'inscrire.
On m'a cité l'espèce sud-africaine Kalamazoo Division (Pty) Ltd. c. Gay [1978] 2 S.A.L.R. 184. Les formules d'affaires dans cette affaire parais-
sent avoir été fort similaires à celles en cause. La seule question était alors de savoir s'il y avait droit d'auteur sur ces formules. Dans l'affirmative, la contrefaçon était reconnue.
Buchanan a déclaré, franchement, que, pour donner effet à ses prétentions, il faudrait différen- cier l'espèce Kalamazoo, l'ignorer ou la considérer erronée.
L'espèce Kalamazoo est, à mon avis, bien fondée en droit. Je statue dans le même sens, au bénéfice de la demanderesse en l'espèce, en men- tionnant les passages suivants:
Aux pages 188 et 189:
[TRADUCTION] Ce qu'il échet d'examiner en l'espèce c'est de savoir s'il y a droit d'auteur sur les formules de la requérante. Ipp, au nom de l'intimé, a admis que s'il y avait droit d'auteur, il y avait alors contrefaçon. Il a fait valoir deux moyens principaux, toutefois, pour soutenir qu'il n'y avait aucun droit d'auteur sur les documents en cause. D'abord, si les documents devaient former partie intégrante d'un système, ils ne pouvaient faire l'objet d'un droit d'auteur. Cette proposition s'appuyait sur l'espèce Hollinrake c. Truswell (1894) 3 Ch. 420. Dans cette espèce, le demandeur prétendait avoir un droit d'auteur sur un patron de manche en carton comportant des échelles, des chiffres et la façon de l'adapter aux manches de toutes dimensions. On jugea qu'il ne pouvait y avoir droit d'auteur en tant que «carte, diagramme ou plan» aux termes de la Copyright Act alors en vigueur en Angleterre. Je ne consi- dère pas que l'espèce Hollinrake puisse être de quelque utilité en l'espèce. Les faits étaient fort différents. On considérait le prétendu diagramme pour les manches pour lequel on deman- dait la protection du droit d'auteur comme étant en réalité un instrument de mesure semblable à une règle graduée. Il s'agis- sait d'un morceau de carton, courbé de façon à représenter le bras au-dessus comme au-dessous du coude avec, imprimé dessus, les termes suivants: «Courbe supérieure; courbe infé- rieure; courbe du dessous du bras; mesure du tour de la partie épaisse du bras; mesure du tour de la partie épaisse du coude; mesure des articulations de la main.» Le lord Chancelier HER- SCHELL a fait remarquer que les mots et les chiffres du diagramme, combinés, ne communiquaient aucune idée intelli gible et ne pouvaient être d'aucune utilité pour personne, pris indépendamment du carton sur lequel ils étaient imprimés:
«Il ne s'agit pas de simples instructions pour l'emploi du patron, lequel en vérité est un instrument de mesure, mais bien d'une partie de l'instrument lui-même sans laquelle il est inutilisable, et instrument sans lequel elles sont tout à fait inutiles.»
Le lord juge LINDLEY ajoute:
«Le critère du droit d'auteur, c'est la nature de ce qui est publié. Si ce qui est publié ne peut l'être séparément, n'est pas complet en lui-même mais n'est qu'une instruction sur un outil ou une machine qu'on ne peut comprendre et dont on ne peut se servir sans cet outil ou cette machine, alors, à mon avis, on ne peut séparer l'instruction de l'outil ou de la machine dont elle est en réalité partie intégrante pour que son inventeur en ait le monopole selon la Copyright Act.»
Le lord juge DAVEY donne la description suivante de l'objet dont la Cour avait été saisie dans l'espèce Hollinrake:
«Le diagramme pour les manches dont nous sommes saisis ne donne aucune information ni instruction ... C'est la représentation de la forme du bras d'une dame, ou plus exactement d'une manche conçue pour le bras d'une dame, avec certaines échelles pour la mesurer. Il n'est pas destiné à fournir des informations ni à procurer du plaisir mais à servir, en pratique, dans l'art de la confection. C'est en fait un dispositif, un appareil, un outil, conçu pour venir en aide à la couturière lorsqu'elle veut mesurer la manche de la robe d'une dame qu'elle veut couper.»
On verra que dans l'espèce Hollinrake, la Cour était saisie d'un cas entièrement différent de celui dont je suis saisi. En l'espèce présente, les formules de la requérante ne sont imprimées sur aucun instrument, sur aucun appareil, dispositif mécanique ou outil dont elles seraient partie intégrante, indivisible. On ne peut dire non plus que les formules ne communiquent aucune idée intelligible ni qu'elles sont d'aucune utilité lorsque séparées de l'instrument auquel elles appartiennent. Il s'agit de publica tions complètes en elles-mêmes et non d'instructions sur un outil ou une machine dont on ne peut les séparer. Dans le cas d'espèce, je ne pense pas que l'espèce Hollinrake soit un précédent justifiant de dire qu'aucun droit d'auteur n'existe sur les formules de la requérante. Je ne souscris pas non plus à la suggestion de l'avocat des intimés voulant que ce que la requé- rante exige en fait, ce soit un droit d'auteur sur un système.
Et, à la page 191:
[TRADUCTION] Ipp a soutenu que quels qu'aient été le labeur et le jugement nécessaires à la rédaction des formules de la requérante, ils ont été fournis, non pour la compilation des formules elles-mêmes, mais plutôt pour développer et mettre au point un système de gestion de bureau employant des formules. Je ne suis pas d'accord. Il me semble que la quantité de labeur, d'habileté et de jugement qu'a dépensée M. Barr lors de la compilation des formules elles-mêmes est suffisamment impor- tante pour qu'il y ait droit d'auteur. De toute façon, je ne considère pas que le seul fait d'avoir conçu les formules pour les intégrer dans un système de gestion de bureau, comme celui qu'a décrit M. Barr, exige de les considérer comme non suscep- tibles d'un droit d'auteur. Développant son argument, Ipp a soutenu, si je l'ai bien compris, que l'habileté, le labeur et l'ingénuité de M. Barr visaient la production d'informations ou la création d'un système et non la préparation ou la production de formules. Il a mentionné le principe voulant qu'il ne puisse y avoir droit d'auteur en matière d'information ou d'idées, soute- nant qu'en fait M. Barr ne s'intéressait pas d'abord à la production de documents mais aux informations conduisant à un système qu'il voulait voir implanter. Je ne pense pas que l'argument soit fondé. Les activités de M. Barr ne visaient pas la production d'informations pour le public auxquelles aucun droit d'auteur ne serait applicable, mais bien la production de compilations d'un genre particulier, conçues et disposées d'une certaine façon et contenant et exprimant certains renseigne- ments d'une manière particulière. Un argument en quelque sorte semblable à celui soutenu devant moi en l'espèce avait été soutenu, et la Cour l'avait rejeté, dans l'espèce Football League Ltd. c. Littlewoods Pools Ltd. (1959) 2 All E.R. 546, (Ch. D.), espèce qu'a citée Ipp. Voir aussi Ladbroke Ltd. c. William
Hill Ltd. (1964) 1 All E.R. 465 (C.L.) plusieurs des aspects de l'espèce en cause furent considérés et lord REID fait l'observation intéressante, aux pp. 470 sqq., que les espèces l'on a refusé de reconnaître un droit d'auteur sur une compila tion étaient comparativement peu nombreuses.
La demanderesse a gain de cause en l'action.
J'en viens maintenant à la nature du recours qui devrait être accordé.
Il y a lieu, naturellement, à l'injonction perma- nente habituelle. En défense, on prétend qu'aucun autre remède ne devrait être accordé; la défende- resse se trouverait dans le cas que prévoit l'article 22 de la Loi sur le droit d'auteur:
22. Lorsque, dans une action exercée pour violation du droit d'auteur sur une oeuvre, le défendeur allègue pour sa défense qu'il ignorait l'existence de ce droit, le demandeur ne peut obtenir qu'une injonction à l'égard de ladite violation, si le défendeur prouve que, au moment de la commettre, il ne savait pas et n'avait aucun motif raisonnable de soupçonner que ]'oeuvre faisait encore l'objet d'un droit d'auteur; mais si, lors de la violation, le droit d'auteur sur cette oeuvre était dûment enregistré sous le régime de la présente loi, le défendeur est considéré comme ayant eu un motif raisonnable de soupçonner que le droit d'auteur subsistait sur cette oeuvre.
Les formules de la demanderesse n'ont pas été enregistrées aux termes de la loi. La défenderesse prétend qu'elle ignorait l'existence du droit d'au- teur sur les formules et qu'elle n'avait aucun motif raisonnable de soupçonner qu'il y en- avait un. Comme d'autres l'ont déjà dit, c'est une disposi tion curieuse, mal libellée.
M. Palin, président-directeur général de la défenderesse, a témoigné pour affirmer l'existence d'une pratique des compagnies de ce secteur d'ac- tivité de copier délibérément, lorsqu'il y avait un marché, les formules de leurs concurrents. Pour cette raison, il a présumé qu'il n'y avait aucun droit d'auteur sur les formules d'affaires. C'était, comme je vois la chose, une présomption fort injustifiée.
La défenderesse avait tort, en droit et en fait, lorsqu'elle estimait que les formules de la deman- deresse ne donnaient pas lieu à un droit d'auteur.
La défenderesse et ses dirigeants n'ont pu établir à ma satisfaction qu'ils n'avaient «aucun motif raisonnable de soupçonner que le droit d'auteur subsistait» sur les formules. Il y avait, je pense, des motifs raisonnables de présumer qu'il pouvait fort
bien y avoir droit d'auteur. La défenderesse a préféré prendre ce risque. Une évaluation erronée du droit et des faits ne peut servir d'excuse justi- fiant d'échapper aux dommages-intérêts, à une reddition de compte des profits et aux autres recours auxquels peut prétendre la demanderesse.
Une ordonnance antérieure a été prononcée, portant que la question des dommages-intérêts et des bénéfices ferait l'objet d'une référence.
La demanderesse a aussi droit à ses dépens.
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