T-3710-79
Commonwealth Construction Company Limited
(demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Walsh—Van-
couver, 15, 16 et 23 mars 1982.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Paiements
effectués en 1974 et en 1975 par suite d'un jugement — Ces
paiements n'ont été déclarés comme revenu qu'en 1977, le
jugement ayant été porté en appel — Les paiements étaient
soumis à l'engagement par la demanderesse de s'abstenir de
toute procédure d'exécution, de rembourser toute somme qui
pourrait être déduite par la Cour d'appel, et d'un cautionne-
ment de la société mère de la demanderesse — Appel aban-
donné en 1977 — II échet d'examiner si ces paiements
devraient être inclus dans le revenu pour les années d'imposi-
tion 1974 et 1975 ou pour l'année d'imposition 1977 — La
demanderesse fait valoir que la somme ne pouvait être défini-
tivement fixée tant qu'il n'aurait pas été statué sur l'appel, et
que les paiements étaient simplement des dépôts — La défen-
deresse prétend que les paiements devraient être déclarés en
1974 et 1975, puisque toute réduction ou retranchement cons-
tituerait une somme transférée ou créditée au compte d'une
réserve ou à un compte de prévoyance, ce qu'interdit l'art.
18(1)e) de la Loi — Toujours selon la défenderesse, même si
les sommes dont le paiement a été ordonné par le jugement
n'avaient pas été payées, elles auraient constitué des sommes
recevables qui, en vertu de l'art. 12(1)b) de la Loi, doivent être
déclarées — Les paiements n'étaient pas des dépôts, la deman-
deresse étant libre de faire usage de l'argent comme elle
l'entendait, même si les sommes payées étaient sujettes à
remboursement en cas d'infirmation du jugement — S'il y
avait des rapports contractuels créés par les conditions préala-
bles aux paiements, il s'agissait alors d'un contrat soumis à
une condition résolutoire incertaine — Le jugement demeure
valable à titre de décision finale jusqu'à ce qu'il soit infirmé,
et il constitue une détermination de la somme payable — Les
paiements devaient être déclarés dans le revenu lors de leur
réception, nonobstant une possibilité de remboursement — Loi
de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art.
12(1)b), 18(1)e).
Dans une action en détermination du rang des privilèges
entre les détenteurs de privilèges et le bailleur de fonds, la
Société de développement du Manitoba (S.D.M.), la Cour du
Banc de la Reine a jugé que les droits des détenteurs de
privilèges avaient la priorité. La Cour de comté, liée par la
décision de la Cour supérieure, a accueilli l'action en privilège
de constructeur intentée par la demanderesse. En 1974, la
somme adjugée par le jugement et l'intérêt a été versée à la
demanderesse sous réserve de l'engagement par celle-ci de
s'abstenir de toute procédure d'exécution, de rembourser toute
somme qui pourrait être déduite du jugement par la Cour
d'appel du Manitoba, et d'un cautionnement de la société mère
de la demanderesse. En 1975, une somme a été versée à la
demanderesse à titre de dépens. La S.D.M. a interjeté appel de
la décision rendue par la Cour de comté, mais, en 1977, elle a
abandonné l'appel en contrepartie de la remise par la demande-
resse d'une partie des sommes qu'elle avait versées à celle-ci. La
demanderesse n'a pas déclaré les sommes reçues pendant les
années d'imposition 1974 et 1975 avant l'année d'imposition
1977. La demanderesse prétend que tant que l'appel était
pendant, la somme à laquelle elle avait droit ne pouvait être
définitivement fixée, puisque si l'appel formé par la S.D.M.
était accueilli quant à la question des privilèges, la garantie de
la créance de la demanderesse par l'enregistrement de son
privilège de constructeur ne vaudrait rien. La demanderesse
soutient donc que le paiement des sommes adjugées par les
jugements n'était qu'un dépôt. La défenderesse fait valoir que
les sommes versées à la demanderesse en 1974 et en 1975
devraient être incluses dans le revenu. Subsidiairement, la
défenderesse prétend que toute réduction ou retranchement de
l'un quelconque desdits montants constitue une déduction d'une
somme transférée ou créditée au compte d'une réserve ou à un
compte de prévoyance, ce qu'interdit l'alinéa 18(1)e) de la Loi
de l'impôt sur le revenu. Finalement, selon la défenderesse,
même si les sommes dont le paiement a été ordonné par le
jugement n'avaient pas été payées, elles auraient constitué des
sommes recevables pour le contribuable qui, en vertu de l'alinéa
12(1)b) de la Loi, devraient être déclarées comme telles. Il
échet d'examiner si les paiements devraient être inclus dans le
revenu pour les années d'imposition 1974 et 1975 ou pour
l'année d'imposition 1977.
Jugement: l'appel formé par la demanderesse contre les
cotisations pour ses années d'imposition 1974 et 1975 est rejeté
avec dépens. Les sommes versées n'étaient pas des dépôts.
Lorsqu'une somme est payée à titre de dépôt, le bénéficiaire ne
peut l'utiliser ni en jouir. Les paiements étaient sujets à rem-
boursement en tout ou en partie si un appel infirmait le
jugement initial ordonnant le versement, mais cela ne fait pas
d'eux de simples dépôts. Si les conditions dans lesquelles le
paiement des sommes ordonnées.. par les jugements a été fait
créaient des rapports contractuels entre la demanderesse et la
S.D.M., il ne s'agissait alors que d'un contrat soumis à une
condition résolutoire qui était incertaine et qui pouvait ne
jamais se réaliser. La demanderesse était libre d'utiliser entre-
temps l'argent comme elle l'entendait pendant que l'appel était
en cours et n'était pas, comme l'a prétendu la demanderesse,
dans la situation d'une société qui emprunte de l'argent à une
banque et qui fait usage du produit de l'emprunt dans ses
activités. Car, dans ce cas, ce produit ne serait pas imposable,
puisqu'il y a alors une obligation évidente de remboursement de
la somme empruntée qui, bien que ce soit une entrée de caisse
pour l'emprunteur, ne constitue toutefois pas un revenu entre
ses mains. Dans l'affaire Meteor Homes Ltd. v. Minister of
National Revenue (1960), 61 DTC 1001, il est dit ceci: «Ce ne
sont pas toutes les conditions qui empêchent la comptabilisation
du revenu; l'éventualité doit être réelle et valable ... la validité
d'une loi doit être présumée jusqu'à preuve du contraire, et
jusque-là, toute obligation monétaire qu'elle impose devrait être
traitée comme une dette active». On pourrait en dire autant
d'un jugement susceptible d'être infirmé en appel. L'affaire R.
v. Hess (n° 2), [1949] 4 D.L.R. 199, pose un principe juridique
fondamental. Il y est dit que: «Le jugement rendu par une cour
supérieure compétente est une décision finale en elle-même qui
demeure valable à moins d'être annulée en appel. Ce jugement
est final quant à toutes les questions pertinentes qui y sont
tranchées....» Le jugement de la Cour de comté constituait
une détermination de la somme payable. La simple possibilité
que ces sommes puissent être remboursées en tout ou en partie
n'aurait pas pour effet d'écarter l'obligation de les inclure dans
le revenu lors de leur réception.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Meteor Homes Ltd. v. Minister of National Revenue
(1960), 61 DTC 1001 (C.É.); R. v. Hess (n° 2), [1949] 4
D.L.R. 199 (C.A.C: B.); Nouvion v. Freeman (1889), 15
App. Cas. 1 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Dominion Taxicab Association v. Minister of National
Revenue (1954), 54 DTC 1020 (C.S.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Kenneth B. S. Robertson, Limited v. Minister of Natio
nal Revenue, [1944] CTC 75 (C.É.); The Minister of
National Revenue v. Atlantic Engine Rebuilders Limited,
[1967] R.C.S. 477; 67 DTC 5155; Minister of National
Revenue v. John Colford Contracting Company Limited
(1960), 60 DTC 1131 (C.É.); Minister of National Reve
nue v. Pine Ridge Property Ltd. (1971), 71 DTC 5392
(C.F. 1' inst.); Minister of National Revenue v. Benaby
Realties Limited (1967), 67 DTC 5275 (C.S.C.); Pica-
dilly Hotels Ltd. v. Her Majesty the Queen (1978), 78
DTC 6444 (C.F. lre inst.).
DÉCISION CITÉE:
Brown v. Helvering, Commissioner of Internal Revenue,
291 U.S. 193 (Cir.).
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
B. J. Wallace et B. D. Fulton pour la
demanderesse.
W. H. Heinrich et J. Deane pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh, Van-
couver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Par suite d'un jugement
rendu en sa faveur le 24 novembre 1974 par le juge
Ferg de la Cour de comté du Pas, et bien qu'appel
ait été interjeté, la demanderesse a reçu, au cours
de son année d'imposition 1974, la somme de
$6,072,595 et, au cours de son année d'imposition
1975, la somme de $725,221, titre de dépens. Il
s'agit en l'espèce de savoir si ces sommes auraient
dû être déclarées, aux fins de l'impôt, comme
revenu pour ces années, ainsi que le prétend la
défenderesse, ou comme revenu pour 1977, ainsi
que le prétend la demanderesse. Car, en 1977, aux
termes d'un accord intervenu entre la demande-
resse et la Société de développement du Manitoba
(S.D.M.), qui lui avait versé lesdites sommes, l'ap-
pel a été abandonné sur acceptation par la deman-
deresse de remettre à la S.D.M. $455,000 des
sommes que celle-ci avait versées à la demande-
resse en 1974 et 1975.
Alors que le point litigieux à trancher est com-
parativement simple, les faits sont plutôt com
plexes. La demanderesse, société de construction, a
conclu une série de contrats en vue de construire
au Pas (Manitoba) pour Churchill Forest Indus
tries (C.F.I.) une fabrique de pâte à papier, ainsi
que, par la suite, une fabrique de papier, une
scierie et un atelier des machines. C'est la S.D.M.
qui fournissait le financement. Les paiements
furent versés à l'échéance jusqu'à la fin de 1970.
C'est alors que la C.F.I. manqua à ses engage
ments de paiement à la S.D.M., ce qui eut pour
résultat la nomination pour elle d'un séquestre-
gérant, le 7 janvier 1971. Insatisfaits de la façon
dont le séquestre exerçait ses fonctions, les créan-
ciers de la C.F.I., dont la demanderesse, mirent la
C.F.I. en faillite le 6 décembre 1971. Entre-temps,
le 2 mars 1971, la demanderesse avait saisi la Cour
de comté du Pas pour faire valoir sa créance contre
le projet, en vertu de la Loi sur le privilège du
constructeur'.
D'après la S.D.M., la demanderesse et d'autres
détenteurs de privilèges ne devaient pas lui être
préférés, et en 1971, la Cour du Banc de la Reine
du Manitoba fut saisie de deux actions pour tran-
cher la question des privilèges. Le 16 août 1972, le
juge en chef Tritschler de la Cour du Banc de la
Reine du Manitoba rendit des jugements, décla-
rant que les droits des détenteurs de privilèges
prenaient rang avant ceux de la S.D.M. Ces déci-
sions firent l'objet d'un appel et l'appel fut
entendu, mais de l'accord des parties, savoir le
séquestre de M.P. Industrial Mills, Limited, une
entreprise du consortium C.F.I., la S.D.M. et le
syndic de faillite du consortium C.F.I., on sollicita
la Cour d'appel de s'abstenir de prononcer ses
1 S.R.M. 1970, chap. M80.
motifs de jugement. Toutefois, au printemps de
1973, le juge Dickson, un des trois juges qui
avaient entendu l'appel, fut nommé à la Cour
suprême du Canada et, en conséquence, il était
tenu de rendre ses motifs pour toutes les affaires
pendantes. Aussi déposa-t-il ses motifs le 15 juin
1973. L'avocat qui occupait à l'époque pour la
demanderesse en prit alors connaissance. D'ordre
du juge en chef de la Cour d'appel du Manitoba,
ces motifs furent par la suite mis sous scellés; ils ne
sont donc pas disponibles, et on doit souligner que
la Cour d'appel du Manitoba n'a rendu aucun
arrêt à l'égard du jugement du juge en chef
Tritschler.
Dans ses motifs de jugement prononcés le 24
novembre 1974 l'égard de l'action relative au
privilège de constructeur intentée devant la Cour
de comté du Pas, le juge Ferg s'est dit lié par la
décision non infirmée du juge en chef Tritschler
pour ce qui est des privilèges respectifs de la
demanderesse et de la S.D.M. Parmi les autres
questions dont il était saisi figurait la question du
quantum des différentes créances pour des ajouts
et modifications, ce qui n'est pas inhabituel dans
les actions relatives à des contrats, et dans son
jugement, il ordonna le paiement à la demande-
resse de la somme de $4,573,601.55 avec intérêt.
Aucune décision n'a été rendue quant aux dépens,
les parties étant invitées à soumettre leurs observa
tions à une date ultérieure, et en cas de désaccord,
à s'adresser à la Cour. Le jugement dit qu'aucune
demande formelle d'ordonnance de vente du bien
déclaré soumis au privilège n'avait été soumise à la
Cour, mais que la Cour rendrait une ordonnance à
cet égard si le paiement de la somme déclarée due
n'était pas effectué dans un délai raisonnable.
Le 24 décembre 1974, la S.D.M. déposa un avis
d'appel de ce jugement, mais, entre-temps, la
demanderesse et la S.D.M. conclurent un accord
en vertu duquel la S.D.M. acceptait de payer
immédiatement la somme adjugée par le jugement
avec intérêt, soit un total de $6,072,595, en contre-
partie de l'engagement par la demanderesse de
s'abstenir de toute procédure d'exécution, de rem-
bourser toute somme qui pourrait être déduite de
ce montant par la Cour d'appel du Manitoba, et
d'un cautionnement de $1,500,000 fournir par
Guy F. Atkinson Company, société américaine qui
était l'unique actionnaire de la demanderesse.
Le 6 mars 1975, le juge Ferg rendit jugement
quant aux dépens de l'action en privilège de cons-
tructeur, condamnant la S.D.M. à payer à la
demanderesse, à titre de dépens, la somme de
$725,221, dont versement fut effectué au cours de
l'année financière 1975 de la demanderesse.
En février 1976, la S.D.M. déposa un avis modi-
fié d'appel de la décision rendue par le juge Ferg,
formant notammment appel de la question des
dépens. En avril 1977, un accord fut conclu entre
la demanderesse et la S.D.M. par lequel celle-ci
acceptait d'abandonner son appel formé contre
ladite décision. Les deux parties s'engagèrent à
signer une décharge réciproque, et la demande-
resse accepta de remettre à la S.D.M. $455,000
des sommes versées en 1974 et 1975.
Ce n'est que dans son année d'imposition 1977
que la demanderesse a déclaré les sommes reçues
en 1974 et 1975. La défenderesse a procédé à de
nouvelles cotisations de façon à inclure ces sommes
dans les déclarations d'impôt de 1974 et 1975 de la
demanderesse. A la suite d'une déclaration modi-
fiée de 1977, datée du 4 août 1978, la demande-
resse a demandé que la somme de $5,997,816
représentant ces montants, après rajustement, soit
retranchée de son revenu de 1977. Le ministre du
Revenu national a accédé à cette demande et a
cotisé la demanderesse en conséquence le 12 avril
1979, de telle sorte qu'il n'y aurait pas versement
en double des cotisations si les nouvelles cotisations
établies par la défenderesse pour les années d'im-
position 1974 et 1975 étaient confirmées à la suite
de ces présentes procédures.
Dans sa déclaration pour l'année d'imposition
1974, la demanderesse a déduit aux fins des états
financiers, une réserve de $600,000 titre de frais
afférents à l'appel du jugement rendu par la Cour
de comté du Pas, en plus de prévoir une réserve
pour des frais judiciaires s'élevant à $200,000. En
effectuant la conciliation du revenu aux fins des
états financiers et du revenu aux fins d'impôt, la
demanderesse a déduit $5,472,595 titre de [TRA-
DUCTION] «somme accordée par le jugement rendu
par la Cour de comté du Pas, moins la réserve pour
les frais de l'appel> interjeté par la S.D.M. Dans sa
déclaration pour l'année d'imposition 1975 et pour
concilier son revenu aux fins des états financiers et
son revenu aux fins d'impôt, la demanderesse a
inclus dans son revenu la somme de $5,472,595 et
elle a, d'autre part, déduit la somme de $5,997,816
à titre de «somme accordée par le jugement rendu
par la Cour de comté du Pas, moins la réserve pour
les frais de l'appel>.
Dans sa nouvelle cotisation pour l'année d'impo-
sition 1974, la défenderesse y a rajouté lesdites
sommes réclamées par la demanderesse à titre de
déduction de revenu et, de même, pour l'année
d'imposition 1975, elle a rajouté la somme de
$525,221 représentant le montant du surcroît de
déduction réclamé par la demanderesse de 1974 à
1975 pour le jugement du Pas, moins la réserve
pour les frais d'appel*. Faisant valoir que les
sommes payées à la demanderesse en 1974 et 1975
devraient être incluses dans le revenu, le Ministre
soutient aussi, subsidiairement, que toute réduc-
tion ou retranchement de l'un quelconque desdits
montants constitue une déduction d'une somme
transférée ou créditée au compte d'une réserve ou
à un compte de prévoyance, ce qu'interdit l'alinéa
18(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63.
Les parties ne contestent pas les chiffres consi-
dérés, et reconnaissent qu'au cas où la Cour d'ap-
pel du Manitoba déciderait qu'à toute époque en
cause, la créance de la S.D.M. passait avant celle
de la demanderesse, il n'aurait plus rien resté à
distribuer à la demanderesse ou à tout autre créan-
cier, puisque la somme due à la S.D.M. dépassait
de beaucoup ce qui pouvait être tiré de la vente
éventuelle des actifs des fabriques de pâte à papier
et de papier. La question du rang des privilèges
était donc très importante, et bien que le fait que
l'avocat de la demanderesse ait pris connaissance
des motifs de jugement soumis par le juge Dickson
relativement à l'appel ait pu quelque peu influer
sur le conseil, donné à son client à l'égard de
l'accord de 1977, de remettre une petite portion de
l'argent payé en 1974 et 1975, de simples ouï-dire
quant aux motifs de jugement rédigés par l'un des
trois juges qui avaient entendu un appel où juge-
* Une conciliation des sommes déclarées dans les états finan
ciers et celles déclarées pour fins d'impôt a été produite comme
pièce D-2, et on trouve d'autres explications des chiffres à la
page 3 et à la note 10 (page 21) de la déclaration d'impôt de
1974 de la demanderesse et à la page 51 et à la note 8 (page
68) de sa déclaration de 1975. Les chiffres utilisés dans la
nouvelle cotisation du Ministre figurent respectivement aux
pages 96 et 98. (Tous les numéros de page donnés sont ceux de
la pièce D-1, qui contient les déclarations d'impôt.)
ment n'a jamais été rendu ne sauraient être pris en
considération pour trancher le présent litige, et ce,
même s'ils auraient pu indiquer que la demande-
resse risquait, dans une certaine mesure, de ne
pouvoir percevoir ni rembourser les sommes
allouées par le jugement rendu par le juge Ferg,
car ce jugement, n'ayant pas été infirmé en appel,
est resté en vigueur jusqu'au désistement de l'appel
par suite de l'accord de 1977.
Il convient d'ajouter qu'aucune demande de
sursis à l'exécution en attendant le sort de l'appel
n'a jamais été faite et le montant alloué par le
jugement n'a pas non plus été consigné à la Cour,
mais qu'il a été versé en totalité à la demanderesse
sans restriction aucune quant à son emploi. L'en-
gagement, antérieur au versement de 1974, de
rembourser toute somme qui pourrait en être
déduite par la Cour d'appel du Manitoba constitue
simplement une reconnaissance de ce qu'il aurait
fallu faire en tout état de cause. Et le cautionne-
ment de $1,500,000 fourni par la société mère de
la demanderesse s'ajoutait, bien entendu, à la
garantie, offerte par la demanderesse elle-même,
de tout remboursement qui pourrait être requis,
mais demeurait seulement une garantie et ne limi-
tait nullement l'emploi que ferait entre-temps la
demanderesse de ces fonds.
La demanderesse a cité cinq témoins, savoir
Michael J. Mercury, c.r., avocat manitobain pen
dant les époques en cause, Robert G. Urquhart,
actuellement président et directeur général, qui est
au service de la demanderesse depuis 1968 et qui
était directeur de son siège principal au Canada à
l'époque, devenu vice-président et directeur en
1972, Ritchie McCloy, c.a., associé dans le cabinet
d'experts-comptables de Peat, Marwick, Mitchell
& Company, qui a déposé à titre d'expert cité
comme témoin, John Dawson, c.a., de Coopers &
Lybrand, qui était le vérificateur de la société
demanderesse pour toutes les années en cause et
George Stekl, c.a., également associé de Coopers
& Lybrand, qui était son spécialiste en droit fiscal
et qui a donné des conseils relatifs aux déclarations
d'impôt faites pour les années en question. La
défenderesse n'a cité aucun témoin.
La demanderesse prétend que tant que l'appel
était pendant, la somme à laquelle elle, avait droit
ne pouvait être considérée comme définitivement
fixée, et, en fait, cette somme a été réduite de
$455,000 par l'accord de 1977. En outre, il y avait
le risque que si l'appel de la S.D.M. était accueilli
quant à la question des privilèges, la garantie de la
créance de la demanderesse par l'enregistrement
de son privilège de constructeur ne vaudrait rien.
Bien qu'il ne soit pas sans intérêt de noter que la
demanderesse n'a manifestement pas jugé ce
risque trop grand, puisque dans ses états finan
ciers, elle a simplement mis de côté une somme de
$600,000 pour cette éventualité, c'est la manière
dont la demanderesse a inscrit ces sommes en 1974
et en 1975 dans ses déclarations d'impôt en ne les
considérant pas comme revenu dans ces années qui
est le point litigieux en l'espèce.
Selon le témoignage de Me Mercury, après le
jugement Tritschler, les créances de la plupart des
créanciers privilégiés ont été réglées par suite d'un
accord en date du 5 avril 1973, ce règlement
consistant dans le paiement de 90% des créances
plus intérêts et frais, ou encore, de 100% des
créances avec frais mais sans intérêt. La demande-
resse n'a pas souscrit à cet accord et a maintenu
son action qui avait été intentée en février 1972 et
qui était rendue à un stade avancé. Cette action a
donné lieu à 266 jours d'audition, prenant fin en
mai 1973, et à deux mois de débat en juillet et
août, ce qui explique les frais importants qui se
sont élevés à plus de $600,000. Cette offre a été
faite après que l'appel formé contre le jugement du
juge en chef Tritschler eut été entendu, mais,
comme il a été indiqué, aucun arrêt n'a été rendu.
Toujours selon Me Mercury, l'entreprise s'était
avérée des plus fâcheuses, avec de sérieuses réper-
cussions politiques, trois gouvernements manito-
bains successifs et la Société de développement du
Manitoba étant placés dans la situation difficile
d'avoir à expliquer comment quelque $145,000,-
000 avaient été avancés à des sociétés constituées
par des promoteurs étrangers et utilisés dans l'ex-
ploitation d'immeubles qui ne valaient que
$60,000,000.
A des fins de transaction, la S.D.M. avait estimé
la créance de la demanderesse à quelque $4,200,-
000. Dans l'action intentée devant la Cour de
comté, on a demandé $5,600,000 et le jugement
rendu a finalement adjugé quelque $4,600,000
plus intérêt, le total étant ainsi porté à plus de
$6,000,000, comme il a été mentionné. Plusieurs
discussions en vue d'une transaction avaient eu lieu
et, à un moment donné, la S.D.M. avait fait une
offre verbale de $4,800,000 en mai 1972, qui fut
rejetée. M° Mercury se préoccupait quelque peu de
ce qui pourrait arriver si l'appel poursuivait son
cours, surtout après avoir pris connaissance des
motifs du juge Dickson dans l'appel contre le
jugement Tritschler, mais la seule personne à qui il
a communiqué ces renseignements est M. Fenton,
décédé depuis, qui était alors au service de la
société demanderesse et de qui il avait reçu ses
instructions à l'époque. Il a déposé qu'il n'a jamais
été nécessaire d'inscrire le jugement du juge Ferg
au cadastre. Il avait l'impression que la dernière
chose que la Société de développement du Mani-
toba désirait était de voir le bien-fonds saisi par
suite du jugement. C'est pourquoi le paiement a
promptement été effectué malgré l'appel formé
contre le jugement. Les mémoires d'appel furent
déposés entre juin et décembre 1976, et la deman-
deresse a finalement accepté, en 1977, de réduire
le total de sa créance de $455,000 pour obtenir le
désistement de l'appel. Il avait calculé que le client
risquait, dans cet appel, de perdre un total de
$1,400,000, sans compter l'intérêt, à part la ques
tion du rang des créances.
M. McCloy, l'expert cité comme témoin par la
demanderesse, dépose qu'il existe deux méthodes
généralement reconnues de calculer le revenu en
matière de contrats de construction à long terme,
savoir la méthode de comptabilisation du revenu à
l'achèvement des travaux selon laquelle tout
revenu, et donc tout bénéfice, tirés d'un contrat ne
sont comptabilisés qu'à l'exécution d'une bonne
partie du contrat, et la méthode de comptabilisa-
tion proportionnelle du revenu voulant qu'un
revenu, et donc un bénéfice, soient comptabilisés
proportionnellement, en établissant le pourcentage
que représentent les dépenses déjà engagées par
rapport aux coûts totaux estimatifs du contrat. Les
pertes sont comptabilisées au fur et à mesure de
leur survenance. Cette dernière méthode, celle
qu'a employée la demanderesse, exige de l'entre-
preneur qu'il soit à même d'estimer avec une préci-
sion raisonnable le montant total des dépenses à
engager à l'occasion du contrat jusqu'à l'exécution
de ce dernier, lesquels coûts totaux sont retranchés
du prix total du contrat pour obtenir une estima
tion raisonnable du bénéfice tiré du contrat tout
entier. Un pourcentage du marché total égal au
pourcentage d'exécution du marché est comptabi-
lisé dans le revenu de la société pour l'exercice
financier faisant l'objet de la déclaration. Par con-
séquent, une partie équivalente du bénéfice tiré du
marché est également comptabilisée.
Il dépose en outre qu'une situation où l'on fait
usage de jugement est celle où la société est partie
à un procès qui pourrait entraîner sa responsabilité
financière. En pareils cas, le vérificateur communi
que avec le procureur de la société et engage des
discussions avec la direction pour tirer au clair les
faits du litige et obtenir de la direction une prévi-
sion du risque financier que représente ce litige en
vue d'une évaluation du bien-fondé de cette prévi-
sion. La comptabilisation de cette dette éventuelle
se fait d'habitude soit au moyen d'une remarque
faite dans l'état financier, faisant état de la dette
éventuelle (comme cela s'est fait, en l'espèce, dans
les états financiers de la société) ou, lorsque la
dette prévue peut être quantifiée et déterminée
compte tenu de sa probabilité prépondérante, par
la constitution d'une réserve à cet effet. Il conclut
dans son affidavit: [TRADUCTION] «lorsqu'une
société reçoit une somme allouée par un jugement,
et que ce jugement fait l'objet d'un appel à la fin
de l'exercice financier de la société, la pratique
ordinaire veut qu'on ne reconnaisse comme revenu
aucune partie de la somme adjugée par le juge-
ment, si la direction et le procureur de la société
estiment que ce jugement ne sera pas confirmé en
appel». [C'est moi qui souligne.]
Bien qu'il ressorte du témoignage de M. Urqu-
hart et du procureur de la société, Me Mercury,
qu'il existait un risque d'infirmation en appel, et
qu'au pire, la créance assortie d'un privilège de
constructeur pourrait se révéler sans valeur, on
croyait néanmoins que la somme de $600,000
était, dans les états financiers de la société, une
réserve suffisante pour le risque. On ne saurait
donc prétendre que «la direction et le procureur de
la société estiment que le jugement ne sera pas
confirmé en appel». En fait, comme le montre le
témoignage de Me Mercury, même après avoir pris
connaissance des motifs de jugement du juge Dick-
son soumis en juin 1973 relativement à l'appel du
jugement Tritschler, motifs qui l'ont inquiété quel-
que peu, il a néanmoins refusé de recommander un
règlement des actions devant le juge Ferg, même
lorsque la défenderesse a proposé la possibilité de
régler pour $4,800,000. Finalement en 1977, il n'a
réduit la créance de la demanderesse que de $455,-
000 en contrepartie du désistement de l'appel.
Le témoignage de M. McCloy portait principa-
lement sur les états financiers de la société, et il y
est conclu que les renvois en bas des états finan
ciers de 1974 et de 1975 relativement au litige en
appel constituaient une manière prudente de
comptabilisation du point de vue de la vérification.
Ce qui ne tranche pas de façon concluante la
question de savoir si les sommes reçues auraient dû
être déclarées pour fins d'impôt pour ces années-là.
M. Dawson, vérificateur de la demanderesse,
déclare qu'en inscrivant une réserve de $600,000
dans la cotisation, l'effet possible de l'appel a été
pris en considération. En acceptant cette réserve
ainsi que les renvois, il n'a pas tenu compte des
motifs de jugement du juge Dickson et, en fait,
n'en a entendu parler que plus tard. Après avoir
discuté de la justesse de la décision prise tant avec
la direction qu'avec le procureur de la société
relativement à l'appel, il n'aurait commenté l'éva-
luation de cette situation par la direction, telle que
cela se traduisait dans les états financiers, que s'il
avait pensé qu'ils avaient tout à fait tort.
M. Stekl, qui, à titre d'associé des vérificateurs
de la société, a approuvé les déclarations d'impôt,
dépose qu'aucun certificat d'ingénieurs n'avait été
établi pour approuver les sommes pour lesquelles le
privilège de constructeur avait été invoqué. Il s'agit
là, toutefois, d'une des questions qui étaient en
litige devant le juge Ferg, et on peut la considérer
comme tranchée par le jugement rendu par ce
dernier. Dans son témoignage, il dit considérer
qu'un jugement en appel crée une situation qui est
moins certaine qu'un certificat d'approbation déli-
vré par l'ingénieur, qui lie le propriétaire. D'après
lui, les déclarations d'impôt déposées étaient con-
formes au droit jurisprudentiel et à la pratique
comptable en matière fiscale.
Les parties ont cité une jurisprudence abon-
dante, quoiqu'il ne semble y avoir aucune décision
portant directement sur la question de savoir com
ment considérer un paiement effectué en vertu
d'un jugement porté en appel. Bien que les avocats
de la demanderesse et de la défenderesse se soient
tous deux appuyés sur la décision qui fait jurispru
dence, Kenneth B. S. Robertson, Limited v. Minis
ter of National Revenue 2 , jugement rendu par feu
2 [1944] CTC 75 (Cl.).
le président Thorson, une lecture attentive de cette
décision m'amène à conclure qu'elle est bien peu
utile à la demanderesse. A la page 88, le président
fait mention de l'arrêt rendu par la Cour suprême
des États-Unis dans l'affaire Brown v. Helvering,
Commissioner of Internai Revenue, 291 U.S. 193
(Cir.), et cite le passage suivant extrait de l'opi-
nion du juge Brandeis à la page 199:
[TRADUCTION] Les surcommissions constituaient le revenu
brut de l'année où elles étaient recevables. Pour chaque com
mission de ce genre, il y avait l'obligation—une obligation
éventuelle—de retourner une partie proportionnelle en cas
d'annulation. Mais le simple fait qu'une partie de cette commis
sion puisse devoir faire l'objet d'un remboursement dans une
année future en cas d'annulation ou de réassurance n'affecte
pas son caractère de revenu.... Dès réception de cette somme,
le droit de l'agent général sur celle-ci était absolu. Il n'était
soumis à aucune restriction contractuelle ou autre quant à son
pouvoir d'en disposer, de l'utiliser ou d'en jouir.
Le président conclut que les commissions
escomptées reçues par l'appelante pour le compte
des assureurs et remises à ceux-ci n'étaient pas
imposables dès leur réception puisqu'elles étaient
soumises à un rajustement futur, et pourraient
devoir être remboursées en partie si elles dépas-
saient la commission acquise, selon la rémunéra-
tion globale vérifiée, qui ne pouvait être détermi-
née que lors de la régularisation annuelle. Il
s'appuie toutefois sur le libellé du contrat. A la
page 91, il dit ceci:
[TRADUCTION] La «commission escomptée» payée par l'em-
ployeur aux assureurs et reçue par l'appelante en leur nom,
avait, à mon sens, un caractère différent car, en vertu du
contrat entre les assureurs et l'employeur, ainsi qu'il est indiqué
dans le certificat d'indemnisation, il était convenu que la com
mission escomptée devait être «détenue à titre de dépôt», et son
emploi faisait l'objet de dispositions précises. Elle devait être
imputée à la commission vérifiée lors de la régularisation
annuelle qui devait se faire, mais pas avant.
A la page 92, il expose que lorsqu'une somme
est payée à titre de dépôt, le bénéficiaire ne peut
l'utiliser ni en jouir.
La demanderesse prétend que la somme adjugée
par le jugement de 1974 et les frais alloués en
1975 par un jugement subséquent n'étaient que des
dépôts. Je ne suis pas de cet avis. Ils étaient sujets
à remboursement en tout ou en partie si un appel
infirmait le jugement initial ordonnant leur paie-
ment, mais cela ne fait pas d'eux de simples
dépôts. Si, comme le prétend la demanderesse, les
conditions dans lesquelles le paiement des sommes
ordonnées par les jugements a été fait créaient des
rapports contractuels entre la demanderesse et la
S.D.M., il ne s'agissait alors que d'un contrat
soumis à une condition résolutoire qui était incer-
taine et qui pouvait ne jamais se réaliser. La
demanderesse était libre d'utiliser entre-temps l'ar-
gent comme elle l'entendait pendant que l'appel
était en cours, et n'était pas, comme l'a prétendu la
demanderesse, dans la situation d'une société qui
emprunte de l'argent à une banque et qui fait
usage du produit de l'emprunt dans ses activités.
Car dans ce cas, ce produit ne serait pas imposa-
ble, puisqu'il y a alors une obligation évidente de
remboursement de la somme empruntée qui, bien
que ce soit une entrée de caisse pour l'emprunteur,
ne constitue toutefois pas un revenu entre ses
mains. La demanderesse demande aussi, à titre
hypothétique, ce qui arriverait si, une fois l'impôt
payé sur les sommes reçues en 1974 et 1975, la
Cour d'appel déclarait que cet impôt n'aurait pas
dû être payé pour ces années-là, mais seulement
pour 1977, mais qu'elle ne pourrait obtenir redres-
sement en 1977 pour les sommes payées en 1974 et
1975 que si, en 1977, elle avait suffisamment
d'autres revenus dont le trop-perçu pourrait être
déduit. Bien entendu, le contraire de cet argument
est que si la demanderesse n'était pas tenue de
payer l'impôt sur les sommes reçues en 1974 et
1975, elle aurait pu, en 1977, lorsque, selon ses
prétentions, l'impôt serait devenu exigible, avoir
fait faillite, et, ayant utilisé les fonds de 1974 et
1975 1977, ne paierait jamais d'impôt sur ces
sommes. Ces arguments ne sont que de pures
hypothèses et n'ont aucune valeur.
La demanderesse a également mentionné l'af-
faire The Minister of National Revenue v. Atlan-
tic Engine Rebuilders Limited', mais, là encore, il
s'agissait de l'imposition d'un dépôt qui avait été
fait relativement à la remise en état de moteurs
automobiles et qui devait être remboursé au con-
cessionnaire sur livraison d'un moteur usagé du
même modèle. Le jugement majoritaire de la Cour
suprême, qui a confirmé le jugement du juge Thur -
low, tel était alors son titre ([[1965] 1 R.C.É.
647], 64 DTC 5178), dit ceci aux pages 479 et 480
[Recueils des arrêts de la Cour suprême]:
[TRADUCTION] A mon avis, la question de fond en l'espèce
est de savoir si dans la déclaration de ses bénéfices pour l'année,
l'intimée aurait pu, en toute franchise, inclure la somme en
question. Il me semble qu'il n'y a qu'une seule réponse possible:
3 [1967] R.C.S. 477; 67 DTC 5155.
non. Elle savait qu'il était possible qu'elle ne puisse retenir
aucune partie de cette somme, et qu'il était probable que 96
pour cent de cette somme devraient être retournés aux dépo-
sants dans un avenir proche. Le fait que l'intimée soit devenue
la propriétaire en droit de l'argent déposé chez elle, et que cet
argent n'ait pas constitué un fonds de fiducie entre ses mains ne
me semble pas pertinent; on peut en dire autant de l'argent
déposé par un client à une banque, lequel argent fait partie des
avoirs de celle-ci, mais non de ses bénéfices. Considérer ces
dépôts comme s'ils étaient des recettes commerciales ordinaires
de l'intimée reviendrait à ignorer tous les faits de la situation.
Dans l'affaire Minister of National Revenue v.
John Colford Contracting Company Limited 4 , le
juge Kearney a tranché la question des paiements
provisoires faits à un entrepreneur pour lesquels un
certificat de l'ingénieur n'avait pas encore été reçu.
A la page 1133, il s'exprime en ces termes:
[TRADUCTION] L'élément essentiel de la question des paie-
ments provisoires est de savoir si le contribuable est fondé à ne
pas tenir compte des paiements réellement reçus au cours de
l'année 1953 jusqu'à la délivrance par l'architecte ou l'ingé-
nieur du certificat mentionné dans le contrat.
Après avoir renvoyé à un article de la Loi de
l'impôt sur le revenu et à la jurisprudence anté-
rieure, il dit ceci à la page 1134:
[TRADUCTION] A mon avis, le raisonnement précédent s'ap-
plique mutatis mutandis en l'espèce, et je pense que les paie-
ments provisoires, qu'ils soient effectués sur demande ou autre-
ment au cours d'une année relativement aux contrats en
question, doivent entrer en ligne de compte dans l'année de leur
réception, et on ne peut les passer sous silence en les déposant
dans un compte d'attente comme c'est le cas en l'espèce.
La défenderesse invoque aussi l'affaire Meteor
Homes Ltd. v. Minister of National Revenues, où
il est cité, à la page 1008 du jugement, le passage
suivant de l'ouvrage de Mertens, Law of Federal
Income Taxation, Vol. 2, chap. 12, page 132:
[TRADUCTION] Ce ne sont pas toutes les conditions qui
empêchent la comptabilisation du revenu; l'éventualité doit être
réelle et valable. Une condition qui suspend la création d'un
droit légal de demander paiement exclut effectivement la comp-
tabilisation du revenu jusqu'à ce que la condition se soit
réalisée, mais la réalisation possible d'une condition résolutoire
(qui entraîne la résolution d'une obligation) ne peut donner lieu
à la remise à plus tard de la comptabilisation. (Les italiques
sont de moi).
A la même page du jugement, il est dit ceci:
[TRADUCTION] En l'espèce, il n'existait aucune condition
suspensive pour empêcher les autorités provinciales d'intenter
une action contre l'appelante; et que la loi en vertu de laquelle
l'action a été intentée puisse plus tard être déclarée ultra vires
constituait une condition résolutoire. A mon avis, la validité
4 (1960), 60 DTC 1131 (C.E.).
5 (1960), 61 DTC 1001 (C.E.).
d'une loi doit être présumée jusqu'à preuve du contraire, et
jusque-là, toute obligation monétaire qu'elle impose devrait être
traitée comme une dette active.
A mon sens, on pourrait en dire autant de l'effet
d'un jugement susceptible d'être infirmé en appel.
A ce sujet, il a été fait mention de l'affaire pénale
R. v. Hess (no 2) à la page 203 6 :
[TRADUCTION] Le jugement rendu par une cour supérieure
compétente est une décision finale en elle-même qui demeure
valable à moins d'être annulée en appel. Ce jugement est final
quant à toutes les questions pertinentes qui y sont tranchées
Cette décision pose un principe juridique fonda-
mental qui est réitéré avec insistance dans l'affaire
Nouvion v. Freeman', aux pages 10 et 11:
[TRADUCTION] Bien qu'un appel puisse être en cours, une cour
compétente a finalement et définitivement établi l'existence
d'une dette, et ce, même si on a octroyé un droit d'appel par
lequel une cour supérieure peut infirmer cette décision. A
l'époque du procès, il existe un jugement qui doit être présumé
valide jusqu'à ce qu'il soit modifié ou infirmé par un tribunal
d'instance supérieure, et qui établit définitivement l'existence
de la dette dont le recouvrement est sollicité dans ce pays.
Dans l'affaire Minister of National Revenue v.
Pine Ridge Property Ltd. 8 portant sur une indem-
nité d'expropriation qui a fait l'objet d'un appel,
l'appel étant par la suite rejeté, le juge suppléant
Sheppard dit ceci à la page 5399:
[TRADUCTION] Dans l'espèce présente, les conclusions des arbi-
tres furent prononcées le 22 septembre 1966 ... et au cours de
l'année d'imposition de la compagnie intimée. L'appel irreceva-
ble interjeté auprès du juge Verchere ne proroge pas la date à
laquelle les fonds sont exigibles.
Dans l'affaire Minister of National Revenue v.
Benaby Realties Limited 9 , une autre décision en
matière d'expropriation, le juge Judson s'exprime
en ces termes à la page 5276:
[TRADUCTION] A mon avis, l'argument du Ministre est bien
fondé. Il est vrai qu'à l'époque de l'expropriation, le contribua-
ble a acquis le droit de recevoir une indemnité en remplacement
du terrain, mais en l'absence d'un accord exécutoire entre les
parties, ou d'un jugement fixant l'indemnité, le propriétaire
n'avait pas plus qu'un droit de réclamer l'indemnité, et rien ne
peut être pris en compte à titre de montant exigible en raison de
l'expropriation. [C'est moi qui souligne.]
6 [1949] 4 D.L.R. 199 (C.A.C.-B.).
' (1889), 15 App. Cas. 1 (H.L.).
8 (1971), 71 DTC 5392 (C.F. l'° inst.).
9 (1967), 67 DTC 5275 (C.S.C.).
Plus loin, dans la même affaire, il dit ceci après
avoir mentionné une décision britannique dont il
doute qu'elle soit applicable au Canada [à la page
5276]:
[TRADUCTION] L'application de cette décision à la Loi de
l'impôt sur le revenu canadienne est discutable. Cette décision
laisse entendre que les comptes peuvent être laissés non arrêtés
jusqu'à la confirmation des bénéfices résultant d'une certaine
opération, et que les comptes pour une période au cours de
laquelle une opération a eu lieu peuvent être rouverts après la
confirmation des bénéfices.
Si la loi le prévoit, il ne saurait y avoir d'objection à cela,
mais la Loi de l'impôt sur le revenu canadienne ne prévoit
aucune disposition à ce sujet. Pour fins d'impôt sur le revenu,
les comptes ne peuvent être laissés non arrêtés jusqu'à la
détermination définitive des bénéfices.
En l'espèce, à la différence des affaires d'expro-
priation, la somme due a été déterminée par le
jugement du juge Ferg. Le remboursement subsé-
quent par la demanderesse de la somme de $455,-
000, en 1977, la suite d'un accord prévoyant le
désistement de l'appel pourrait valablement être
déduit, dans la déclaration d'impôt de 1977 de
la demanderesse, comme dépense encourue par
celle-ci, mais cela n'affecte pas la nature imposa-
ble des sommes réellement reçues en 1974 et 1975.
Dans l'affaire Picadilly Hotels Ltd. v. Her
Majesty the Queen 10 , le juge Collier se livre à
cette analyse à la page 6446:
[TRADUCTION] Le procès subséquent et la possibilité d'annula-
tion par ordonnance judiciaire d'un contrat de vente ne sau-
raient, à mon avis, changer la nature de l'opération originaire à
l'époque de sa conclusion.
J'estime que la situation n'est pas non plus modifiée, parce
que la demanderesse pouvait être tenue responsable, à l'égard
de l'opération, en cas d'octroi éventuel de dommages-intérêts.
La question de savoir si les dommages-intérêts auraient pu être
compensés à même le prix de vente est discutable. Même en
présumant cela, il y a quand même eu une aliénation ou vente
en 1970. Le prix de vente réel aurait pu, pour d'autres fins dont
celles d'impôt, devoir être modifié par la suite.
La demanderesse a fait état du jugement rendu
par la Cour suprême dans l'affaire Dominion
Taxicab Association v. Minister of National
Revenue". Dans cet arrêt, il y avait à déterminer
la nature du dépôt de $500 fait par chaque pro-
priétaire de taxi à l'association, dépôt qui devait
lui être remboursé quand il quitterait l'association.
La Cour suprême a jugé que ce dépôt ne devait pas
10 (1978), 78 DTC 6444 (C.F. 1fe inst.).
" (1954), 54 DTC 1020 (C.S.C.).
être considéré comme un revenu. Le regretté juge
Cartwright [tel était alors son titre], qui rendait le
jugement de la Cour, dit ceci à la page 1022:
[TRADUCTION] ... j'estime qu'en l'espèce, l'appelante a eu
raison de considérer la somme de $40,500.00 comme une dette
différée envers ses membres, et que, à moins et jusqu'au
moment de la réalisation des conditions nécessaires pour confé-
rer la propriété absolue d'un dépôt à l'appelante, et pour
éteindre donc sa dette envers le membre déposant, un tel dépôt
ne saurait être légitimement considéré comme un bénéfice tiré
des affaires de l'appelante.
Il s'agissait, encore une fois, d'une cause portant
sur des dépôts, ce que ne sont toutefois pas, à mon
avis, les paiements reçus par la demanderesse en
exécution du jugement et à l'acquit des frais. Plus
loin, à la page 1022, le jugement dit en outre:
[TRADUCTION] L'espèce présente se distingue de l'affaire
Diamond Taxicab Association Ltd. v. Minister of National
Revenue, (1952) R.C.É. 331, [52 DTC 1100] confirmée par
cette Cour sans motifs écrits. Dans cette affaire-là, il a été jugé
que les sommes en question avaient été payées à l'association
purement et simplement à titre de partie de la contrepartie des
services qu'elle avait fournis; il n'a nullement été question de
dépôt.
La défenderesse soutient en outre que les
sommes reçues en 1974 et 1975 doivent être inclu-
ses dans le revenu et que les considérer autrement
aurait pour effet indirect de créer une réserve
interdite par l'alinéa 18(1)e) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Toujours selon la défenderesse,
même si les sommes dont le paiement a été
ordonné par le jugement n'avaient pas été payées,
elles auraient constitué des sommes recevables
pour le contribuable qui, en vertu de l'alinéa
12(1)b) de la Loi, devraient être déclarées comme
telles.
En conclusion, compte tenu de la jurisprudence
mentionnée et des faits de l'espèce, je conclus que
le jugement du juge Ferg constituait une détermi-
nation de la somme payable, que ladite somme a
été payée en 1974, que les frais fixés par un
deuxième jugement ont été versés en 1975, et que
la simple possibilité que ces sommes puissent
devoir être remboursées en tout ou en partie,
comme cela s'est réalisé en 1977, et ce, jusqu'à
concurrence de $455,000, n'aurait pas pour effet
d'écarter l'obligation de les inclure dans le revenu
lors de leur réception.
L'appel formé par la demanderesse contre les
cotisations d'impôt sur le revenu pour ses années
d'imposition 1974 et 1975 est rejeté avec dépens.
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