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A-168-77
In re une décision ou ordonnance du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports rendue le 18 octobre 1976, contre Canadien Pacifique Limitée relative- ment à un service de barges porte-wagons sur le lac Kootenay
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain— Vancouver, les 26, 27 et 30 septembre 1977.
Compétence Exploitation d'un service de barges porte- wagons reliant des embranchements au réseau ferroviaire abandonnée par CP sans autorisation Ordonnance rendue par le Comité des transports par chemin de fer de la Commis sion canadienne des transports â l'effet de rétablir le service Le service de barges porte-wagons constitue-t-il une ligne de chemin de fer relevant, par conséquent, de la compétence du Comité des transports par chemin de fer? Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 21, 45, 64(2) Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 2, 106, 252, 253(2), 254(1), 304 Loi sur les transports, S.R.C. 1970, c. T-14, art. 3, 12(4)a).
Canadien Pacifique a abandonné l'exploitation de son service de barges porte-wagons sur le lac Kootenay sans obtenir l'auto- risation de la Commission canadienne des transports et conteste en l'espèce la décision du Comité des transports par chemin de fer portant que ce service relève de sa juridiction et ordonnant qu'il soit rétabli. Ce service, constitué de barges munies de rails que l'on raccordait aux embranchements situés dans les villes en bordure du lac Kootenay, servait au transport des wagons. La question est de savoir si l'exploitation d'un service de barges porte-wagons, malgré le fait que ce service soit une forme de transport par eau, constitue l'exploitation d'une ligne de chemin de fer relevant, par conséquent, de la compétence du Comité.
Arrêt: l'appel est accueilli. Dans le service de barges porte- wagons, la barge est le mode de transport et non les wagons. Dès lors, les wagons servent de conteneurs et, arrivés au point de destination du voyage, ils font alors fonction de moyen de transport mais uniquement du point de vue des opérations de chargement et de déchargement. Par conséquent, l'exploitation d'un service de barges porte-wagons n'équivaut pas à l'exploita- tion d'une ligne de chemin de fer et ne tombe pas dans le cadre des dispositions de la Loi sur les chemins de fer touchant l'abandon. Les dispositions législatives relatives à l'approbation du tracé, de la construction et du commencement de l'exploita- tion de lignes de chemin de fer ne prévoient pas de ligne fictive de chemin de fer traversant une étendue d'eau par voie de bateau qui fait la navette entre divers points, et ne peuvent s'appliquer à une telle ligne.
Arrêt appliqué: Le Canadien Pacifique c. Le procureur général de la Colombie-Britannique et le procureur géné- ral du Canada [1950] A.C. 122.
APPEL.
AVOCATS:
N. D. Mullins, c.r., pour Canadien Pacifique
Limitée.
Harry Wruck pour le procureur général du
Canada.
Melvin H. Smith pour le procureur général de
la Colombie-Britannique.
Gilbert W. Nadeau pour la Commission cana-
dienne des transports.
Robert H. Brisco pour la circonscription fédé-
rale de Kootenay West.
PROCUREURS:
Le contentieux, Canadien Pacifique Limitée, Vancouver, pour Canadien Pacifique Limitée. Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Le procureur général de la Colombie-Britan- nique pour le procureur général de la Colombie-Britannique.
Le contentieux, Commission canadienne des transports, Ottawa, pour la Commission canadienne des transports.
La circonscription fédérale de Kootenay West représentée par Robert H. Brisco, député.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE LE DAIN: Canadien Pacifique Limitée (ci-après appelée «CP») attaque une décision du Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports par voie d'appel en vertu du paragraphe 64(2) de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1.970, c. N-17. Dans sa décision du 18 octobre 1976, le Comité a conclu qu'il avait juridiction sur la question d'abandonner ou non l'exploitation par CP d'un service de barges porte-wagons sur le lac Kootenay (Colombie-Britannique) et a ordonné à CP de rétablir et de reprendre ledit service. La décision du Comité conclut comme suit:
Le Comité conclut qu'il a entière juridiction pour déterminer s'il y a lieu de permettre ou non à CP d'abandonner l'exploita- tion de son service de barges porte-wagons sur le lac Kootenay.
ATTENDU que le Comité estime que la définition donnée à «embranchement» à l'article 252 de la Loi sur les chemins de fer est applicable à l'exploitation du service de barges porte- wagons en question sur le lac Kootenay;
ATTENDU que la société ne peut abandonner l'exploitation d'un embranchement qu'en se conformant aux dispositions de la Loi sur les chemins de fer, et notamment aux paragraphes 253(2) et (3); et
ATTENDU que Canadien Pacifique Limitée n'assure pas le service que la loi l'oblige à offrir;
Par conséquent, en vertu des pouvoirs dont la Loi nationale sur les transports l'a investi, notamment l'article 45, le Comité ordonne à Canadien Pacifique Limitée de rétablir et de repren- dre, dans les 90 jours de la présente décision, le service de barges porte-wagons entre Procter, Kaslo et Lardeau, sur le lac Kootenay, dans la province de la Colombie-Britannique, sup- primé le 31 juillet 1975.
CP attaque la décision du Comité au motif que la Commission canadienne des transports n'a pas juridiction relativement à la question de l'abandon d'un service de barges porte-wagons.
L'avocat de la Commission canadienne des transports, le procureur général du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique, ainsi que M. R. H. Brisco, député, ont comparu et ont présenté des arguments à l'appui de la décision du Comité.
La Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, prévoit des dispositions qui régissent l'aban- don de l'exploitation d'une ligne de chemin de fer. Il s'agit des articles 106 et 252 et suivants. La loi fédérale qui traite du transport par eau, savoir la Loi sur les transports, S.R.C. 1970, c. T-14, ne prévoit aucune disposition relativement à l'aban- don d'un service de transport par eau. Par consé- quent, il semble exister une différence fondamen- tale entre les mesures législatives concernant l'abandon des services de transport par rail et par eau. Il convient de noter, toutefois, qu'aux termes de l'alinéa 12(4)a) de la Loi sur les transports, la Partie II de ladite loi qui traite des permis accor dés à des navires ne s'applique pas à des navires qui font le transport de marchandises ou de passa- gers entre des ports ou endroits de la Colombie- Britannique.
L'article 106 de la Loi sur les chemins de fer prévoit ce qui suit:
106. La compagnie peut abandonner l'exploitation de toute ligne de chemin de fer avec l'approbation de la Commission, et nulle compagnie ne doit abandonner l'exploitation de quelque ligne de chemin de fer sans cette approbation.
Les articles 253 et suivants de la Loi traitent, en détails, de l'abandon, avec l'approbation de la Commission, de l'exploitation d'un embranche- ment devenu non rentable. Ils décrivent, en moult détails, les conditions qui doivent régir la décision de la Commission d'approuver ou de rejeter
l'abandon projeté d'un embranchement.
L'article 252 de la Loi définit «embranchement» comme suit:
«embranchement» désigne une ligne de chemin de fer située au Canada, qui relève d'une compagnie assujettie à la juridic- tion du Parlement et qui, par rapport à une ligne principale du système ferroviaire de la compagnie situé au Canada et dont elle fait partie, constitue une ligne auxiliaire, secon- daire, locale ou de dérivation du chemin de fer, et comprend toute partie de cette ligne auxiliaire, secondaire, locale ou de dérivation du chemin de fer;
Il n'est pas nécessaire, aux fins des présents motifs, de citer intégralement les dispositions qui régissent l'abandon de l'exploitation d'un embran- chement; les paragraphes suivants donnent une idée suffisante de l'approbation exigée de la Commission.
Le paragraphe 253(2) prévoit que:
253. .. .
(2) Si une compagnie désire abandonner l'exploitation d'un embranchement, elle doit déposer à la Commission une demande d'abandon de l'exploitation de cette ligne en confor- mité des règles que la Commission peut avoir établies aux termes du paragraphe (1); et la Commission doit, dans la région desservie par l'embranchement, donner l'avis public qu'elle juge raisonnable.
Le paragraphe 254(1) prévoit que:
254. (1) Si la Commission conclut qu'à son avis la compa- gnie a subi, du fait de l'exploitation de l'embranchement relati- vement auquel elle a fait une demande d'abandon d'exploita- tion, une perte réelle dans une ou plusieurs des années de comptabilité prescrites dont, notamment, la dernière de ces années, la Commission doit, après avoir tenu les auditions que, le cas échéant, elle estime nécessaires pour permettre, à toutes les personnes qui désirent le faire, de présenter leur point de vue sur l'abandon de l'embranchement, et en tenant compte de tous facteurs qui lui semblent pertinents, décider si l'embranche- ment n'est pas rentable et continuera vraisemblablement de ne pas l'être et si la ligne doit ou non être abandonnée; mais si la Commission conclut qu'à son avis la compagnie n'a pas subi de perte réelle dans l'exploitation de cet embranchement au cours de la dernière des années de comptabilité prescrites, elle doit rejeter la demande d'abandon de l'exploitation de la ligne sans préjudice de toute demande qui peut subséquemment être faite pour l'abandon de l'exploitation de cette ligne.
La décision du Comité des transports par chemin de fer n'est pas une décision rendue à l'issue d'une demande d'abandon conforme à ces dispositions. Le Comité n'a pas été saisi d'une demande. CP avait cessé d'exploiter le service de barges porte-wagons à compter du 31 juillet 1975 sans demander l'approbation de la Commission. A
la suite de plaintes formulées par diverses parties intéressées, le Comité a étudié la question de savoir s'il avait juridiction relativement à l'aban- don d'exploitation, et, après avoir, en premier lieu, considéré qu'il n'avait pas juridiction, a conclu, après réexamen, qu'il avait juridiction. Le Comité a rendu sa décision sans tenir d'audition orale; il s'est fondé uniquement sur une preuve documen- taire. Le Comité a jugé qu'en vertu des articles 106 et 252 et suivants de la Loi sur les chemins de fer, CP n'avait pas le droit d'abandonner l'exploi- tation du service de barges porte-wagons sans obtenir l'approbation de la Commission et par conséquent, avait l'obligation, aux termes de la Loi, de maintenir ledit service. Exerçant les pou- voirs donnés à la Commission en vertu de l'article 45 de la Loi nationale sur les transports d'ordon- ner que les dispositions de la Loi sur les chemins de fer soient observées, le Comité a ordonné à CP de rétablir et de reprendre le service.
En appel, la question de la juridiction se résume à savoir si l'exploitation d'un service de barges porte-wagons équivaut à l'exploitation d'une ligne de chemin de fer.
Les conclusions de fait auxquelles est parvenu le Comité relativement à l'origine et à l'exploitation du service de barges porte-wagons sur le lac Koo- tenay sont reproduites dans les extraits suivants de la décision:
De nombreuses lignes de chemin de fer de Canadien Pacifi- que Limitée, en Colombie-Britannique, sont formées de lignes moins importantes que d'autres sociétés lui ont louées pour 99 ou 999 ans.
L'une de ces lignes moins importantes était exploitée par Columbia and Kootenay Railway and Navigation Company, société constituée en 1889 en vertu d'une loi de l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique (52 Victoria, chap. 35). Cette société était autorisée à exploiter un chemin de fer «qui partait du dégorgeoir du lac Kootenay, en Colombie-Britanni- que, et traversait la chaîne de montagnes Selkirk jusqu'à un point du fleuve Columbia le plus près possible de son confluent avec la rivière Kootenay». Elle était également autorisée à «acquérir, construire, équiper et entretenir des bateaux à vapeur et d'autres navires en vue de transporter du fret et des passa- gers à destination et en provenance du point, sur la rivière Kootenay, la frontière sud de la Colombie-Britannique coupe ledit fleuve de vers le lac Kootenay, sur ledit lac et ses affluents navigables» (traduction) (article 9). Les ouvrages de cette société, décrit dans sa loi de constitution, furent alors déclarés, en vertu d'une loi du Parlement (1890, 53 Victoria, chap. 87), comme ouvrages à l'avantage général du Canada. Par le décret P.C. 1997, rendu le 20 août 1890, le gouverne-
ment du Canada approuvait la location des ouvrages de la société à CP pour 999 ans.
Kootenay and Arrowhead Railway Company fut constituée en 1901 en vertu d'une loi du Parlement (1 Ed. VII, chapitre 70) qui l'autorisait à construire un chemin de fer de Lardeau à Duncan et de jusqu'à Arrowhead. Seul le tronçon situé entre Lardeau. et Gerrard fut finalement complété. En 1903, la société loua ses propriétés à CP pour une période de 999 ans commençant le 15 août 1901. Le bail fut approuvé par le décret P.C. 1056 du 29 juin 1903.
La ligne de chemin de fer reliant Kaslo à Sandon fut construite par Kaslo and Slocan Railway Company, constituée en 1892 après une loi de l'Assemblée législative de la Colombie- Britannique (55 Victoria, chap. 52). En 1917, en vertu d'une loi du Parlement (7-8 Geo. V, chap. 54), les ouvrages de la société furent déclarés comme étant à l'avantage général du Canada. Ils furent plus tard loués à CP et le bail, approuvé par le décret P.C. 1486 du 5 mai 1921.
Le tronçon allant de Procter à Nelson fut construit par British Columbia Southern Railway Company qui loua à CP la partie située entre la frontière est de la province et Nelson, en 1898. Le bail fut approuvé par le décret P.C. 2007 du 18 août 1898 et vaut à perpétuité.
C'est de ce réseau de lignes de chemin de fer en provenance et à destination du lac Kootenay et relié à l'exploitation de barges porte-wagons du lac Kootenay, qu'il est question dans la présente décision.
Il semble que le premier service de bateaux à vapeur en exploitation sur le lac Kootenay fut inauguré lorsque la cons truction du chemin de fer entre Lardeau et Gerrard fut complé- tée. Ce service reliait Lardeau à différents points situés à l'autre bout du lac Kootenay, y compris Kaslo et Procter. Le bail de CP lui conférait tous les droits et toutes les obligations de la Columbia and Kootenay Railway and Navigation Com pany, notamment celui d'exploiter un service de barges sur le lac Kootenay. Le 31 juillet 1975, CP n'exploitait qu'un service de barges sur le lac Kootenay. Ce service avait d'abord pour but de prendre des wagons de chemin de fer à chacune des escales, le long du lac, de les transporter vers d'autres endroits situés en bordure du lac ils pourraient être retirés des barges et envoyés vers leur destination finale. Après l'abandon des lignes situées entre Lardeau et Gerrard et entre Kaslo et Roseberry, en juillet 1975, une fois les wagons retirés des barges, ils étaient eux-mêmes déchargés et demeuraient sur place jusqu'à ce qu'on les recharge en vue de les acheminer vers d'autres points sur le lac.
Le 31 juillet 1975, CP a abandonné l'exploitation de son service de barges entre Procter, Kaslo et Lardeau, sur le lac Kootenay, en Colombie-Britannique.
Le service de barges fut d'abord exploité afin de relier diverses villes situées le long du lac Kootenay et les voies ferrées qui y ont leur point de départ. Ce service faisait partie inté- grante de l'entreprise de CP dans cette région et, à ce titre, était un élément indissociable de son réseau ferroviaire. Les barges furent construites uniquement pour le transport des wagons. Chacune est munie de rails que l'on relie à ceux des quais des endroits l'on prend ou laisse des wagons, ce qui
permet de transporter ces derniers d'un point à un autre, sur le lac Kootenay, sans devoir les décharger et les recharger.
Le service de barges n'a jamais été dissocié de l'exploitation des lignes de chemin de fer qui desservent la région du lac Koote- nay. On a muni ces barges de rails de manière à pouvoir les abouter aux voies ferrées en place à Procter, Kaslo et Lardeau. Sans elles, ces régions n'auraient pas bénéficié d'un réseau ferroviaire continu. En fait, comme nous l'avons mentionné plus haut, on avait opté pour les barges, au lieu d'une ligne de chemin de fer longeant la rive, parce qu'on croyait ce moyen plus efficace pour acheminer le trafic ferroviaire d'une ville à l'autre, en bordure du lac....
Les barges porte-wagons étaient remorquées par Kootenay Lake Towing Ltd. Cette compagnie a fait parvenir au Comité une lettre, en date du 10 décembre 1975, dans laquelle elle décrit l'exploita- tion des barges. Cette lettre se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] Il y a un certain temps, le service assuré sur le lac Kootenay transportait les locomotives; mais on a découvert qu'il était plus rentable que la locomotive charge à bord de la barge à Procter. A Kaslo et Lardeau, un véhicule spécial muni de pneus en caoutchouc tire les wagons jusqu'à leur point de destination ce qui évite à la société ferroviaire les frais de transport des locomotives, des wagons de queue, du personnel de service, etc., ce qui en retour permet d'accommoder sur les barges un plus grand nombre de wagons commerciaux.
CP ne conteste pas ce compte rendu des faits portant sur l'origine et l'exploitation du service de barges porte-wagons.
Le Comité a conclu, en premier lieu, que le service de barges porte-wagons faisait partie du réseau ferroviaire ou de l'entreprise de CP et, qu'à ce titre, il relève de la compétence législative fédé- rale. Le Comité a en outre conclu que le service de barges porte-wagons était compris dans la défini- tion de «chemin de fer» donnée à l'article 2 de la Loi sur les chemins de fer, qui se lit comme suit:
«chemin de fer» ou «voie ferrée» signifie tout chemin de fer que la compagnie est autorisée à construire ou à exploiter, et comprend tous les embranchements et prolongements, toutes les voies de garage et d'evitement, toutes les gares et stations, tous les dépôts et quais, tout le matériel roulant, tout l'équi- pement, toutes les fournitures, tous les biens meubles ou immeubles, et tous les ouvrages qui en dépendent, et aussi tout pont de chemin de fer, tout tunnel ou toute autre construction que la compagnie est autorisée à ériger; et, sauf lorsque le contexte ne le permet pas, comprend le chemin de fer urbain et le tramway.
On retrouve les motifs du Comité sur ce point dans les extraits suivants de sa décision:
... le service de barges fait partie du réseau ferroviaire et, à ce titre, en fait partie et comme tel il est compris dans la définition de «chemin de fer» donnée à l'article 2 de la Loi sur les chemins de fer. Dans cette définition, on ne retrouve pas le mot «barges» ou tout autre terme se rapportant au transport par eau, mais on peut y lire tout «l'équipement» et tous «les biens meubles ou immeubles, et tous les ouvrages qui en dépendent». On ne peut nier le fait que les voies ferrées d'une société ferroviaire font partie de son équipement et de ses biens meubles et immeubles et nous n'avons aucune raison d'affirmer que les voies ferrées installées sur une barge diffèrent de celles qui reposent sur la terre. Aussi, les barges sur lesquelles se trouvent les voies ferrées font partie des «ouvrages qui en dépendent».
Il n'y a donc aucun doute dans l'esprit des membres du Comité que le service de barges de CP, qui constitue le véritable chaînon de son réseau ferroviaire, doit tomber sous la définition de «chemin de fer» énoncée à l'article 2 de la Loi sur les chemins de fer. Il en serait peut-être autrement s'il n'y avait pas de rails sur les barges et que les marchandises étaient déchargées des wagons pour être transportées de l'autre côté du lac, mais ce réseau particulier de transport par barges munies de rails n'est en fait qu'un pont ferroviaire mobile qui achemine le trafic ferroviaire sur l'eau et relie les lignes de chemin de fer de chaque rive.
Le comité a finalement conclu que le service de barges porte-wagons constituait un embranche- ment de chemin de fer. L'extrait suivant de la décision du Comité reflète les motifs de ce dernier sur ce point:
Après avoir établi que la définition de chemin de fer s'applique au service de barges, nous pouvons facilement conclure que ce service peut, à ce titre, constituer un embranchement; c'est précisément le cas, dans l'affaire qui nous occupe, du service de barges reliant Procter, Kaslo et Lardeau (y compris la voie ferrée située à Kaslo et Lardeau): il s'agit d'une ligne de dérivation reliant la ligne de chemin de fer de CP au sud de Procter (C.-B.).
CP ne conteste pas la conclusion du Comité selon laquelle le service de barges porte-wagons fait partie intégrante du réseau ferroviaire ou de l'entreprise de CP et qu'à ce titre, il relève de la compétence législative fédérale. CP allègue, cepen- dant, que cette conclusion ne suffit pas, par elle- même, à faire tomber dans le cadre des disposi tions d'abandon prévues dans la Loi sur les che- mins de fer le service de barges porte-wagons. Je suis d'accord avec cette prétention.
CP admet que la définition de «chemin de fer» donnée à l'article 2 de la Loi sur les chemins de fer peut être assez large pour englober, à première vue, les barges porte-wagons mais prétend, par ailleurs, que lorsque l'on considère la Loi sur les chemins de fer dans son ensemble, de même que les lois fédérales qui ont trait à la réglementation
des bateaux et du transport par eau, on voit claire- ment que l'intention du législateur n'était pas de faire correspondre le service de barges porte- wagons à une ligne de chemin de fer et de l'assu- jettir aux dispositions de la Loi sur les chemins de fer relativement à l'abandon. On nous a cité les articles 107 et suivants de la Loi pour démontrer que la Loi vise des lignes fixes, dont le tracé peut être indiqué sur un plan, un profil et un livre de renvoi. Il a été allégué que ces dispositions visant la construction et le début de l'exploitation d'une ligne ne pouvaient s'appliquer à un service de barges porte-wagons. Puisque la Loi ne prévoit pas que la Commission doit donner son approbation à la mise sur pied d'un tel service et au commence ment des travaux préliminaires à ce service, il n'est pas logique, aux termes de l'argument, de conclure que la Loi vise son abandon.
CP a souligné les différences existant entre le transport par rail et le transport par eau, différen- ces dont font état certaines dispositions de la Loi sur les chemins de fer et que la Loi sur les transports, qui réglemente le transport par eau, ainsi que les dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, qui ont trait à la réglementation des bateaux, tradui- sent. On nous a renvoyé plus précisément à, la définition du terme «navire» contenue dans cha- cune des deux dernières lois, définitions qui font spécifiquement référence à «barge», et à la défini- tion de «marchandises» donnée à l'article 2 de la Loi sur les chemins de fer:
«marchandises» ou «effets» comprend les biens mobiliers de toute nature qui peuvent être transportés par le chemin de fer, ou par des bateaux à vapeur ou autres navires raccordés au chemin de fer;
Enfin, on nous a renvoyé à l'article 304 de la Loi sur les chemins de fer dont le sens a été étudié par le Comité. Cet article se lit comme suit:
304. Les dispositions de la présente loi, relativement aux taxes, tarifs et tarifs communs, en tant que la Commission juge qu'elles peuvent s'appliquer, s'étendent et s'appliquent aux transports effectués par une compagnie de chemin de fer par mer ou sur les eaux intérieures entre des endroits ou des ports du Canada, si la compagnie possède, affrète, emploie, entretient ou met en service des navires, ou est partie à quelque arrange ment pour employer, entretenir ou mettre en service des navires pour les transports par mer ou sur les eaux intérieures entre ces ports ou ces endroits.
CP soutient que cette disposition indique dans quelle mesure la Loi sur les chemins de fer devait être appliquée à un service de transport par eau d'une société ferroviaire. Je partage la décision du Comité selon laquelle on ne peut conclure, à la lumière de cette disposition qui s'applique à toute forme de transport par eau exploitée par une société ferroviaire, qu'il n'était pas dans l'intention du législateur d'appliquer d'autres dispositions de la Loi à l'exploitation de barges porte-wagons.
La question litigieuse subsiste: l'exploitation d'un service de barges porte-wagons, malgré le fait que ce service soit une forme de transport par eau, constitue-t-elle l'exploitation d'une ligne de chemin de fer?
Le raisonnement du Comité peut se résumer comme suit: le service de barges porte-wagons fait partie intégrante du réseau ferroviaire de CP; l'ex- ploitation de ce service constitue, par conséquent, l'exploitation d'une partie du réseau ferroviaire; l'exploitation de cette partie précise du réseau ferroviaire peut être assimilée à l'exploitation d'une partie d'une ligne de chemin de fer. A mon avis, ce raisonnement n'est pas assez poussé. La Loi n'interdit pas l'abandon, sans autorisation, d'une partie d'un réseau ferroviaire mais l'abandon de l'exploitation d'une ligne de chemin de fer. L'expression «ligne de chemin de fer» n'est pas définie dans la Loi sur les chemins de fer, mais je comprends qu'il s'agit d'une partie précise d'un réseau ferroviaire composée de plates-formes et de voies sur lesquelles circule le matériel roulant. Voir Le Canadien Pacifique c. Le procureur général de la Colombie-Britannique et le procureur général du Canada [1950] A.C. 122, lord Reid, à la page 143.
Le coeur du litige, si je comprends bien, est contenu dans l'opinion suivante du Comité: «ce réseau particulier de transport par barges munies de rails n'est en fait qu'un pont ferroviaire mobile qui achemine le trafic ferroviaire sur l'eau et relie les lignes de chemin de fer de chaque rive.» Le service de barges porte-wagons relie, sans aucun doute, les diverses lignes de chemin de fer qui constituent le réseau ferroviaire de CP. De même, il est vrai que les barges porte-wagons transportent le «trafic ferroviaire» entre ces divers points, c'est-à-dire, le trafic contenu dans des wagons et transportables par lignes de chemin de fer. Mais il
faut pouvoir conclure que d'un point à un autre sur le lac Kootenay, la barge porte-wagons constitue une ligne de chemin de fer et que l'exploitation d'un service de barges porte-wagons correspond à l'exploitation d'une ligne de chemin de fer. On peut sans aucun doute dire que le service de barges porte-wagons constitue un prolongement du service ferroviaire de Procter à Lardeau et Kaslo en ce sens que le service de barges étend les avantages afférents au transport de marchandises par wagons à ces points. Les avantages particuliers de charge- ment et de déchargement, le volume et le genre de marchandises transportables par ces wagons, le fait qu'ils puissent rouler sur la ligne principale de CP selon les termes et les conditions précises régis- sant le trafic ferroviaire, tous ces facteurs peuvent entrer en ligne de compte lorsque la nature même d'un service ferroviaire est considérée du point de vue de l'expéditeur et du réceptionnaire. Mais le critère qui doit servir à déterminer les dispositions législatives applicables n'est pas de savoir s'il est question de perdre ou non un service que l'on peut décrire, de façon assez large, comme étant un service ferroviaire, mais de savoir s'il s'agit de l'abandon de l'exploitation d'une ligne de chemin de fer.
Un chemin de fer est un mode de transport. Un bateau est un autre mode de transport. Ce que l'exploitation d'une ligne de chemin de fer visé en réalité est un mode particulier de transport. Dans le service des barges porte-wagons, la barge est le mode de transport et non les wagons. Lorsque la barge sert de mode de transport sur le lac Koote- nay, les wagons servent alors de conteneurs. Arri- vés au point de destination du parcours de la barge porte-wagons, les wagons sont alors raccordés aux voies. Ils font alors fonction de matériel roulant et de moyen de transport mais uniquement du point de vue des opérations de chargement et de déchar- gement. Le transport d'un point à un autre sur le lac Kootenay se fait par voie de barges porte- wagons, un bateau se livrant à un genre de trans port par eau, savoir le transport des wagons ser vant de conteneurs. Par conséquent, l'exploitation d'un service de barges porte-wagons n'équivaut pas, à mon sens, à l'exploitation d'une ligne de chemin de fer et ne tombe pas dans le cadre des dispositions de la Loi sur les chemins de fer tou- chant l'abandon. Conclure en sens contraire serait conclure que le service de barges porte-wagons
correspond à l'exploitation d'une ligne mobile de chemin de fer qui, reliée de temps à autre à la ligne principale de CP, en ferait partie. Mis à part le fait que c'est la barge et non le chemin de fer qui constitue le moyen de transport, il existe une difficulté pratique qui consiste à identifier la ligne de chemin de fer que représente le service de barges. Les dispositions de la Loi sur les chemins de fer relatives à l'approbation du tracé, de la construction et du commencement de l'exploitation de lignes de chemin de fer ne sembleraient pas prévoir une ligne fictive de chemin de fer traver- sant une étendue d'eau par voie de bateau qui fait la navette entre divers points, et ne pourraient s'appliquer à une telle ligne.
C'est avec réticence que je conclus en ces termes car le service de barges porte-wagons fait partie, depuis longtemps, des exploitations du CP et la région en dépend. Il peut exister de sérieuses rai- sons de principe nées de ces circonstances étayant la conclusion selon laquelle l'abandon du service de barges porte-wagons devrait être soumis à l'appro- bation de la Commission. Mais la législation dans sa forme actuelle, considérée dans le contexte de la législation fédérale régissant, de façon générale, les transports, ne nous autorise pas, par interprétation judiciaire, à étendre la portée des dispositions législatives. Les avocats qui ont comparu et plaidé en faveur de la décision du Comité ont insisté plus particulièrement sur l'article 21 de la Loi natio- nale sur les transports (de même que sur la dispo sition semblable donnée à l'article 3 de la Loi sur les transports) qui donne instruction à la Commis sion d'exercer les fonctions qui lui sont dévolues par les lois pertinentes régissant les transports «en vue de coordonner et d'harmoniser les opérations de tous les transporteurs qui font des transports par chemin de fer, par eau, par aéronef, des trans ports s'étendant sur plus d'une province par véhi- cule à moteur et par pipe-line pour denrées». Je ne crois pas à l'utilité de cette disposition lorsqu'il s'agit pour la Cour d'interpréter les dispositions d'abandon prévues dans la Loi sur les chemins de fer. La question en l'espèce n'est pas de savoir comment la Commission doit exercer ses fonctions en vertu de ces dispositions mais si elle a de telles fonctions relativement au service de barges porte-wagons.
Avant de conclure, il faut mentionner le moyen additionnel, distinct cependant des dispositions
d'abandon prévues dans la Loi sur les chemins de fer, que le Comité a invoqué à l'appui de sa décision. Citant le paragraphe 262(1) de la Loi sur les chemins de fer, qui oblige la société ferroviaire à «fournir, au point de départ de son chemin de fer et au point de raccordement de son chemin de fer avec d'autres, et à tous les points d'arrêt établis à cette fin, des installations suffisantes et convena- bles pour la réception et le chargement des mar- chandises et effets présentés à la compagnie pour être transportés sur son chemin de fer», le Comité a conclu que «Cet article oblige CP à fournir les installations nécessaires au transport de toutes les marchandises qu'on lui offre pour transport sur ses lignes de chemin de fer dans la région du lac Kootenay, et cela comprend nécessairement celles qui proviennent de Procter, Kaslo et Lardeau.» Ces motifs, sur lesquels n'ont pas insisté les avocats comparaissant pour appuyer la décision du Comité, n'ont, à mon avis, aucune valeur. Aux termes de ces motifs, il faudrait interpréter le paragraphe 262(1) comme imposant à la société ferroviaire l'obligation non seulement de fournir des installations suffisantes et convenables au transport des marchandises présentées aux divers points situés sur sa ligne, mais l'obligation, non visée par le langage du paragraphe, d'étendre son service ferroviaire au-delà de l'extrémité de sa ligne.
Pour ces motifs, je suis d'avis que le Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports n'avait pas juridiction pour ordonner à CP de rétablir et de reprendre le service de barges porte-wagons sur le lac Kootenay et que, par conséquent, l'appel doit être accueilli.
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LE JUGE PRATTE y a souscrit.
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LE JUGE RYAN y a souscrit.
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