T-1350-75
William Smith (Demandeur)
c.
Le procureur général du Canada (Défendeur)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Vancouver, le 25 octobre; Ottawa, le 4 novembre
1977.
Couronne — Limites territoriales du Canada — Territoire
du Yukon — Prétention que le Yukon n'a pas été cédé par la
Couronne au Canada, et ne fait pas partie du Canada —
L'autorisation de construire la route Dempster a été donnée au
nom de la Reine du chef du Canada — Le Yukon a-t-il été
régulièrement cédé? — L'autorisation personnelle de la Reine
est-elle requise pour entreprendre la construction de la route?
— Traité de Paris de 1763 — Proclamation royale du 7
octobre 1763 [S.R.C. 1970, Appendice II, p. 123] — Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, p. 191] — Acte de la
Terre de Rupert, 1868, 31 & 32 Vict., c. 105, art. 2, 5 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice II, p. 239] — Arrêté en conseil du 23
juin 1870 [S.R.C. 1970, Appendice II, p. 257] — Arrêté en
conseil du 31 juillet 1880 [S.R.C. 1970, Appendice II, p. 301].
Le demandeur conteste la validité des mesures prises au nom
de Sa Majesté la Reine du chef du Canada pour construire la
route Dempster, projetée de Dawson City à Fort McPherson.
Suivant la thèse du demandeur, une étendue considérable de ce
qui est communément reconnu comme une partie du Canada,
ne le serait pas et l'autorisation pour le projet traversant cette
étendue doit émaner personnellement de la Reine.
Arrêt: l'action est rejetée. Qu'elles aient été acquises par
conquête ou par établissement, les terres actuellement compri
ses dans les limites du territoire du Yukon ont été acquises par
la Couronne du chef de la Grande-Bretagne et non pas par le
Roi George III ou l'un de ses successeurs à titre personnel ou
privé. Si le territoire du Yukon ne faisait pas partie des
territoires du Nord-Ouest, ce qui n'est pas prouvé, ni de la
Terre de Rupert, ce qui n'est pas le cas suivant la preuve
présentée, alors il faisait partie du territoire annexé au Canada
par l'arrêté en conseil du 31 juillet 1880. Quoique cet arrêté en
conseil n'ait pas été rendu en application de l'article 146 de
1'A.A.N.B., il n'existe pas de disposition législative expresse
pour l'interdire, et la Couronne du chef de la Grande-Bretagne
avait la capacité d'effectuer une cession de territoire sans
l'autorisation de la loi.
Arrêt appliqué: Sikyea c. La Reine (1964) 43 D.L.R. (2e)
150, [1964] R.C.S. 642. Arrêt appliqué: Campbell c. Hall
(1774) 98 E.R. 1045. Arrêt appliqué: Gordhan c. Kanji
(1875-76) 1 App. Cas. 332.
ACTION.
AVOCATS:
W. Smith en son propre nom.
J. R. Haig pour le défendeur.
PROCUREURS:
William Smith, Old Crow (T.Y.), en son
propre nom.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le demandeur conteste la
validité des mesures prises au nom de Sa Majesté
la Reine du chef du Canada pour construire la
route Dempster. Cette route est actuellement en
construction, et lorsqu'elle sera terminée, elle ira
dans une direction à peu près nord-est commen-
çant au sud à Dawson City (territoire du Yukon)
pour se terminer au nord à Fort McPherson (terri-
toires du Nord-Ouest). Suivant la thèse du deman-
deur, une étendue considérable de ce qui est com-
munément reconnu comme une partie du Canada,
ne le serait pas. Dans cette étendue sont comprises
les terres traversées par la route Dempster.
La preuve et l'argumentation présentées par le
demandeur à l'audience n'ajoutent rien au contenu
de la demande introductive d'instance et de l'affi-
davit appuyant cette demande. L'argumentation
peut être assez bien résumée comme suit: (1) par
le traité de Paris de 1763, les terres en question ont
été cédées par Louis XV, le Roi de France, à
George III, le Roi de Grande-Bretagne;' (2) les
terres ainsi cédées sont entrées dans le domaine
particulier du Monarque britannique et sont res-
tées dans celui de Sa Majesté la Reine, en qualité
de successeur du Roi George III, n'ayant jamais
été cédées par le Roi George III, ou par aucun de
ses successeurs, à la Couronne du chef du Canada
et (3) en conséquence, que les mesures prises sur
ces territoires par les personnes agissant au nom et
sous l'autorité de la Couronne du chef du Canada,
plutôt qu'au nom et sous l'autorité de Sa Majesté à
... De plus, Sa Majesté Très Chretienne cede & garantit à
Sa dite Majesté Britannique, en toute Propriété, le Canada
avec toutes ses Dependances, ainsi que l'Isle du Cap Breton, &
toutes les autres Isles, & Côtes, dans le Golphe & Fleuve St
Laurent, & generalement tout ce qui depend des dits Pays,
Terres, Isles, & Côtes, avec la Souveraineté, Propriété, Posses
sion, & tous Droits acquis par Traité, ou autrement; que le Roy
Très Chretien et la Couronne de France ont eus jusqu'à présent
sur les dits Pays, Isles, Terres, Lieux, Côtes, & leurs Habi-
tans... .
titre personnel, sont des mesures illégales. A titre
subsidiaire, on arriverait au même résultat, c'est-à-
dire la nécessité d'avoir l'autorisation personnelle
de Sa Majesté, en se référant aux dispositions de la
Proclamation royale du 7 octobre 1763 2 , laquelle,
si elle s'appliquait au territoire du Yukon, pré-
voyait certainement que la disposition suivante
s'applique aux terres qui en font partie:
Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos
sujets, sous peine de s'attirer Notre déplaisir, ... [de] posséder
aucune terre ci-dessus réservée, ... sans avoir au préalable
obtenu Notre permission spéciale et une licence à ce sujet.
Le défendeur reconnaît que toutes les mesures
prises pour la construction de la route Dempster
l'ont été au nom et sous l'autorité de Sa Majesté
du chef du Canada et qu'une autorisation person-
nelle pour les fins particulières n'a jamais été
demandée ni reçue.
Je ne suis aucunement convaincu qu'il était
question dans le traité de Paris ou dans la Procla
mation royale d'une partie de ce qui est aujour-
d'hui le territoire du Yukon. La preuve n'établit
aucunement qu'il en était question et il semble
découler de Sikyea c. La Reine 3 qui traitait de la
partie ouest des territoires du Nord-Ouest, qu'il
n'en était pas question. En parlant au nom de la
Cour suprême du Canada dans cette affaire, le
juge Hall a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Eu égard à la question fondamentale ici en
jeu, je souscris aux motifs et aux conclusions du juge d'appel
Johnson en Cour d'appel. Il a parlé en détail et avec exactitude
des questions importantes, compte tenu de leur contexte histori-
que et juridique; je n'ai rien d'utile à ajouter à ce qu'il a déjà
écrit.
En Cour d'appel, le juge Johnson avait déclaré: 4
[TRADUCTION] Les Indiens habitant les terres de la Compagnie
de la Baie d'Hudson n'étaient pas visés par la proclamation; il
est pour le moins douteux que les Indiens de la partie ouest des
territoires du Nord-Ouest au moins, puissent revendiquer quel-
que droit en vertu de la proclamation, étant donné que ces
terres, à cette époque, étaient terra incognita et étaient situées
au nord et non pas «à l'ouest des sources des rivières qui de
l'ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer», (citation de
la proclamation de 1763 décrivant la région à laquelle s'appli-
quait celle-ci).
La «mer» mentionnée ci-dessus était, dans le con-
texte, évidemment l'océan Atlantique. Si ce qui est
aujourd'hui le territoire du Yukon était terra incog-
2 Voir S.R.C. 1970, Appendice II, p. 123, à la p. 127.
3 [ 1964] R.C.S. 642, à la p. 646.
4 (1964) 43 D.L.R. (2») 150, à la p. 152.
nita en ce qui concerne la Proclamation royale, il
ne pourrait pas en être autrement pour le traité de
Paris.
Cependant, pour important qu'il soit, l'argument
de base voulant qu'au cours du dix-huitième siècle
le lien entre le monarque régnant et les acquisi
tions territoriales d'outre-mer soient de nature
privée, plutôt que d'avoir un caractère officiel,
n'est pas fondé. Si l'on accepte que les terres en
question ont été cédées par le traité de Paris, alors
il est évident qu'elles ont été acquises par con-
quête. Cela étant, parmi les propositions que lord
Mansfield avait jugées en 1774 comme étant [TRA-
DUCTION] «trop claires pour être contestées» la
proposition suivante est particulièrement appro-
priée: 5
[TRADUCTION] Tout pays conquis par les forces britanni-
ques devient un dominion du Roi, du chef de la Couronne; par
conséquent, il est nécessairement assujetti à l'assemblée législa-
tive, au Parlement de la Grande-Bretagne.
Si le territoire du Yukon n'a pas été cédé par traité
ou proclamation, il a alors été acquis par établisse-
ment à une époque se situant après la signature du
traité de Paris. Les effets juridiques d'une telle
acquisition ont été établis en 1722. 6
[TRADUCTION] ... le Maître des rôles a déclaré que les lords
du Conseil privé, lors d'un appel au Roi en conseil interjeté par
des colonies, ont décidé
Premièrement, que dans le cas où des sujets anglais décou-
vrent un nouveau pays inhabité, et qu'étant donné que chaque
sujet a, de par sa naissance le droit d'invoquer la protection des
lois, alors partout où ils vont, ils transportent leurs lois avec
eux, et en conséquence, ce nouveau pays découvert est gouverné
par les lois d'Angleterre; bien que par la suite ce pays soit
habité par une population anglaise, ces lois du Parlement
d'Angleterre ne lieront pas cette population, si elles ne pré-
voient pas leur application dans les colonies; ... .
Si, comme c'est vraisemblablement le cas, les
terres maintenant situées dans le territoire du
Yukon sont devenues britanniques par établisse-
ment, c'est à une époque où le monarque exerçait
sur l'Angleterre une souveraineté institutionnelle,
par opposition à une souveraineté à titre personnel
ou de caractère privé que le demandeur cherche à
attribuer à la souveraineté de la Couronne sur le
territoire en question.
5 Campbell c. Hall (1774) 98 E.R. 1045, à la p. 1047.
6 Affaire 15—Anonyme (1722) 24 E.R. 646.
Qu'elles aient été acquises par conquête ou par
établissement, les terres actuellement comprises
dans les limites du territoire du Yukon ont été
acquises par la Couronne du chef de la Grande-
Bretagne et non pas par le Roi George III ou l'un
de ses successeurs à titre personnel ou privé. La
preuve ne précise pas la date de cette acquisition.
Cependant, il suffit de mentionner que la souverai-
neté britannique sur ce qui est maintenant le terri-
toire du Yukon a été revendiquée et reconnue sur
le plan international pas plus tard que le 28 février
1825. A cette date, la frontière entre l'Amérique
britannique et russe a été établie par traité. Il reste
à déterminer si la souveraineté a été plus tard
cédée à la Couronne du chef du Canada.
L'entité politique actuellement appelée Canada
a été créée par l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867 7 . L'article 3 de cette loi pré-
voyait que:
... les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du
Nouveau-Brunswick ne formeront qu'une seule et même Puis-
sance sous le nom de Canada;
Son étendue géographique se limitait aux provin
ces actuelles de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-
Brunswick ainsi qu'à des parties des provinces
actuelles de Québec et de l'Ontario. La Loi prévoit
l'admission d'autres colonies au Canada y compris,
entre autres, la Terre de Rupert et le territoire du
Nord-Ouest.
146. Il sera loisible à la Reine, de l'avis du très-honorable
Conseil Privé de Sa Majesté, ... et, sur la présentation d'adres-
ses de la part des chambres du parlement du Canada, d'admet-
tre la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest, ou l'une
ou l'autre de ces possessions, dans l'union ... les dispositions de
tous ordres en conseil rendus à cet égard, auront le même effet
que si elles avaient été décrétées par le parlement du Royaume-
Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande.
La Terre de Rupert était le nom du territoire
indiqué dans les lettres patentes du 2 mai 1670,
par lesquelles le Roi Charles II constituait la
Compagnie de la Baie d'Hudson. Aucune partie de
l'actuel territoire du Yukon ne fait partie de la
Terre de Rupert décrite dans les lettres patentes;
cependant, afin de permettre à la Couronne du
chef de la Grande-Bretagne d'accepter la cession
de la Terre de Rupert pour que son admission au
Canada puisse être effectuée comme prévu à l'arti-
' 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [voir S.R.C. 1970, Appendice
II, p. 191].
de 146, le Parlement britannique a édicté l'Acte
de la Terre de Rupert, 1868». Il prévoit entre
autres ce qui suit:
2. Pour les fins du présent acte, l'expression «Terre de
Rupert» désignera toutes les terres et territoires que [la compa-
gnie de la Baie d'Hudson] possède ou prétend posséder.
5. Par tout ordre ou tous ordres en conseil, comme il est dit
ci-haut, et sur adresses des deux chambres du parlement du
Canada, il sera loisible à Sa Majesté de déclarer que la Terre
de Rupert, à compter de la date y mentionnée, sera admise dans
la Puissance du Canada et en fera partie .... 9
En vertu d'un arrêté en conseil en date du 23
juin 1870, la Terre de Rupert et le territoire du
Nord-Ouest ont été, à partir du 15 juillet 1870,
«admis dans la Puissance du Canada et en [font]
partie». 10 L'Acte de la Terre de Rupert ainsi que
l'article 146 de l'A.A.N.B. ont été cités comme
sources pour l'arrêté en conseil.
Je n'ai aucune preuve pour déterminer la signifi
cation de l'expression «territoire du Nord-Ouest»
dans les années 1867 à 1870 inclusivement. Je n'ai
aucune base pour conclure que ce territoire était
une entité géographique déterminée ou distincte et
encore moins pour définir cette entité. La Terre de
Rupert, comme elle est décrite par les lettres
patentes, était une entité géographique déterminée.
Son étendue, comme elle est définie par l'Acte de
la Terre de Rupert, est encore moins susceptible
de définition, car selon l'Acte, elle comprend les
terres que la Compagnie de la Baie d'Hudson
possède ou prétend posséder.
De nombreux éléments de preuve tirés des archi
ves de la compagnie ont été présentés à la Cour
concernant les prétentions et activités de la compa-
gnie dans ce qui est aujourd'hui le territoire du
Yukon et au-delà en Alaska pendant la première
moitié du dix-neuvième siècle. Le poste à Fort
McPherson, qui a été établi en 1839, contrôlait le
commerce sur la rivière Peel en amont du McKen-
zie. Quant au bassin de la rivière Porcupine, le
8 31 & 32 Vict., c. 105 (12.-U.) [voir S.R.C. 1970, Appendice
II, p. 239].
» «L'ordre ou les ordres en conseil» visés à l'article 5 sont
définis à l'article 3, lequel autorise l'acceptation de la cession
des terres de la compagnie de la Baie d'Hudson, etc. par Sa
Majesté seulement à certaines conditions, y compris celle que la
cession sera nulle et de nul effet à moins que dans le délai d'un
mois à compter de la date de l'acceptation, un ordre en conseil
soit émis comme il est prévu par l'article 146 de l'A.A.N.B.
10 Voir S.R.C. 1970, Appendice II, p. 257, la p. 258.
comptoir Lapierre, qui a été établi sur la rivière
Bell en 1842 ainsi que le Fort Yukon, qui a été
établi à la jonction des rivières Porcupine et Yukon
en 1848, interceptaient respectivement son com
merce en amont et en aval. Le Fort Yukon était en
fait à quelque 120 milles à l'intérieur de l'Alaska
et a été, après son achat par les États-Unis à la
Russie, abandonné en 1870. La cession par la
compagnie à la Couronne qui a eu lieu avant
l'arrêté en conseil du 23 juin 1870, réservait dix
acres de terre pour le comptoir Lapierre, mainte-
nant situé dans le territoire du Yukon."
De 1821 jusqu'à 1859, la Compagnie de la Baie
d'Hudson, alors fusionnée avec la Compagnie du
Nord-Ouest, détenait une licence lui donnant le
droit exclusif du commerce de la fourrure dans
toute l'Amérique du Nord britannique, à l'excep-
tion de la Terre de Rupert, dont elle avait la
jouissance d'une autre manière, les provinces du
Canada ainsi que les territoires situés à l'ouest des
montagnes rocheuses. Le territoire sous licence
comprenait le Yukon de nos jours et la licence
donnait à la compagnie la responsabilité d'admi-
nistrer la justice dans le territoire sous licence,
conformément à la loi. 12 On dit que la philosophie
économique dominante en Grande-Bretagne ainsi
que l'orientation politique du Canada n'ont pas
favorisé la continuation d'un tel monopole com
mercial ou la délégation de l'autorité politique
au-delà de 1859. Il semble qu'en pratique, vu
l'absence dans la plus grande partie du territoire
d'une concurrence commerciale ou d'un appareil
gouvernemental, l'extinction des droits conférés
par la licence n'a pas modifié immédiatement la
position de facto de la compagnie dans le
territoire.
Cependant, c'est une chose de jouir d'une
licence exclusive de commerce comportant l'obli-
gation d'administrer la justice sur un territoire
donné, et une toute autre chose de posséder ce
territoire ou, même avec une apparence de droit,
de prétendre de le posséder. Me fondant sur la
preuve, je conclus qu'aucune partie du territoire du
Yukon, avec la seule exception possible des terres
11 Voir S.R.C. 1970, Appendice II, p. 277.
12 [TRADUCTION] Une Loi pour réglementer le commerce de
la fourrure et établissant une juridiction criminelle et civile
dans certaines parties de l'Amérique du Nord, 1 & 2 Geo. IV,
c. 66 (R.-U.).
immédiatement adjacentes au comptoir Lapierre,
n'entre dans la définition de la Terre de Rupert
mentionnée à l'article 2 de l'Acte de la Terre de
Rupert.
Le 31 juillet 1880, la Reine Victoria, en réponse
à une adresse des chambres du Parlement du
Canada, a, par un arrêté en conseil, ordonné et
déclaré: 13
A compter du premier jour de septembre 1880, tous les
territoires et possessions britanniques dans l'Amérique du
Nord, ne formant pas déjà partie de la Puissance du Canada, et
toutes les îles adjacentes à tels territoires ou possessions, seront
(à l'exception de la colonie de Terreneuve et ses dépendances)
annexés à la dite Puissance du Canada, et en formeront partie;
et ils deviendront et seront assujétis aux lois alors en vigueur
dans la dite Puissance, en tant que ces lois pourront y être
applicables.
Il est évident que si le territoire du Yukon ne
faisait pas partie des territoires du Nord-Ouest, ce
qui n'est pas prouvé, ni de la Terre de Rupert,
suivant la preuve présentée il n'en faisait pas
partie, alors il faisait partie du territoire annexé au
Canada par cet arrêté en conseil. 14 De même, si le
territoire du Yukon ne faisait partie ni des territoi-
res du Nord-Ouest ni de la Terre de Rupert, cet
arrêté en conseil n'a pas été rendu en application
de l'article 146 de l'A.A.N.B. Aucune autre loi
habilitante autorisant à rendre cet arrêté en conseil
ne m'a été citée. Je dois également ajouter qu'au-
cune disposition législative expresse ne m'a été
citée pouvant interdire de rendre un tel arrêté. Le
demandeur soutient qu'en l'absence de loi habili-
tante, l'arrêté en conseil du 31 juillet 1880 est sans
effet.
Dans Gordhan c. Kanji 15 , le comité judiciaire du
Conseil privé a entendu un appel d'une décision de
la Haute Cour de Bombay qui s'appuyait sur une
de ses décisions antérieures suivant laquelle le
gouverneur général de l'Inde en conseil avait, par
un arrêté en conseil rendu le 29 janvier 1866, et
sans être autorisé par la loi, cédé une partie du
territoire britannique au Thakoor de Bhownuggur,
un souverain indépendant. La ratio decidendi de la
13 Voir S.R.C. 1970, Appendice II, p. 301, à la p. 302.
14 Les colonies de la Colombie-Britannique, en 1871, et de
l'ile-du-Prince-Edouard, en 1873, ont été admises dans l'Union
par des arrêtés en conseil de l'Empire en application des
dispositions de l'article 146 de l'A.A.N.B. que je n'ai pas trouvé
utile de citer.
15 (1875-76) 1 App. Cas. 332, aux pp. 373 et suiv.
Haute Cour ainsi que l'opinion de Leurs Seigneu-
ries sur cette affaire, sont exposées d'une manière
concise dans le passage suivant de la décision du
Conseil privé:
[TRADUCTION] ... les juges de la Haute Cour ont décidé que
la Couronne britannique avait outrepassé ses pouvoirs en
cédant en temps de paix à une puissance étrangère un territoire
relevant de la juridiction des tribunaux britanniques aux Indes
et cela sans avoir obtenu le consentement du Parlement impé-
rial; et sur ce motif ils ont rendu l'ordonnance ... maintenant
portée en appel, .... La question, c'est-à-dire si le principe
juridique qui a été établi de cette manière par la Haute Cour de
Bombay est exact, a été débattue d'une manière exhaustive et
habile ... et Leurs Seigneuries auraient été prêtes à exprimer
leur opinion à ce sujet si elles avaient dû le faire. Mais étant
arrivé à la conclusion que ledit appel devait être rejeté sans
qu'il soit fait référence à cette question, elles pensent qu'il est
suffisant d'indiquer qu'elles entretiennent de graves doutes
(pour ne pas dire davantage) sur la validité de la doctrine
générale et abstraite établie par la Haute Cour de Bombay, au
point qu'elles ne sont pas en mesure de conseiller à Sa Majesté
de fonder sa décision sur ce motif.
Leurs Seigneuries ont rejeté l'appel en arrivant à
la conclusion que dans les faits aucune cession de
territoire n'avait eu lieu.
L'arrêté en conseil du 31 juillet 1880 constitue
sans aucune équivoque une cession de territoire
par la Couronne du chef de la Grande-Bretagne.
Qu'elle n'ait pas été consentie, suivant les concepts
ordinaires du jour, à une puissance étrangère est
sans importance. La question porte sur la capacité
juridique de la Couronne du chef de la Grande-
Bretagne en 1880 d'effectuer la cession par arrêté
en conseil, sans autorisation expresse de la loi. La
seule conclusion que je peux tirer des événements
survenus entre janvier 1866 et juillet 1880 qui ont
été portés à mon attention, est qu'elle en avait
encore la capacité juridique à cette dernière date.
Jusqu'ici, je n'ai pas renvoyé spécifiquement à la
partie des territoires du Nord-Ouest traversée par
la route Dempster, mais je suis convaincu que les
considérations que j'ai jugé applicables au terri-
toire du Yukon sont également applicables aux
territoires du Nord-Ouest. Je suis totalement con-
vaincu que le territoire du Yukon en général ainsi
que les terres traversées par la route Dempster
dans le territoire du Yukon et les territoires du
Nord-Ouest en particulier, ont été valablement
cédés au Canada par la Couronne du chef de la
Grande-Bretagne, si ce n'est pas par l'arrêté en
conseil du 23 juin 1870, alors certainement par
l'arrêté en conseil du 31 juillet 1880. En consé-
quence, depuis cette date les mesures prises au
nom et sous l'autorité de la Couronne du chef du
Canada concernant ces territoires ne sont pas illé-
gales du fait qu'elles n'ont pas été prises au nom et
sous l'autorité, soit de Sa Majesté à titre personnel
ou de la Couronne du chef de la Grande-Bretagne.
L'action du demandeur échoue et sera rejetée
avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.