T-3143-77
Marie Yolene Germain et Wilson Germain
(Requérants)
c.
Guy Malouin et le ministre de la Main-d'oeuvre et
de l'Immigration (Intimés)
et
Le procureur général du Canada (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 24 octobre; Ottawa, le 31 octobre
1977.
Immigration — Brefs de prérogative — Mandamus — Père
parrainant l'admission, aux fins d'immigration, de sa fille
naturelle — Demande parrainée refusée — L'enfant naturel
d'un homme n'est compris ni dans la définition de «fille» ni
dans la définition de «fils» prévues par le Règlement — Y
a-t-il discrimination fondée sur le sexe contrairement à la
Déclaration canadienne des droits, ce qui rendrait ultra vires le
Règlement? — Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c.
44, art. 1 — Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 57
— Règlement sur l'immigration, Partie I, DORS/62-36, dans
sa forme modifiée par DORS/74-113, art. 2b)(i), 2b)(ii)(A).
Wilson Germain, un citoyen canadien, a parrainé ou désigné
sa fille naturelle en vertu de la demande de résidence perma-
nente présentée par cette dernière mais a été informé que
celle-ci ne pouvait être admise et que sa demande ne pouvait
être examinée à cause de son état d'enfant naturelle. Il s'agit en
l'espèce d'une requête pour l'émission d'un bref de mandamus
qui enjoindrait aux intimés d'examiner la demande de résidence
permanente de sa fille sans tenir compte de l'article 2b) _du
Règlement au motif, plaident les requérants, que cet article est
illégal et discriminatoire à l'égard de personnes de sexe mascu-
lin et à l'égard d'enfants naturels, contrairement à la Déclara-
tion canadienne des droits.
Arrêt: la requête est rejetée. C'est la requérante qui cherche
à être admise au Canada à titre d'immigrante reçue et bien
qu'il y ait discrimination entre une personne de sexe féminin
issue d'un mariage au sens de la loi et une autre possédant l'état
d'enfant naturelle par suite de la définition de «fille» donnée à
l'article 2b) du Règlement, il ne s'agit pas d'une discrimination
en raison du sexe contrairement à la Déclaration canadienne
des droits, ce qui rendrait le Règlement ultra vires. De plus,
cette discrimination ne prive pas l'enfant en cause du droit à
l'égalité devant la loi car celle-ci peut, malgré tout, être admise
à titre d'immigrante. Ce sont uniquement le père et la mère qui
sont traités de façon différente quant à leur droit de parrainer
ou de désigner un enfant en vue de son admission à titre
d'immigrant reçu. Enfin, il est très douteux que le bref de
mandamus soit la procédure appropriée à prendre plutôt qu'un
jugement déclaratoire.
Arrêt suivi: Prata c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration [1972] C.F. 1405, [1976] 1 R.C.S. 376.
Arrêt appliqué: Re Schmitz [ 1972] C.F. 1351. Arrêt appli-
qué: Le procureur général du Canada c. Bliss El 978] 1
C.F. 208. Arrêt appliqué: Ulin c. La Reine [1973] C.F.
319. Distinction faite avec l'arrêt: Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration c. Tsiafakis [1977] 2 C.F.
216. Arrêt examiné: Le procureur général du Canada c.
Lavell [1974] R.C.S. 1349.
DEMANDE.
AVOCATS:
Julius H. Grey pour les requérants.
Suzanne Marcoux-Paquette pour les intimés
et le mis-en-cause.
PROCUREURS:
Lazare & Altschuler, Montréal, pour les
requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés et le mis-en-cause.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une requête pour
l'émission d'un bref de mandamus qui enjoindrait
aux intimés d'examiner la demande de résidence
permanente de la requérante, Marie Yolene Ger-
main, sans tenir compte de l'article 2b) du Règle-
ment sur l'immigration, Partie l' au motif que cet
article est illégal et discriminatoire à l'égard de
personnes du sexe masculin et à l'égard d'enfants
naturels et ce, contrairement à la Déclaration
canadienne des droits 2 .
Les faits ne sont pas contestés. Le requérant,
Wilson Germain, n'a pas épousé la mère de sa fille,
la corequérante Marie Yolene Germain. Cette der-
nière a présenté, le 19 janvier 1976, une demande
de résidence permanente au Canada en tant que
personne à charge parrainée ou parent désigné,
conformément aux articles 31 et 33 du Règlement.
Le requérant, un citoyen canadien, s'est joint à la
demande en qualité de père de Marie Yolene
Germain. Il a toutefois été informé qu'en raison de
l'article 2b) du Règlement, sa fille ne pouvait être
admise et que la demande de cette dernière ne
pouvait être examinée parce qu'elle est une enfant
naturelle. Le bref de mandamus sollicité vise à
donner aux requérants le droit de faire examiner
ladite demande.
' DORS/62-36, dans sa forme modifiée par DORS/74-113.
2 S.C. 1960, c. 44.
L'article 2b) se lit comme suit:
2. Dans le présent règlement, l'expression
b) «fille» signifie une enfant
(i) issue d'un mariage au sens de la loi et qui posséderait
l'état d'enfant légitime si son père avait été domicilié dans
une province du Canada à l'époque de sa naissance,
(ii) née d'une femme qui
(A) a été admise au Canada aux fins d'une résidence
permanente, ou
(B) est admissible au Canada à titre d'immigrante et
accompagne ladite enfant au Canada aux fins d'une
résidence permanente; ou
(iii) adoptée;
Puisque les requérants ne contestent pas le fait
que la requérante n'est pas issue d'un mariage au
sens de la loi et qu'elle ne posséderait pas l'état
d'enfant légitime si son père avait été domicilié
dans une province du Canada à l'époque de sa
naissance, il s'ensuit qu'elle est inadmissible en
vertu de cet article, advenant que ledit article soit
valide et non ultra vires parce que discriminatoire,
comme le font valoir les requérants.
Le Règlement a été établi, comme il y a lieu de
croire, sous l'autorité de l'article 57 de la Loi sur
l'immigration' qui se lit comme suit:
57. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
pour la réalisation des fins et l'application des dispositions de la
présente loi et, sans restreindre la généralité de ce qui précède,
il peut établir des règlements concernant
a) les conditions auxquelles peuvent être admises au Canada
les personnes qui ont reçu une aide financière leur permet-
tant d'obtenir passage jusqu'au Canada ou les aidant à
obtenir l'admission au Canada;
b) les épreuves d'instruction, les examens médicaux et autres
et l'interdiction d'accorder, ou les restrictions selon lesquelles
peut être accordée, l'admission des personnes incapables de
subir ces épreuves ou examens;
c) les conditions et prescriptions relatives à la possession de
moyens de subsistance, ou de passeports, visas ou autres
documents portant sur l'admission;
d) l'admission au Canada de personnes qui y sont venues
autrement que par un voyage continu des pays dont ils sont
des ressortissants ou citoyens;
e) l'interdiction d'accorder, ou les restrictions selon lesquel-
les peut être accordée, l'admission de personnes amenées au
Canada par une compagnie de transport qui n'observe pas
quelque disposition de la présente loi, ou un règlement, une
ordonnance ou des instructions établis sous son régime;
f) l'interdiction d'accorder, ou les restrictions selon lesquelles
peut être accordée, l'admission des personnes qui sont ressor-
tissants ou citoyens d'un pays refusant de réadmettre ses
ressortissants ou citoyens visés par des ordonnances d'expul-
sion; et
3 S.R.C. 1970, c. 1-2.
g) l'interdiction d'accorder, ou les restrictions selon lesquel-
les peut être accordée, l'admission de personnes en raison
(i) de la nationalité, citoyenneté, groupe ethnique, occupa
tion, classe ou région géographique d'origine,
(ii) des coutumes, habitudes, modes de vie ou méthodes
particuliers de détention de biens,
(iii) d'inaptitude eu égard aux conditions ou exigences
climatiques, économiques, sociales, industrielles, éducati-
ves, ouvrières, sanitaires ou autres existant temporaire-
ment ou autrement au Canada ou dans la région ou le pays
d'où, ou par lequel ces personnes viennent au Canada, ou
(iv) de leur inaptitude probable à devenir facilement assi-
milées ou à assumer les devoirs et responsabilités de
citoyens canadiens dans un délai raisonnable après leur
admission.
On a allégué qu'une telle discrimination fondée sur
l'état légitime ou naturel d'une personne n'entre
dans le cadre d'aucun des sous-alinéas dudit arti
cle. S'il fallait justifier un tel sous-alinéa, il fau-
drait dire qu'il a été établi «pour la réalisation des
fins et l'application des dispositions de la présente
loi». La Loi ne donne aucune définition du terme
«fille»; seul le Règlement définit ce terme et c'est
en se fondant sur cette définition que les intimés
ont refusé d'examiner la demande de la requé-
rante.
De plus, on a plaidé que constitue une mesure
discriminatoire rendant l'article 2b)(i) du Règle-
ment nul, le fait que la requérante aurait été
admissible en vertu de l'article 2b)(ii)(A) du
Règlement et ce, malgré son état d'enfant natu-
relle, si elle avait sollicité son admission au
Canada en se fondant sur le fait que sa mère
n'avait été admise au Canada aux fins d'une rési-
dence permanente, alors qu'elle n'est pas admissi
ble, aux termes de l'article 2b)(i) du Règlement, à
cause de son état d'enfant naturelle puisque, en
l'espèce, c'est son père qui a été admis aux fins
d'une résidence permanente et qui s'est joint à elle
dans les procédures visant son admission. L'article
1 de la Déclaration canadienne des droits se lit
comme suit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de
la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de
ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
e) la liberté de réunion et d'association, et
J) la liberté de la presse.
Il convient de souligner que le terme «sexe» n'appa-
raît que dans la clause introductive et qu'aucun
autre alinéa ne serait applicable à l'exception peut-
être de l'alinéa b) qui traite du «droit de l'individu
à l'égalité devant la loi». On a plaidé que le
requérant est, aux termes de ce sous-alinéa, privé
de son droit à l'égalité devant la loi puisqu'il ne
jouit pas de droits identiques à ceux dont la mère
aurait bénéficié pour parrainer l'admission de sa
fille eût-elle été la personne résidant de façon
permanente au Canada.
L'avocat des intimés a fait valoir que cette
distinction était justifiée en ce sens que, si elle
n'existait pas, tout homme pourrait prétendre être
le père d'un fils ou d'une fille dont il désire parrai-
ner l'admission au Canada et il serait presque
impossible de réfuter cette prétention, alors que si
une femme se prétend la mère d'un enfant naturel,
il est possible de contrôler l'exactitude de sa pré-
tention. Bien que cette thèse puisse justifier l'appli-
cation, dans le Règlement, d'un régime différent,
elle ne suffirait pas toutefois à justifier le caractère
discriminatoire d'un règlement si l'on conclut que
ce règlement n'a pu être légalement établi. A ce
stade-ci des procédures, alors que la demande n'a
pas encore été étudiée au fond puisqu'elle a tout
simplement été rejetée par l'application de l'article
2b), il est impossible de dire si le requérant aurait
pu fournir une preuve à l'appui de sa paternité à
l'égard de sa fille, paternité qu'il aurait pu recon-
naître au moment de la naissance de cette der-
nière, par exemple, sur l'acte de naissance, de la
même manière que cela aurait constitué la preuve
normale présentée par une femme pour faire décla-
rer la filiation d'un enfant naturel.
Les parties sont d'accord sur deux points: pre-
mièrement, elles ne contestent pas la qualité de
corequérants du père et de la fille et deuxième-
ment, elles reconnaissent que même si 'le manda-
mus était accordé, le Ministre aurait encore le
droit de refuser l'admission de la requérante au
Canada pour d'autres motifs ou inversement, que
le refus d'accorder le mandamus n'empêcherait
pas la requérante de demander son admission à
titre d'immigrante en vertu d'autres articles du
Règlement.
Les deux parties ont cité une jurisprudence et
une doctrine exhaustives à l'appui de leurs alléga-
tions. Le requérant s'est référé à un ouvrage de
Louis-Philippe Pigeon (maintenant juge de la Cour
suprême) intitulé «Rédaction et interprétation des
lois» (Québec, 1965) où il écrit à la page 27, sous
l'intitulé
Les dispositions discriminatoires.
Il est une autre observation importante à faire sur la question
du pouvoir de réglementation. C'est la suivante: le pouvoir de
faire des règlements ne permet pas d'établir des dispositions
discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que
le texte qui l'autorise dise le contraire, s'appliquer à tout le
monde de la même façon. Si l'on veut pouvoir faire des
distinctions il faut le dire.
La décision Ulin c. La Reine 4 , rendue par le juge
Noël, alors juge en chef adjoint, a également été
citée. Cette affaire portait sur un règlement établi
sous l'autorité de la Loi sur la citoyenneté cana-
dienne qui exigeait qu'une personne demandant la
citoyenneté renonce à sa nationalité précédente. Le
savant juge en chef adjoint a déclaré à la page, 325:
Si le législateur avait eu l'intention de soumettre l'obtention
de la citoyenneté canadienne, à une autre condition en plus de
la prestation du serment d'allégeance, il aurait été simple
d'inclure dans la loi toutes les dispositions jugées nécessaires et
fondamentales pour la protection du statut rattaché à la
citoyenneté canadienne. Pourtant, le Parlement ne l'a pas fait
et le gouverneur en conseil n'est pas habilité, sous prétexte de
l'exécution des fins et dispositions de la loi, d'imposer, par
règlement, une condition aussi fondamentale que la déclaration
de renonciation.
La partie du règlement renfermant cette condition
a, par conséquent, été déclarée ultra vires. On a
plaidé que l'article 57g) de la Loi (précité) ne
permet nullement de restreindre l'admission d'en-
fants naturels. Cela est vrai, mais la présente
requête ne touche pas exactement à cette question.
En effet, aucune interdiction ou restriction ne
frappe la demande d'admission de la requérante à
cause de son état d'enfant naturelle; c'est au père
qu'il est interdit de parrainer l'admission de sa fille
au Canada parce que celle-ci est une enfant natu-
relle. Si l'on faisait droit à l'argument selon lequel
puisque la Loi ne prévoit pas spécifiquement le
pouvoir de faire des règlements quant à la per-
sonne qui peut parrainer ou désigner un parent,
alors de tels règlements ne peuvent être légalement
établis, il s'ensuivrait que les articles 31 et 33 du
Règlement seraient ultra vires. Je suis d'avis,
cependant, que l'établissement de ces articles peut
4 [1973] C.F. 319.
se justifier par le préambule de l'article 57 qui
permet de faire des règlements «pour la réalisation
des fins et l'application des dispositions de la pré-
sente loi» et qui fait précéder les alinéas exposant
la nature précise des règlements qu'il est permis
d'établir, par les termes «sans restreindre la géné-
ralité de ce qui précède». Je ne crois pas que les
requérants contestent sérieusement ce point de vue
puisqu'ils fondent leur argument principal sur le
libellé de l'article 2b) qui serait discriminatoire à
l'égard de la personne qui peut «parrainer» ou
«désigner» une autre personne bien que non discri-
minatoire à l'égard de la personne qui peut être
parrainée ou désignée.
L'avocat des requérants a également cité un
article d'Elmer A. Driedger, ancien sous-ministre
de la Justice, intitulé «The Meaning and Effect of
the Canadian Bill of Rights: A Draftsman's View
point» 5 . Il y déclare aux pages 312 et 313:
[TRADUCTION] II est vrai que le texte même de la Déclara-
tion des droits interdit de faire des règlements incompatibles
avec cette loi. Mais cela ne veut pas dire que le règlement est
inopérant parce qu'il enfreint la Déclaration des droits; le
règlement est ultra vires de la loi parce que la loi ne confère pas
le pouvoir d'établir un tel règlement. De plus la Déclaration des
droits interdit, dans le cas de lois édictées après son entrée en
vigueur et qui conféreront un pouvoir législatif, de faire des lois
qui iront à son encontre; et le résultat est le même.
A la page 313, il déclare:
[TRADUCTION] Les lois qui confèrent des pouvoirs doivent
maintenant s'interpréter de manière à ne pas autoriser la
suppression, la diminution ou la transgression de la Déclaration
des droits, soit par des lois complémentaires, soit par des
décisions établissant des droits, soit par tout autre acte. On y
parvient en faisant intervenir dans ces lois les dispositions de la
Déclaration des droits; ces dispositions jouent alors de manière
à modifier, atténuer ou restreindre lesdits pouvoirs.
Il déclare de plus à la page 318:
[TRADUCTION] Le droit garanti par la Déclaration est celui
de «l'égalité devant la loi». Mis à part le sens ou la portée de
cette expression, la première question à poser, et la plus impor-
tante, est celle-ci: quel est le sens du terme égalité employé
dans la Déclaration des droits? Puisque le but de la Déclaration
est de promouvoir l'égalité, ne devons-nous pas affirmer, en
premier lieu, que l'«égalité» signifie l'égalité que le Parlement
peut créer et que le défaut d'égalité, soit l'«inégalité», visé par la
Déclaration, correspond à l'inégalité que le Parlement peut
supprimer ou permettre aux tribunaux de supprimer.
5 (1977) 9 Ottawa L. Rev. 303.
Commentant l'arrêt Lave11 6 , il déclare aux pages
319 et 320:
[TRADUCTION] La décision Lave!! (une décision apparemment
contraire à Drybones [R. c. Drybones [1970] R.C.S. 282]),
portant que la Déclaration des droits ne s'applique pas à la Loi
sur les Indiens, était bien fondée. Mais on aurait pu conclure
que, dans le champ de compétence législative et territoriale du
Parlement, il y a discrimination fondée sur le sexe en ce qui
concerne les Indiens.
Bien que la majorité des juges ont conclu, dans
Lavell, que la Déclaration canadienne des droits
ne devait pas être interprétée comme rendant ino-
pérante une des conditions imposées par la Loi sur
les Indiens pour l'usage et l'occupation des terres
de la Couronne réservées aux Indiens, les commen-
taires dissidents du juge Laskin, alors juge puîné, à
la page 1387, offrent un intérêt considérable:
Je ne crois pas qu'il soit possible de passer par-dessus les
termes décisifs de l'art. 1, «quels que soient sa race, son origine
nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe», aux fins de
justifier une discrimination fondée sur un de ces critères en
invoquant les termes «égalité devant la loi» de la clause b) et en
tentant de faire de ces seuls termes la pierre de touche d'une
catégorisation raisonnable. Ce n'est pas ce qui a été fait dans
l'arrêt Drybones; et cette Cour a clairement fait comprendre,
dans l'arrêt Curr c. La Reine (11972] R.C.S. 889), qu'une loi
fédérale qui peut être compatible avec la prescription de »l'éga-
lité devant la loi» prise isolément, peut, néanmoins, être inopé-
rante si elle manifeste une des formes prohibées de discrimina
tion. En résumé, les formes proscrites de discrimination de l'art.
1 ont une application ou bien indépendante des clauses subsé-
quentes énumérées a) à J) ou bien, si on les trouve dans une loi
fédérale, vont à l'encontre de ces clauses pour le motif que
chacune doit être lue comme si les formes prohibées de discri
mination y étaient énoncées comme partie du libellé.
A la page 1375, il déclare:
[Si,] comme dans l'affaire Drybones,- la discrimination en
raison de la race rend certaines dispositions législatives inopé-
rantes, le même résultat doit s'ensuivre quant aux dispositions
législatives qui dénotent la discrimination en raison du sexe.
Le juge Pigeon, bien que partageant la décision de
la majorité, déclare à la page 1390:
La difficulté que j'éprouve vient de l'opinion fortement motivée
de M. le Juge Laskin selon laquelle, à moins que nous nous
écartions de ce que la majorité a décidé dans l'affaire Dry -
bones, les présents pourvois devraient être rejetés parce que, si
la discrimination suivant la race rend certaines dispositions
législatives inopérantes, le même résultat doit s'ensuivre pour la
discrimination suivant le sexe. En fin de compte, il me paraît
que, dans les circonstances, je n'ai pas besoin d'en venir à une
conclusion ferme sur ce point.
6 Voir Le Procureur général du Canada c. Lave!! [1974]
R.C.S. 1349.
L'avocat des intimés s'est référé à Re Schmitz 7 ,
une décision de mon collègue le juge Collier por-
tant sur une demande de citoyenneté. On a allé-
gué, dans cette affaire, que l'article 10(1)b) et
c)(iii) de la Loi sur la citoyenneté canadienne fait
preuve de discrimination comparativement à l'arti-
cle 10(1)c)(i) de la même loi puisque, en vertu des
premières dispositions, une ressortissante étrangère
qui épouse un citoyen canadien n'a qu'à résider un
an au Canada pour pouvoir présenter sa demande
de citoyenneté alors qu'un ressortissant étranger,
en vertu de la dernière disposition, doit justifier de
cinq ans de résidence au Canada sur les huit
années précédant sa demande, et que, par consé-
quent, il a été privé de son droit à l'égalité devant
la loi. Après avoir déclaré que le régime distinct
applicable à une ressortissante étrangère qui
épouse un citoyen canadien traduit les antécédents
historiques de la loi selon lesquels l'épouse est
censée prendre la citoyenneté et le domicile de son
mari, il déclare aux pages 1352 et 53:
Je doute qu'il s'agisse là d'une discrimination fondée sur le
sexe et entraînant une inégalité devant la loi. Il me semble que
l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté canadienne établit une
certaine distinction, opère une certaine classification, quant au
régime applicable aux personnes de sexe féminin. La ressortis-
sante étrangère qui a épousé ou qui épouse un citoyen canadien
se voit accorder un régime distinct en matière de citoyenneté;
ceci me semble résulter à la fois d'un processus historique et de
la conception classique selon laquelle l'épouse est censée pren-
dre la citoyenneté et le domicile de son mari. Cette situation me
paraît conforme à la théorie, historiquement valable même si
elle est contestée aujourd'hui par les femmes, voulant que le
mari soit le chef de famille.
Je ne vois rien dans la Déclaration des droits qui interdise
d'appliquer un régime différent à la femme mariée et à la
femme célibataire dans le cadre de la Loi sur la citoyenneté
canadienne.
Même s'il s'agissait, comme le soutient l'appelant, d'un cas
de discrimination fondée sur le sexe, je vois difficilement ce que
la Cour pourrait faire dans ce cas précis. Il semble ressortir
clairement du jugement rendu par la majorité de la Cour
suprême dans l'affaire R. c. Drybones [1970] R.C.S. 282 que si
un texte législatif présente un aspect discriminatoire, la partie
de ce texte qui contrevient à la Déclaration des droits doit être
déclarée inopérante. Dans la présente affaire, la thèse de l'ap-
pelant ne consiste pas à attaquer le principe même de la période
obligatoire de résidence au Canada; il demande simplement que
cette période soit la même pour le conjoint de sexe masculin
que pour le conjoint de sexe féminin, c'est-à-dire une année. A
mon avis, si je faisais une déclaration en ce sens, cela revien-
drait, pour le moins, à amender par décision judiciaire un texte
adopté par le Parlement et non pas simplement à le déclarer
inopérant.
[1972] C.F. 1351.
J'y vois une autre difficulté (en supposant toujours qu'il
s'agisse d'un cas de discrimination): quelle partie de l'article 10
faudrait-il déclarer discriminatoire; la clause de résidence d'un
an pour l'épouse ou la clause de résidence de cinq ans pour la
plupart des autres personnes? Dans un cas comme dans l'autre,
cela revient selon moi à amender la loi, ce qui n'est pas
conforme aux fins de la Déclaration des droits.
La décision Le procureur général du Canada c.
Bliss$ rendue par la Cour d'appel fédérale a égale-
ment été citée. On y alléguait que l'article 46 de la
Loi sur l'assurance-chômage allait à l'encontre de
la Déclaration canadienne des droits en privant les
prestataires de sexe féminin du droit de recevoir
tout genre de prestation durant une période de
quatorze semaines au cours de laquelle des presta-
tions de grossesse seraient normalement versées.
L'appelante n'avait pas droit à des prestations de
grossesse puisque ses contributions étaient insuffi-
santes mais aurait eu le droit de réclamer des
prestations ordinaires. Le juge Pratte a déclaré
aux pages 212 et 213:
La Déclaration canadienne des droits n'interdit pas expressé-
ment la discrimination. Ce mot n'est employé que dans la
version anglaise de l'article 1, qui proclame l'existence de
certains droits et de certaines libertés, et n'est pas employé dans
l'énumération de ces droits et libertés mais plutôt dans la partie
de l'article qui précise que ces droits et libertés devront profiter
à tous, sans égard à la race, à l'origine nationale, à la couleur, à
la religion ou au sexe. La question qu'il faut déterminer en
l'espèce n'est donc pas celle de savoir si l'intimée a été victime
de discrimination en raison du sexe mais plutôt si elle a été
privée du «droit ... à l'égalité devant la loi» consacré par
l'article lb) de la Déclaration canadienne des droits. Ceci étant
dit, je désire ajouter que je ne puis partager l'opinion du
juge-arbitre que l'application de l'article 46 l'intimée consti-
tuait de la discrimination à son égard en raison du sexe. A
supposer que l'on eût fait de la «discrimination contre» l'inti-
mée, ce n'aurait pas été en raison de son sexe. En effet, l'article
46 vise les femmes enceintes, mais non celles qui ne le sont pas,
et encore moins les hommes. Si l'article 46 ne traite pas les
femmes enceintes en chômage comme d'autres chômeurs,
hommes ou femmes, c'est, à mon sens, parce qu'elles sont
enceintes et non parce qu'elles sont des femmes.
et aux pages 213 et 214:
L'expression «égalité devant la loi» que l'on retrouve à l'arti-
cle lb) de la Déclaration canadienne des droits, ne peut
s'interpréter littéralement comme si toutes les personnes doi-
vent avoir, en vertu de toutes les lois, exactement les mêmes
droits et obligations. Si c'était le cas, la Déclaration canadienne
des droits aurait pour effet de rendre inefficace la majeure
partie de la législation fédérale puisque les droits, devoirs et
obligations attribués aux individus par la loi varient toujours en
fonction de leur situation. Comme la Cour suprême du Canada
l'a décidé dans Prata c. M.M. & I. [1976] 1 R.C.S. 376 et dans
8 [1978] 1 C.F. 208.
R. c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693, l'article lb) de la
Déclaration canadienne des droits n'exige pas que toutes les
lois fédérales s'appliquent de la même manière à tous les
individus.
et à la page 214:
Là où la loi crée des distinctions entre les personnes de façon à
les traiter différemment, ces distinctions peuvent être pertinen-
tes ou non pertinentes. Une distinction est pertinente s'il existe
un lien logique entre son fondement et les conséquences qui en
découlent; une distinction est non pertinente si ce lien logique
est inexistant. A la lumière de ces remarques, le droit à l'égalité
devant la loi pourrait être défini comme le droit de l'individu
d'être traité par la loi comme d'autres que l'on jugerait être
dans la même situation, si l'on ne s'en tenait qu'à des faits
pertinents. Selon cette définition, que l'avocat de l'intimée' ne
renierait pas, je crois, une personne serait privée de son droit à
l'égalité devant la loi si elle subissait un traitement plus sévère
que d'autres à cause d'une distinction non pertinente que l'on
établierait entre elle et ces autres personnes. Si, toutefois, la
différence de traitement était fondée sur une distinction perti-
nente (ou encore que l'on pourrait concevoir comme susceptible
d'être pertinente), on ne violerait pas alors le droit à l'égalité
devant la loi.
Selon le juge Pratte, l'article 46 de la Loi n'est pas
ultra vires puisqu'il repose sur des considérations
pertinentes. Il conclut en ces termes à la page 216:
Mais le Parlement a choisi d'établir que la période d'emploi
exigée pour avoir droit aux prestations de grossesse, qui sont, à
certains égards, plus généreuses que les prestations ordinaires,
serait plus longue que la période exigée dans le cas des autres
prestations. On peut penser de cette décision qu'elle est malavi-
sée mais, néanmoins, on ne peut dire qu'elle repose sur des
considérations non pertinentes; il s'ensuit qu'à mon avis, la loi
qui donne suite à sa décision a été «adoptée en cherchant
l'accomplissement d'un objectif fédéral régulier» (voir Prata c.
M.M. & I. [1976] 1 R.C.S. 376, la page 382), et n'enfreint le
droit de personne à «l'égalité devant la loi».
Dans Prata c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration', la Cour suprême a décidé,
confirmant le jugement de la Cour d'appel fédé-
rale, qu'un certificat déposé par le Ministre et le
Solliciteur général aux termes des dispositions de
l'article 21 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration avait pour effet de soustraire à la
Commission d'appel de l'immigration la compé-
tence d'entendre un appel aux termes des disposi
tions de l'article 15 de cette loi. On alléguait que le
certificat visé à l'article 21 était invalide parce que
contraire à la Déclaration canadienne des droits
en ce sens qu'il privait l'appelant de son droit à une
audition impartiale. Le juge Martland, prononçant
le jugement au nom de la Cour, a déclaré à la page
382:
9 [1976] 1 R.C.S. 376.
On a prétendu que l'application de l'art. 21 avait privé
l'appelant du droit à ]'«égalité devant la loi» reconnu par l'al. b)
de l'art. 1 de la Déclaration canadienne des droits. Il résulterait
de cette proposition que le Parlement ne pourrait empêcher que
l'art. 15 vise des personnes qui, selon la Couronne, ne devraient
pas avoir la permission, compte tenu de l'intérêt national, de
demeurer au Canada parce qu'elles seraient alors traitées diffé-
remment de celles qui sont autorisées à demander le bénéfice
du privilège de l'art. 15. Le but recherché par l'art. 21 est
évident et il vise un objectif fédéral régulier. Cette Cour a
décidé que l'al. b) du par. (1) de la Déclaration canadienne des
droits n'exige pas que toutes les lois fédérales doivent s'appli-
quer
de la même manière à tous les individus. Une loi qui vise
une catégorie particulière de personnes est valide si elle est
adoptée en cherchant l'accomplissement d'un objectif fédéral
régulier (R. v. Burnshine [précité]).
En Cour d'appel fédérale, '° le juge en chef Jackett
déclarait à la page 1414:
Le fait qu'une règle de fond s'applique à une catégorie de
personnes et non à une autre ne peut pas, à mon sens, constituer
en lui-même une discrimination inacceptable aux termes de
l'article lb) de la Déclaration canadienne des droits. Cela
n'empêche pas qu'une loi ne puisse être discriminatoire à
d'autres points de vue, de la même manière qu'une loi peut être
discriminatoire «quant à la race, l'origine nationale, la couleur,
la religion ou quant au sexe». Dans un tel cas, j'estime que la loi
correspondrait, dans la mesure où elle présenterait ce caractère
discriminatoire, à des objectifs législatifs inacceptables et con-
traires à l'article lb) de la Déclaration canadienne des droits.
On doit se rappeler que c'est la requérante. qui
cherche à être admise au Canada à titre d'immi-
grante reçue et bien qu'il y ait indiscutablement
discrimination entre une personne de sexe féminin
issue d'un mariage au sens de la loi et une autre
possédant l'état d'enfant naturelle par suite de la
définition de «fille» donnée à l'article 2b) ", il ne
s'agit pas d'une discrimination en raison du sexe.
Mon collègue le juge Collier a conclu dans
Schmitz (précité) que le fait d'appliquer un régime
différent à la femme mariée et à la femme céliba-
taire dans le cadre de la Loi sur la citoyenneté
canadienne n'était pas ultra vires. Il déclare à cet
effet [à la page 1353]:
Je ne vois rien dans la Déclaration des droits qui interdise
d'appliquer un régime différent à la femme mariée et à la
femme célibataire dans le cadre de la Loi sur la citoyenneté
canadienne.
Je tiendrai les mêmes propos quant au cas en
l'espèce: rien dans la Déclaration canadienne des
10 [1972] C.F. 1405.
" Cette constatation s'applique également dans le cas d'un
«fils» par suite de la définition de ce terme donné à l'article 2d).
droits n'interdit d'appliquer un régime différent
aux enfants légitimes et aux enfants naturels.
Toutefois, l'argument principal du requérant
repose sur le fait qu'il y a discrimination dans le
Règlement entre le droit d'un requérant, en vertu
de l'article 31 dudit règlement, de parrainer un fils
ou une fille qui n'est pas issu d'un mariage au sens
de la loi, ou de désigner l'un ou l'autre, en vertu de
l'article 33, et le droit d'une mère de parrainer ou
de désigner son fils ou sa fille de la même façon
après qu'elle-même a été admise au Canada aux
fins de résidence permanente et ce, bien que la fille
ou le fils ne soit pas issu d'un mariage au sens de la
loi.
La Loi ne définit pas le terme «enfant» et la
question du régime différent n'est soulevée que
dans la définition des termes «fille» et «fils» donnée
par le Règlement. La distinction faite entre une
fille légitime et celle possédant l'état d'enfant
naturelle (ou entre un fils légitime et celui possé-
dant l'état d'enfant naturel) ne constitue pas, il est
clair, une discrimination en raison du sexe et ne
prive pas l'enfant en cause du droit à l'égalité
devant la loi car cette dernière peut, malgré tout,
être admise à titre d'immigrante. Ce sont unique-
ment le père et la mère qui sont traités de façon
différente quant à leur droit de parrainer ou de
désigner un enfant en vue de son admission à titre
d'immigrant reçu.
Les articles 31 et 33 du Règlement donnent aux
personnes qui parrainent ou désignent un parent,
un privilège, sous réserve des conditions qui y sont
stipulées. Comme l'a mentionné le juge Pratte
dans l'extrait précité de Bliss, même dans une loi,
le droit à l'égalité devant la loi est déterminé par
des facteurs soit pertinents soit non pertinents et si
la différence de traitement est fondée sur une
distinction pertinente ou encore que l'on pourrait
concevoir comme susceptible d'être pertinente, on
ne violerait pas alors le droit à l'égalité devant la
loi. L'avocat des intimés a expliqué, de façon
plausible, les raisons à l'origine de cette distinction
et celles-ci pourraient bien se révéler pertinentes.
Comme l'a déclaré le juge en chef Jackett dans
Praia (précité) à la page 1414:
L'expression «l'égalité devant la loi» m'a toujours semblé signi-
fier que les différentes personnes â qui la loi s'applique
devaient être traitées de la même façon. Il ne m'est jamais venu
à l'esprit que le principe de «l'égalité devant la loi» interdise au
Parlement d'adopter, pour des raisons dictées par une saine
politique législative, des lois qui s'appliquent à une catégorie de
personnes à l'exclusion d'une autre. Il me semble qu'il est de la
nature même de la fonction législative de viser à créer des
dispositions applicables à des catégories de personnes et dans
des circonstances définies de façon à favoriser la réalisation des
objectifs nationaux, d'ordre économique, social ou autre, fixés
par le Parlement.
On peut également se reporter à l'extrait précité
du jugement du juge Martland dans Prata.
Par conséquent, bien que la justification de la
distinction au niveau de la définition de «fille»
contenue à l'article 2b) (et de «fils» à l'article 2d))
puisse être douteuse, je n'estime pas qu'il s'agit
d'un cas de discrimination fondée sur le sexe pri-
vant le requérant en l'espèce de son droit à l'égalité
devant la loi aux termes de l'article l b) de la
Déclaration canadienne des droits, rendant ainsi
l'article 26) du Règlement ultra vires.
De plus, il est très douteux que le bref de
mandamus soit la procédure appropriée à prendre
en tout état de cause plutôt qu'un jugement décla-
ratoire. Sur ce point, les requérants s'appuient sur
la décision Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration c. Tsiafakis t 2 où la Cour d'appel
fédérale, confirmant le jugement de la Division de
première instance, a conclu que le droit de parrai-
ner n'est pas une question préalable et qu'une
personne désireuse de le faire est en droit de
remplir une demande à cet effet en la forme
prescrite et de voir ladite demande servir de base à
l'examen de son droit de parrainer, même s'il y a
des chances que la demande soit par la suite
refusée parce qu'il n'est pas évident que la per-
sonne que l'on cherche à parrainer appartient à la
catégorie des personnes que l'on peut parrainer.
Dans cette affaire-là, le fonctionnaire à l'immigra-
tion avait refusé de remettre à la requérante le
formulaire nécessaire et, par conséquent, cette der-
nière a été privée de la possibilité d'interjeter
appel, devant la Commission d'appel de l'immigra-
tion, du refus de donner suite à sa demande puis-
que, sans le formulaire, aucune demande valide ne
pouvait être présentée. Un bref de mandamus a
par conséquent été émis afin d'enjoindre au fonc-
tionnaire à l'immigration de remettre à la requé-
rante la formule nécessaire, comme l'exige le
12 [1977] 2 C.F. 216.
Règlement. Le juge Le Dain, prononçant les
motifs du jugement, déclare à la page 222:
On peut recourir au mandamus pour contraindre une auto-
rité publique à remplir un devoir public qu'elle a refusé ou
négligé d'accomplir bien que dûment requise de le faire. Sans
nul doute, l'intimée a demandé au fonctionnaire à l'immigra-
tion de lui remettre un formulaire de demande d'admission de
ses parents à titre de personnes à charge parrainées et il s'y est
refusé. Il nous faut donc établir s'il avait le devoir de lui fournir
ce formulaire.
Il existe une distinction très nette entre cette
affaire et la présente. En l'espèce, la demande a
été dûment présentée mais refusée; il ne pouvait en
être autrement, comme le reconnaissent eux-
mêmes les requérants, car les intimés étaient tenus
d'interpréter exactement la définition du terme
«fille» donnée à l'article 2b) du Règlement. Par
conséquent, ce que les requérants sollicitent, c'est
une ordonnance enjoignant au fonctionnaire à
l'immigration de ne pas tenir compte de cet article
car il est discriminatoire et ultra vires. Le fonc-
tionnaire à l'immigration était tenu d'en tenir
compte et il est indiscutable qu'il n'avait pas le
droit d'en étudier la validité. Par conséquent, il
s'avère difficile de dire qu'il n'a pas rempli son
devoir. De plus, comme l'a souligné le juge Collier
dans Schmitz (précité), le redressement recherché
aurait obligé ce dernier à faire une déclaration qui
aurait eu pour effet d'amender un texte adopté par
le Parlement et non pas simplement de le déclarer
inopérant; de plus, une autre difficulté aurait
surgi: celle de savoir lequel des deux articles con-
tradictoires devrait être amendé. Le savant juge a
conclu que rendre une décision de cette nature ne
serait pas conforme aux fins de la Déclaration
canadienne des droits. Les mêmes commentaires
s'appliquent en l'espèce, bien qu'avec moins de
force puisque ici, c'est un règlement et non une loi
du Parlement qui serait discriminatoire. Quoi qu'il
en soit, la Cour ne peut se substituer au gouver-
neur général en conseil pour déterminer si, afin
d'éviter un cas de discrimination, la définition du
terme «fille» devrait être amendée de manière à
prévoir clairement qu'une enfant naturelle peut
être parrainée ou désignée soit par le père soit par
la mère qui a été admis au Canada aux fins d'une
résidence permanente ou, subsidiairement, si elle
devrait être amendée afin de prescrire qu'une
enfant naturelle ne peut être parrainée ou désignée
ni par le père ni par la mère (bien que cette mesure
puisse paraître invraisemblable). Advenant la déli-
vrance d'un bref de mandamus qui le contraindrait
à ne pas tenir compte de l'article 2b) du Règle-
ment, le fonctionnaire à l'immigration se verrait
alors dans l'obligation d'appliquer les articles 31
ou 33 visant le droit de parrainer ou de désigner la
fille sans pouvoir se reporter à une définition régle-
mentaire du terme «fille», avec le résultat probable
qu'une enfant naturelle pourrait, dans tous les cas,
être parrainée ou désignée puisque ordinairement
le terme «fille» ne serait pas restreint à une fille
issue d'un mariage au sens de la loi. Cela revien-
drait à amender le Règlement, ce qu'il n'est pas
loisible à la Cour de faire.
Pour ces motifs, la demande doit être rejetée.
ORDONNANCE
La demande des requérants visant l'obtention
d'un bref de mandamus est rejetée avec dépens.
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