A-41-81
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
W. E. Greaves, Richard A. McNeill, S. L. Morris
et Glen C. Waddy (Intimés)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Kerr—Ottawa, 12 novembre 1981 et 5
janvier 1982.
Examen judiciaire — Fonction publique — Demande d'exa-
men et d'annulation d'une décision rendue par un Comité
d'appel sous le régime de l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans
la Fonction publique — Le Comité a fait droit aux appels
formés par les intimés contre une nomination faite sans con-
cours en vertu de l'art. 5c) du Règlement sur l'emploi dans la
Fonction publique — Le Comité a décidé que la nomination
contrevenait au principe du mérite énoncé à l'art. 10 de la Loi
— Il s'agit d'examiner si le Comité a commis une erreur —
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c.
P-32, art. 10, 21 — Règlement sur l'emploi dans la Fonction
publique, C.R.C. 1978, Vol. XIV, c. 1337, art. 5 — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 , Supp.), c. 10, art. 28.
La demande fondée sur l'article 28 attaque une décision
rendue par un Comité d'appel sous le régime de l'article 21 de
la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique faisant droit aux
appels formés par les intimés contre une nomination faite sans
concours en vertu de l'alinéa 5c) du Règlement sur l'emploi
dans la Fonction publique. Le Comité d'appel a décidé qu'un
concours aurait dû être tenu parce qu'il n'était pas convaincu
qu'«il n'était pas dans l'intérêt de la Fonction publique de tenir
un concours». (Les intimés ont toutefois admis que la décision
du Comité ne pouvait se fonder sur ce motif en raison d'une
décision récente de cette Cour.) Le Comité d'appel a également
décidé que la nomination contrevenait au principe du mérite
énoncé à l'article 10 de la Loi, cette nomination ayant été faite
sans considérer les qualités d'autres personnes qui auraient pu
vouloir poser leur candidature au même poste.
Arrêt: la demande est rejetée. Une sélection faite conformé-
ment à la méthode établie dans la Loi et dans le Règlement,
que ce soit par concours ou autrement, peut néanmoins être
révoquée en vertu de l'article 21 si la méthode employée violait
le principe du mérite. Les exigences du principe du mérite sont
toujours les mêmes. Elles ne varient pas selon la méthode de
sélection choisie. Ce principe exige que la sélection soit faite
«au mérite», ce qui veut dire, «qu'il faut trouver les personnes
les plus aptes 'à remplir les différents postes de la Fonction
publique.» Le Comité d'appel avait un motif valide pour faire
droit à l'appel.
Le juge Le Dain: Le principe du mérite a pour objet de
trouver les personnes les mieux qualifiées parmi celles qui sont
disponibles. Il découle de l'article 21 de la Loi que les qualités
du candidat doivent être comparées avec celles des personnes
dont les chances d'avancement seraient amoindries du fait de sa
nomination. Ces personnes sont normalement identifiées après
une sélection, comme en l'espèce, mais, en pratique, elles
peuvent être identifiées avant qu'un choix ne soit fait, et si un
oubli était fait à cet égard, il pourrait subséquemment y être
remédié.
Arrêts mentionnés: Le procureur général du Canada c. Le
Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction
publique [1982] 1 C.F. 803; Nanda c. Le comité d'appel
établi par la Commission de la Fonction publique [1972]
C.F. 277.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
W. L. Nisbet, c.r., pour le requérant.
M. W. Wright, c.r., et A. J. Raven pour les
intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La présente demande fondée
sur l'article 28 attaque une décision rendue par un
Comité d'appel sous le régime de l'article 21 de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, c. P-32, faisant droit aux appels
formés par les intimés contre le choix de Brian
Dougall en vue de sa nomination à un poste au sein
du ministère de l'Emploi et de l'Immigration à
Vancouver (Colombie-Britannique).
La nomination de M. Dougall s'est faite sans
concours en vertu de l'alinéa 5c) du Règlement sur
l'emploi dans la Fonction publique, C.R.C. 1978,
Vol. XIV, c. 1337'. Il est reconnu que ce dernier
' L'article 5 du Règlement sur l'emploi dans la Fonction
publique est ainsi rédigé:
5. Toute nomination faite en vertu de l'article 10 de la Loi
doit être conforme aux normes de sélection et faite au moyen
d'une des méthodes suivantes de sélection du personnel:
a) concours publics auxquels participent des personnes qui
(i) répondent à un avis public, ou
(ii) sont identifiées au moyen d'un répertoire;
b) concours restreints auxquels participent des employés
qui
(i) répondent à un avis, ou
(ii) sont identifiés au moyen d'un répertoiie, ou
c) étude des documents ou tenue des examens, tests,
entrevues et enquêtes que la Commission juge nécessaires
(Suite à la page suivante)
occupait, au moment où il a été choisi pour le
poste de Vancouver, un poste semblable au sein du
même Ministère, à Ottawa, et que cette nomina
tion satisfaisait à l'exigence prévue au sous-alinéa
5c)(i) du Règlement. Il est également reconnu que
la nomination de M. Dougall a été faite après que
les autorités compétentes eurent déterminé qu'il
était qualifié pour occuper le poste de Vancouver
et eurent conclu que [TRADUCTION] «il n'était pas
dans l'intérêt de la Fonction publique de tenir un
concours».
Les intimés sont des employés du ministère de
l'Emploi et de l'Immigration à Vancouver. Si un
concours restreint avait été tenu pour pourvoir au
poste pour lequel M. Dougall a été choisi, ils
auraient eu le droit d'y participer; par contre, M.
Dougall, étant d'Ottawa, n'en aurait pas eu le
droit. C'est pour cette raison que la Commission a
déterminé, en application de l'alinéa 21b) de la
Loi, que les chances d'avancement des intimés
avaient été amoindries par la nomination de M.
Dougall. A la suite de cette décision, les intimés
ont interjeté appel en vertu de l'article 21 contre la
nomination projetée de M. Dougall. Le Comité
d'appel a fait droit à leur appel en se fondant sur
deux motifs. Premièrement, il a statué que M.
Dougall ne pouvait être nommé sans concours
parce qu'il n'était pas convaincu qu'ail n'était pas
dans l'intérêt de la Fonction publique de tenir un
concours». Deuxièmement, le Comité a conclu que,
(Suite de la page précédente)
pour établir qu'un candidat est qualifié, lorsque la Com
mission est d'avis qu'il n'est pas dans l'intérêt de la Fonc-
tion publique de tenir un concours, dans le cas
(i) de la nomination d'un employé à un poste dont le
traitement maximum ne dépasse pas le traitement maxi
mum du poste occupé par cette personne immédiate-
ment avant la nomination,
(ii) de la nomination d'un employé à un poste dont on a
changé la classification, et que l'employé occupait
immédiatement avant ce changement,
(iii) de la promotion d'un employé dans son poste lors-
que cet employé y avait été nommé à un niveau inférieur
à. celui du poste,
(iv) de la nomination pour une période spécifiée d'une
personne de l'extérieur de la Fonction publique pour
répondre à des besoins d'urgence, et
(y) d'une nomination, par la Commission, autre que
celles décrites dans les dispositions (i) à (iv), lorsque la
Commission considère que cette nomination se fait dans
l'intérêt de la Fonction publique.
de toute façon, la nomination de M. Dougall con-
trevenait au principe du mérite énoncé à l'article
10 de la Loi 2 parce que cette nomination avait été
faite en se fondant sur le seul critère qu'il était
qualifié pour le poste, sans même considérer la
possibilité qu'il aurait pu y avoir d'autres person-
nes plus qualifiées que lui parmi celles qui auraient
pu avoir voulu poser leur candidature pour ce
poste.
L'avocat des intimés a admis à l'audience que la
décision attaquée ne pouvait se fonder sur le pre
mier motif énoncé par le Comité. Me Wright a
concédé ce point à la lumière de la décision récente
de la présente Cour dans Le procureur général du
Canada c. Le Comité d'appel établi par la Com
mission de la Fonction publique (précitée à la
page 803) dans laquelle on a statué qu'un Comité
d'appel saisi d'un appel formé sous le régime de
l'article 21 contre une nomination faite sans con-
cours en application de l'alinéa 5c) du Règlement,
ne pouvait contrôler l'opinion de la Commission ou
de la personne à laquelle ce pouvoir est délégué
qu'sil n'est pas dans l'intérêt de la Fonction publi-
que de tenir un concours». Autant mentionner tout
de suite que M e Wright a également dit à l'au-
dience qu'il n'entendait pas contester la validité de
l'alinéa 5c) du Règlement. En d'autres termes, il a
admis aux fins de la présente affaire, si j'ai bien
compris, que l'alinéa 5c) prévoit une méthode de
sélection du personnel que la Commission a le
pouvoir de prescrire en vertu de la dernière partie
de l'article 10 de la Loi.
On peut résumer brièvement l'argument pré-
senté par l'avocat du requérant. Il s'agit manifeste-
ment, dit-il, d'un cas où la nomination peut être
faite sans concours conformément à l'alinéa 5c) du
Règlement. La méthode de sélection prévue à cet
alinéa a été suivie à la lettre et ne comporte pas
une comparaison entre les qualités de la personne
dont on propose la nomination à un poste et celles
2 L'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que est ainsi rédigé:
10. Les nominations à des postes de la Fonction publique,
faites parmi des personnes qui en sont déjà membres ou des
personnes qui n'en font pas partie, doivent être faites selon
une sélection établie au mérite, ainsi que le détermine la
Commission. La Commission les fait à la demande du sous-
chef en cause, à la suite d'un concours, ou selon telle autre
méthode de sélection du personnel établie afin de déterminer
le mérite des candidats que la Commission estime la mieux
adaptée aux intérêts de la Fonction publique.
d'autres personnes qui pourraient vouloir poser
leur candidature pour le même poste. Le choix de
M. Dougall a donc été fait conformément aux
règles prescrites par l'alinéa 5c) du Règlement. Il
était également conforme au «principe du mérite»
énoncé à l'article 10 de la Loi («Les nominations à
des postes de la Fonction publique, faites parmi
des personnes qui en sont déjà membres ou des
personnes qui n'en font pas partie, doivent être
faites selon une sélection établie au mérite») étant
donné que, lorsque la sélection n'est pas faite par
concours, ce principe exige seulement la sélection
de personnes compétentes et n'exige pas la sélec-
tion des personnes les mieux qualifiées.
Il est clair, d'après moi, que l'alinéa 5c) du
Règlement n'impose pas l'obligation de comparer
les qualités de la personne dont la nomination est
proposée avec celles d'autres personnes. Et j'estime
que l'avocat du requérant a raison d'affirmer que
la nomination de M. Dougall a été faite conformé-
ment aux exigences du Règlement. Mais cela ne
règle pas la question. Une sélection faite conformé-
ment à la méthode établie dans la Loi et dans le
Règlement, que ce soit par concours ou autrement,
peut néanmoins être révoquée en vertu de l'article
21 si la méthode employée violait le principe du
mérite. Par exemple, une sélection faite à la suite
d'un concours conforme à toutes les exigences
statutaires peut être viciée du fait que les qualités
des candidats ont été incorrectement appréciées.
C'est vrai lorsque la sélection est faite à la suite
d'un concours; c'est également vrai si la sélection
est faite sans concours. J'estime que les exigences
du principe du mérite sont toujours les mêmes.
Elles ne varient pas selon la méthode de sélection
choisie. Ce principe exige que la sélection soit faite
«au mérite», ce qui veut dire, «qu'il faut trouver les
personnes les plus aptes à remplir les différents
postes de la Fonction publique ...» j 3 En l'espèce,
le Comité d'appel, si je comprends bien sa déci-
sion, n'était pas convaincu que la nomination avait
été faite «au mérite» parce que les qualités du
candidat choisi n'avaient jamais été comparées
avec celles d'autres personnes qui, comme les inti-
més, auraient pu vouloir poser leur candidature
pour le poste. J'estime que c'était un motif valide
3 Nanda c. Le comité d'appel établi par la Commission de la
Fonction publique [1972] C.F. 277, la p. 297, le juge en chef
Jackett.
pour faire droit à l'appel.
Par ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord que cette
demande fondée sur l'article 28 devrait être reje-
tée. La question que je me suis posée en l'espèce
est de savoir comment le principe du mérite doit
être appliqué, en pratique, lorsqu'il n'y a qu'une
seule candidature à un poste. Les articles 10 et 21
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
prévoient que les nominations à des postes de la
Fonction publique peuvent être faites sans con-
cours. Dans cette mesure, l'alinéa 5c) du Règle-
ment sur l'emploi dans la Fonction publique qui
prévoit la nomination sans concours est fondé sur
la loi. Mais l'autre méthode de sélection du person
nel choisie par la Commission doit, aux termes de
l'article 10 de la Loi, être «établie afin de détermi-
ner le mérite des candidats.» Le mérite déterminé
par un concours est manifestement le mérite rela-
tif. Je reconnais que nous ne pourrions, à bon
droit, conclure que le terme «mérite» dans le pas
sage suivant de l'article 10 «telle autre méthode de
sélection du personnel établie afin de déterminer le
mérite des candidats que la Commission estime la
mieux adaptée aux intérêts de la Fonction publi-
que» a le sens différent et plus restreint d'être
simplement qualifié pour occuper un poste. Je
crois que le principe du mérite a été conçu pour
faire plus que simplement assurer la nomination de
personnes qualifiées à des postes de la Fonction
publique. Il a pour objet de trouver les personnes
les mieux qualifiées parmi celles qui sont disponi-
bles. Dans le cas d'un concours, les personnes qui
sont disponibles sont identifiées comme candidats
à ce poste. La Commission ou les personnes qui
exercent son pouvoir délégué connaissent avec cer
titude les personnes dont les qualités pour remplir
le poste doivent être comparées à la lumière du
principe du mérite pour satisfaire à l'exigence de
l'article 10 de la Loi. Dans le cas d'une nomination
sans concours, il n'y a pas d'identification d'autres
candidats à ce poste. Cela ressort clairement d'une
comparaison des alinéas a) et b) avec l'alinéa c) de
l'article 5 du Règlement. Comment la Commission
ou ceux qui exercent son pouvoir délégué pourront-
ils savoir avec qui le candidat dont la nomination
est prévue doit être comparé pour satisfaire à
l'exigence de l'artice 10? Selon moi, il découle de
l'article 21 de la Loi, qui confère un droit d'appel,
dans les cas de nomination sans concours, à
«chaque personne dont les chances d'avancement,
de l'avis de la Commission, sont ainsi amoindries»,
que les qualités du candidat doivent être compa
rées avec celles des personnes dont les chances
d'avancement seraient amoindries du fait de sa
nomination. Ces personnes sont normalement iden
tifiées après une sélection, comme il est arrivé en
l'espèce après la première sélection qui est à l'ori-
gine de la première décision du Comité d'appel,
mais, en pratique, elles peuvent être identifiées
avant qu'un choix ne soit fait, et si un oubli était
fait à cet égard, il pourrait subséquemment y être
remédié. Je suis conscient du fait que la conclusion
en l'espèce peut limiter sérieusement la flexibilité
que permet le pouvoir de mutation au sein de la
Fonction publique, dans la mesure on une muta
tion précise constitue une nomination au sens de la
Loi, mais si on a besoin de plus à cet égard, il
faudrait le prévoir expressément dans la loi.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.