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77-T-610
Régis Tardif (Requérant) (Plaignant)
c.
Verreault Navigation Inc. (Intimée)
Division de première instance, le juge Marceau Montréal, le 15 août; Ottawa, le 23 août 1977.
Pratique Demande faite en vue d'obtenir la permission de déposer une ordonnance du Conseil canadien des relations du travail conformément à l'article 123 du Code canadien du travail L'affidavit produit pour soutenir la demande n'éta- blit pas de façon claire et directe le défaut ou le refus de l'intimée d'obtempérer à l'ordonnance Ordonnance trop vague et imprécise pour être susceptible d'exécution Exi- gences de la Règle 332 non satisfaites Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 123 Règle 332 de la Cour fédérale.
Il s'agit d'une demande faite en vue d'obtenir la permission de déposer à la Cour une ordonnance du Conseil canadien des relations du travail, conformément à l'article 123 du Code canadien du travail.
Arrêt: la demande est rejetée. L'affidavit produit pour soute- nir la demande ne satisfait pas aux exigences de la Règle 332. Il n'établit pas de façon claire et directe le défaut ou le refus de l'intimée d'obtempérer à l'ordre contenu dans l'ordonnance que l'on veut déposer. L'ordonnance du Conseil est trop vague, incertaine, imprécise et ambiguë pour être susceptible d'exécu- tion forcée. Pour se voir attribuer la force et la portée d'un jugement de cette cour, l'ordonnance doit être complétée, préci- sée et exprimée en termes non discutables ou équivoques.
Arrêt suivi: International Association of Longshoremen, Local 375 c. Association of Maritime Employers (1975) 52 D.L.R. (3 e ) 293. Arrêt suivi: Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 529 c. Central Broadcasting Co. Ltd. [1977] 2 C.F. 78.
DEMANDE. AVOCATS:
J. Déry pour le plaignant. R. Chartier pour l'intimée.
PROCUREURS:
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour le plaignant.
Langlois, Drouin, Roy, Fréchette & Gau- dreau, Québec, pour l'intimée.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE MARCEAU: Il s'agit ici d'une demande faite en vue d'obtenir permission de déposer à cette cour pour y être enregistrée, une ordonnance du
Conseil canadien des relations du travail, rendue le 15 juillet 1977. La demande est faite en confor- mité des dispositions de l'article 123 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18, aux termes duquel:
123. (1) Lorsqu'une personne, un employeur, une associa tion patronale, un syndicat, un conseil de syndicats ou un employé a omis de se conformer à une ordonnance ou une décision du Conseil, toute personne ou association concernée par l'ordonnance ou la décision peut, passé un délai de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la décision ou de la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du dispositif de l'ordonnance ou de la décision.
(2) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué en vertu du paragraphe (1), une ordonnance ou une décision du Conseil doit être enregistrée à la Cour et cet enregistrement lui confère la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement émanant de cette Cour, et, sous réserve de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, toutes les procédures lui faisant suite peuvent dès lors être engagées en conséquence.
Au soutien de la demande est produit l'affidavit de l'un des procureurs du requérant (qui dans l'intitulé est décrit comme «plaignant», sans doute parce que tel était son titre devant le Conseil canadien du travail). Une lecture des allégués de cet affidavit permettra tout à la fois de situer dès maintenant certains faits tout en facilitant la dis cussion que j'entends poursuivre. Le procureur du plaignant expose dans cet affidavit:
(1) Je suis l'un des procureurs du plaignant;
(2) Le plaignant a déposé une plainte auprès du Conseil Cana- dien des Relations du Travail en vertu de l'article 187(1) du Code Canadien du Travail (Partie V—Relations Industrielles) alléguant une violation des dispositions de l'article 184(3)(a)(i) dudit Code à savoir que l'employeur-intimée a refusé d'embau- cher le plaignant à cause du fait que ce dernier est devenu membre du Syndicat International des Marins Canadiens;
(3) Suite à une audition qui a eu lieu du 21 au 23 juin 1977, le Conseil Canadien des Relations du Travail a rendu une décision le 15 juillet 1977, en ordonnant, entre autres, la réintégration immédiate du plaignant dans le poste qu'il occupait à la fin de la saison maritime de 1976; une copie de l'ordonnance est annexée aux présentes comme pièce P-1;
(4) Nous sommes informés par monsieur André Bansept, un officier du Syndicat International des Marins Canadiens, et nous croyons que l'employeur-intimée persiste dans son refus de réengager le plaignant contrairement aux dispositions de ladite décision;
(5) Il y a lieu que cette décision soit déposée et enregistrée à la Cour Fédérale afin que cet enregistrement lui confère la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement émanant de cette Cour et que toutes les procédures lui faisant suite puissent dès lors être engagées en conséquence.
Reste, pour compléter l'exposé des faits, à repro- duire le dispositif de l'ordonnance que l'on veut déposer et enregistrer. Il se lit comme suit:
EN CONSÉQUENCE, le Conseil canadien des relations du travail, par les présentes,
(I) Ordonne, en vertu de l'article 189 du Code canadien du travail, que l'intimée, Verreault Navigation Inc., réintègre immédiatement Régis Tardif dans le poste qu'il occupait à la fin de la saison martime de 1976, sans perte de taux de salaire ni des droits et privilèges dont il aurait bénéficié n'eût été le défaut de l'intimée de se conformer aux dispositions du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles); et
(2) Avec le consentement des parties, réserve sa juridiction de déterminer le montant de l'indemnité exigible en vertu des dispositions de l'article 189(b)(ii) du Code canadien du travail au cas les parties ne pourraient en venir à une entente.
DONNE à Vancouver, ce 15e jour de juillet 1977, par le Conseil canadien des relations du travail.
Le Président,
(signé)
Marc Lapointe, c.r.
Les données de la situation sont maintenant claires; il faut l'analyser. La première démarche qui s'impose est celle de s'interroger sur la nature de la demande pour pouvoir définir le rôle que le tribunal est appelé à exercer à son égard. Deux décisions récentes de cette cour, décisions motivées longuement et avec soin, sont sur ce plan très précises et doivent, à mon avis, être suivies. Il s'agit d'une décision de mon collègue, le juge Walsh, dans l'affaire International Association of Longshoremen, Local 375 c. Association of Mari time Employers, décision rapportée à (1975) 52 D.L.R. (3 e ) 293, et d'une autre subséquente de mon collègue le juge Cattanach dans l'affaire Fra- ternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 529 c. Central Broadcasting Com pany Ltd. [1977] 2 C.F. 78.
La première conclusion qui se dégage de ces décisions est qu'une requête comme celle dont il s'agit ici ne saurait être considérée comme une requête incidente, ou de routine, qui aurait pour seul objet l'accomplissement d'une formalité. Les conséquences que la Loi attache au dépôt et à l'enregistrement d'une ordonnance, soit celles de lui conférer «la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement ... de cette Cour» sont trop lourdes et fondamentales pour qu'il en soit ainsi. La requête en est une de la nature d'une
requête introductive qui doit être faite et appuyée de la façon que, requièrent les règles de pratique de cette cour, parmi lesquelles se trouve celle de la Règle 332 qui exige que les faits attestés par affidavit se limitent à ceux dont l'affiant a eu personnellement connaissance.
La deuxième conclusion qui' se dégage des déci- sions ci-haut citées est que la Cour est tenue, face à une demande comme celle qui nous concerne ici, d'exercer un rôle précis. Sans doute, ne lui revient-il certes pas de vérifier le bien-fondé de l'ordonnance ou d'en modifier ou compléter les termes. Il lui revient en premier lieu de s'assurer qu'existent toutes les conditions préalables requises par la Loi pour donner lieu à dépôt et enregistre- ment, et tout d'abord qu'il y a eu défaut ou refus de la personne concernée d'obtempérer à l'ordre contenu dans l'ordonnance. Il lui revient ensuite de vérifier si l'ordonnance, telle qu'elle est formulée, est susceptible de se voir attribuer le même effet qu'un jugement de cette cour, et donner lieu par la suite aux mesures exécutoires et coercitives aux- quelles tout jugement de cette cour peut donner lieu.
Ces conclusions que j'ai dit avoir dégagées des décisions de mes collègues, et qui me semblent tout à fait rationnelles et évidentes, me forcent à juger non recevable la demande qui m'est présentement soumise. Il est clair que l'affidavit produit à son soutien ne rencontre pas les exigences de la Règle 332 des règles et ordonnances générales de cette cour et surtout n'établit pas de façon claire et directe le défaut ou le refus de l'intimée d'obtem- pérer à l'ordre contenu dans l'ordonnance que l'on veut déposer. Il est, à mon avis, tout aussi clair que l'ordonnance du Conseil—qui omet de préciser, sur le plan de sa mise en oeuvre dans la réalité, la délai de réintégration de l'employé et contient un «volet» (la deuxième partie des conclusions) qui reste con- ditionné à une entente et ouvert à réexamen,—est trop vague, incertaine, imprécise et ambiguë pour être susceptible d'exécution forcée. On notera que j'ai repris les mots mêmes utilisés par le juge Cattanach dans la décision ci-haut citée l'or- donnance que l'on cherchait, là, à enregistrer était libellée de même façon que celle dont il s'agit aujourd'hui. Je ne vois pas comment cette ordon- nance du Conseil canadien du travail peut se voir attribuer la force et la portée d'un jugement de
cette cour sans être d'abord complétée, précisée, et exprimée en termes non discutables ou équivoques.
Je n'ai pas d'autre choix que de refuser cette demande de dépôt et d'enregistrement. La requête sera donc rejetée. Étant donné les circonstances cependant, elle sera rejetée sans frais.
ORDONNANCE La requête est rejetée sans frais.
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