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A-291-77
La Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor (Requérante)
c.
J. G. I. Lavoie (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Urie—Ottawa, le 7 octobre 1977.
Examen judiciaire Fonction publique Employé ren- voyé «Formule de grief» déposée après expiration du délai La Commission des relations de travail dans la Fonction publique a permis une prorogation du délai pour le dépôt La Commission est-elle compétente pour accorder la proroga- tion lorsque l'intéressé n'est plus un «employé» au moment de la prorogation proposée? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 90(1), 99(1)c) Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., DORS/75-604, art. 8(2), 75(1), (2), 89(1).
L'intimé, qui avait été renvoyé pendant son année de stage, a déposé une «formule de grief» après expiration du délai permis par règlement. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique a décidé d'accéder à la requête de l'intimé en lui accordant une prorogation du délai pour déposer un grief contre son licenciement. Cette demande, formulée en vertu de l'article 28, visant l'annulation de cette décision, est fondée sur l'allégation que la Commission n'était pas compétente pour accorder une prorogation à une personne qui n'était pas un «employé» au moment de la prorogation proposée.
Arrêt: la demande est rejetée. Les premiers mots de l'article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique doivent s'interpréter comme englobant toute personne se sentant lésée à titre d'«employé». Autrement, une personne ayant à se plaindre en tant qu'employé», p. ex. au sujet du classement ou des salaires, perdrait son droit de présenter des griefs à cause de la suppression de son emploi, p. ex. à la suite d'une mise en disponibilité. Il faudrait des dispositions très clairement exprimées pour convaincre la Cour que ledit résultat est intentionnellement recherché.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Duff Friesen pour la requérante.
M. W. Wright, c.r., pour l'intimé.
Personne n'a comparu pour la Commission
des relations de travail dans la Fonction
publique.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour l'intimé.
Commission des relations de travail dans la Fonction publique, Ottawa, pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une requête, présentée en application de l'article 28, en annulation d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, laquelle décision a prorogé le délai durant lequel l'intimé peut présenter un grief en vertu de l'article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35.
Par lettre en date du 29 octobre 1975, le maître de poste régional a informé l'intimé que celui-ci était renvoyé à partir du 6 novembre 1975, comme [TRADUCTION] «employé n'ayant pas donné satis faction» au cours de son «stage», qu'il avait le droit de «présenter des griefs» contre ladite décision, suivant la procédure des griefs, et que tout grief devait être présenté par écrit «dans les 25 jours de la réception» de la notification.
L'intimé a signé une «formule de grief», en date du 17 décembre 1975, dans laquelle il déclare ce qui suit: [TRADUCTION] «En tant qu'employé de la catégorie 4 du bureau de poste de Thunder Bay, je me plains de mon congédiement par le maître de poste W. J. Gavan». Il appert que la lettre a été envoyée au maître de poste, puis retournée à l'ex- péditeur accompagnée d'une missive disant que la lettre ne pouvait être acceptée [TRADUCTION] «parce que le délai d'acceptation est expiré». L'al- lusion à un «délai» est, semble-t-il, une référence à l'article 75 des Règlements et règles de procédure de la C.R.T.F.P., DORS/75-604, dont voici un extrait:
75. (1) Lorsqu'un employé désire présenter un exposé de grief, il doit le faire
a) au premier palier de la procédure applicable aux griefs, lorsque l'exposé de grief n'a pas trait à la classification ou à une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, et
b) au dernier palier de la procédure applicable aux griefs, lorsque l'exposé de grief a trait à la classification ou à une mesure disciplinaire entraînant le congédiement
(2) Un employé doit présenter un grief
a) s'il n'a pas trait à la classification ou à une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, au plus tard le vingtième jour, et
b) s'il a trait à la classification ou à une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, au plus tard le vingt-cinquième jour,
suivant celui l'employé a été avisé verbalement ou par écrit ou, lorsqu'il n'a pas été ainsi avisé, suivant le jour il a eu connaissance d'une action ou d'une situation donnant naissance au grief.'
Par lettre en date du 16 avril 1976, adressée à la Commission, l'intimé sollicitait une prorogation du délai de présentation de son «grief». 2
' Voir l'article 90(1) et l'article 99(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, dont voici des extraits:
90. (1) Lorsqu'un employé s'estime lésé
a) par l'interprétation ou l'application à son égard
(i) de quelque disposition d'une loi, d'un règlement, d'une instruction ou d'un autre instrument établi ou émis par l'employeur, concernant des conditions d'em- ploi, ou
(ii) d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale; ou
b) par suite d'un événement ou d'une question qui vise ses conditions d'emploi, sauf une disposition indiquée au sous- alinéa a)(i) ou (ii),
relativement à laquelle ou auquel aucune procédure adminis trative de réparation n'est prévue en vertu d'une loi du Parlement, il a le droit, sous réserve du paragraphe (2), de présenter ce grief à chacun des paliers, y compris le dernier palier, que prévoit la procédure applicable aux griefs établie par la présente loi.
99. (1) La Commission peut établir des règlements relatifs à la procédure à suivre pour la présentation des griefs et, notamment, en ce qui concerne
c) le délai pendant lequel un grief peut être présenté à tout palier de la procédure applicable aux griefs, y compris le dernier palier;
2 La requête renvoie à l'article 8 du Règlement, dont voici le
paragraphe (2):
8....
(2) La Commission peut, aux conditions qu'elle juge opportunes, prolonger le délai prescrit par le présent règle- ment pour faire toute démarche, signifier tout avis, produire tout document ou entamer toute procédure et peut le faire avant ou après l'expiration du délai prescrit.
mais l'article 89(1) du Règlement, dont voici le texte, est une source plus précise:
89. (1) Nonobstant toute disposition de la présente partie, les délais prescrits par la présente partie pour faire toute action, présenter tout grief, signifier ou produire tout avis, toute réplique ou tout document peuvent être prolongés soit avant soit après l'expiration de ces délais
Après que la Commission a entendu la requête aux fins de prorogation du délai, l'avocat du requé- rant (l'employeur) lui a envoyé un résumé de l'exposé de ses arguments [TRADUCTION] «à titre d'opposition préliminaire»; la position du requérant y est résumée comme suit:
[TRADUCTION] 5. 11 s'ensuit nécessairement que l'employé s'estimant lésé, que l'on s'accorde à considérer comme un ex-employé, doit prouver qu'il a perdu son emploi dans la Fonction publique à cause de mesures disciplinaires résultant en un congédiement; s'il ne réussit pas à établir cette preuve, la Commission ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire par une prorogation du délai.
6. L'employeur soutient que, lorsqu'une exception est opposée sur le fondement du statut de l'employé s'estimant lésé, il incombe à ce dernier de prouver qu'il possède le statut néces- saire; en d'autres termes, il ne lui suffit pas d'alléguer les mesures disciplinaires. En tout temps il a la charge d'établir que tel est bien le cas.
7. Il est ensuite soutenu que, eu égard aux preuves produites devant la Commission aux fins d'établir que l'employé s'esti- mant lésé a été, en fait et en droit, renvoyé, au cours de son stage, pour un motif déterminé, suivant les dispositions de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, l'employé s'estimant lésé n'arrive pas à démontrer qu'il fait l'objet de mesures disciplinaires résultant en un congédiement.
8. En tout cas, et pour les motifs susmentionnés, l'employé s'estimant lésé n'a pas le droit de présenter maintenant un grief en application de l'article 90(1) de la Loi.
La présente requête, présentée en vertu de l'arti- cle 28, en vue d'annuler la décision de la Commis sion prorogeant le délai de présentation par l'em- ployé s'estimant lésé de griefs contre son licenciement, est fondée sur l'allégation que la Commission n'était pas compétente pour accorder une prorogation à une personne qui n'était pas un «employé» au moment de la prorogation proposée. Une revue rapide des documents étayant la requête peut ne pas établir l'existence d'un grief suffisam- ment défendable' et ce défaut de preuve aurait pu être une raison solide pour que la Commission refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire en accordant une prorogation. Ce n'est, cependant, pas le fondement de la présente requête. La
a) par la Commission, relativement à tout grief en parti- culier ou à toute catégorie de griefs, sur demande d'un employeur, d'un employé ou d'un agent négociateur; ou
b) de l'accord des parties, sous réserve de l'approbation de la Commission.
3 Voir la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Jacmain c. Le procureur général du Canada (1977) 81 D.L.R. (3e) 1.
question y soulevée, et c'est la seule, est de savoir si la Commission était compétente pour accorder une prorogation, compte tenu du fait que l'em- ployé s'estimant lésé n'était pas un «employé» lors- qu'il sollicitait cette prorogation, parce qu'anté- rieurement, il avait déjà été «renvoyé».
Pour présenter le problème en perspective, il est commode de considérer tout d'abord la situation d'une personne licenciée par suite de mesures disciplinaires. 4
La règle générale (article 75(2) du Règlement) est que toute réclamation relative au congédiement doit être faite dans les 25 jours. A mon avis, la réclamation peut être présentée par une personne qui, en fin de compte, a été légalement congédiée, de sorte qu'elle n'est pas un «employé» suivant le dernier membre de phrase de la définition de l'article 2, mais elle en est un aux fins de disposi tions relatives aux mesures disciplinaires, par application de l'alinéa b) de la définition de «grief». 5 En réalité, ladite personne est un «employé» aux fins de présentation du grief en vertu de l'article 90(1) de la Loi, même si le résultat final de la réclamation et de la procédure de jugement est que son état d'«employé» a été légalement et régulièrement annulé. Si elle peut présenter des griefs dans le délai fixé, je crois que ce délai peut être prorogé en application de l'arti- cle 89(1) du Règlement.
4 L'article 91(I )b) montre qu'un tel cas pourrait être un objet pertinent de grief en application de l'article 90(1).
5 Voici les parties pertinentes des définitions d'«employé» et de «grief» dans l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique:
«employé» désigne une personne employée dans la Fonction publique, ...
et, aux fins de la présente définition, une personne ne cesse pas d'être employée dans la Fonction publique ... du seul fait qu'elle a été congédiée contrairement à la présente loi ou à quelque autre loi du Parlement;
«grief» désigne une plainte écrite, présentée en conformité de la présente loi par un employé pour son propre compte, ou pour son compte et celui d'un ou de plusieurs autres employés, sauf que
b) aux fins de toute disposition de présente loi visant les griefs, relativement aux mesures disciplinaires portant con- gédiement ou suspension, la mention d'un «employé» s'ap- plique à un ancien employé ....
Dès que nous avons mis en perspective ce cas simplifié, je pense que la solution à la présente affaire peut être présentée comme suit: le requé- rant présente un grief contre son «licenciement». Même si le grief est fondé sur le prétendu «renvoi», il se peut très bien qu'à l'examen des faits, le grief soit relatif à des mesures disciplinaires aboutissant à un congédiement. 6 En conséquence, la Commis sion serait compétente pour accorder une proroga- tion du délai de présentation du grief sans décider au préalable si celui-ci va aboutir au résultat désiré. '
Cependant, je ne me prononce pas de façon définitive sur ce problème. Je suis d'avis que la requête formulée en vertu de l'article 28 devrait être rejetée pour des motifs plus généraux. Les premiers mots de l'article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique doivent s'interpréter comme englobant toute per- sonne se sentant lésée à titre d'«employé». Autre- ment, une personne ayant à se plaindre en tant
qu'«employé», p. ex. au sujet du classement ou des salaires, perdrait son droit de présenter des griefs à cause de la suppression de son emploi, p. ex. à la suite d'une mise en disponibilité. Il faudrait des dispositions très clairement exprimées pour me
6 Voir la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Jacmain (précité).
7 A mon avis, (licenciement» dans le présent contexte, est l'équivalent de (congédiement», par opposition à renvoi, mise en disponibilité dans les articles 28 et suivants de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, et renvoie à l'une des sanctions expressément prévues relativement aux normes de discipline envisagées dans l'article 7(1)J) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, dont voici des extraits:
7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre employeur et employés dans la fonction publi- que, et sans limiter la généralité des articles 5 et 6,
J) établir des normes de discipline dans la fonction publi- que et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la suspension et le congédiement, qui peuvent être appliquées pour manquements à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, ou peuvent être modifiées ou annulées, en tout ou en partie;
convaincre que ledit résultat est intentionnellement recherché.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Je conviens avec le juge en chef que les termes introductifs de l'article 90(1) visent le cas d'une personne qui se sent lésée à titre d'employée. Pour ce motif, je rejette la requête.
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LE JUGE URIE y a souscrit.
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