T-5725-81
496482 Ontario Inc. (demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada, le ministre des
Transports du Canada, VIA Rail Canada Inc., le
Canadien Pacifique Limitée et les Chemins de fer
nationaux du Canada (défendeurs)
Division de première instance, juge Walsh—
Toronto, 16 février; Ottawa, 2 mars 1982.
Contrôle judiciaire — Recours d'equity — Injonctions —
Injonction interlocutoire — Demanderesse constituée en cor
poration par les membres d'une association de voyageurs —
Capacité d'ester de la demanderesse — Tendance à autoriser
les recours des groupes d'intérêt public même en l'absence de
fonds suffisants pour fournir une garantie — Pouvoir discré-
tionnaire de la Cour en ce qui concerne la capacité d'ester —
Instruction du litige au fond même si la société demanderesse
n'est pas touchée personnellement — La demanderesse cherche
à obtenir l'interdiction, pour les défendeurs, de donner effet à
un décret supprimant un service de trains de banlieue — Fin
de non-recevoir opposée par les défendeurs motif pris d'ab-
sence de cause à la demande — Modification par le gouver-
neur en conseil, de son propre mouvement, des ordonnances de
la Commission canadienne des transports et suppression de
certains services de trains de voyageurs — Selon la demande-
resse, aucune possibilité de suppression de services ferroviaires
sur le fondement de l'art. 260 de la Loi sur les chemins de fer
sauf à la demande du chemin de fer lui-même, sur preuve de
perte financière — Y a-t-il excès de pouvoir de la part du
gouverneur en conseil? — Compétence matérielle de la Com
mission en vertu de l'art. 48 de la Loi nationale sur les
transports vu la demande antérieure du Canadien Pacifique
qui exploitait le service avant VIA Rail, l'exploitant actuel —
Compétence de la Commission pour supprimer tous les servi
ces de trains de passagers sur une ligne donnée — Accueil de
la fin de non-recevoir sous réserve de l'instruction d'une
question de droit portant sur la compétence du gouverneur en
conseil d'ordonner qu'une suppression de service prenne effet
plus d'un an après le prononcé de l'ordonnance à ce sujet —
Requête en injonction rejetée quant au procureur général et au
ministre des Transports — Requête ajournée sine die quant
aux autres défendeurs — Loi sur les chemins de fer, S.R.C.
1970, c. R-2, art. 260, 261, 262 — Loi nationale sur les
transports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 3, 48, 64 — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 23.
La demanderesse conclut à une injonction interlocutoire qui
interdirait aux défendeurs de suspendre les services de trains de
voyageurs ou de limiter lesdits services suspendus sur la foi du
décret C.P. 1981-2171. Les défendeurs opposent une fin de
non-recevoir à la déclaration. La demanderesse fait valoir que
le décret devait prendre effet plus de 12 mois après son
adoption, ce que la loi interdit. Aucune perte économique n'a
été établie puisqu'il n'y a eu aucune requête de VIA Rail en
suppression du service, ni aucune perte du Canadien Pacifique
au cours de l'année précédant le décret de suppression puisque
pendant cette période VIA Rail exploitait le service. Le décret
a mis fin à l'ensemble du service de trains de voyageurs de
ladite ligne, ce qui, d'après la demanderesse, est contraire à la
loi car la suppression du service n'équivaut pas à son abandon.
Il s'ensuit, selon cet argument, que la Commission canadienne
des transports ne pouvait rendre l'ordonnance en cause, qui
serait contraire à la loi, et échapperait donc aussi au pouvoir du
gouverneur en conseil.
Arrêt: la fin de non-recevoir est partiellement accueillie et la
demande d'injonction interlocutoire ajournée sine die. Le para-
graphe 260(2) de la Loi sur les chemins de fer prévoit que si
une compagnie désire supprimer un service de trains de voya-
geurs, elle doit le demander. Le paragraphe 260(5) dispose que
si la compagnie n'a subi aucune perte réelle d'exploitation au
cours de la dernière année de comptabilité prescrite, le gouver-
neur en conseil doit rejeter la demande. Quant au moyen selon
lequel VIA Rail n'a fait aucune demande de cessation de
service et le Canadien Pacifique n'a subi aucune perte dans
l'année précédant le décret, il faut noter toutefois une demande
du Canadien Pacifique de mettre fin au service, demande qui a
été rejetée en 1971. Après nouvel examen, en 1976, la demande
a de nouveau été rejetée. Après réexamen en 1981, VIA Rail et
le Canadien Pacifique se sont vu refuser l'autorisation de
mettre fin au service. Le Canadien Pacifique et VIA Rail sont
conjointement visés dans l'ordonnance R-32317 qu'abroge le
décret C.P. 1981-2171. L'article 48 de la Loi nationale sur les
transports porte que la Commission peut, de son propre mouve-
ment, ou doit, à la demande du Ministre, instruire toute
question qu'elle peut, en vertu de la présente Partie ou de la Loi
sur les chemins de fer, instruire sur demande ou sur plainte.
Que VIA Rail ait demandé ou non la suspension du service en
cause par suite de pertes financières, la Commission pouvait, de
son propre mouvement, enquêter à ce sujet. L'argument selon
lequel le Comité n'était pas compétent en la matière, puisque
VIA Rail n'avait formé aucune demande de mettre fin au
service est inacceptable. La demanderesse soutient que les
compagnies ferroviaires ont l'obligation, selon l'article 262 de la
Loi sur les chemins de fer, d'offrir un espace adéquat pour tout
objet de transport, y compris les passagers, et qu'il faut distin-
guer la suppression d'un service de trains de voyageurs de la
suppression de tout service de transport de passagers sur une
ligne particulière. La définition même de service de trains de
voyageurs parle de «train ou [de] trains», et le terme «trains»
désigne présumément tous les trains d'un tel service. En outre,
l'argument de la demanderesse, poussé à l'absurde, amènerait à
conclure qu'après la mise en place d'un tel service de trains de
voyageurs, la loi en interdirait l'abandon même dans le cas, par
exemple, où il servirait au transport de 10 passagers seulement
par jour et perdrait $1,000,000 par année car, si cet abandon
était dans l'intérêt du «public» en général, il ne serait pas dans
l'intérêt du public «usager» du service. Le paragraphe 260(7) de
la Loi sur les chemins de fer dit que lorsque la Commission
décide qu'un service de trains de voyageurs non rentable doit
être supprimé, elle doit fixer la date ou les dates «qui lui
semblent être d'intérêt public pour l'arrêt de l'exploitation du
service ou de parties de celui-ci». L'emploi des termes «ou de
parties de celui-ci» rapprochés du terme «service» indique que
celui-ci peut non seulement être supprimé en partie mais aussi
entièrement. Enfin, il ne fait aucun doute que le gouverneur en
conseil, sur le fondement de l'article 64 de la Loi nationale sur
les transports, pouvait modifier l'ordonnance R-32317 de la
Commission. Mais une question sérieuse se pose: y avait-il, ce
faisant, infraction au paragraphe 260(7) de la Loi sur les
chemins de fer, si la suppression ne devait prendre effet que
plus d'un an après la prise du décret? Cet alinéa de la déclara-
tion ne devrait pas être radié. Devra être décidée une question
de droit: la modification des ordonnances en cause par le décret
C.P. 1981-2171 est-elle invalide parce que prenant effet plus
d'un an après la prise du décret?
Jurisprudence: décisions appliquées: Le procureur général
du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada [1980] 2 R.C.S.
735; National Indian Brotherhood c. Juneau (N° l) [1971]
C.F. 66; Thorson c. Le Procureur Général du Canada
[1975] 1 R.C.S. 138; Le ministre de la Justice du Canada
c. Borowski [1981] 2 R.C.S. 575. Décisions mentionnées:
City of Melville c. Le procureur général du Canada
[1982] 2 C.F. 3; Le ministre des Transports du Québec c.
Le procureur général du Canada [1982] 2 C.F. 17;
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau
c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui
(N° 2) [1980] 1 R.C.S. 602.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Ian W. Outerbridge, c.r. et Fred A. Platt pour
la demanderesse.
E. A. Bowie, c.r., pour les défendeurs le pro-
cureur général du Canada et le ministre des
Transports du Canada.
Michel Huart pour la défenderesse VIA Rail
Canada Inc.
T. Moloney pour la défenderesse Canadien
Pacifique Limitée.
L. Band, c.r., pour la défenderesse Chemins
de fers nationaux du Canada.
PROCUREURS:
Outerbridge, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs le procureur général du
Canada et le Ministre des Transports du
Canada.
Contentieux, VIA Rail Canada Inc., Mont-
réal, pour la défenderesse VIA Rail Canada
Inc.
Contentieux, Canadien Pacifique Limitée,
Montréal, pour la défenderesse Canadien
Pacifique Limitée.
Contentieux, Chemins de fer nationaux du
Canada, Toronto, pour la défenderesse Che-
mins de fer nationaux du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse conclut à
une injonction interlocutoire qui interdirait aux
défendeurs d'agir sur la foi, ou en exécution, du
décret C.P. 1981-2171 [DORS/81-892], et de sus-
pendre, supprimer ou limiter par ailleurs les servi
ces de trains de voyageurs que prétend suspendre,
supprimer ou limiter ce décret. Tous les défen-
deurs, y compris la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada (incorrectement appelée les
Chemins de fer nationaux du Canada) ont, sur le
fondement de la Règle 419 des Règles de la Cour
fédérale, opposé une fin de non-recevoir à la décla-
ration, concluant au rejet de l'action motif pris que
cette déclaration ne recèle aucune cause raisonna-
ble de demande contre eux ou, subsidiairement,
concluant à la prorogation du délai de production
de la défense de 30 jours, après qu'il aura été
définitivement statué sur la requête. Toutes les
requêtes ont été instruites en même temps.
La demanderesse est une société que les mem-
bres de la Toronto—Peterborough--Havelock
Line Passenger Association of Ontario ont cons-
tituée dans le but de promouvoir le transport par
chemins de fer. L'injonction à laquelle conclut la
demanderesse ne viserait que le service de trains de
voyageurs Toronto—Havelock (l'annexe IX du
décret) mais ledit décret vise aussi le service de
trains de voyageurs Toronto—Stouffville (l'annexe
VIII) et celui entre Toronto et Barrie (l'annexe
XV du décret). La validité de décrets en substance
semblables a été mise en cause dans deux autres
espèces qui, je crois comprendre, ont été portées en
appel; néanmoins, elles font pour l'instant jurispru
dence pour ce qui y a été statué. Il s'agit première-
ment du jugement du juge Collier dans City of
Melville c. Le procureur général du Canada
[1982] 2 C.F. 3, relatif à certains services ferro-
viaires de la Saskatchewan, en second lieu, de
l'espèce Le ministre des Transports du Québec c.
Le procureur général du Canada [1982] 2 C.F. 17,
relative à des services ferroviaires de la province de
Québec. Les deux jugements étudient l'arrêt Le
procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada' et en citent un nombre important d'ex-
' [1980] 2 R.C.S. 735.
traits. Le jugement québécois mentionne aussi les
arrêts Nicholson et Martineau 2 sur l'obligation
d'agir équitablement; ce serait se répéter que
d'énoncer à nouveau les motifs de ces arrêts ici; les
seuls points litigieux dont la Cour est donc saisie
par les présentes requêtes concernent les moyens
qui n'auraient pas été pris en compte dans ces
affaires ou les faits qui pourraient être suffisam-
ment différents pour justifier de statuer autrement.
L'avocat de la demanderesse a sans difficulté
reconnu cela à l'audience et a abandonné tout
moyen fondé sur les alinéas a), b), c), d), e), h) et
j) du paragraphe 19 de la déclaration révisée.
Reste donc à examiner les faits articulés aux ali-
néas f), g), et i) ((i) et (ii)). Voici ces alinéas:
[TRADUCTION] f) on a pris en compte certains facteurs non
pertinents comme les besoins en capital de Via Rail et le total
de ses subsides d'opération sans égard pour l'importance de
ces derniers ni pour la manière dont ils étaient reliés aux
divers services de trains de voyageurs supprimés: c'est à tort
en droit que le gouverneur général en conseil a pris ce facteur
en compte.
g) le gouverneur général en conseil n'a pas pris en compte
certains facteurs pertinents comme les obligations légales
qu'impose aux compagnies ferroviaires l'article 262 de la Loi
sur les chemins de fer; subsidiairement, le gouverneur géné-
ral en conseil a ignoré l'existence de ces obligations ou;
subsidiairement, a cherché par son décret à déroger à
l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer.
i) le décret ne correspond pas à une ordonnance qu'aurait pu
rendre la Commission et en conséquence échappe à la compé-
tence du gouverneur général en conseil; aucune ordonnance
notamment ne peut être rendue dans le but de supprimer un
service de trains de voyageurs
(i) plus d'un an à compter de l'ordonnance, et
(ii) qu'exploite le CP, si le CP n'a pas subi, ou si la
Commission n'a pas constaté que le CP avait subi, une
perte réelle au cours de l'année précédente en conséquence
de l'exploitation du service de trains de voyageurs.
En toile de fond au litige, comme l'énonce la
déclaration révisée, on voit le ministre des Trans
ports du Canada, à titre de responsable de l'exécu-
tion et de la mise en oeuvre des dispositions de la
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, et
de la Loi nationale sur les transports, S.R.C.
1970, c. N-17, recommander au gouverneur en
conseil de modifier, de son propre mouvement,
z Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Com
missioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311. Martineau c. Le
Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2) [1980]
1 R.C.S. 602.
certaines ordonnances du Comité des transports
par chemin de fer de la Commission canadienne
des transports et des ordonnances du Comité de
révision de la Commission et, en ce qui concerne
l'instance en cause, le Plan définitif pour le service
de l'Est des trains transcontinentaux de voyageurs
de juin 1979. VIA Rail a été constituée afin de
fournir un service de passagers national intégré en
coopération avec les services du Canadien Pacifi-
que Limitée et de la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada. La Commission canadienne
des transports, constituée en vertu de la Loi natio-
nale sur les transports, a l'obligation d'exercer les
fonctions que lui attribuent, notamment, la Loi
nationale sur les transports, la Loi sur les chemins
de fer et la Loi sur les transports, S.R.C. 1970, c.
T-14, afin de coordonner les opérations des trans-
porteurs de tout genre, et de voir ainsi au maintien
d'un système de transport rentable, efficace et
adéquat, au moindre coût, dans l'intérêt des usa-
gers, et ainsi d'assurer le bien-être économique et
la croissance du Canada. Le gouverneur en conseil
a la compétence ou le pouvoir dans certains cas de
réviser ou de rescinder les ordonnances, décisions,
règles ou règlements de la Commission.
La demanderesse soutient que, vu l'article 260
de la Loi sur les chemins de fer, la Commission
doit décider qu'un service de trains de voyageurs
doit ou ne doit pas être supprimé lorsque la compa-
gnie ferroviaire responsable demande d'y mettre
fin. Ce faisant, la Commission doit établir la perte
réelle, le cas échéant, attribuable au service de
trains de passagers pour chaque année comptable
prescrite, rejeter toute demande de mettre fin au
service si elle constate que la compagnie ferro-
viaire n'a subi aucune perte dans cette exploitation
lors de la dernière année des années comptables
prescrites et, enfin, connaître de tout ce qui, à son
avis, est d'intérêt public, y compris ce que prévoit
expressément la Loi sur les chemins de fer, avant
de constater qu'un service de trains de voyageurs
non rentable devrait être, en tout ou en partie,
supprimé. Vers le 6 août 1981, le gouverneur en
conseil, de son propre mouvement, suivant la
recommandation du Ministre, modifia, conformé-
ment au paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur
les transports, certaines ordonnances de la Com
mission relatives aux services de trains de voya-
geurs partout au Canada par suite de l'adoption du
décret C.P. 1981-2171 en cause. On soutient que
trois des services supprimés en Ontario desservent
principalement des gens qui font la navette entre
certains points du service fourni. Le décret ordon-
nant la suppression des services entre Toronto et
Havelock fut modifié par ledit décret du 6 août
1981 qui met fin aux services à compter du
7 septembre 1982. On soutient que les banlieu-
sards qui empruntent quotidiennement ce service
le font pour se rendre à leur travail. On soutient en
outre que VIA Rail n'a jamais demandé cette
suppression de service.
L'avocat de la demanderesse fait valoir que les
causes précitées n'ont pas réglé les quatre points
litigieux suivants:
1. Le décret en cause devait prendre effet plus
de 12 mois après son adoption, ce que la loi
interdit.
2. Aucune perte économique n'a été établie puis-
qu'il n'y a eu aucune requête de VIA Rail en
suppression du service ni aucune perte économi-
que du Canadien Pacifique au cours de l'année
précédant le décret de suppression puisqu'alors
c'était VIA Rail qui exploitait le service.
3. Le décret a mis fin à tout le service de trains
de voyageurs sur ladite ligne, ce qui, d'après la
demanderesse, serait contraire à la loi car la
suppression d'un service n'équivaut pas à son
abandon.
4. Il s'ensuivrait que la Commission canadienne
des transports ne pouvait rendre l'ordonnance en
cause, laquelle serait contraire à la loi, et échap-
perait donc aussi aux pouvoirs du gouverneur en
conseil.
Les défendeurs ont soutenu que la demanderesse
n'avait pas un intérêt suffisant pour lui permettre
d'engager l'actuelle instance puisqu'il s'agissait
d'une société qui ne subit elle-même aucun préju-
dice par suite de l'annulation du service ferro-
viaire. Cet argument a été rejeté. L'objet même de
la constitution de cette société était de représenter
les navetteurs utilisateurs du service. C'est un
recours collectif qui aurait dû être intenté disent
les défendeurs, mais, semble-t-il, cela aurait créé
des complications inutiles et retardé l'instance
alors que, de par sa nature même, il était urgent de
la faire instruire. On a aussi prétendu que fré-
quemment l'injonction interlocutoire accordée
comporte des modalités selon lesquelles le requé-
rant doit fournir à l'intimé une sûreté ou lui
donner quelque assurance d'indemnisation des
dommages qui pourraient résulter du rejet éven-
tuel de l'injonction après instruction au fond. Or,
on pourrait présumer que la demanderesse n'est
pas solvable, n'ayant été formée que pour les fins
de l'actuelle instance et n'exerçant aucune entre-
prise ni n'ayant aucun patrimoine. Il serait mani-
festement prématuré de dénier toute capacité d'es-
ter à la demanderesse sur ce fondement, cette
question ne se posant que si l'injonction interlocu-
toire devait être accordée; or, certainement, rien
n'autorise à dire que celui qui n'est pas solvable ne
peut demander d'injonction interlocutoire parce
que, advenant son rejet après instruction au fond,
il serait alors incapable d'indemniser les défen-
deurs des dommages causés. D'ailleurs, la ten-
dance est d'autoriser les groupes d'intérêt public
validement constitués à engager le recours pour
lequel ils ont été formés (voir, par exemple, l'es-
pèce National Indian Brotherhood c. Juneau (N°
1) 3 , laquelle, bien qu'aient été en cause certaines
dispositions expresses du paragraphe 19(2) de la
Loi sur la radiodiffusion, S.C. 1967-68, c. 25,
décida que la National Indian Brotherhood était
une personne capable de porter plainte sur ce
fondement. En rendant jugement, j'ai dit, aux
pages 68 et 69:
Il est fort possible que la «personne» qui présente la plainte
doive être quelqu'un ayant un intérêt précis à le faire mais on
peut difficilement imaginer une «personne» ayant un plus grand
intérêt à agir de la sorte que les requérants qui se plaignent
d'avoir été offensés par le film à l'affiche du réseau C.T.V.
intitulé «The Taming of the Canadian West» qui, selon eux, est
«vulgairement raciste, historiquement inexact et diffamatoire
envers la race et la culture indiennes», comme l'a déclaré
M. Plain dans son affidavit. Je rejette donc cette objection.).
Une jurisprudence importante a examiné la ques
tion de la capacité d'ester, mais les faits de chaque
espèce diffèrent substantiellement; je m'en tiendrai
donc à certains des principes de base énoncés dans
ces espèces, lesquels justifient d'affirmer que la
Cour détient à ce sujet un pouvoir discrétionnaire.
Toutefois, dans certaines de ces espèces, la partie
en cause avait épuisé alors tous ses autres recours,
ce qui n'est pas le cas ici. Dans l'arrêt Thorson c.
3 [1971] C.F. 66.
Le Procureur Général du Canada'', le juge Laskin
[tel était alors son titre] a dit ; à la page 147:
Je suis d'avis que, dans lès actions interitéés par un contribua-
ble, la cour n'a pas moins le droit de régir la qualité pour agir
qu'elle n'a le droit de régir l'octroi d'ordonnances déclaratoires
demandées dans pareilles actions. Bref, il s'agit pour moi d'une
question qui relève du pouvoir discrétionnaire de la cour, et la
nature de la loi contestée est pertinente en ce qui concerne ce
pouvoir discrétionnaire.
Dans l'arrêt Le ministre de la Justice du Canada
c. Borowski [1981] 2 R.C.S. 575, la jurisprudence
sur la question est longuement étudiée et, aux
pages 580 et 581 de l'opinion du juge en chef
Laskin, on commente l'arrêt Thorson comme suit:
En permettant que l'action du contribuable suive son cours
dans l'affaire Thorson, cette Cour a souligné qu'elle le faisait
dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire prépondérant, qui
se rapportait à l'efficacité du recours. Elle a poursuivi en disant
entre autres que «La question de savoir si la question qu'on
cherche à soulever peut être réglée par les tribunaux est au
coeur de ce pouvoir discrétionnaire» et que «La nature de la loi
dont la validité est contestée est toute aussi pertinente, selon
qu'elle comporte des prohibitions ou restrictions à l'égard d'une
ou de catégories de personnes qui se trouvent ainsi particulière-
ment touchées par ses dispositions en regard du public en
général. S'il s'agit d'une loi de ce genre, la Cour peut décider
... qu'une personne faisant partie du public ... est touchée de
trop loin pour qu'on lui reconnaisse qualité pour agir» (à la
p. 161).
En l'espèce, il ne fait aucun doute que l'annulation
de tous les services de trains de voyageurs sur la
ligne Toronto—Havelock touchait personnelle-
ment les navetteurs et, bien que techniquement on
puisse dire que la société demanderesse n'ait pas
été atteinte personnellement, je crois qu'on aurait
tort de ne pas autoriser le débat au fond simple-
ment parce que l'instance a été intentée par une
société formée pour cette fin expresse par les indi-
vidus personnellement atteints, plutôt que par l'un
ou plusieurs de ceux-ci ou sous forme de recours
collectif; j'exerce donc mon pouvoir discrétionnaire
en conséquence.
Bien que, suivant l'invitation de la Cour, tous les
points litigieux aient été débattus simultanément,
non seulement par l'avocat de la demanderesse
mais aussi par celui du procureur général du
Canada et du ministre des Transports, de VIA
Rail, du Canadien Pacifique et des Chemins de fer
nationaux du Canada, je crois cependant qu'il
serait opportun de traiter d'abord des moyens que
[1975] 1 R.C.S. 138.
soulèvent les fins de non-recevoir excipées par
l'ensemble desdits défendeurs puisque, advenant
qu'elles soient reconnues fondées, il n'y aura plus
alors aucune action sur laquelle asseoir la demande
d'injonction interlocutoire de la demanderesse et
en conséquence celle-ci sera automatiquement
déboutée.
L'argument principal de la demanderesse, lors-
qu'elle excipe de ces fins de non-recevoir, se fonde
sur l'assertion quelque peu surprenante, que les
espèces précédentes n'ont pas été examinées, vou-
lant que la Commission canadienne des transports
elle-même n'ait pu ordonner la suppression du
service de trains de voyageurs en cause. Le premier
moyen de la demanderesse à cet égard met en
cause l'interprétation de l'article 260 de la Loi sur
les chemins de fers, paragraphe (2), que voici:
260... .
(2) Si une compagnie désire supprimer un service de trains
de voyageurs, la compagnie doit, en conformité des règles et
règlements de la Commission à ce sujet, déposer à la Commis
sion une demande de suppression de ce service.
A cet égard, le paragraphe renvoie à la définition
de service de trains de voyageurs du para-
graphe (1) que voici:
260. (1) Dans le présent article et l'article 261,
«perte réelle», relativement à un service de trains de voyageurs,
désigne
a) l'excédent, s'il en est, des frais subis par la compagnie
dans le transport des voyageurs par le service de trains de
voyageurs
sur
b) les revenus de la compagnie provenant du transport des
voyageurs par le service de trains de voyageurs;
«service de trains de voyageurs» désigne le train ou les trains
d'une compagnie qui sont capables de transporter des voya-
geurs et qui sont déclarés par une ordonnance de la Commis
sion, aux fins du présent article et de l'article 261, compren-
dre un service de trains de voyageurs.
Les paragraphes (3) et (4) parlent de la fourniture
d'états des frais et revenus afin de permettre d'éta-
blir la perte réelle. Le paragraphe (5) dispose que
si la Commission constate que dans l'exploitation
d'un service de trains de voyageurs dont on a
demandé la suppression, la compagnie «a subi ...
une perte réelle dans une ou plusieurs des années
de comptabilité prescrites et notamment, la der-
nière de ces années», la Commission peut décider
que le service n'est pas rentable, que vraisembla-
5 S.R.C. 1970, c. R-2.
blement il continuera de ne pas l'être et qu'il
devrait être supprimé. Mais si la compagnie n'a
subi aucune perte réelle d'exploitation au cours de
la dernière année de comptabilité prescrite, elle
doit rejeter la demande sans préjudice de toute
demande qui pourrait subséquemment être faite
pour sa suppression. Le paragraphe (6) prévoit que
la Commission examinera «toutes les questions qui,
à son avis, concernent l'intérêt public». Le paragra-
phe (7) porte que si elle constate que l'exploitation
d'un tel service non rentable de trains de voyageurs
devrait cesser, elle fixera par son ordonnance la ou
les dates, «qui lui semblent être d'intérêt public»,
de suppression du service «ou de parties de
celui-ci»; l'arrêt ne devra pas avoir lieu cependant
avant le trentième jour suivant la date de l'ordon-
nance ni plus d'un an après. Le paragraphe (8)
dispose que si la Commission constate que l'exploi-
tation ne doit pas cesser, elle doit réexaminer la
demande de suppression à des intervalles ne dépas-
sant pas cinq ans à compter de la date de la
première demande ou de son dernier examen. Le
premier moyen par lequel la demanderesse décline
la compétence de la Commission est que VIA Rail
n'a fait aucune demande de cessation de service et
que le Canadien Pacifique n'a subi aucune perte
dans l'année précédant le décret; le décret ne
remplacerait donc pas simplement une décision de
la Commission mais ferait ce que la Commission
elle-même ne pourrait faire sans enfreindre la
législation. Il existe toutefois une demande du
Canadien Pacifique de mettre fin audit service
remontant au 31 octobre 1969, demande que le
Comité des transports par chemin de fer rejeta le
31 mai 1971 par son ordonnance R-11827. Celle-ci
fut réexaminée conformément au paragraphe
260(8) de la Loi sur les chemins de fer et le
31 mai 1976, l'ordonnance R-22892 rejeta à nou-
veau la demande de suppression. Il y eut à nouveau
réexamen le 29 mai 1981; sur le fondement de
l'ordonnance R-32317 et VIA Rail et le Canadien
Pacifique se virent refuser l'autorisation de mettre
fin audit service. L'ordonnance mentionne la
demande du Canadien Pacifique Limitée de mettre
fin à son service de trains de voyageurs puis pour-
suit en parlant de la «responsabilité qui est mainte-
nant partagée par VIA Rail Canada Inc. (VIA
Rail) et Canadien Pacifique Limitée, à partir du
Zef avril 1979...». La perte réelle pour l'année
1979 a été fixée à $597,599 et celle pour l'année
1980, $888,913, ces deux chiffres étant présentés
comme soumis au Comité sans qu'il les ait approu-
vés. Ces chiffres indiquent une diminution réelle
des recettes, qui passent de $360,009 en 1979 à
$240,066 en 1980. Le Comité constate ensuite que
VIA Rail, de concert avec le Comité, est à réfor-
mer son système de calcul des frais d'exploitation;
tant que le nouveau système ne sera pas en place,
on ne pourra garantir les chiffres des pertes réelles.
Le Comité ajoute que les chiffres qu'ont soumis
VIA Rail Canada et le Canadien Pacifique Limi-
tée représentent un estimé raisonnable des pertes
subies; il conclut: «Il [le Comité] apportera peut-
être, lors de la vérification finale, des rajustements
mineurs; toutefois, il est convaincu que ces rajuste-
ments n'auront guère d'incidence sur l'importance
des pertes subies.» Le Comité exprime l'avis que la
ligne Toronto—Havelock «peut comprendre essen-
tiellement un service de banlieue pour lequel il ne
peut y avoir de subventions» ainsi que son intention
d'étudier ce cas afin de décider si oui ou non on
doit continuer à désigner ce service comme un
service de trains de voyageurs aux termes des
articles 260 et 261 de la Loi sur les chemins de fer.
L'article 261 est l'article qui prévoit que la Com
mission, lorsqu'un service non rentable est exploité,
«doit ... certifier le montant de la perte réelle»
dont 80%, prélevé sur le Fonds du revenu conso-
lidé, peut alors être remis à la compagnie. Le
paragraphe (8) dispose que cela ne s'applique pas
«en ce qui concerne un service de trains de voya-
geurs qui transporte principalement des abonnés
ou autres personnes voyageant régulièrement entre
des points situés sur le chemin de fer de la compa-
gnie assurant le service». Il n'est pas nécessaire,
pour les besoins de la cause, de décider si effective-
ment ledit service de trains de voyageurs constitue
un service de banlieue ou non; cette question ne se
poserait que si on devait ordonner à VIA Rail de
poursuivre son exploitation en collaboration avec le
Canadien Pacifique Limitée par suite de l'annula-
tion du C.P. 1981-2171 selon le voeu de la deman-
deresse. Il n'est pas sans intérêt de noter que,
même si VIA Rail elle-même est une société de la
Couronne, une déposition sous serment soumise en
son nom indique que jusqu'à présent le gouverne-
ment du Canada l'a remboursée de toutes les
pertes subies.
Ce qui est évident, et significatif, c'est qu'on
peut présumer que le gouverneur en conseil a eu
connaissance de ces chiffres qui, bien qu'ils n'aient
pas été définitivement établis, ont été considérés
comme suffisamment précis par la Commission; et
c'est aussi que le Canadien Pacifique et VIA Rail
sont conjointement visés dans son ordonnance
R-32317 qu'abroge le C.P. 1981-2171 pour ce qui
est de la ligne en cause.
On se reportera aussi à l'article 48 de la Loi
nationale sur les transports 6 , qu'il faut rapprocher
de la Loi sur les chemins de fer. Voici l'article:
48. La Commission peut, de son propre mouvement, ou doit,
à la demande du Ministre, instruire, entendre et juger toute
affaire ou question qu'elle peut, en vertu de la présente Partie
ou de la Loi sur les chemins de fer, instruire, entendre et juger
sur une demande ou sur une plainte, et, à cet égard, elle a les
mêmes pouvoirs que la présente loi lui confère pour statuer sur
une demande ou sur une plainte.
Indépendamment de toute demande de suspension
par VIA Rail du service en cause par suite de
pertes financières résultant de son exploitation, la
Commission pouvait, elle-même, de son propre
mouvement, enquêter à ce sujet.
Je ne reconnais donc pas comme fondé l'argu-
ment voulant que, puisqu'il n'y a eu aucune
demande de VIA Rail de mettre fin au service et
que le Comité a simplement agi sur la demande
initiale du Canadien Pacifique, lequel n'exploite
plus le service, et ne subit donc aucune perte, il
n'est plus compétent en la matière.
Le second moyen qu'invoque la demanderesse
pour décliner la compétence de la Commission en
matière de suppression du service de trains de
voyageurs Toronto—Havelock est tout aussi ténu
et inacceptable. La demanderesse distingue la sup
pression d'un service de trains de passagers, con-
formément au paragraphe 260(2) de la Loi sur les
chemins de fer, de la demande d'abandon d'une
ligne non rentable, visée aux articles 252 et sui-
vants. Certes, la suppression d'un service de trains
de voyageurs sur une ligne n'est pas l'abandon de
la ligne elle-même qu'on peut toujours utiliser pour
le fret. La demanderesse soutient que les compa-
gnies ferroviaires ont l'obligation, selon l'article
262 de la Loi sur les chemins de fer, d'offrir un
espace adéquat pour tout objet de transport, y
compris les passagers; il faudrait distinguer la
suppression d'un service de trains de voyageurs de
la suppression de tout service de transport de
6 S.R.C. 1970, c. N-17.
passagers sur une ligne particulière, comme fait le
décret en cause. On cite l'article 3 de la Loi
nationale sur les transports, lequel énonce la poli-
tique nationale en matière de transport; en voici le
paragraphe liminaire:
3. Il est par les présentes déclaré qu'un système économique,
efficace et adéquat de transport utilisant au mieux tous les
moyens de transport disponibles au prix de revient global le
plus bas est essentiel à la protection des intérêts des usagers des
moyens de transport et au maintien de la prospérité et du
développement économique du Canada, et que la façon la plus
sûre de parvenir à ces objectifs est vraisemblablement de rendre
tous les moyens de transport capables de soutenir la concur
rence dans des conditions qui assureront, compte tenu de la
politique nationale et des exigences juridiques et constitution-
nelles ....
Il s'ensuit, fait-on valoir, qu'il faut protéger les
usagers des moyens de transport et que, vu le
paragraphe (6) de l'article 260 de la Loi sur les
chemins de fer: «Lorsqu'elle décide si un service
non rentable de trains de voyageurs ou des parties
de celui-ci doivent ou non être supprimés, la Com
mission doit examiner toutes les questions qui, à
son avis, concernent l'intérêt public», l'«intérêt
public» étant l'intérêt des membres du public ayant
recours à ce moyen de transport.
Il faut dire toutefois qu'on trouve l'article 262
dans la section de la Loi sur les chemins de fer
intitulée TRANSPORT, TAXES ET TARIFS, avec
comme sous-titre Aménagements pour le trans
port, lequel ne fait qu'énoncer les obligations que
contracte une compagnie ferroviaire à l'égard du
trafic qui emprunte ses lignes. Ce sont les articles
252 258 qui traitent de l'abandon des lignes de
chemins de fer; les articles 260 et 261 traitent de la
rationalisation des lignes ou des exploitations. On
trouve les articles 252 261, inclusivement, sous le
titre ABANDON ET RATIONALISATION DE LIGNES
OU D'EXPLOITATIONS. L'argument de la demande-
resse voulant que si la loi autorise de ne plus
mettre en service certains trains utilisés pour le
transport de passagers sur une ligne donnée cela
n'autorise pas, sur le fondement des articles 260 et
261, de n'affecter aucun train que ce soit à ce
service sur ladite ligne, une telle ordonnance
échappant à la compétence de la Commission elle-
même, doit être rejeté. Non seulement la définition
même de service de trains de voyageurs parle-t-elle
de «train ou [de] trains», et le terme «trains»
présumément, désigne tous les trains d'un tel ser-
vice, mais l'argument de la demanderesse, poussé à
l'absurde, s'il était accepté, amènerait à conclure
qu'une fois un tel service de trains de voyageurs
instauré, la loi n'en autorise pas l'abandon même
si, par exemple, on ne devait transporter que dix
passagers par jour et perdre un million de dollars
par année car, bien que cet abandon puisse être
dans l'intérêt du «public» en général, ce ne serait
pas dans l'intérêt du public «usager» du service. Ce
n'est pas non plus pour rien que le paragraphe (7)
de l'article 260 de la Loi sur les chemins de fer dit
que lorsque la Commission décide qu'un service de
trains de voyageurs non rentable doit être sup-
primé, elle doit, par ordonnance, fixer la date ou
les dates «qui lui semblent être d'intérêt public
pour l'arrêt de l'exploitation du service ou de
parties de celui-ci». Certainement l'emploi des
termes «ou de parties de celui-ci», rapprochés du
terme «service», indique que celui-ci peut non seu-
lement être supprimé en partie mais aussi
entièrement.
Le libellé du paragraphe (7) de l'article 260 de
la Loi sur les chemins de fer (précité), qui dispose
clairement qu'on ne saurait fixer la date de cessa
tion d'un service à plus d'un an de la date de
l'ordonnance soulève un doute sérieux quant à la
compétence de la Commission de prononcer elle-
même une ordonnance dans les termes du décret.
Il est donc exact que la Commission ne pouvait,
vers le 6 août 1981, rendre une ordonnance de
suppression du service de trains de voyageurs
de la ligne Toronto—Havelock à compter du
7 septembre 1982, ce que le décret a fait, car cela
aurait été clairement contraire à la loi. La question
se pose donc sérieusement de savoir si le gouver-
neur en conseil pouvait lui-même prendre un
décret qui, s'il s'était agi d'une ordonnance de la
Commission, aurait pu être cassé comme contraire
au paragraphe (7) de l'article 260 de la Loi sur les
chemins de fer. Les espèces saskatchewannaise et
québécoise qui traitent de la validité du même
décret n'ont pas eu à prendre en compte le fait que
dans le cas de la ligne Toronto—Havelock et des
deux autres lignes ontariennes mentionnées
(ci-dessus), l'arrêt ne devait avoir lieu que plus
d'un an après la prise du décret. Elles se fondent
principalement sur les dispositions du paragraphe
64(1) de la Loi nationale sur les transports pour
en soutenir la validité; voici ce paragraphe:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa
discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa-
gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute
ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission,
que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou
autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica
tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur
en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les
parties.
Ont été mentionnés plusieurs passages de l'arrêt de
la Cour suprême Inuit Tapirisat (précité). En
l'espèce, la demanderesse soutient, si ces juge-
ments sont fondés, que le gouverneur en conseil
peut fort bien détenir les pouvoirs, fort étendus, de
modifier ou de rescinder les ordonnances de la
Commission sans audience préalable par celle-ci
mais qu'ils ne vont pas jusqu'à lui permettre d'or-
donner ce que la Commission elle-même n'aurait
pu originellement ordonner. Modifier ou rescinder
une ordonnance n'équivaudrait pas à substituer à
une ordonnance un décret que n'aurait pu rendre
la Commission; ce faisant, le gouverneur en conseil
sortirait de sa compétence. Et de citer le passage
suivant de l'arrêt, rédigé par le juge Estey, à la
page 748:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas
respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la
cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
et, à nouveau, le passage suivant, à la page 753:
Alors que le CRTC doit prendre ses décisions dans un certain
cadre, le par. 64(1) n'impose pas à l'Exécutif de normes ou de
règles applicables à l'exercice de sa fonction de révision des
tarifs. Le législateur n'a pas imposé non plus de normes de
procédure expresses ou même implicites. Cela ne veut pas dire
que les tribunaux ne réagiront pas aujourd'hui comme dans
l'arrêt Wilson, précité, si les conditions préalables à l'exercice
du pouvoir ainsi conféré à l'Exécutif n'ont pas été respectées.
A la page 756, l'arrêt dit:
Les règles auxquelles le législateur a astreint le CRTC ne sont
pas répétées ni expressément ni implicitement à l'art. 64. Cette
fonction s'applique aux ordonnances générales, quasi législati-
ves du Conseil, de même qu'aux décisions inter partes. Bref, le
gouverneur en conseil a entière discrétion dans la mesure où il
respecte les limites fixées à sa compétence par le par. 64(1).
Aux pages 758 et 759, en parlant du fait que la
fonction a été assignée à deux paliers, au CRTC en
premier lieu et au gouverneur en conseil en second,
on dit
En pareil cas, la Cour doit revenir à son rôle fondamental de
surveillance de la compétence et, ce faisant, interpréter la Loi
pour établir si le gouverneur en conseil a rempli ses fonctions
dans les limites du pouvoir et du mandat que lui a confiés le
législateur.
Il ne fait aucun doute que le gouverneur en
conseil, sur le fondement de l'article 64, pouvait
modifier l'ordonnance n° R-32317 de la Commis
sion qui visait cette ligne de chemin de fer * et
exigeait le maintien d'un service limité de trains de
passagers, selon les modalités énoncées. Mais une
question sérieuse se pose: ce faisant, il pouvait y
avoir infraction au paragraphe (7) de l'article 260
de la Loi sur les chemins de fer, si la suppression
ne devait prendre effet que plus d'un an après la
prise du décret. C'est peut-être là une hypothèse
d'école; le gouverneur en conseil peut remédier à la
situation en prenant maintenant un autre décret
concernant cette ligne ainsi que, si désiré, les
autres services de trains de voyageurs dont la
suppression a été ordonnée pour le 7 septembre
1982, et en l'enregistrant conformément à la Loi
sur les textes réglementaires, S.C. 1970-71-72, c.
38. La Cour n'a pas cependant à prendre en
compte une telle possibilité en instruisant la
requête en cause.
Pour les motifs donnés, je statue donc qu'outre
les alinéas a), b), c), d), e), h) et j) du paragraphe
19 de la déclaration révisée, que la demanderesse
abandonne par suite des espèces saskatchewan-
naise et québécoise, les alinéas f), g) et i)(ii)
devront aussi être radiés. Comme il existe un doute
considérable sur la compétence du gouverneur en
conseil de prendre un décret ordonnant la suppres
sion d'un service ferroviaire plus d'un an après la
prise dudit décret, ce que la Commission des trans
ports n'aurait pu elle-même faire vu le paragraphe
(7) de l'article 260 de la Loi sur les chemins de
fer, je pense que l'alinéa i)(i) ne devrait pas être
radié à ce moment-ci. Les défendeurs ci-après: le
procureur général du Canada et le ministre des
Transports dans leur requête, et la Compagnie des
chemins de fer nationaux du Canada, dans la
sienne, évoquent la possibilité d'une ordonnance de
remplacement qui, au lieu de radier la déclaration,
* L'ordonnance n° R-31300, en date du 14 août 1980, quali-
fiée par le juge Collier [à la page 11] de «refonte en une seule
ordonnance de tous les services de trains de voyageurs existant
à l'époque» était aussi visée par le C.P. 1981-2171.
saisirait la Cour, sur le fondement de la Règle 474,
de la question de droit suivante:
[TRADUCTION] La modification de l'ordonnance n° R-32317 du
Comité des transports par chemin de fer de la Commission
canadienne des transports et celle de la portion de l'ordonnance
n° R-31300 du Comité des transports par chemin de fer de la
Commission canadienne des transports relative au service de
trains de voyageurs Toronto -Havelock qu'opèrent les annexes
IX et XVII respectivement du décret C.P. 1981-2171 sont-elles
invalides parce que prenant effet plus d'un an après la prise du
décret?
Je choisis cette alternative; j'ordonnerai la produc
tion de mémoires écrits à ce sujet dans les deux
semaines de la présente ordonnance; demande
devra alors être faite au juge en chef adjoint de
fixer le lieu et le temps de l'instruction de cette
question de droit. Si la réponse apportée à cette
question de droit devait être négative, l'ensemble
de la déclaration de la demanderesse serait alors
radié. Il importe que ce litige soit rapidement
résolu comme l'indique la déposition sous serment
qu'a administrée en preuve VIA Rail: des démar-
ches ont déjà été entreprises pour l'arrêt du service
le 7 septembre 1982, ce qui, dans le cas du système
informatique de réservations de la compagnie, de
sa tarification, de son matériel et de ses horaires,
demandera un temps considérable à mettre en
oeuvre et encore plus, en temps et en argent, à
remodifier advenant l'annulation de la suppression
du service.
Tant que cette question de droit ne sera pas
résolue, il sera inopportun d'accorder la requête
d'injonction interlocutoire de la demanderesse
même s'il ne fallait statuer sur aucune autre fin de
non-recevoir à son égard en ce moment. On a
soulevé des arguments sérieux sur l'opportunité
d'une injonction interlocutoire pour empêcher l'ap-
plication d'une ordonnance d'ordre législatif ou
administratif, laquelle demeure obligatoire tant
qu'un tribunal compétent ne l'a pas cassée, avant
jugement définitif au fond. Autre argument qu'il
n'est pas nécessaire d'examiner en cet état de la
cause: l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10, n'enlève-t-il pas à
notre juridiction toute compétence quant au
recours en injonction exercé? Il est attribué à la
Commission en termes fort larges, sur le fonde-
ment de la Partie IV de la Loi nationale sur les
transports, la compétence de prononcer des ordon-
nances de faire visant les compagnies ferroviaires.
De toute façon, aucune injonction ne saurait être
lancée contre le ministre des Transports ou le
procureur général du Canada; le ministre des
Transports, une fois qu'il a recommandé de pren-
dre le décret entrepris, n'a plus rien à voir avec
celui-ci et le procureur général du Canada n'a été
poursuivi, lui, que comme représentant du gouver-
neur en conseil. La position de la Compagnie des
chemins de fer nationaux du Canada est plus
ambiguë. Quoique la demanderesse 496482 Onta-
rio Inc. ait été constituée par et pour les membres
de la Toronto—Peterborough—Havelock Line
Passenger Association et qu'elle ne s'intéresse
apparemment nullement aux lignes ferroviaires
qu'exploite VIA Rail au nom de la Compagnie des
chemins de fer nationaux du Canada, celles-ci ont
néanmoins été incluses dans le même décret C.P.
1981-2171. Les conclusions à l'injonction sont fort
générales; on conclut en effet à une ordonnance
interdisant à ladite défenderesse, de même qu'à
VIA Rail Canada Inc. et au Canadien Pacifique
Limitée, de suspendre, supprimer ou limiter les
services de trains de voyageurs suspendus ou limi
tés par ledit décret. Si donc on devait y faire droit,
dans ces termes, ladite défenderesse serait aussi
visée. Je juge donc que la requête d'injonction doit
être rejetée en ce qui concerne le procureur général
du Canada et le ministre des Transports du
Canada mais reportée sine die dans le cas de VIA
Rail Canada Inc., du Canadien Pacifique Limitée
et de la Compagnie des chemins de fer nationaux
du Canada; elle sera réintroduite, à une semaine
de préavis, suivant la décision sur la question de
droit soumise sur le fondement de la Règle 474.
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