T-223-76
La Reine (Demanderesse)
c.
Sylvio Marchand (Défendeur)
Division de première instance, le juge Addy—
Québec, le 14 novembre; Ottawa, le 9 décembre
1977.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions
Versement de 4 1 / 2 pour cent sur le montant souscrit par le
défendeur pour l'achat de parts sociales en vue d'exercer son
droit d'acquérir lesdites parts — La somme ainsi versée cons-
titue-t-elle une dépense de capital ou une dépense engagée aux
fins de gagner un revenu, étant de ce fait déductible? — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 18(1)b).
Le défendeur, en 1972, se porta acquéreur de 400 parts
sociales à $5 chacune dans une Caisse d'entraide économique.
Les règlements de chacune des Caisses d'entraide du Québec
stipulent qu'un montant de 41 pour cent de chaque somme
souscrite pour achat de parts sociales doit être versé à la Caisse
en plus du prix d'achat. Conformément à ces dispositions le
défendeur versa, en plus du prix d'achat de $2,000, la somme
de $90. Il s'agit en l'occurrence de déterminer si, en vertu de
l'article 18(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu cette somme
constitue une dépense de la nature d'un déboursé au capital et
non déductible comme le soutient la demanderesse ou si comme
le prétend le défendeur, la somme a été déboursée dans le but
de gagner du revenu sous forme d'intérêts imposables, et est de
nature d'un débours de revenu, ce qui la rendrait donc déducti-
ble du revenu brut.
Arrêt: l'appel est accueilli. Un contribuable ne peut aujour-
d'hui déduire une somme du revenu qu'à deux conditions:
premièrement, que selon l'usage reconnu par la comptabilité
commerciale il serait normal de déduire cette somme d'un
compte revenu et, deuxièmement, que les dispositions prohibiti-
ves de l'article 18(1) ne l'interdisent pas. Il est entendu que le
poids de la preuve est toujours sur le contribuable lorsque l'on
s'attaque à une cotisation pour fins d'impôt. Le défendeur,
d'après la preuve présentée, ne s'est pas acquitté de ce fardeau
puisqu'il n'a pas établi que le débours était du genre de ceux
qui, selon les normes acceptées de la comptabilité commerciale,
serait imputable sur le compte revenu.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
W. Lefebvre et J. Halpin pour la demande-
resse.
J. Marier pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Létourneau, Stein, Marseille, Delisle &
LaRue, Québec, pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: Le défendeur, en 1972, se porta
acquéreur de 400 parts sociales à $5 chacune dans
la Caisse d'entraide économique de Grand'Mère
(ci-après désignée «la Caisse de Grand'Mère»).
Les règlements de chacune des Caisses d'en-
traide du Québec stipulent qu'un montant de 4 1 / 2
pour cent de chaque somme souscrite pour achat
de parts sociales doit être versé à la Caisse en plus
du prix d'achat. Conformément à ces dispositions
le défendeur versa, en plus du prix d'achat de
$2,000, la somme de $90.
Il s'agit en l'occurrence de déterminer si, en
vertu de l'article 18(1)b) de la Loi de l'impôt sur
le revenu cette somme constitue une dépense de la
nature d'un déboursé au capital et non déductible
comme le soutient la demanderesse ou si comme le
prétend le défendeur, la somme a été déboursée
dans le but de gagner du revenu sous forme d'inté-
rêts imposables, et est de nature d'un débours de
revenu, ce qui la rendrait par le fait même déducti-
ble du revenu brut.
Les procureurs des deux parties affirmèrent que,
malgré le montant minime en litige, la cause est
d'une importance considérable pour les, nombreu-
ses Caisses d'entraide de la province de Québec et
leurs souscripteurs et doit constituer une cause
type.
Les Caisses d'entraide du Québec sont membres
d'une fédération connue sous le nom de «Fédéra-
tion des caisses d'entraide économique du Québec»
(ci-après désignée «la Fédération»). Elles sont
constituées et opèrent en vertu de la Loi des
caisses d'épargne et de crédit'. Il est intéressant de
noter qu'en 1974 la Loi des caisses d'entraide
économique 2 fut adoptée. Cette loi entérine' plu-
sieurs des règlements sous lesquels opéraient les
Caisses d'entraide et la Fédération et stipule que,
sauf dispositions contraires dans cette loi, les Cais-
ses d'entraide économique et la Fédération conti-
nuent d'être régies par la Loi des caisses d'épargne
et de crédit. La Loi de 1974 ne s'applique évidem-
ment pas à la présente cause puisqu'en l'occur-
I S.R.Q. 1964, c. 293.
2 L.Q. 1974, c. 68.
rence il s'agit d'une cotisation pour l'année d'impo-
sition 1972, mais les procureurs des parties
semblaient tous deux d'avis que cette loi n'affecte-
rait aucunement le litige même si elle était
applicable.
Les constatations qui suivent sont fondées en
partie sur les dispositions de régie interne des
caisses coopératives que l'on trouve dans la Loi des
caisses d'épargne et de crédit et en partie sur les
règlements de la Caisse de Grand'Mère et les
autres faits admis par les procureurs des parties ou
établis en preuve lors du procès. Les faits eux-
mêmes sont d'ailleurs peu contestés, la demande-
resse n'ayant pas soumis de preuve mais s'étant
contentée de contre-interroger le seul témoin du
défendeur.
La Caisse de Grand'Mère est une coopérative
affiliée à la Fédération depuis 1968. Comme toute
caisse d'entraide elle a une juridiction territoriale
bien définie et tout membre doit résider dans les
limites de son territoire. Si le membre change son
lieu de domicile, il doit cesser d'être membre de
cette caisse et ne peut s'affilier qu'à la Caisse
d'entraide dans le territoire dans lequel sa nouvelle
demeure est située en se procurant des parts socia-
les dans cette dernière.
Une des principales caractéristiques parmi celles
qui distinguent les Caisses d'entraide des Caisses
populaires c'est que les membres des Caisses popu-
laires d'épargne ne peuvent acheter qu'une part
sociale chacun tandis que les membres des Caisses
d'entraide peuvent s'en procurer un nombre indé-
fini. De plus, les Caisses d'entraide, contrairement
aux Caisses populaires, n'opèrent pas de comptes
d'épargne. La Caisse de Grand'Mère n'offrait
donc aucun service bancaire en 1972. Le 41 pour
cent du montant payé pour chaque achat de part
sociale n'est jamais récupérable sauf si le membre
réclame le remboursement de ses parts sociales
dans les trente jours suivant sa souscription. Le
montant est donc versé une fois seulement lors de
chaque achat de parts sociales. La formule d'adhé-
sion du défendeur (pièce D-1) en date du 1"
novembre 1972, contient les mots et je cite: «J'ac-
cepte de payer en plus 4 1 / 2 % de ma souscription en
frais d'admission non-remboursables.» Le membre
peut réclamer le remboursement de ses parts socia-
les n'importe quand. Elles ne comportent aucune
augmentation ou, à moins de faillite, de déprécia-
tion capitale. A même le 4 1 / 2 pour cent du montant
total, 2 pour cent est versé au fonds du revenu
général de la Caisse et l'autre 2' pour cent sert au
recrutement, à l'administration, à constituer un
fonds de stabilisation, et à d'autres objectifs de la
Caisse et de la Fédération.
Le taux d'intérêt annuel payable sur les parts
sociales est déterminé annuellement par résolution
de l'assemblée générale des membres de la Caisse
d'entraide. Chaque membre ne possède qu'une
voix à l'assemblée, nonobstant le nombre de parts
sociales qu'il détient. Lorsqu'un membre d'une
caisse quitte le territoire de celle-ci pour demeurer
dans une région tombant sous la juridiction d'une
autre, il peut acquérir le même montant d'actions
sociales dans cette dernière sans payer de nouveau
le 4' pour cent dont il est question. Ces parts ne
sont pas transférables sans le consentement du
Conseil d'administration de la Caisse et ne sont
pas négociables. Au cas de décès le montant payé
par le membre pour ses parts sociales est rembour-
sable à ses héritiers. Il n'y a aucun revenu de
garantie au membre mais le montant d'intérêt
payable sur les parts sociales à même le revenu a
de fait toujours excédé 10 pour cent l'an.
Comme le disait le président Thorson de l'an-
cienne Cour de l'Échiquier dans l'arrêt Daley c.
M.R.N. 3 alors qu'il modifiait quelque peu son
interprétation antérieure de la Loi telle qu'énoncée
dans l'arrêt Imperial Oil Limited c. M.R.N. 4 les
articles 6a) et 6b) de la Loi de 1927 5 sont des
articles exprimés sous forme négative ou prohibi
tive et le fait qu'il n'est pas interdit par ces articles
de déduire une somme du revenu ne signifie pas
par le fait même qu'elle peut être déduite pour les
fins d'impôt. Malgré que le texte des articles
18(1)a) et 18(1)b) ne soit pas identique à celui des
articles 6a) et 6b) de la Loi de 1927, je suis
d'opinion qu'un contribuable ne peut aujourd'hui
déduire une somme du revenu qu'à deux condi
tions: premièrement, que selon l'usage reconnu par
la comptabilité commerciale il serait normal de
déduire cette somme d'un compte revenu et que de
plus les dispositions prohibitives de l'article 18(1)
ne l'interdisent pas.
3 [1950] C.T.C. 254.
4 [1947] C.T.C. 353.
5 S.R.C. 1927, c. 97 (maintenant les articles 18(1a)a) et
18(1)b) de la présente loi).
Il est entendu que le poids de la preuve est
toujours sur le contribuable (en l'occurrence le
défendeur) lorsque l'on s'attaque à une cotisation
pour fins d'impôt. Je trouve que le défendeur,
d'après la preuve présentée, ne s'est pas acquitté de
ce fardeau puisqu'il n'a pas établi que le débours
était du genre de ceux qui, selon les normes accep-
tées de la comptabilité commerciale, serait char
geable au compte revenu et, plus particulièrement,
que ce serait chargeable à ce compte comme un
déboursé attribuable contre le revenu de l'année
1972.
Au cas où cette première conclusion serait
inexacte ou erronée, il serait utile de considérer la
portée des dispositions prohibitives de l'article 18
eu égard aux circonstances particulières de cette
cause. Voici en résumé la portée des deux interdic-
tions principales de cet article: un débours n'est
pas déductible du revenu pour fins d'impôt (1)
lorsqu'il n'est pas fait pour les fins de gagner du
revenu (article 18(1)a)) bu (2) lorsqu'il représente
un paiement de nature capital (article 18(1)b)).
J'écarte pour l'instant la première de ces deux
propositions pour ne considérer que la deuxième
c'est-à-dire la nature d'un paiement à compte de
capital. Le juge en chef Fauteux, autrefois de la
Cour suprême du Canada, déclarait dans l'arrêt
M.R.N. c. Algoma Central Railway 6 [à la page
448] que l'on ne pouvait trancher la question à
savoir si les expressions «`somme déboursée . .. de
capital' ou `paiement à compte de capital'» s'appli-
queraient en se servant d'une simple formule ou
règle d'interprétation mais qu'elle ne pouvait se
résoudre qu'en considérant les circonstances et les
faits particuliers de chaque cause.
Il semble clair que pour la personne qui verse
une somme quelconque elle peut être attribuable
contre son revenu tandis que pour la personne à
laquelle la même somme est payée elle peut être
attribuable au capital. Le contraire est également
vrai.
En l'occurrence, malgré que 40 pour cent des
frais d'adhésion (i.e., 2 pour cent du montant versé
pour les parts sociales) soient versés au fonds des
revenus généraux de la Caisse, le défendeur n'a
aucun droit de réclamer en espèces ou autrement
le remboursement d'aucune partie de cette somme.
6 [1968] R.C.S. 447.
Il ne jouit d'aucun droit fondé dans aucune partie
déterminée de celle-ci. C'est la Caisse en assem
blée générale des membres qui seule fixe annuelle-
ment le montant d'intérêt sur les parts sociales à
être versé aux membres à même tous les revenus
de la Caisse. Il s'ensuit donc que, contrairement
aux allégations du procureur du défendeur, ce que
fait la Caisse d'entraide de cette somme n'est
réellement d'aucune utilité pour déterminer si le
paiement par le défendeur des frais d'adhésion est
attribuable au capital ou au revenu dans le calcul
des opérations fiscales de ce dernier.
Une des principales caractéristiques de recettes
ou de déboursés de nature compte capital c'est
que, de façon générale, elles sont de nature plutôt
permanente tandis que les comptes revenus repré-
sentent des rentrées et des débours de nature
plutôt transitoire et périodique. Les recettes ou les
débours de capital ont tous de façon générale une
existence, un effet ou une portée sinon perma-
nente, du moins de longue durée. Les comptes
revenus d'autre part représentent des rentrées et
des débours avec une existence, un effet ou une
portée plutôt transitoire et périodique. Il n'est pas
nécessaire que le bien capital puisse soit se dépré-
cier soit augmenter en valeur. Il n'est pas essentiel
non plus qu'on puisse en disposer pour valeur
malgré que l'on trouve le plus souvent l'une ou
l'autre de ces caractéristiques dans un bien capital.
Ce que le sociétaire gagne en payant le 4 1 / 2 pour
cent à la Caisse d'entraide c'est l'avantage de
placer son capital et d'en retirer un revenu pour un
bon nombre d'années. Il serait tout à fait illogique
de sa part de payer 4' pour cent pour le privilège
de ne retirer qu'une année d'intérêt d'environ 10
pour cent brut. Il serait donc aussi illogique d'en
faire un débours dans les écritures pour le revenu
d'une seule année. La dépense ne peut être consi-
dérée comme attribuable au revenu d'une année en
particulier puisque le 4' pour cent peut servir tant
que vivra le membre et tant et aussi longtemps
qu'il désirera laisser fructifier son capital dans la
Caisse. Comme l'affirmait les lords du Conseil
privé dans l'arrêt B.P. Australia Ltd. c. Commis
sioner of Taxation of the Commonwealth of
Australia' en citant et en approuvant le jugement
7 [1966] A.C. 224, la page 252.
de lord Reid dans Hinton c. Maden & Ireland
Ltd. 8 :
[TRADUCTION] ... que les dépenses relatives aux gains de
l'année sont des dépenses de revenu mais que les dépenses
produisant des éléments d'actif qui demeurent au-delà de l'an-
née sont des dépenses de capital parce que ces éléments doivent
figurer au bilan à titre d'actif immobilisé. Les droits en l'espèce
étaient pour trois ans ou davantage, cinq ans ou davantage pour
la plupart, et par conséquent la valeur des liens devrait figurer
au bilan à titre d'actif immobilisé à la fin de l'exercice compta-
ble; .... [C'est moi qui souligne.]
Le débours de 4 1 / 2 pour cent en l'occurrence ne
pourrait jamais être un paiement périodique ou de
nature à se renouveler périodiquement. Bien au
contraire, il était bien stipulé que le défendeur
n'aurait jamais à le renouveler tant qu'il conser-
vera son placement dans la Caisse de Grand'Mère.
Même dans l'éventualité où il changerait de domi
cile il pourra réinvestir cet argent dans une autre
Caisse d'entraide avec juridiction dans le territoire
de sa nouvelle résidence. Il pourra alors se procu
rer le même montant de parts sociales sans payer
d'autres frais d'adhésion.
Dans la présente cause, comme dans bien d'au-
tres causes semblables d'ailleurs, il paraît évident
que la somme versée par le contribuable le fut
dans le but de gagner ou de produire du revenu
mais, nonobstant ceci, la déduction doit être refu
sée quand même puisqu'elle ne peut être considé-
rée comme une somme versée à compte de capital
ou de nature de capital en vue de sa portée ou de
son effet permanent et non périodique et en vue du
fait que logiquement elle ne peut être attribuée ou
chargée à une période définie de comptabilité.
Puisqu'en l'occurrence les frais d'adhésion ont
toutes ces caractéristiques et tombent sous la pro
hibition de l'article 18(1)b), il m'est inutile de
considérer l'effet de l'article 18(1)a).
L'appel est donc accordé. La décision de la
Commission de révision de l'impôt est renversée et
la cotisation du défendeur par le ministre du
Revenu national au montant de $90 pour les frais
d'adhésion en cause pour l'année d'imposition
1972 est réintégrée.
La demanderesse aura droit à ses dépens.
8 [1959] 1 W.L.R. 875, à la page 884.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.