A-171-77
Bibi Rahiman Ali (Requérante)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie, le juge
suppléant MacKay—Toronto, le 24 novembre;
Ottawa, le 13 décembre 1977.
Examen judiciaire — Immigration — Expulsion — Rejet
par la Commission d'appel de l'immigration d'une demande de
prorogation du délai pour déposer l'appel — La prorogation
doit-elle être accordée? — Requérante revenue au Canada
après son expulsion — On a informé la requérante qu'elle
n'avait pas de droit d'appel — La requérante était une rési-
dente permanente avant l'exécution de la première ordonnance
d'expulsion — Y a-t-il droit d'appel? — Loi sur l'immigra-
tion, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 2, 18(1)e)(ix) — Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art.
11(1)a) modifié par S.C. 1973-74, c. 27, art. 5 — Règles de la
Commission d'appel de l'immigration, DORS/67-559, Règle 4
— Règlement sur les enquêtes de l'immigration, DORS/67-
621 modifié par DORS/73-470, art. 1214.
Après l'exécution d'une ordonnance d'expulsion, la requé-
rante est revenue au Canada sans la permission du Ministre ou
sans un permis ministériel. Au cours de l'enquête spéciale qui a
conduit à la seconde ordonnance d'expulsion par suite du retour
de la requérante, l'enquêteur spécial a informé celle-ci qu'elle
n'avait pas de droit d'appel devant la Commission d'appel de
l'immigration. La requérante allègue qu'elle a un droit d'appel
et qu'en conséquence l'enquêteur spécial a violé les dispositions
de l'article 12b) du Règlement sur les enquêtes de l'immigra-
tion. La Commission d'appel de l'immigration a rejeté une
requête qui demandait une prorogation du délai pour faire
appel contre la seconde ordonnance d'expulsion, pour défaut de
compétence. Cette décision de la Commission fait l'objet de la
présente demande d'examen judiciaire.
Arrêt: la demande est rejetée. Elle ne peut pas réussir parce
que la Commission d'appel de l'immigration n'a pas le pouvoir
de proroger le délai au-delà du délai énoncé dans la Règle 4 des
Règles de la Commission d'appel de l'immigration. En outre la
dernière admission de la requérante au Canada, antérieurement
à la seconde ordonnance d'expulsion, doit être une admission
légale pour que la requérante ait le statut de résidente perma-
nente à cette date. Comme la dernière admission était illégale
parce que contraire à l'article 35 de la Loi sur l'immigration, la
requérante n'était pas une résidente permanente lorsque fut
rendue la seconde ordonnance d'expulsion contre elle. N'étant
pas résidente permanente, elle n'avait pas de droit d'appel en
vertu de l'article 11(1)a). L'enquêteur spécial n'a donc pas
violé l'article 12b) du Règlement.
Arrêt appliqué: Woldu c. Le ministre de la Main-d'œuvre
et de l'Immigration [1978] 2 C.F. 216.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
M. Philip pour la requérante.
K. Braid pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jemmott & Philip, Toronto, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande, faite
en vertu de l'article 28, pour l'examen et l'annula-
tion d'une décision de la Commission d'appel de
l'immigration, datée du 10 mars 1977, dans
laquelle la Commission a refusé à la requérante
une prorogation du délai pour interjeter appel
d'une ordonnance d'expulsion rendue contre elle le
15 juillet 1976 (ci-après appelée la deuxième
ordonnance d'expulsion).
La requérante, originaire de la Guyane, a
obtenu le statut d'immigrant reçu au Canada le 15
février 1973. Le 12 mars 1975, une ordonnance
d'expulsion fut rendue contre elle (ci-après appelée
la première ordonnance d'expulsion) pour le motif
qu'elle était une personne décrite au sous-alinéa
18(1)e)(ii) de la Lorsur l'immigration, ayant été
déclarée coupable d'une infraction visée par le
Code criminel. La requérante a interjeté appel
contre la première ordonnance d'expulsion devant
la Commission d'appel de l'immigration qui a
rejeté son appel. La première ordonnance d'expul-
sion fut exécutée le 24 février 1976. Le 26 juin
1976, la requérante revint au Canada sans la
permission du Ministre ou sans un permis
ministériel.
La seconde ordonnance d'expulsion ci-dessus
mentionnée fut rendue contre la requérante le 15
juillet 1976, pour le motif qu'elle était une per-
sonne décrite au sous-alinéa 18(1)e)(ix) de la Loi
sur l'immigration: [TRADUCTION] «Vous êtes
revenue au Canada après qu'une ordonnance d'ex-
pulsion a été rendue contre vous le 12 mars 1975 à
Toronto (Ontario) et, puisque aucun appel contre
ladite ordonnance n'a été accueilli, que vous avez
été expulsée du Canada et que vous n'avez pas
l'autorisation du Ministre pour y revenir, il serait
contraire à l'article 35 de la Loi sur l'immigration
de vous permettre de demeurer au Canada.»'
Au cours de l'enquête spéciale qui a conduit à la
seconde ordonnance d'expulsion, l'enquêteur spé-
cial a informé la requérante qu'elle n'avait pas de
droit d'appel devant la Commission d'appel de
l'immigration. Par requête déposée le 24 février
1977, la requérante a demandé à la Commission
une prorogation du délai pour faire appel devant la
Commission contre la deuxième ordonnance d'ex-
pulsion. Par décision rendue le 10 mars 1977, la
Commission a rejeté ladite requête [TRADUCTION]
«pour défaut de compétence». C'est cette décision
de la Commission qui fait l'objet de la présente
demande en vertu de l'article 28.
Sans tenir compte des autres points litigieux
soulevés par la requérante, je suis d'avis que cette
demande faite en vertu de l'article 28 ne peut pas
réussir parce que la Commission d'appel de l'im-
migration n'a pas le pouvoir de proroger le délai
Voici le libellé de l'article 18(1)e)(ix) de la Loi sur
l'immigration:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secré-
taire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une per-
sonne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonction-
naire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la
paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des
détails complets, concernant
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une
personne ayant un domicile canadien, qui
(ix) revient au Canada ou y demeure contrairement à la
présente loi après qu'une ordonnance d'expulsion a été
rendue contre elle ou autrement, ou
Voici le libellé des articles 35 et 35.1 de la Loi sur
l'immigration:
35. Sauf lorsqu'un appel d'une telle ordonnance est admis,
une personne contre qui une ordonnance d'expulsion a été
rendue et qui est expulsée ou quitte le Canada, ne doit pas
subséquemment être admise dans ce pays, ou il ne doit pas
lui être permis d'y demeurer, sans le consentement du
Ministre.
35.1 Quiconque fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion
et
a) est expulsé du Canada ou quitte le Canada, et
b) revient au Canada sans l'autorisation du Ministre
est, à moins que l'appel formé contre l'ordonnance d'expul-
sion ne soit accueilli, coupable d'une infraction et passible
c) s'il est condamné par suite du dépôt d'un acte d'accusa-
tion, d'un emprisonnement de deux ans, ou
d) s'il est condamné par voie de déclaration sommaire de
culpabilité, d'une amende maximale de cinq cents dollars
ou d'un emprisonnement de six mois, ou de ces deux peines
à la fois.
pour déposer un avis d'appel au-delà du délai
énoncé dans la Règle 4 des Règles de la Commis
sion d'appel de l'immigration 2 Une décision a été
rendue dans ce sens par cette cour dans Woldu c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion'. Il est vrai que les faits de l'affaire Woldu
relevaient de l'article 11(1)c) de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration (une per-
sonne réclamant le statut de réfugié) mettant ainsi
en jeu les articles 11(2) et 11(3) de ladite loi,
tandis que ceux de la présente espèce relèvent de
l'article 11(1)a) (une personne réclamant le statut
de résident permanent au Canada), mais la Règle
4 n'en est pas moins, par son libellé même, applica
ble à tous les appels faits en vertu de l'article 11 de
la Loi, ce qui inclut nécessairement les appels,
comme celui qui nous occupe, faits en vertu de
l'article 11(1)a). Je suis aussi convaincu que la
Règle 4 des Règles de la Commission d'appel de
l'immigration a été valablement édictée par la
Commission conformément aux pouvoirs que lui
confère l'article 8(1) de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration 4 car, à mon avis, la
Règle 4 n'est pas incompatible avec l'économie
générale de la Loi.
Dans Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration c. La Commission d'appel de l'im-
migration, in re Jaroslav Holocek 5 , le juge
Gibson, de la Division de première instance de
cette cour, a exprimé un avis analogue relative-
ment à la validité de la Règle 4 des Règles de la
Commission d'appel de l'immigration.
2 Voici le libellé de la partie pertinente de la Règle 4 des
Règles de la Commission d'appel de l'immigration:
4. (1) Celui qui veut interjeter appel en vertu de l'article
11 de la Loi doit en donner avis à l'enquêteur spécial qui a
présidé à l'enquête, à l'examen supplémentaire, ou à un
fonctionnaire à l'immigration.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), l'avis d'appel doit être
signifié dans les vingt-quatre heures de la signification de
l'ordonnance d'expulsion ou, à la discrétion du président,
dans un délai d'au plus cinqrjours.
3 Voir à la page 216 précitée.
4 Voici le libellé de l'article 8(1):
8. (1) La Commission peut, sous réserve de l'approbation
du gouverneur en conseil, établir des règles non incompati
bles avec la présente loi en ce qui concerne son activité et la
pratique et la procédure relatives aux appels à la Commission
prévus par la présente loi.
5 N° du greffe T-1960-75, en date du 9 juin 1975. [Pas de
motifs écrits—Ed.]
Cependant, comme l'avocat de la requérante a
fait une autre attaque sérieuse et portant sur le
fond contre la validité de la seconde ordonnance
d'expulsion, attaque dont les tribunaux ne parais-
sent pas avoir traité, je vais analyser la question et
exprimer mon avis à cet effet. La requérante a
allégué que l'enquêteur spécial a violé les disposi
tions de l'article 12b) du Règlement sur les enquê-
tes de l'immigration, lequel article exige de l'en-
quêteur spécial, lorsqu'il rend une ordonnance
d'expulsion dans des cas où la personne a un droit
d'appel en vertu de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration, qu'il avise cette per-
sonne de son droit d'appel et aussi des formalités à
remplir pour exercer ce droit 6 . La requérante a
ensuite allégué qu'elle a ce droit d'appel à titre de
résidente permanente du Canada, parce que l'arti-
cle 11(1)a) de la Loi sur la Commission d'appel
de l'immigration prévoit en faveur d'un résident
permanent [c'est moi qui souligne] un droit d'ap-
pel, devant la Commission d'appel de l'immigra-
tion, contre une ordonnance d'expulsion, sur une
question de droit ou une question mixte de droit et
de fait. La requérante attire ensuite l'attention sur
la définition de «résident permanent» dans l'article
2 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration et dont voici le libellé:
«résident permanent» désigne une personne à qui a été accordée
l'admission légale au Canada aux fins de la résidence perma-
nente en vertu de la Loi sur l'immigration;
et déclare qu'elle satisfait aux conditions de cette
définition parce qu'elle a obtenu le statut d'immi-
grant reçu le 15 février 1973. A l'appui de cette
allégation, la requérante a également cité la défini-
tion du mot «admission» donnée dans l'article 2 de
la Loi sur l'immigration et dont voici le libellé:
«admission» comprend l'entrée au Canada, la réception au
Canada, et retour au Canada d'une personne qui a antérieu-
rement été reçue dans ce pays et n'a pas acquis de domicile
canadien;
6 Voici le libellé de l'article 12b) du Règlement sur les
enquêtes de l'immigration:
12. Un président d'enquête qui rend une ordonnance d'ex-
pulsion contre une personne doit immédiatement, en ce
faisant,
b) informer la personne de son droit d'interjeter appel aux
termes de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra-
tion et des formalités à remplir pour exercer ce droit,
lorsqu'il s'agit d'une personne visée par l'alinéa 11(1)a) ou
b) de la Loi précitée; et
Tout en admettant que la requérante était,
avant que la première ordonnance d'expulsion ne
fût rendue, une résidente permanente au Canada
au sens de l'article 11(1)a) de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration, l'intimé
allègue que, puisque l'article 11(1)a) renvoie au
cas d'une personne qui est résidente permanente
[c'est moi qui souligne], il ne vise donc pas le cas
de personnes qui, antérieurement, étaient ou ont
été résidentes permanentes au Canada et qui en
ont été valablement expulsées. L'intimé allègue
que le terme «admission» employé dans la défini-
tion de «résident permanent» par la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration ne doit pas
être interprété de manière à inclure une admission
antérieure à une ordonnance d'expulsion autre que
l'ordonnance dont on veut interjeter appel, et que
toute autre interprétation viderait l'article 35 de la
Loi sur l'immigration (supra) de tout son sens.
Je suis d'accord avec la plaidoirie de l'avocat de
l'intimé. En vertu de l'article 35 de la Loi sur
l'immigration, la requérante fait un acte illégal en
rentrant au Canada et y demeurant sans l'autori-
sation du Ministre. Elle n'a pas obtenu cette auto-
risation et est donc revenue au Canada de façon
illégale. Je ne peux pas croire que le Parlement ait
voulu continuer, dans des circonstances sembla-
bles, à accorder à une personne le statut de «rési-
dent permanent» au Canada. En l'espèce, il faut
examiner le statut de la requérante au moment de
la seconde ordonnance d'expulsion, soit le 15 juillet
1976. On ne peut pas dire qu'à cette date elle était
une «résidente permanente» au Canada puisque sa
présence au pays était alors illégale. A mon avis, il
n'est pas du tout important qu'à un certain
moment antérieur elle ait été une «résidente per-
manente». La seule date qui compte est celle à
laquelle son droit d'appel serait né si elle avait été
une résidente permanente, et c'est la date même de
l'ordonnance d'expulsion qu'elle cherche à porter
en appel.
Ce point de vue s'appuie sur la définition du mot
«entrée» donnée à l'article 2 de la Loi sur l'immi-
gration. Entrée signifie «l'admission légale d'un
non-immigrant au Canada, à une fin spéciale ou
temporaire et pour un temps limité» [c'est moi qui
souligne]. En conséquence, lorsqu'on met côte à
côte la définition de «résident permanent» dans
l'article 2 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration et la définition des mots «admission»
et «entrée» dans l'article 2 de la Loi sur l'immigra-
tion, il devient évident que la dernière admission
de la requérante au Canada, antérieurement au 15
juillet 1976, doit être une admission légale pour
que la requérante ait le statut de résidente perma-
nente à cette date. Comme la dernière admission
était illégale parce que contraire à l'article 35 de la
Loi sur l'immigration, la requérante n'était pas
une résidente permanente lorsque fut rendue la
seconde ordonnance d'expulsion contre elle.
N'étant pas résidente permanente, elle n'avait pas
de droit d'appel en vertu de l'article 11(1)a), et
comme elle n'avait pas de droit d'appel, l'enquê-
teur spécial n'a pas violé l'article 12b) du Règle-
ment. Je suis donc d'avis que la prétention de la
requérante échoue et qu'il faut rejeter la demande
faite en vertu de l'article 28 pour ce motif
supplémentaire.
LE JUGE URIE y a souscrit.
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.