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T-3530-79
Marlex Petroleum, Inc. (demanderesse) c.
Le navire Har Rai et The Shipping Corporation of India (défendeurs)
Division de première instance, juge Mahoney— Vancouver, 1°', 2, 3 et 5 mars 1982.
Droit maritime Action en exécution d'un privilège mari time en vertu du droit américain Mazout fourni par la demanderesse au navire défendeur en vertu d'un contrat qui n'a pas été conclu avec la propriétaire Clause de la charte- partie interdisant tout privilège maritime ignorée de la deman- deresse Action personnelle contre la propriétaire défende- resse, rejetée Droit réel de la demanderesse selon la loi américaine Le droit maritime canadien permet-il de donner effet à un droit réel que crée la loi étrangère lorsque le propriétaire n'est pas responsable personnellement Action rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22(1),(2)n),(3)a) et c).
Jurisprudence: décision suivie: Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire «Armar» [1973] C.F. 1232. Arrêt approuvé: Le «Strandhill» c. Walter W. Hodder Co. [1926] R.C.S. 680. Distinction faite avec l'arrêt: Todd Shipyards Corp. c. Alterna Compania Maritima S.A. [1974] R.C.S. 1248.
ACTION. AVOCATS:
Peter Gordon et Glen Morgan pour la
demanderesse.
W. Perrett pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Davis & Co., Vancouver, pour la demande- resse.
Macrae, Montgomery & Cunningham, Van- couver, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Dans cette espèce, on fait valoir un privilège maritime selon le droit des États-Unis d'Amérique. La demanderesse est une société californienne qui fait affaires à Long Beach. Le navire défendeur, ci-après le «Har Rai», battant pavillon indien, appartenait à l'autre défenderesse, ci-après «la propriétaire», et avait été affrété.
Le 6 mai 1979, la demanderesse a fourni au Har Rai certaines quantités de mazout et de carburant
diesel. Le Har Rai se trouvait à Vancouver (C.-B.) le 12 juillet 1979 lorsque cette action fut intentée; il fut saisi. Au début de l'instruction, les parties firent savoir à la Cour qu'elles désiraient la voir statuer sur la question de la responsabilité seule- ment; le montant des dommages ferait l'objet d'une référence si nécessaire. L'administration de la preuve de la demanderesse terminée, la proprié- taire a demandé le rejet avec dépens de l'action personnelle intentée contre elle. La requête fut accueillie. La preuve administrée ne permettait pas, tout simplement, de constater une responsabi- lité personnelle. Les présents motifs ne traitent que de l'action réelle intentée contre le Har Rai.
Il échet d'examiner si, dans le cas d'espèce, il existe un privilège maritime grevant le Har Rai selon le droit américain et, le cas échéant, si on peut le faire valoir par une action réelle intentée devant notre juridiction. Le droit applicable à la fourniture de carburant était sans aucun doute celui des États-Unis.
MM. Dan Maruyama et James Billstrom, res- pectivement directeur des crédits par intérim et directeur adjoint des opérations, en fonction ce jour-là, ont été les seuls témoins cités, par la demanderesse, quant aux faits; tous deux sont dignes de foi. Mis à part ces témoignages, la preuve des faits qui a été administrée s'est limitée à des extraits d'interrogatoires préalables avec pièces justificatives versés au dossier par les deux parties. Je ne considère pas nécessaire de passer en revue cette preuve des faits sinon pour constater que la demanderesse a, sur le fondement d'un contrat non conclu avec la propriétaire, fourni au Har Rai 9,182.66 barils de mazout et 634.30 barils de carburant diesel; que ce carburant était nécessaire; que le Har Rai en a accusé réception et que la facture totale, au prix cité, plus les frais d'allèges, de quai et la taxe, soit 167,578.43 $EU, demeurait impayée. Certes, la demanderesse pou- vait ne pas connaître la charte-partie mais, si elle s'était donné la peine de s'interroger, elle en aurait déduit l'existence. Toutefois, la demanderesse ignorait, et rien ne permet de dire, d'après la preuve administrée, qu'elle aurait savoir que la charte-partie comportait une clause interdisant tout privilège. La demanderesse s'était fondée sur son expérience passée avec la Global Bulk Hand ling Limited lorsqu'elle avait accepté d'accorder
du crédit; elle a d'ailleurs cherché à se faire rem- bourser par celle-ci. La Global n'était pas affréteur mais se prétendait acheteur éventuel du carburant.
La demanderesse a cité à témoigner Carter Quinby, un avocat californien, comme expert. La Cour et les défendeurs ont reconnu sa compétence en matière de droit maritime américain. Les défen- deurs n'ont cité aucun expert. Ce n'est pas sans raison que la déclaration de Quinby présentée comme interrogatoire principal a, sur le fondement de la Règle 482, été produite et signifiée le 15 septembre 1981. L'instruction débuta le Pr mars 1982. Je souscris entièrement aux conclu sions de Quinby quant au droit américain applica ble. Il a entendu les témoignages relatifs aux faits et noté deux points ses hypothèses diffèrent de ces témoignages. Il est demeuré néanmoins d'avis
que:
[TRADUCTION] Je suis d'avis que, en droit américain, la demanderesse Marlex détient un privilège maritime grevant le navire défendeur pour la valeur raisonnable du mazout et du carburant diesel fourni au HAR RAI à Los Angeles/Long Beach en mai 1979, mais la défenderesse Shipping Corporation of India n'est pas personnellement responsable envers la Marlex du prix de ce pétrole. Selon le Ship Mortgage Act, qui a été modifié en 1971, la Marlex jouit d'un tel privilège maritime même si elle a eu réellement connaissance de l'affrètement du HAR RAI et que le pétrole a été commandé par l'affréteur, ou en son nom, à moins que le propriétaire du bâtiment n'établisse avec certitude que la charte-partie comporte une clause interdi- sant tout privilège et que la Marlex avait connaissance de l'existence de cette interdiction avant la livraison du pétrole en cause. La Marlex n'a pas renoncé à son privilège sur le navire même si elle a fait enquête; elle a fait confiance en partie au crédit de l'affréteur, même si elle a tenté de percevoir de l'affréteur ce qui lui était dû.
La demanderesse possède donc en droit américain un privilège maritime comme elle le prétend.
Certes, le droit américain détermine l'existence du droit réel de la demanderesse mais son recours, devant notre juridiction, dépend du droit canadien. Notre juridiction est compétente uniquement si la «demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien>>'. Mise à part cette réserve, la Cour est compétente.
En cas de responsabilité personnelle du proprié- taire, notre juridiction donne effet à un droit réel
' Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22(1), 22(2)n) et 22(3)a) et c).
créé par la loi étrangère 2 . En l'absence de législa- tion toutefois, un droit réel créé par la loi cana- dienne ne peut recevoir d'effet s'il n'y a pas res- ponsabilité personnelle du propriétaire'. La question de savoir si le droit maritime canadien permet de donner effet à un droit réel que crée la loi étrangère lorsque le propriétaire n'est pas res- ponsable personnellement n'est pas résolue. La demanderesse invoque en ce sens l'espèce Todd Shipyards Corporation c. Alterna Compania Maritima S.A. 4
Cette jurisprudence établit qu'un privilège mari time étranger prenant rang avant une hypothèque selon la lex loci recevra la même préséance en vertu du droit maritime canadien. Il est loin d'être clair que cette jurisprudence justifie d'affirmer qu'il existe au Canada une action réelle indépen- dante de la responsabilité personnelle de la propriétaire.
Les motifs, si motifs il y a eu, du jugement de la Cour de l'Échiquier dans l'espèce Todd Shipyards Corporation c. Alterna Compania Maritima S.A. semblent n'avoir pas été publiés. L'arrêt de la Cour suprême du Çanada n'énonce pas les faits pertinents si ce n'est, à la page 1250, pour dire que les réparations, source du privilège, avaient été effectuées «à la demande des responsables de l'ad- ministration du navire». Ce qui peut vouloir dire aussi bien qu'elles ont été demandées par ou pour la propriétaire que par ou pour un autre responsa- ble de sa direction. Quoique ce ne soit pas l'énoncé d'une constatation de fait, l'arrêt cite néanmoins, à la page 1251, certains extraits de l'acte de procédure du créancier privilégié, notamment:
[TRADUCTION] La fourniture susdite d'approvisionnements et de réparations nécessaires au navire défendeur à la demande de ses propriétaires et de leurs mandataires susdits ....
Je crois qu'il est équitable d'en déduire que l'écri- ture n'aurait pas été mentionnée sans commentaire si elle n'avait pas été acceptée comme véridique. Tenant compte particulièrement de l'avocat impli- qué dans cette affaire, je ne puis concevoir que ce point n'aurait pas été soulevé s'il avait été possible de le faire.
2 Le «Strandhill» c. Walter W. Hodder Company [ 1926] R.C.S. 680.
3 Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire «Armar„ [1973] C.F. 1232.
4 [1974] R.C.S. 1248.
L'espèce Todd Shipyards Corporation c. Alterna Compania Maritirna S.A. ne constitue pas une jurisprudence qui oblige notre juridiction à faire droit à une action réelle contre le Har Rai en l'absence de responsabilité personnelle de la pro- priétaire. L'espèce Armar justifie de statuer dans le sens contraire. Il semble que ni la Cour d'appel fédérale ni la Cour suprême du Canada n'aient, jusqu'à \ maintenant, été saisies de cette question.
JUGEMENT
L'action de la demanderesse est rejetée avec dépens.
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