A-53-72
Mark G. Smerchanski (Appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett—Ottawa, le
24 mai 1977.
Pratique — Dépens — Demande de taxation présentée à la
Cour en vertu de la Règle 350(3) et demande d'augmentation
de certains montants pour les services des solicitors en vertu de
la Règle 344(7) — Règles 337(5), 344(7), 350(1) et (3) de la
Cour fédérale.
L'intimé, par voie de requête présentée à la Cour, demande à
cette dernière d'ordonner que lui soit versée la somme de
$8,626, avec intérêts, à titre de dépens. La Cour d'appel avait
ordonné que les dépens soient versés. Néanmoins, la Cour a
autorisé l'avocat de l'intimé à plaider devant elle comme si elle
était saisie d'une demande présentée en vertu de la Règle
344(7), (et prévue au tarif B) en vue d'augmenter certains
montants pour les services des solicitors et aussi comme s'il
s'agissait d'une demande présentée à la Cour en vertu de la
Règle 350(3) afin que celle-ci procède à la taxation des dépens
adjugés par la Cour d'appel.
Arrêt: la demande est rejetée. La Cour est liée par le précé-
dent Crabbe c. Le ministre des Transports: lorsque la Cour
ordonne le paiement des dépens taxés, elle ne peut pas prescrire
ensuite le paiement d'une somme globale à moins de procéder à
un nouvel examen du jugement pour l'une des raisons énumé-
rées aux Règles 337(5) et 337(6). La demande de taxation par
la Cour, en vertu de la Règle 350(3), des dépens adjugés par le
jugement est rejetée parce que le dossier ne démontre pas qu' cil
y aurait autrement un retard dans la taxation». La demande
fondée sur la Règle 344(7) est rejetée parce qu'elle n'a pas été
présentée dans le délai imparti et qu'on n'a pas demandé la
prorogation de ce délai. Des raisons très spéciales justifiant une
longue prorogation du délai, ainsi que des arguments donnant
raisonnablement ouverture à l'exercice du pouvoir discrétion-
naire d'augmenter les honoraires au titre des services, doivent
étayer une telle demande. Les frais entre parties ne visent pas à
indemniser intégralement la partie qui a gain de cause de ses
frais extrajudiciaires, et l'importance du travail de préparation
à lui seul, ou doublé d'autres facteurs comme la difficulté ou
l'importance d'une affaire, ne constitue pas un fondement
adéquat pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge
d'augmenter le montant des frais prévus au tarif.
Arrêt suivi: Crabbe c. Le ministre des Transports [1973]
C.F. 1091.
DEMANDE.
AVOCATS:
J. T. Thorson, car. pour l'appelant.
G. J. Kroft et Cy Fien pour l'intimé.
PROCUREURS:
J. T. Thorson, c.r., Ottawa, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: L'intimé a présenté
une requête à la Cour pour qu'elle ordonne que lui
soit versée la somme de $8,626, avec intérêts, au
titre des dépens.'
La requête vise un appel devant la présente cour
d'une décision de la Division de première instance.
La Cour avait rejeté cet appel avec dépens, le 13
mars 1974. Un appel interjeté à la Cour suprême
du Canada a été rejeté le 29 juin 1976.
A la fin des plaidoiries de l'avocat de l'intimé,
j'ai indiqué qu'il n'était pas nécessaire d'entendre
l'avocat de l'appelant tout en ajournant l'audition
pour permettre à l'avocat de l'intimé de décider s'il
allait présenter d'autres plaidoiries écrites.
Le greffe a reçu une lettre qui indique que
l'avocat de l'intimé ne présentera pas d'autres
plaidoiries.
La décision de cette cour dans Crabbe c. Le
ministre des Transports, 2 m'oblige, semble-t-il, à
rejeter cette requête. Dans cette affaire, la Cour
avait rejeté une requête demandant la fixation du
montant des dépens adjugés par un précédent juge-
ment qui en ordonnait le paiement «lorsqu'ils
seraient taxés». Cette décision avait pour motif, et
je cite les pages 1091 et 1092:
Un tel jugement est alors définitif (Règle 337(4)) mais
a) ses termes peuvent être examinés de nouveau au motif
que le prononcé n'est pas en accord avec les motifs ou qu'il y
a eu une omission accidentelle (Règle 337(5)), et
b) les erreurs de rédaction et les omissions accidentelles, etc.,
peuvent être corrigées (Règle 337(6)).
' En fait, la requête a été présentée conformément à un avis
de requête portant l'intitulé de cause du présent appel et celui
de l'appel n° A-54-72. Je ne connais aucun précédent pour cette
procédure et, comme il y avait deux appels et deux jugements
distincts, je ne sais pas quelle ordonnance on nous demande
effectivement de prononcer. Cela importe peu, eu égard à ma
décision.
2 [1973] C.F. 1091.
D'après ce précédent, il me semble que si la Cour
ordonne le paiement des dépens taxés, elle ne peut
pas prescrire ensuite le paiement d'une somme
globale à moins de procéder à un nouvel examen
du jugement pour l'une des raisons énumérées aux
Règles 337(5) et 337(6). Tel n'est pas le cas en
l'espèce.'
Je n'oublie pas qu'on entend, aux termes de
l'avis de requête, demander une ordonnance fixant
le montant total des dépens [TRADUCTION] «con-
formément à l'article 3 du tarif B et aux Règles
344(7) et 350(3)». La nature de l'ordonnance
qu'on peut demander sans le consentement de la
partie adverse et de la Cour ne saurait changer
pour autant et l'on ne peut pas dire que la partie
adverse ait donné son assentiment pendant l'audi-
tion de la présente requête.
Néanmoins, la Cour a autorisé l'avocat de l'in-
timé à plaider devant elle comme si elle était
saisie:
a) d'une demande d'augmentation de certains
montants pour les services des solicitors et con-
seils indiqués à l'article 2 du tarif B des Règles,
conformément à l'article 3 du tarif B et à la
Règle 344(7) 4 et
b) d'une demande de taxation par la Cour, en
vertu de la Règle 350(3), des dépens adjugés par
la Cour d'appel.
A supposer que la requête demande la taxation
des dépens par un juge suivant la Règle 350(3), 5 je
pense qu'elle doit être rejetée parce que le dossier
ne démontre pas qu'«il y aurait autrement un
retard dans la taxation». (A mon avis, le paragra-
phe en cause vise manifestement le cas du juge qui
siège en un lieu où aucun officier taxateur n'est
3 Voir l'appendice.
On n'a pas prétendu qu'il s'agissait d'une demande d'ins-
tructions en vertu de l'une des Règles qui prévoient des instruc
tions pour augmenter les sommes prévues au tarif.
5 Voici le libellé de la Règle 350(3):
(3) Lorsque, pour une raison quelconque, il y aurait autre-
ment un retard dans la taxation d'un mémoire de frais, un
juge peut taxer le mémoire de frais comme s'il était protono-
taire, s'il estime qu'il peut le faire sans nuire à ses fonctions
judiciaires.
disponible ou d'autres cas exceptionnels de ce
genre; il n'accorde pas de plein droit à une partie
la taxation des frais par un juge plutôt que par un
officier taxateur.) En outre, si un juge devait agir
comme officier taxateur, il faudrait se conformer
aux dispositions de la Règle 350(1). 6
Il faut obtenir des instructions spéciales de la
Cour modifiant les montants prévus au tarif,
comme il est prévu à l'article 3 du tarif B et dans
certaines règles, avant le début de la procédure de
taxation de sorte que ces instructions puissent
appuyer la réclamation des sommes indiquées au
mémoire de frais lors de la taxation. (La déroga-
tion à ces règles est peut-être justifiée dans certai-
nes circonstances mais je n'en ai pas d'exemple
précis.)
Si tant est que la requête demande des instruc
tions à la Cour en vertu de l'article 3 du tarif B,
elle n'a pas été présentée dans le délai imparti par
la Règle 344(7):
(7) Une partie peut
a) après le prononcé du jugement, dans le délai accordé par
la Règle 337(5) pour requérir la Cour d'examiner de nou-
veau le prononcé du jugement, ou
b) après que la Cour aura décidé du jugement à prononcer,
au moment où la requête pour l'obtention d'un jugement est
présentée,
que le jugement ait ou non réglé la question des dépens,
requérir la Cour de donner, au sujet des dépens, des directives
spéciales aux termes de la présente Règle, y compris une
directive visée au tarif B, et de statuer sur tout point relatif à
l'application de tout ou partie des dispositions de la Règle 346.
Une demande faite à la Cour d'appel en vertu du présent
paragraphe doit être faite devant le juge en chef ou un juge
désigné par lui, mais l'une ou l'autre partie peut demander à un
6 Voici le libellé de la Règle 350(1):
350. (1) Une partie dont les frais doivent être taxés doit, à
moins que la partie opposante ne soit d'accord sur le montant
à taxer, ou à moins que des arrangements de taxation ne
puissent se faire à l'amiable, obtenir d'un officier taxateur
une convocation pour la taxation et, au moins 2 jours avant le
jour fixé pour la taxation, signifier à chacune des autres
parties intéressées à la taxation une copie de son mémoire de
frais, tout affidavit à l'appui et une copie de la convocation.
tribunal composé d'au moins 3 juges de la Cour d'examiner une
décision ainsi obtenue.?
On n'a pas demandé la prorogation de ce délai.
Du rapprochement des Règles 344(7) et 337(5),
il résulte à mon sens que la demande d'instructions
pour augmenter le montant des dépens doit être
présentée tandis que l'affaire est assez récente
pour que la Cour puisse juger si les circonstances
de l'espèce justifient une dérogation aux Règles
normales du tarif; de plus, selon moi, seules des
raisons très spéciales justifient une longue proroga-
tion du délai imparti par la Règle 344(7) comme
celle qui serait nécessaire en l'espèce.
Finalement, j'estime que les documents à l'appui
de la présente requête n'apportent rien qui puisse
donner raisonnablement ouverture à l'exercice par
le juge du pouvoir discrétionnaire d'augmenter les
honoraires au titre des services de solicitors et de
conseils dans le cadre du présent appel. De telles
instructions doivent s'appuyer sur des motifs perti-
nents et ne pas être arbitraires. On a seulement
démontré en l'espèce que l'intimé avait reçu un
compte de frais extrajudiciaires très élevé dans le
cadre du présent appel. Ce fait aurait été pertinent
si les frais avaient été adjugés sur la base procu-
reur-client; il ne l'est généralement pas quand il
s'agit de fixer les frais entre parties. Rien n'indi-
que que le déroulement de l'appel justifiait une
augmentation du tarif des frais entre parties.
L'étude des Règles pertinentes ne révèle pas l'exis-
tence de quelque principe régissant la fixation des
frais habituels entre parties. Toutefois, il semble
clair, à mon sens, que les frais entre parties ne
visent pas à indemniser intégralement la partie qui
7 Voici le libellé de la Règle 337(5):
(5) Dans les 10 jours du prononcé d'un jugement en vertu
du paragraphe (2)a), ou dans tel délai prolongé que la Cour
pourra accorder, soit avant, soit après l'expiration du délai de
10 jours, l'une ou l'autre des parties pourra présenter à la
Cour, telle qu'elle est constituée au moment du prononcé,
une requête demandant un nouvel examen des termes du
prononcé, mais seulement l'une ou l'autre ou l'une et l'autre
des raisons suivantes:
a) le prononcé n'est pas en accord avec les motifs qui, le
cas échéant, ont été donnés pour justifier le jugement,
b) on a négligé ou accidentellement omis de traiter d'une
question dont on aurait dû traiter.
a gain de cause de ses frais extrajudiciaires. (Ce
l'est à plus forte raison quand, comme en l'espèce,
la partie qui a gain de cause a choisi de faire appel
à un avocat qui exerce ailleurs qu'au lieu normal
d'audition de l'appel.)
L'avocat de l'intimé a fait référence à quatre ou
cinq décisions de la Division de première instance
dans lesquelles le montant des dépens prévu au
tarif B a apparemment été augmenté [TRADUC-
TION] «en raison surtout de l'importance du travail
de préparation ...N. J'hésite à admettre que le
travail de préparation à lui seul, ou doublé d'autres
facteurs comme la difficulté ou l'importance d'une
affaire, justifie l'exercice du pouvoir discrétion-
naire du juge d'augmenter le montant des frais
prévus au tarif B. Il est certain, selon moi, que ces
frais sont si peu élevés par rapport aux sommes en
litige dans la plupart des cas qu'ils ne dédomma-
gent pas intégralement la partie qui a gain de
cause des frais qu'elle a engagés dans le litige. (De
fait, en l'espèce, on demande une augmentation
qui n'indemniserait que très partiellement la partie
qui a eu gain de cause de ses frais extrajudiciai-
res.) Si, ainsi que je le pense, les dépens entre
parties en Cour fédérale ne sont pas destinés à
indemniser intégralement la partie à laquelle ils
seront versés, ils sont censés se limiter aux sommes
tout à fait arbitraires prévues par les règles, sous
réserve des modifications autorisées se fondant sur
des facteurs relatifs au déroulement de la procé-
dure dont il s'agit. A mon avis, le vague principe
proposé par l'avocat de l'intimé obligerait très
souvent la Cour à évaluer des facteurs impondéra-
bles ou impossibles à définir pour adjuger une
partie indéterminée des frais extrajudiciaires. A
mon sens, cette façon de justifier l'exercice du
pouvoir discrétionnaire prévu par le tarif B n'est
pas acceptable; elle aurait d'ailleurs pour effet de
compliquer notre pratique sans raison. 8
s Dans le cas des débours de $201 et de $3,050, en vertu de
l'article 4 du tarif B, ils doivent être étudiés en première
instance «sur taxation». En cas de contestation de la taxation de
ces débours, la question peut être renvoyée à la Cour.
Pour ces motifs, je suis d'avis que la requête
devrait être rejetée même si elle pouvait être consi-
dérée comme une requête demandant l'une des
autres ordonnances indiquées ci-dessus dont il n'est
pas fait mention dans l'avis de requête.
J'estime, en outre, qu'il y a lieu de rejeter la
requête avec dépens.
APPENDICE
J'ai relevé dans les motifs du jugement Crabbe
une phrase qui contient, selon moi, une erreur
manifeste et propre à causer une confusion. Voici
le texte de cette phrase [à la page 1093]:
Dans l'affaire présente, le jugement fut prononcé à l'au-
dience; la question de l'allocation d'une somme globale au lieu
de frais taxés aurait donc pu être mentionnée avant que le
jugement soit prononcé. Elle aurait aussi pu être soulevée par
une requête présentée en vertu de la Règle 344(7), dans le délai
accordé par la Règle 337(5), demandant un nouvel examen du
prononcé pour une des raisons prévues dans les Règles 337(5)
et 337(6), à savoir, au motif que (1) (Règle 337(5)) le pro-
noncé n'est pas en accord avec les motifs du jugement ou qu'il y
a une omission accidentelle, ou (2) (Règle 337(6)) il y a une
erreur de rédaction ou une omission accidentelle qui exige une
correction.
D'après la dernière partie de cette phrase et
compte tenu de l'ensemble des motifs, l'auteur
indiquait, sans aucun doute, qu'une requête après
jugement demandant la fixation des frais au lieu
de frais taxés devait être présentée en vertu de la
Règle 337(5) ou (6). Je dois conclure que les mots
«Elle aurait aussi pu être soulevée par une requête
présentée en vertu de la Règle 344(7) ... deman-
dant un nouvel examen du prononcé» ont été insé-
rés dans le texte par erreur. La Règle 344(7)
autorise la présentation de requêtes demandant des
directives spéciales au sujet de la taxation des
frais. Elle n'autorise pas la présentation de requê-
tes tendant à faire modifier le «prononcé» d'un
jugement ou un jugement déjà signé. Voici com
ment l'extrait des motifs du jugement Crabbe que
j'ai cité aurait dû être libellé, selon moi:
Dans l'affaire présente, le jugement fut prononcé à l'au-
dience; la question de l'allocation d'une somme globale au lieu
de frais taxés aurait donc pu être mentionnée avant que le
jugement soit prononcé. Elle aurait aussi pu être soulevée par
une requête présentée en vertu de la Règle 337(5) ou (6), à
savoir, au motif que (1) (Règle 337(5)) le prononcé n'est pas en
accord avec les motifs du jugement ou qu'il y a une omission
accidentelle, ou (2) (Règle 337(6)) il y a une erreur de
rédaction ou une omission accidentelle qui exige une correction.
Cette erreur n'est pas étrangère, semble-t-il, au
fait que le juge Walsh a conclu, dans ses motifs du
jugement du 27 janvier 1976 dans Crelinsten Fruit
Company c. Maritime Fruit Carriers Co. Ltd.
[1976] 2 C.F. 316, que la Cour pourrait donner
des directives en vertu de la Règle 344(7) à l'occa-
sion de l'examen de la taxation. Le juge Kerr est
arrivé à la même conclusion, semble-t-il, dans
Aladdin Industries Inc. c. Canadian Thermos
Products Ltd. [1973] C.F. 942. Je dois préciser
que les juges Thurlow, Pratte et moi-même, dans
l'affaire Crabbe, avons statué que, après examen
de la taxation en vertu de la Règle 346(2), la Cour
devait décider si l'officier taxateur s'était trompé
en exerçant ses fonctions et qu'elle ne pouvait ni
modifier le jugement de la Cour, ni donner des
directives, ni prononcer une ordonnance visée par
la Règle 344 ou par l'article 3 du tarif B.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.