T-79-82
Barcrest Farms Inc., Karl-Wilheim Hermanns
(requérants)
c.
Le ministre de l'Agriculture et le Dr J. B. Tatter-
sall (intimés)
Division de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 25 janvier; Ottawa, 26 février
1982.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Signification aux requérants, conformément à l'art. 22 de la
Loi sur les maladies et la protection des animaux, d'un
procès-verbal de lieu infecté visant tous les chevaux gardés à
leur exploitation — Dans le cas des animaux d'origine cana-
dienne, la loi prévoit un programme d'examen — En vertu de
l'art. 7(1) du Règlement, l'inspecteur soupçonnant la présence
d'une maladie chez un animal importé peut ordonner la réex-
pédition de cet animal hors du Canada — Les requérants nient
l'existence de tout foyer d'infection — Délivrance par l'inspec-
teur d'une ordonnance de réexpédition hors du Canada visant
trois animaux importés — Refus du Ministre de procéder aux
épreuves sur les animaux d'origine canadienne tant que l'or-
donnance de réexpédition n'aura pas été exécutée — Les
requérants demandent un bref de certiorari et un bref de
prohibition pour ce qui est de l'ordonnance de réexpédition et
un bref de mandamus ordonnant de procéder aux épreuves de
dépistage — Exercice inhabituel et arbitraire par le Ministre
des pouvoirs que lui confère la loi — Le devoir du Ministre
d'agir avec équité l'oblige à déterminer si les animaux d'ori-
gine canadienne gardés en quarantaine sont atteints de maladie
— Ordonnance rendue enjoignant au Ministre de procéder aux
épreuves sur les animaux d'origine canadienne — L'exécution
de l'ordonnance de réexpédition est suspendue jusqu'à la fin
des épreuves — Loi sur les maladies et la protection des
animaux, S.R.C. 1970, chap. A-13, art. 22, 23, 24, 25, 26, 27
— Règlement sur les maladies et la protection des animaux,
C.R.C. 1978, Vol. III, chap. 296, art. 7(1).
DEMANDE.
AVOCATS:
J. D. Weir pour les requérants.
B. Evernden pour les intimés.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman,
Toronto, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: J'ai été
saisi de la présente demande à Toronto, le 25
janvier 1982. Elle vise une ordonnance rendue le
21 décembre 1981 en vertu de la Loi sur les
maladies et la protection des animaux, S.R.C.
1970, chap. A-13, exigeant le transport hors du
Canada de certains animaux. Ladite demande tend
à l'émission d'un bref de certiorari pour annuler
l'ordonnance, à l'émission d'un bref de prohibition
visant à empêcher l'exécution de cette ordonnance
ou encore à l'émission d'un bref de mandamus
ordonnant aux intimés de faire procéder aux
épreuves appropriées de dépistage de la maladie
dont on soupçonne l'existence.
La demande vise trois chevaux nommés Empire,
Grandduell et Winchester qui sont présentement
gardés en quarantaine à Barcrest Farms, près de
Milton, Ontario. Ces trois chevaux, tous des éta-
lons, ont été importés des États-Unis le 23 février
1981 ou aux environs de cette date. Le 4 ou le 5
novembre 1981, conformément à l'article 22 de la
Loi sur les maladies et la protection des animaux,
le Dr J. B. Tattersall, intimé, a fait parvenir aux
responsables de Barcrest Farms une copie du pro-
cès-verbal déclarant ce lieu infecté. Voici le texte
de cet article:
22. Si un inspecteur découvre ou soupçonne qu'il existe chez
les animaux quelque maladie infectieuse ou contagieuse, il doit
sans retard en dresser un procès-verbal et en remettre le double,
sous son seing, au possesseur de la commune, du champ, de
l'écurie, étable ou autre lieu où la maladie existe, et, dès lors,
lesdits lieux ainsi que tous les terrains et bâtiments y attenant,
en possession du même occupant, sont censés lieux infectés et
réputés tels jusqu'à ce que le Ministre en ait décidé autrement.
Ce procès-verbal visait tous les chevaux gardés à
cet endroit. Le 5 novembre 1981, les procureurs
des requérants ont fait parvenir au Dr Tattersall
une lettre dans laquelle ils contestaient l'existence
de tout foyer d'infection et demandaient qu'on lève
immédiatement la quarantaine ou qu'on procède
sur-le-champ aux épreuves de dépistage. En temps
utile, les parties ont constaté que la maladie, si elle
était effectivement présente, ne toucherait que
vingt-deux chevaux. Par conséquent, le 17 décem-
bre 1981, le Dr Tattersall a délivré un permis
autorisant de transporter hors de cet endroit tous
les animaux sauf les vingt-deux chevaux susmen-
tionnés. Le lendemain, soit le 18 décembre 1981, le
D r Tattersall a rendu une ordonnance pour le
transport hors du Canada de deux de ces vingt-
deux chevaux, soit Empire et Grandduell. A cette
même date, le ministre de l'Agriculture a reçu des
procureurs de la requérante, Barcrest Farms Inc.,
une lettre dans laquelle ceux-ci contestaient la
prétention selon laquelle des chevaux avaient été
importés en contravention de la loi. Quant à Win-
chester, le troisième étalon, un procès-verbal de
lieu infecté a été dressé le 30 novembre 1981 à
l'égard des installations de Ian D. Miller sises sur
la route rurale n° 5 à Perth, Ontario. Cependant, le
17 décembre 1981, un permis a été délivré pour
autoriser le transport de l'étalon Winchester vers
le lieu de quarantaine déjà établi, c'est-à-dire à
Barcrest Farms, et le 21 décembre 1981, le Dr
Tattersall a signé une ordonnance de transport
hors du Canada visant ce cheval. Le 24 décembre
1981, O. W. Kelton d'Agriculture Canada a fait
parvenir la lettre suivante aux procureurs des
requérants:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la lettre que vous avez
fait parvenir au Dr J. B. Tattersall le 22 décembre 1981 et à
notre conversation téléphonique du 23 décembre 1981.
1. Prenez avis que Barcrest Farms Inc. ou M. et Mn' Her-
manns, ou l'un et l'autre, pourraient demander à un vétérinaire
titulaire d'un permis de procéder aux examens, traitements et
épreuves sur les 5 étalons, sur les 17 juments et sur leur
progéniture de 1981 qui sont présentement gardés en quaran-
taine à la condition d'obtenir au préalable une autorisation des
responsables du Ministère pour chacune des bêtes et de leur
communiquer le nom du vétérinaire dont les services auront été
retenus. Les intéressés devront aussi fournir aux responsables
les renseignements pertinents concernant tout spécimen expédié
à un laboratoire à des fins de diagnostic, c'est-à-dire la descrip
tion dudit spécimen et des épreuves dont il doit faire l'objet, de
même que le nom et l'adresse du laboratoire.
2. En ce qui concerne les épreuves dont vous avez fait mention
hier lors de notre entretien téléphonique, je tiens à vous confir-
mer par la présente lettre que la politique actuelle de la
Direction en ce qui a trait au dépistage de la métrite conta-
gieuse du cheval chez les étalons s'applique avant et après
l'importation au Canada de tels animaux provenant de pays
non exempts de cette maladie. Vous trouverez ci-joint, à titre
d'information, un aperçu des épreuves nécessaires. Ce docu
ment est généralement annexé au permis d'importation visant
ces animaux.
Ces renseignements vous sont fournis sans préjudice des recours
ultérieurs que le Ministère pourrait souhaiter exercer à l'avenir
relativement à cette affaire.
J'ai examiné les ordonnances et les autres docu
ments décrits plus haut qui accompagnaient les
affidavits présentés à l'appui de la requête et je n'y
ai découvert aucun indice révélant une irrégularité
dans la procédure ou un abus de compétence de la
part des fonctionnaires d'Agriculture Canada.
Pour voir leur action accueillie, les requérants
doivent donc prouver que le devoir des intimés
d'agir avec équité dans la mise en application de ce
programme que prévoit la loi doit être interprété
de manière à comprendre l'obligation pour ces
derniers de procéder à certaines épreuves de dépis-
tage en vue d'établir eux-mêmes si la maladie
présumée est présente ou non de manière que les
personnes visées par les ordonnances aient l'occa-
sion voulue de réfuter les soupçons sur lesquels
celles-ci sont fondées. Les articles 23 27 exigent
en effet que l'inspecteur qui dresse un procès-ver
bal conformément à l'article 22, en informe le
Ministre pour permettre à ce dernier de détermi-
ner si la maladie existe ou non et de prendre les
mesures qui s'imposent:
23. (1) Lorsqu'un inspecteur a ainsi déclaré l'existence réelle
ou présumée d'une maladie infectieuse ou contagieuse chez les
animaux, il doit en toute diligence transmettre au Ministre
copie de son procès-verbal.
(2) S'il apparaît qu'une maladie infectieuse ou contagieuse
existe, le Ministre peut en déclarer l'existence et déterminer les
limites du lieu infecté.
(3) S'il est constaté que cette maladie n'existe pas, le Minis-
tre peut en déclarer la non-existence, et, dès lors, le lieu compris
dans le procès-verbal de l'inspecteur ou atteint par ce procès-
verbal, cesse d'être réputé lieu infecté.
24. Lorsque, sous l'autorité de la présente loi, un inspecteur
déclare par procès-verbal qu'un lieu est infecté, il peut aussi, si
les circonstances lui paraissent l'exiger, délivrer sous son seing
un avis de ce procès-verbal aux occupants des terres et bâti-
ments avoisinants, dont quelque partie se trouve dans un rayon
d'un mille des limites du lieu infecté. Dès lors, les dispositions
de la présente loi concernant les lieux infectés sont applicables
et exécutoires à l'égard de ces terres et bâtiments, comme s'ils
se trouvaient réellement compris dans les limites du lieu infecté.
25. (1) Le périmètre du lieu infecté peut, dans tous les cas où
le Ministre fait une déclaration, comprendre toute commune,
champ, écurie, étable ou autres lieux dans lesquels l'existence
d'une maladie infectieuse ou contagieuse est reconnue, et telle
étendue que le Ministre croit nécessaire d'y comprendre.
(2) Le Ministre peut, par une ordonnance, étendre ou res-
treindre le périmètre du lieu infecté au delà des limites des
communes, champs, écuries, étables, fermes ou lieux qui ont été
déclarés ou reconnus infectés de maladie infectieuse ou
contagieuse.
26. Le périmètre du lieu infecté peut, dans tous les cas, être
désigné par le renvoi à une carte ou plan déposé en quelque
endroit déterminé, ou par l'indication des cantons, des parois-
ses, des fermes ou autrement.
27. Le Ministre peut, en tout temps, sur le rapport d'un
inspecteur, déclarer par ordonnance qu'un endroit est indemne
de maladie infectieuse ou contagieuse; dès lors, l'endroit cesse
d'être réputé lieu infecté à compter de la date indiquée dans
l'ordonnance.
Les mesures que peut prendre le Ministre sont
évidemment facultatives, mais comme la quaran-
taine ordonnée par l'inspecteur ne peut durer indé-
finiment, le Ministre doit, dès que les constatations
ou les soupçons à l'origine du procès-verbal dressé
par l'inspecteur en vertu de l'article 22 ont été
confirmés ou infirmés, prendre les mesures qui
s'imposent. Donc, en ce qui concerne les animaux
d'origine canadienne, la loi prévoit un programme
d'examen susceptible de comporter le devoir d'agir
avec équité en donnant au propriétaire la possibi-
lité de réfuter les faits sur lesquels reposent les
constatations ou les soupçons de l'inspecteur.
La présente demande ne concerne pas, bien
entendu, des animaux d'origine canadienne, mais
plutôt les trois étalons qui ont fait l'objet d'une
ordonnance de réexpédition hors du Canada
rendue en vertu de la Partie II du Règlement
[Règlement sur les maladies et la protection des
animaux, C.R.C. 1978, Vol. III, chap. 296] qui
traite de l'importation d'animaux en général, et
plus particulièrement du paragraphe 7(1) dudit
Règlement qui porte:
7. (1) Lorsqu'un inspecteur découvre ou soupçonne qu'un
animal, produit animal, sous-produit animal, qu'un aliment
pour animaux ou une autre chose importée sont atteints d'une
maladie transmissible, il peut en ordonner la réexpédition ou la
mise en quarantaine dans le délai qu'il prescrit, par la personne
qui en a la garde.
On ne peut faire abstraction des différences qui
existent au niveau de la formulation de ces deux
dispositions législatives. Aux termes de l'article 22,
l'inspecteur est autorisé à agir sur la foi de consta-
tations ou de soupçons et après avoir pris certaines
mesures qui s'imposent, il doit, conformément aux
articles de loi cités ci-dessus, procéder à d'autres
examens. Ces mesures sont autorisées quelle que
soit l'origine des animaux visés. Suivant l'article 7
du Règlement qui traite des animaux importés au
Canada, l'inspecteur est autorisé à agir sur la foi
de constatations ou de soupçons et il peut ordonner
la réexpédition des animaux hors du Canada ou
leur mise en quarantaine. En employant un lan-
gage différent dans le cas des animaux importés au
Canada, le législateur voulait sans doute investir
l'inspecteur de pouvoirs différents à leur égard. De
plus, puisque le Règlement visant les animaux
importés ne traite aucunement du régime prévu
aux articles 23 et suivants, on peut présumer que le
Parlement avait l'intention de confier aux inspec-
teurs le pouvoir d'ordonner, sur la foi de simples
soupçons concernant l'existence d'une maladie, la
réexpédition hors du pays des animaux importés et
ce, sans que le Ministre ait à vérifier le bien-fondé
de tels soupçons. Par conséquent, je ne vais ni
annuler les ordonnances rendues ni ordonner que
l'on procède à des épreuves sur ces animaux car, ce
faisant, je limiterais les pouvoirs que la loi accorde
expressément aux inspecteurs.
Toutefois, le souci que j'ai du devoir d'équité ne
se borne pas à constater que les gestes posés par
l'inspecteur ou le Ministre étaient autorisés par la
loi. En effet, ce souci touche à la question même
du respect des principes d'équité et de justice dans
l'exercice des pouvoirs conférés par la loi. Aux
termes de ce texte de loi, le Parlement a jugé bon
d'investir les inspecteurs du pouvoir de rendre, sur
la foi de simples soupçons concernant l'existence
d'une maladie, des ordonnances susceptibles
d'avoir de graves répercussions sur les personnes
visées et sur leur patrimoine. Les articles 23 27
de la loi énoncent les principes de base que doit
respecter le Ministre pour agir en toute équité. Ce
dernier doit évaluer lui-même le bien-fondé des
soupçons de l'inspecteur et prendre ensuite les
mesures qui s'imposent. Comme nous avons pu le
constater dans la lettre citée précédemment, les
fonctionnaires du Ministère ont confirmé qu'ils
s'engageaient à prendre les dispositions nécessaires
pour se conformer à cette obligation que leur
impose la loi. Cependant, après avoir découvert
que certains animaux avaient été importés au
Canada et qu'une ordonnance concernant leur
réexpédition hors du Canada avait été rendue, les
fonctionnaires ont modifié leur position face à cet
engagement comme les y autorise la Partie II, et
plus particulièrement l'article 7 du Règlement.
Toutefois, les éléments de preuve déposés devant
moi révèlent que les épreuves visant les animaux
d'origine canadienne n'ont pas encore été effec-
tuées et qu'elles ne le seront pas tant que les
ordonnances de réexpédition hors du Canada n'au-
ront pas été respectées. Cette façon d'agir consti-
tue un exercice inhabituel et arbitraire des pou-
voirs accordés au Ministre et ne fait que confirmer
mes doutes, savoir que ces pouvoirs considérables
que le Parlement juge essentiels à la lutte contre
les maladies des animaux sont employés à de
toutes autres fins. Les animaux gardés en quaran-
taine restent entièrement sous la surveillance du
Ministre qui doit, aux termes de la loi, à tout le
moins dans le cas des animaux d'origine cana-
dienne, déterminer si la maladie dont on soup-
çonne l'existence est présente ou non et prendre
ensuite les mesures appropriées. Le devoir du
Ministre d'agir avec équité l'oblige également à
procéder à cette constatation. Les fonctionnaires
du Ministère ont confirmé, par écrit, leur engage
ment à prendre les mesures nécessaires. On aurait
dû procéder à ces épreuves immédiatement, sans
invoquer d'autres circonstances. Par conséquent,
une ordonnance sera rendue enjoignant aux inti-
més de procéder aux épreuves visant les animaux
d'origine canadienne gardés en quarantaine à Bar -
crest Farms et ce, en conformité de l'engagement
pris par l'intimé Tattersall dans sa lettre du 22
décembre 1981 et retardant l'exécution des ordon-
nances de réexpédition hors du Canada qui font
l'objet de la présente requête jusqu'à ce que lesdi-
tes épreuves soient terminées ou jusqu'à ce que
cette Cour rende une nouvelle ordonnance, le tout
avec dépens au profit des requérants. Les avocats
peuvent rédiger l'ordonnance qui sera rendue lors-
que cette Cour aura tranché.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.