T-3203-76
La Reine (Demanderesse)
c.
Saskatchewan Wheat Pool (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith Winnipeg, les 6 et 30 décembre 1977.
Compétence — Action intentée en vertu de la Loi sur les
grains du Canada, en réclamation de dommages-intérêts pour
livraison de blé infesté de larves — Requête pour vérifier la
compétence de la Cour — Loi sur les grains du Canada, S.C.
1970-71-72, c. 7, art. 2(11),(20), 61(1), 86, 89(1),(2), 93(1),
100d) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c.
10, art. 17(4)a).
Dans une action visant à faire déterminer si la livraison dans
un navire, par un exploitant d'élévateur terminus, de blé infesté
de larves, sur remise d'un récépissé d'élévateur délivré par ledit
exploitant et requérant du blé de classe déterminée, satisfait à
l'obligation de l'exploitant, en vertu de la Loi sur les grains du
Canada, de livrer du blé de la classe précitée, la demanderesse
a introduit cette requête pour vérifier si la Cour est compétente
pour se prononcer sur cette question.
Arrêt: cette cour est compétente pour se prononcer sur la
question litigieuse, à savoir la responsabilité statutaire de l'ex-
ploitant d'élévateur en vertu de la Loi sur les grains du
Canada. La présente espèce relève exactement de la jurispru
dence établie par le Conseil privé dans Consolidated Distil
leries, modifiée dans les arrêts Quebec North Shore et McNa-
mara. La Cour suprême n'a pas voulu dire qu'à cause des
circonstances et des dispositions statutaires en vigueur, la pré-
sente espèce ne relèverait pas de la compétence de la Cour.
L'article 17(4)a) de la Loi sur la Cour fédérale tel qu'il a été
interprété dans les arrêts précités, confère effectivement compé-
tence à cette cour. Tout autre point de vue consisterait à
soutenir que ledit alinéa n'a aucun effet valable, et la Cour
suprême n'a pas endossé cette thèse.
Arrêts appliqués: Consolidated Distilleries Ltd. c. Le Roi
[1932] R.C.S. 419; [1933] A.C. 508; Quebec North Shore
Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S.
1054; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine
[1977] 2 R.C.S. 654. Arrêt examiné: London Passenger
Transport Board c. Upson [1949] 1 All E.R. 6.
DEMANDE.
AVOCATS:
Henry B. Monk, c.r., Edythe I. MacDonald,
c.r., et Deedar Singh Sagoo pour la
demanderesse.
Personne n'a comparu pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Balfour, Moss, Milliken, Laschuk, Kyle,
Vancise & Cameron, Regina, pour la défende-
resse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Dans cette action
intentée en vertu de la Loi sur les grains du
Canada, S.C. 1970-71-72, c. 7, il s'agit d'une
réclamation de dommages-intérêts pour livraison
de blé rouillé et infesté de larves d'insectes. Il faut
déterminer si la livraison dans un navire, par un
exploitant d'élévateur terminus, de 593,978.4 bois-
seaux de blé infesté de larves, sur remise d'un
récépissé d'élévateur délivré par ledit exploitant et
requérant du blé de classe n° 3 Canada Utility,
peut être considérée comme satisfaisant à l'obliga-
tion de l'exploitant, en vertu de la Loi sur les
grains du Canada, de livrer au porteur du récé-
pissé d'élévateur, sur remise dudit récépissé, du blé
de la classe précitée.
Comme la compétence de la Cour a été contes-
tée dans des litiges à peu près semblables, la
demanderesse a introduit cette requête à la
demande de la Cour pour vérifier si celle-ci est
compétente pour se prononcer sur la question
précitée.
La compétence de la Cour fédérale du Canada,
comme celle de la Cour de l'Échiquier du Canada
qui l'a précédée, provient de dispositions statutai-
res. La Cour n'a pas de compétence propre. Elle a
été créée par la Loi sur la Cour fédérale, en vertu
du pouvoir conféré par l'article 101 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, chapitre 1
des Statuts du Canada 1970-71-72, ou chapitre 10
du 2' Supplément des Statuts revisés du Canada
1970. La compétence peut être conférée à la Cour
par d'autres lois du Parlement, mais, d'une façon
générale, cette compétence découle des articles 17
à 30 de la Loi sur la Cour fédérale, et nous avons
surtout à tenir compte ici du paragraphe (4)a) de
l'article 17, dont voici le libellé:
17....
(4) La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance
a) dans les procédures d'ordre civil dans lesquelles la Cou-
ronne ou le procureur général du Canada demande redresse-
ment; .. .
La présente requête a été introduite en vertu de
la Règle 474 de la Cour fédérale, d'après laquelle
la Cour pourra, sur demande, si elle juge opportun
de le faire, statuer sur un point de droit qui peut
être pertinent pour la décision d'une question. La
défenderesse n'a pas fait opposition à la requête.
En fait, son avocat, dans une lettre écrite à celui de
la demanderesse, a indiqué qu'il était d'accord
avec l'allégation de celle-ci voulant que la Cour
soit compétente en l'espèce et a ajouté qu'il ne
pourrait pas comparaître à l'audience. Il n'a en
effet pas comparu. Il n'y a donc aucun litige entre
les parties quant à la question de compétence.
Cependant, la Cour elle-même désire voir sa
compétence déterminée. La demanderesse désire
aussi obtenir une décision sur ce point, surtout à
cause des conséquences étendues qu'un jugement
concluant à l'incompétence aurait sur le procès
intenté par la Commission canadienne du blé. Une
décision en cette matière purement juridique
devrait accélérer le présent procès et fournir des
directives à la Commission sur la marche à suivre
dans les causes pendantes et celles à venir. Pour
ces motifs, je juge convenable d'entendre la
demande, quoique je doute que l'ensemble de la
procédure dans la présente action en soit
raccourcie.
Les faits peuvent être brièvement résumés. La
Commission canadienne du blé, qui, pour toutes
fins utiles, est mandataire de la demanderesse,
était porteuse d'un récépissé d'élévateur terminus
délivré par la défenderesse et par d'autres exploi-
tants desdits élévateurs à Thunder Bay. Le 19
septembre 1975, elle a donné des instructions écri-
tes à son agent la Lake Shippers' Clearance Asso
ciation, pour le chargement à bord du navire
Frankcliffe Hall à Thunder Bay, de 935,000 bois-
seaux de blé à expédier à la Commission à Mont-
réal ou à quelque autre port le long du Saint-Lau-
rent, aux fins d'exportation. De ces 935,000
boisseaux, 594,000, de classe n° 3 Canada Utility,
font l'objet de la présente action. La Commission a
autorisé son agent susmentionné à remettre à la
défenderesse et à d'autres élévateurs terminus à
Thunder Bay, des récépissés d'élévateurs dûment
endossés pour les classes et quantités de blé y
spécifiées, y compris la quantité indiquée de la
classe n° 3 Canada Utility.
Lesdites instructions ont été exécutées. La
défenderesse et deux autres exploitants d'éléva-
teurs terminus ont chargé, dans quatre comparti-
ments du navires, un total de 593,978.4 boisseaux
de blé soi-disant de classe n° 3 Canada Utility.
D'après un contrôle d'échantillons prélevés pen
dant le chargement, on a trouvé que le blé livré par
l'élévateur terminus n° 8 de la défenderesse aux
compartiments 5 et 6, était rouillé et infesté de
larves d'insectes. Il s'agit de blé infesté au sens de
la Loi sur les grains du Canada (article 2(20)).
La Commission canadienne des grains a ordonné
à la Commission canadienne du blé de faire
décharger le blé des compartiments n°S 5 et 6 et de
le faire traiter par fumigation et de procéder au
nettoyage et à la fumigation desdits comparti-
ments. La Commission canadienne du blé a payé
les frais d'exécution de cet ordre, y compris ceux
occasionnés par presque sept jours de retard du
navire à cause de ces opérations, le tout se montant
à $98,261.55. La présente action a été intentée aux
fins de recouvrer cette somme à titre de domma-
ges-intérêts, la Loi sur les grains du Canada four-
nissant le seul fondement de la réclamation.
Aucune réclamation n'a été faite relativement à la
négligence.
Des questions se sont posées devant cette cour
dans plusieurs affaires, tout particulièrement
durant les années récentes, en ce qui concerne
l'étendue du pouvoir du Parlement de conférer
compétence à la Cour qu'il a créée en vertu de
l'article 101 de l'Acte de l'A.N.B. Avant d'exami-
ner quelques-unes de ces affaires, il est utile de
reproduire ci-après le libellé de l'article 101:
101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute dis
position contraire énoncée dans le présent acte, lorsque l'occa-
sion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, mainte-
nir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et
établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administra
tion des lois du Canada.
J'examinerai tout d'abord l'arrêt Consolidated
Distilleries Limited c. Le Roi [1932] R.C.S. 419;
[1933] A.C. 508. Les dispositions législatives
applicables dans cette affaire constituaient alors
l'article 30d) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier,
[voir S.R.C. 1970, c. E-11, art. 29d)] semblable au
fond au présent article 17(4)a) de la Loi sur la
Cour fédérale:
29. La Cour a compétence concurrente au Canada, en pre-
mière instance,
d) dans toutes autres actions et poursuites d'ordre civil, en
common law ou en equity, dans lesquelles la Couronne est
demanderesse ou requérante.
Dans Consolidated Distilleries, on réclame le
montant des obligations données par les appelantes
à la Couronne relativement à l'exportation de spi-
ritueux. Le juge en chef Anglin s'est ainsi pro-
noncé à la page 421, dans la décision rendue par la
Cour suprême:
[TRADUCTION] Si l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique n'habilite pas le Dominion à conférer à une
cour qu'il a établie pour assurer «la meilleure exécution des lois
du Canada» la compétence d'entendre et de juger de telles
demandes, je ne vois pas quel pourrait être l'objet dudit article.
A mon avis, il ne fait aucun doute que le Parlement du
Dominion entendait conférer une telle compétence à la Cour de
l'Échiquier, probablement en vertu de l'al. a) de l'art. 30 de la
Loi sur la Cour de l'Échiquier, sinon, certainement clairement
en vertu de l'al. d) du même article.
Le juge Duff s'est ainsi prononcé à la page 422:
[TRADUCTION] Il me semble évident que le Parlement du
Canada, en vertu des pouvoirs que lui confère l'article 101 de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, peut accorder à la
Cour de l'Échiquier la compétence pour juger des actions
comme celles-ci. Je ne doute pas qu'interprétée correctement,
l'expression «la meilleure exécution des lois du Canada» com-
prend notamment l'exécution d'une obligation contractée con-
formément aux dispositions d'une loi de ce Parlement ou d'un
règlement ayant force de loi. Je ne crois pas la question
susceptible de longue discussion, aussi m'en tiendrai-je à ce que
j'ai dit.
En ce qui concerne la compétence de la Cour de l'Échiquier,
dans la mesure où elle dépend de l'interprétation de la Loi sur
la Cour de l'Échiquier, on peut avancer que ces affaires ne
relèvent pas des cas prévus à l'alinéa A de l'article 30; cela n'a
toutefois aucune importance car ils sont clairement couverts
par l'alinéa D.
Sur appel interjeté contre cette décision, lord
Russell of Killowen a rendu le jugement du Con-
seil privé. Après avoir évoqué le pouvoir du Parle-
ment d'établir des tribunaux en vertu de l'article
101 de l'Acte de l'A.N.B., il s'est ainsi prononcé à
la page 520:
[TRADUCTION] Dans l'exercice de ce pouvoir, la Cour de
l'Échiquier du Canada a été établie en 1875. Les appelants,
dans leur plaidoyer devant le Conseil, ont reconnu (à juste titre,
selon leurs Seigneuries) que le Parlement du Canada pouvait,
dans l'exercice du pouvoir conféré par l'art. 101, donner à la
Cour de l'Échiquier compétence pour entendre et juger des
actions visant à faire sanctionner la responsabilité du signataire
d'un cautionnement fait en faveur de la Couronne en vertu
d'une loi fiscale adoptée par le Parlement du Canada. La
question de compétence se résout ainsi en la question de savoir
si la Loi sur la Cour de l'Échiquier est censée conférer la
compétence nécessaire.
Et il a ainsi continué aux pages 521 et 522:
[TRADucTtoN] Leurs Seigneuries voudraient éviter d'expri-
mer des opinions générales sur l'étendue de la compétence
conférée par l'art. 30, préférant s'en tenir à ce qui est nécessaire
au règlement du litige. Il faut juger chaque cas en fonction des
faits et des circonstances qui lui sont particuliers. En l'espèce
leurs Seigneuries se rendent compte qu'il peut exister une
difficulté en ce qui concerne l'al. a). Bien que ces actions soient
assurément des .(cas se rattachant au revenu» on pourrait
peut-être dire qu'il ne s'agit pas d'appliquer une loi du Canada.
Cependant leurs Seigneuries ont conclu que ces actions relèvent
de l'al. d). On a avancé qu'interprété de façon littérale, sans
aucune restriction, cet alinéa autoriserait la Couronne à pour-
suivre devant la Cour de l'Échiquier et à soumettre à la
compétence de la Cour les défendeurs dans toute cause d'ac-
tion, et qu'une telle disposition serait ultra vires du Parlement
du Canada parce qu'elle ne relèverait pas des pouvoirs conférés
par l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Toutefois, leurs Seigneuries estiment que, vu son contexte, on
ne peut considérer l'al. d) comme exempt de toutes restrictions.
Elles pensent qu'étant donné les dispositions des trois alinéas
précédents, les actions et poursuites envisagées à l'al. d) se
limitent à des actions portant sur des matières ressortissant au
pouvoir législatif du Dominion. Interprété de cette façon, l'ali-
néa en question ne serait pas ultra vires, et il semble à leurs
Seigneuries que les présentes actions entrent dans son domaine
d'application. En conséquence, la Cour de l'Échiquier avait
compétence en l'espèce.
En conséquence de ce jugement du Conseil
privé, si la compétence conférée par le Parlement à
un tribunal par lui établi en vertu de l'article 101
est relative à une matière pour laquelle le Parle-
ment a compétence législative, la compétence judi-
ciaire ainsi conférée est valable. Cette décision
n'avait jamais été renversée, tant qu'on pouvait
interjeter appel devant le Conseil privé. Mais ce
recours est depuis longtemps aboli, et, dans ses
décisions récentes, la Cour suprême du Canada (le
tribunal d'appel le plus élevé au Canada) a inter-
prété de façon plus stricte l'effet de l'article 101 de
l'Acte de l'A.N.B., ainsi que la compétence confé-
rée, en vertu dudit acte, par les articles 17(4)a) et
23 de la Loi sur la Cour fédérale.
Le premier de ces arrêts récemment rendus est
Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Paci-
fique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054.
Il s'agissait, dans cette affaire, de déterminer si
l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale a
valablement donné compétence pour connaître
d'une action entre sujets pour rupture d'un contrat
ayant trait à des travaux et des entreprises débor-
dant les limites d'une province. La Cour suprême
au complet (neuf juges) a entendu l'appel et le
juge en chef Laskin en a rendu la décision una-
nime. Faisant allusion à l'arrêt Consolidated Dis
tilleries, le savant juge en chef s'est ainsi exprimé
à la page 1063:
Toutefois, on insiste sur ce qu'a dit le Conseil privé sur
l'application de l'art. 30d) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier,
qui donne compétence à la Cour de l'Échiquier en matière
d'actions d'ordre civil dans lesquelles la Couronne est demande-
resse ou requérante. Je ne considère pas que sa déclaration
selon laquelle [TRADUCTION] «les actions ... envisagées à l'al.
d) se limitent à des actions portant sur des matières ressortis-
sant au pouvoir législatif du Dominion» fasse plus qu'exprimer
une restriction quant à l'étendue des domaines à l'égard des-
quels la Couronne du chef du Canada peut intenter une action
comme demanderesse devant la Cour de l'Échiquier. La Cou-
ronne devrait de toute façon fonder son action sur une loi qui
serait fédérale aux termes de cette restriction.
Et voici le dernier paragraphe du jugement, aux
pages 1065-66:
Il convient également de souligner que l'art. 101 ne traite pas
de la création des tribunaux pour connaître des sujets relevant
de la compétence législative fédérale, mais «pour assurer la
meilleure exécution des lois du Canada». Le terme «exécution»
est aussi significatif que le mot pluriel «lois». A mon avis, ils
supposent tous deux l'existence d'une législation fédérale appli
cable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law,
comme dans le cas de la Couronne, sur lesquels la Cour
fédérale peut fonder sa compétence. L'article 23 exige que la
demande de redressement soit faite en vertu de pareille loi.
Cette exigence n'étant pas remplie en l'espèce, j'accueille le
pourvoi, j'infirme les jugements des tribunaux d'instance infé-
rieure et je déclare que la Cour fédérale n'a pas compétence
pour connaître des réclamations des intimées. Les appelantes
ont droit à leurs dépens devant tous les tribunaux.
La Cour a subséquemment rendu l'arrêt
McNamara Construction (Western) Ltd. c. La
Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
Cette action porte sur un contrat conclu entre la
Couronne du chef du Canada et une compagnie,
pour la construction d'un établissement pour
jeunes délinquants dans l'Alberta. La Couronne a
intenté des poursuites contre la compagnie, les
architectes et les ingénieurs pour dommages-inté-
rêts résultant d'une rupture de contrat. La ques
tion préalable consistait à déterminer si la Cour
fédérale était compétente en vertu de l'article
17(4)a) de la Loi sur la Cour fédérale pour con-
naître de cette affaire.
L'appel interjeté devant la Cour suprême a été
entendu par la même cour siégeant au complet que
celle ayant jugé l'affaire Quebec North Shore, et,
encore une fois, la Cour a rendu un jugement
unanime par la voix du juge en chef Laskin.
Voici un extrait des pages 658 et 659:
Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur
un domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale.
Comme l'a indiqué cette Cour dans l'arrêt Quebec North Shore
Paper Company, la compétence judiciaire en vertu de l'art. 101
ne recouvre pas le même domaine que la compétence législative
fédérale. Il s'ensuit qu'il ne suffit pas que la compétence
exclusive du Parlement s'exerce dans les domaines de «la dette
et la propriété publiques» en vertu de l'art. 91(1A) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique et à l'égard de «l'établisse-
ment, du maintien, et de l'administration des pénitenciers» en
vertu de l'art. 91(28) et que l'objet du contrat de construction
en l'espèce puisse relever de l'un ou l'autre de ces domaines
législatifs, ou des deux, pour fonder la compétence de la Cour
fédérale à l'égard de la présente action en dommages-intérêts.
Le savant juge en chef a ainsi continué aux
pages 659 et 660:
Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company, cette Cour a
souligné au sujet de cette disposition que pour traduire des
personnes devant la Cour de l'Échiquier, la Couronne du chef
du Canada doit au préalable établir que son action relève de la
législation fédérale applicable, que ce soit une loi, un règlement
ou la common law.
Il ne s'agit donc pas de décider en l'espèce si la demande de
redressement de la Couronne relève d'un domaine de compé-
tence législative fédérale, mais de déterminer si elle est fondée
sur la législation fédérale applicable. Je ne pense pas que, pris
littéralement, le par. 17(4), qui vise à habiliter la Cour fédérale
à connaître de tout genre d'action d'ordre civil du seul fait que
la Couronne du chef du Canada fait une réclamation à titre de
demanderesse, constitue une législation fédérale valide en vertu
de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. La
règle de common law selon laquelle la Couronne peut poursui-
vre devant tout tribunal ayant compétence dans le domaine
pertinent, élaborée dans le régime unitaire anglais, ne peut
s'appliquer intégralement au Canada, un état fédéral, où les
pouvoirs législatifs et exécutifs sont répartis entre les législatu-
res et gouvernements centraux et provinciaux et où, en outre, le
pouvoir du Parlement d'établir des tribunaux est limité par la
Constitution.
Et à la page 662:
Il reste donc à déterminer, quant à la question de la compé-
tence, s'il existe une législation fédérale applicable aux présents
pourvois qui donne à la Cour fédérale compétence pour connaî-
tre de l'action de la Couronne concernant la demande de
dommages-intérêts et la réclamation fondée sur le cautionne-
ment.
Le juge en chef a ensuite déclaré que le fait que
la Couronne soit partie à un contrat relativement
auquel elle engage des poursuites à titre de deman-
deresse ne suffit pas à satisfaire les exigences de la
législation fédérale applicable, puis il s'est ainsi
prononcé [à la page 662]:
La situation est différente si la responsabilité de la Couronne
est en cause car il existe des règles de common law en matière
de responsabilité contractuelle et de non-responsabilité délic-
tuelle de la Couronne, règles cependant considérablement
modifiées par la législation. Lorsqu'il ne s'agit pas de la respon-
sabilité de la Couronne mais de celle de l'autre partie à un
contrat bilatéral, la situation n'est plus la même quant au droit
de la Couronne d'obliger cette personne à agir en défense dans
une action intentée en Cour fédérale.
Dans l'arrêt McNamara, il y avait aussi une
réclamation subsidiaire faite par la Couronne
contre une compagnie d'assurance à propos d'un
cautionnement que cette dernière lui avait remis
en garantie des obligations de la compagnie en
vertu du contrat de construction. En ce qui con-
cerne cette réclamation subsidiaire, la Cour
suprême a déclaré ce qui suit à la page 663:
Le raisonnement s'applique à la réclamation de la Couronne
fondée sur le cautionnement tout comme à sa demande de
dommages-intérêts contre McNamara. On a plaidé qu'il exis-
tait une différence parce que (1) le par. 16(1) de la Loi sur les
travaux publics, maintenant S.R.C. 1970, c. P-38, oblige le
ministre responsable à obtenir une garantie suffisante de l'exé-
cution régulière d'un contrat visant les travaux publics et que
(2) l'arrêt Consolidated Distilleries c. Le Roi, précité, fait
jurisprudence sur le droit de la Couronne d'invoquer la compé-
tence de la Cour fédérale lorsqu'elle intente une action fondée
sur un cautionnement. Aucun de ces arguments n'améliore la
situation de la Couronne. Le paragraphe 16(1) de la Loi sur les
travaux publics formule une exigence administrative, la néces-
sité d'une garantie, mais reste muet sur le droit régissant
l'exécution de la garantie. L'arrêt Consolidated Distilleries
porte sur une action fondée sur un cautionnement fourni en
conformité d'une loi fédérale, la Loi du Revenu de l'intérieur,
et, comme l'a souligné le Conseil privé [TRADUCTION] »l'objet
des actions découlait directement d'une loi du Parlement por-
tant sur l'accise» (voir [1933] A.C. 508 la p. 521).
La Cour a conclu qu'il n'existait aucune loi
fédérale susceptible d'étayer l'action de la Cou-
ronne.
D'autres cas ont été soumis à la Division de
première instance de la Cour au printemps de
1977 et ont été jugés par le juge Cattanach en mai
de la même année. Il s'agit des affaires:
La Reine c. Rhine [1978] 1 C.F. 356 et La
Reine c. Prytula [1978] 1 C.F. 198.
Dans les deux cas, le juge Cattanach a conclu
qu'aucune loi fédérale ne fondait la compétence de
la Cour fédérale. Les deux actions ont été rejetées.
L'avocat de la Couronne dans la présente affaire a
déclaré qu'il avait été fait appel des deux décisions.
De l'avis du juge Cattanach, les éléments à exami
ner dans les deux cas étaient les mêmes que ceux
examinés dans McNamara. En ce qui concerne la
jurisprudence établie par la décision McNamara, il
s'est ainsi prononcé à la page 203 de Prytula:
J'interprète l'arrêt McNamara comme disant que, pour que
la Cour fédérale soit compétente, il faut qu'il existe une loi
fédérale applicable que l'on puisse invoquer à l'appui de la
procédure engagée et que cette dernière le soit sur le «fonde-
ment» de cette loi. Il ne suffit pas que la Couronne soit partie à
un contrat en vertu duquel elle poursuit à titre de
demanderesse.
L'avocat de la demanderesse dans sa lettre du 13 avril 1977,
fait valoir que l'action de celle-ci se fonde sur la Loi canadienne
sur les prêts aux étudiants et le paragraphe 21(1) de son
règlement d'application. Je ne mets nullement en doute le fait
que cette loi-là est une loi fédérale; ce que je n'accepte pas, c'est
la prétention voulant que l'action soit engagée sur le «fonde-
ment» de cette loi au sens où le juge en chef emploie ce terme
dans l'affaire McNamara.
Il a ainsi continué [aux pages 203 et 204]:
Il est vrai que le Ministre est subrogé dans les droits de la
banque en cas de prêt non remboursé dont il doit indemniser
celle-ci mais cette subrogation ne donne pas au Ministre des
droits différents de ceux dont jouissait la banque.
La déclaration montre clairement que la demanderesse fonde
son action sur l'inexécution de l'accord contracté par la banque
et l'étudiante, accord pour l'exécution duquel la demanderesse
est subrogée.
Il ne suffit pas que la responsabilité découle d'une loi et de
ses règlements d'application.
Certes, la Loi autorise la banque à prêter aux étudiants,
prévoit les modalités du prêt, dont le remboursement est garanti
par le Ministre qui, s'il dédommage la banque d'une perte
quelconque, est alors subrogé dans les droits de celle-ci; mais la
Loi, en elle-même, n'impose aucune responsabilité et il n'en
existe aucune si l'on excepte celle de l'emprunteur, laquelle
découle non de la Loi, mais de son obligation contractuelle de
rembourser le prêt. La responsabilité est fondée sur l'accord et
l'action sur la violation dudit accord, non sur une disposition de
la loi comme c'est le cas pour la Loi de l'impôt sur le revenu, la
législation en matière de douanes et d'accise et d'autres lois
fédérales semblables.
On peut critiquer le juge Cattanach d'avoir cru
nécessaire d'aller plus loin, dans l'interprétation
des conséquences de l'article 101 de l'Acte de
l'A.N.B. et de l'article 17(4)a) de la Loi sur la
Cour fédérale, que la Cour suprême du Canada
n'était allée dans ses arrêts Quebec North Shore
Paper et McNamara et d'avoir interprété la com-
pétence de la Cour fédérale de façon encore plus
restrictive que le juge en chef Laskin ne l'avait
fait. Dans l'examen de la loi applicable à la pré-
sente affaire, je me laisserai guider par les arrêts
rendus par la Cour suprême dans les deux cas
précités. La Cour a conclu qu'en vertu de l'article
101 de l'Acte de l'A.N.B., l'existence d'une loi
fédérale applicable constitue une condition préala-
ble à l'exercice de la compétence de la Cour
fédérale, que l'on invoque une loi écrite, un règle-
ment ou la common law à l'appui de la compétence
de la Cour dans tout procès par elle jugé.
Il s'agit donc de savoir s'il existe une loi fédérale
applicable. Il faut la trouver dans la Loi sur les
grains du Canada, S.C. 1970-71-72, c. 7 et le
Règlement y relatif. En l'espèce, le litige consiste à
déterminer la responsabilité de l'exploitant de
l'élévateur. L'article 61(1) de la Loi définit le
devoir d'un exploitant lorsqu'il livre du grain
déchargé de son élévateur. En voici le libellé:
61. (1) Lorsque le détenteur d'un récépissé d'élévateur pour
du grain, délivré par l'exploitant d'un élévateur terminus auto-
risé ou d'un élévateur de transbordement autorisé, qui peut
légalement livrer le grain mentionné dans le récépissé à un
autre élévateur ou à un destinataire à une adresse autre qu'un
élévateur
a) demande que le grain soit expédié,
b) fait placer le long de l'élévateur pour transporter le grain,
un moyen de transport qui peut recevoir le grain déchargé de
l'élévateur et auquel le grain peut légalement être livré, et
c) rend le récépissé d'élévateur et paie les frais dus, en vertu
de la présente loi pour le grain mentionné dans le récépissé,
l'exploitant de l'élévateur doit, sous réserve du paragraphe (7)
de l'article 70, immédiatement décharger dans le moyen de
transport le grain exigé dans le récépissé rendu ou la même
quantité de grain du même genre et de la même classe.
Je remarque qu'après avoir rendu le récépissé
d'élévateur et payé les frais dus, l'exploitant est
requis de décharger dans le moyen de transport
(en l'espèce, un navire déterminé) le grain de la
quantité, du genre et de la classe mêmes exigés
dans le récépissé.
Je remarque aussi que le récépissé d'élévateur,
qui est fait d'après une formule prescrite par le
Règlement édicté en vertu de la Loi, est-défini au
paragraphe (11) de l'article 2 (article d'interpréta-
tion) comme désignant
2....
... un document établi en la forme prescrite, pour du grain
livré à un élévateur, constatant la réception du grain et, sous
réserve de toutes conditions énoncées dans le document ou
prévues par la présente loi, donnant au détenteur du document
a) le droit à la livraison du genre, de la classe et de la
quantité de grain mentionnés dans le document, ou,
Je remarque un autre point au sujet du récépissé
d'élévateur. En vertu de l'article 93(1), le récépissé
d'élévateur et les droits en découlant peuvent être
transférés de détenteur à détenteur par endosse-
ment et remise du document au bénéficiaire.
En l'espèce, le blé effectivement livré à bord du
Frankcliffe Hall, et à propos duquel la présente
action a été intentée, était rouillé et infesté de
larves d'insectes.
Suivant la définition donnée au paragraphe (20)
de l'article 2, «infesté» signifie contenant des insec-
tes ou vermines nuisibles, nocifs ou gênants.
J'examine ensuite l'article 86 dont voici en
partie le libellé:
86. L'exploitant d'un élévateur autorisé ne doit pas
c) sauf en vertu des règlements ou d'un arrêté de la Commis
sion, recevoir dans l'élévateur ou en décharger du grain, des
produits à base de grain ou des criblures qui sont infestés ou
souillés ou qui peuvent raisonnablement être considérés
comme infestés ou souillés;
Et voici en partie le libellé de l'article 100:
100. La Commission peut prendre des arrêtés
d) ordonnant la saisie du grain infesté ou souillé ou exigeant
que l'exploitant d'un élévateur traite le grain infesté ou
souillé ou en dispose d'une façon approuvée par la
Commission;
Enfin l'ordonnance requérant la Commission
canadienne du blé de faire décharger les comparti-
ments n°' 5 et 6, et de faire traiter par fumigation
le grain y contenu, outre de faire procéder au
nettoyage et à la fumigation desdits comparti-
ments, et dont l'exécution a coûté un total de
$98,261.55 réclamé dans la présente action, a été
édictée par la Commission canadienne des grains
en vertu de l'autorité à elle conférée par la Loi ou
en vertu de la Loi.
En conséquence des dispositions précitées de la
Loi sur les grains du Canada, pratiquement tout
ce qui concerne les droits du détenteur d'un récé-
pissé d'élévateur, les obligations de l'exploitant de
l'élévateur, l'interdiction de livrer du grain infesté
à partir de l'élévateur et ce qu'il faut faire avec le
grain infesté trouvé dans un élévateur ou dans un
navire, est déterminé par des dispositions spécifi-
ques de la Loi sur les grains du Canada. En outre,
en vertu du paragraphe (2) de l'article 89, lequel
traite des sanctions en général, amendes et(ou)
peine d'emprisonnement peuvent être évoquées
pour obtenir un déchargement des grains infestés
de l'élévateur, au moins lorsque le déchargement
est fait en connaissance de cause. Voici le com
mencement dudit paragraphe:
89....
(2) Quiconque contrevient ou omet de se conformer à une
disposition de la présente loi, autre que l'article 59 [dont la
violation entraîne des peines plus fortes], ou à une disposition
des règlements ou d'un arrêté de la Commission, autre qu'un
arrêté portant ... répartition de perte, est coupable d'une
infraction et ....
Le reste du paragraphe énonce les sanctions qui
peuvent être évoquées.
La seule matière pertinente qui n'ait pas été
traitée par la Loi est celle des recours civils à la
disposition des personnes subissant des pertes ou
dommages par suite de la violation par l'exploitant
d'un élévateur d'obligations imposées par la Loi
sur les grains du Canada. Toute personne allé-
guant des préjudices à la suite d'une violation, et
tel est, en l'espèce, le cas de la demanderesse
agissant par l'intermédiaire de son agent la Com
mission canadienne du blé, n'a d'autre recours
qu'une action en dommages-intérêts fondée sur la
common law.
Je souligne qu'en l'espèce le litige consiste à
déterminer la responsabilité d'un exploitant d'élé-
vateur, en vertu de la Loi sur les grains du
Canada. Il ne faut pas confondre ce cas avec celui
de négligence (en l'espèce, la demanderesse ne l'a
pas alléguée); et, à mon avis, aux fins de détermi-
ner la compétence de la Cour fédérale, il ne faut
pas non plus confondre ce cas avec celui où le litige
provient d'une rupture de contrat entre personnes.
Sur le caractère particulier des droits statutaires, il
est utile de citer l'avis de lord Wright, de la
Chambre des Lords, dans London Passenger
Transport Board c. Upson [1949] 1 All E.R. 60, à
la page 67:
[TRADUCTION] Je pense que les autorités comme les arrêts
Caswell (Caswell c. Powell Duffryn Associated Collieries, Ltd.
[1939] 3 All E.R. 722), Lewis c. Denye ([1940] 3 All E.R. 299)
et Sparks (Sparks c. Edward Ash, Ltd. [1943] 1 All E.R. 1)
indiquent clairement qu'une action en dommages-intérêts pour
violation de droits statutaires qui protègent toute personne se
trouvant dans la situation du demandeur, est un droit spécifique
dérivé de la common law et qu'il ne faut pas confondre, au
fond, avec une action fondée sur la négligence. Le droit statu-
taire prend son origine dans la loi, mais le recours spécifique
que constitue une action en dommages-intérêts est reconnu par
la common law afin de rendre effectif, au profit du demandeur
ayant subi un préjudice, son droit d'exiger que le défendeur
exécute son devoir statutaire. Cette sanction est efficace. Il ne
s'agit pas d'une action fondée sur la négligence au sens restreint
ou ordinaire.
A mon avis, la présente espèce relève exacte-
ment de la jurisprudence établie par le Conseil
privé dans Consolidated Distilleries (supra) telle
qu'elle a été interprétée et modifiée par la Cour
suprême dans les arrêts Quebec North Shore
Paper et McNamara. Je ne crois pas que la Cour
suprême ait voulu dire par l'avis du juge en chef
exprimé dans les arrêts précités, qu'à cause des
circonstances et des dispositions statutaires en
vigueur, la présente espèce ne relèverait pas de la
compétence de la Cour fédérale du Canada. A
mon avis, l'article 17(4)a) de la Loi sur la Cour
fédérale, tel qu'il a été interprété dans les cas
précités, confère effectivement compétence à cette
cour. Tout autre point de vue consisterait à soute-
nir que ledit alinéa n'a aucun effet valable, et la
Cour suprême n'a pas endossé cette thèse.
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