T-3250-76
Jack Clinton Magrath(Demandeur)
c.
La Reine(Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, les 7, 8, 9, 12 et 13_ septembre; Ottawa,
le 8 novembre 1977.
Emprisonnement — Action en vue d'obtenir un jugement
déclaratoire sur cinq points litigieux — Condamnation par le
comité de discipline alléguée abusive Transfert à un autre
pénitencier allégué comme ayant été effectué à l'encontre des
procédures prescrites — Perte ou retenue de biens qualifiées
d'illégales — Transfert de prison pour purger une peine d'iso-
lement cellulaire prétendu cruel et extraordinaire, particuliè-
rement après que des émeutes graves se sont produites
Déduction et affectation des intérêts payés sur les deniers
propres du demandeur et de sa paye sans son consentement —
Faut-il rendre un jugement déclaratoire sur chaque point du
litige? Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, art. 13,
29 Règlement sur le service des pénitenciers, DORS/62-90,
art. 2.08, 2.22, 2.26, 2.28, 2.29.
Le demandeur, détenu pénitentiaire, cherche à obtenir un
jugement déclaratoire sur cinq points litigieux. Il a allégué
qu'une condamnation prononcée par un comité de discipline est
abusive et que son transfert à un autre établissement a été
exécuté sans l'observation des procédures prescrites. Il a quali-
fié d'illégales la perte de certains de ses biens personnels et la
retenue de certains autres biens, et a décrit comme une peine
cruelle et extraordinaire son transfert à un pénitencier de la
Colombie-Britannique pour purger une peine d'isolement cellu-
laire. Enfin, les intérêts versés par la banque sur ses deniers
propres, et une partie de sa paye ont été crédités et transférés à
un fonds de bien-être des détenus sans son consentement.
Arrêt: l'action est accueillie en partie. Les directives du
commissaire n'ont pas force de «loi». La Division de première
instance peut, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, accueillir une demande en annulation d'une décision
administrative prise par un office fédéral lorsque la décision
n'était pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Le demandeur n'a pas eu une juste audition, et la radiation
aura quelque effet pratique car elle effacera légalement la
condamnation dans les dossiers du demandeur au pénitencier.
Le processus de transfert est, cependant, tout à fait différent.
Un détenu n'a pas le droit de comparaître en personne ou de se
faire entendre sur des questions de transfert, et n'a pas le droit
de connaître les motifs d'un transfert ou d'un refus de transfert.
Le transfert du demandeur au pénitencier de la Colombie-Bri-
tannique, pour purger sa peine d'isolement, est seulement la
suite d'une décision administrative fondée sur sa conduite anté-
rieure. Ni le transfert ni les émeutes graves y survenues ne
constituent une peine cruelle et extraordinaire. L'établissement
des taux de paye résulte d'une décision administrative rendue
par le Commissaire. Il n'y a aucun droit légitime à une paye, et
il n'y a pas non plus, logiquement, de droit de s'opposer à la
déduction d'un jour de paye. Un raisonnement semblable s'ap-
plique à la plainte relative au retrait de la dette antérieurement
encourue. Cependant, le Règlement sur le service des péniten-
ciers et les directives du commissaire n'autorisent pas le trans-
fert des intérêts versés sur les deniers personnels du détenu sans
son consentement. La comptabilité pourra être effectuée. Les
réclamations du demandeur concernant la perte ou la privation
de ses biens personnels ne sont appuyées sur aucune preuve,
sauf pour une courte période, la privation de papier à dactylo-
graphier, laquelle ne justifie aucune indemnité.
Arrêts appliqués: In re Martineau [1978] 1 C.F. 312;
Martineau et Butters c. Le Comité de discipline des
détenus de l'Institution de Matsqui [1978] 1 R.C.S. 118.
Arrêts suivis: Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Im-
migration c. Hardayal [1978] 1 R.C.S. 470; Re Anaskan
and The Queen (1977) 15 O.R. (2e) 515. Distinction faite
avec l'arrêt: McCann c. La Reine [1976] 1 C.F. 570.
ACTION.
AVOCATS:
Jack Clinton Magrath en son propre nom.
J. Watchuk pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Jack Clinton Magrath en son propre nom.
Le sous-procureur général du Canada pour, la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Le demandeur est, et était à
tous les moments considérés, détenu dans un péni-
tencier fédéral. Sa présente incarcération n'est pas
la première. L'action a été intentée en personne.
La requête introductive d'instance originaire a été
déposée le 16 août 1976. La défenderesse n'a pas
déposé sa défense dans le temps prescrit. Par suite
de requêtes interlocutoires, une déclaration modi-
fiée a été déposée le 21 décembre 1976. J'ai pris
note de ces dates pour la raison suivante: entre les
dépôts des deux requêtes successives, une émeute
grave a éclaté au pénitencier de la Colombie-Bri-
tannique. Le demandeur était alors détenu dans
cette prison.
Il réclame un jugement déclaratoire relatif aux
cinq matières suivantes':
a) Le 21 juin 1976, alors qu'il était détenu au
pénitencier de Mountain, en Colombie-Britanni-
que, il avait été condamné par un comité de
discipline pour une «infraction disciplinaire
grave ou manifeste». Il était accusé de ne pas
avoir «... obéi à un ordre légitime d'un fonction-
naire du pénitencier (refusé un ordre direct)». Il
s'est vu infliger 10 jours d'isolement cellulaire
LD/RR 2 . Le demandeur allègue que la condam-
nation est illégitime parce que la Commission ne
se serait pas conformée à la procédure édictée
pour de telles auditions.
b) Le même jour, le demandeur a été transféré
de l'établissement de Mountain au pénitencier
de la Colombie-Britannique. Il allègue que ledit
transfert aurait été effectué sans aucun respect
de la procédure prescrite. Plus spécialement, on
ne l'aurait pas entendu avant le transfert et on
ne l'aurait pas renseigné sur les motifs de
celui-ci.
c) Le demandeur prétend que, lorsqu'il était à
l'établissement de Mountain, il avait des biens
personnels. Après son transfert au pénitencier de
la Colombie-Britannique, il aurait perdu cer-
tains de ces biens. Il allègue que d'autres
auraient été illégitimement retenus et n'auraient
pas été rendus après plus d'un an. Il cherche à
obtenir un jugement déclaratoire statuant qu'il
aurait été à tort et illégitimement privé de ses
biens. Il revendique aussi une indemnisation
pour préjudice moral.
d) Le demandeur allègue que son transfert au
pénitencier de la Colombie-Britannique et son
isolement cellulaire subséquent seraient, en par-
ticulier à cause de l'émeute,[TRADUCTION] «une
punition cruelle et extraordinaire». Il cherche à
obtenir un jugement en ce sens.
e) Durant son séjour à l'établissement de
Mountain, le détenu comme d'autres détenus,
gagnait un revenu suivant les taux prescrits. Il
' La Reine est la seule défenderesse désignée. Le procureur
général du Canada n'est pas partie au procès. La défenderesse
n'a opposé aucune fin de non-recevoir alléguant que, dans une
action cherchant à obtenir un jugement déclaratoire (telle que
la présente action), le procureur général est le défendeur perti
nent. Si l'exception avait été soulevée et si je l'avais accueillie,
j'aurais ordonné que le procureur général soit substitué à la
Reine ou que son nom soit ajouté comme défendeur.
2 Les initiales signifient: 10 jours d'isolement cellulaire avec
lit dur et ration réduite.
allègue qu'une partie de ce revenu aurait été, à
tort et sans son consentement, transférée au
Fonds de bien-être des détenus, et que cet
argent, en même temps que d'autre provenant
de codétenus, aurait été utilisé à racheter une
dette antérieure affectée audit Fonds de bien-
être. Le demandeur allègue que ladite dette
aurait été encourue par suite d'une faute du
personnel de l'établissement. Il allègue, en der-
nier lieu, que les intérêts alloués par la banque
sur des dépôts personnels auraient été, illégiti-
mement et sans son consentement, versés au
crédit dudit Fonds de bien-être des détenus.
J'examine maintenant les faits de l'espèce.
Le demandeur est âgé de 60 ans. Il était accusé
de trafic d'héroïne, et en mai 1975 il a été con-
damné à 9 ans d'emprisonnement. Il a purgé sa
peine d'abord au pénitencier de la Colombie-Bri-
tannique, lequel est un établissement à sécurité
maximale. En septembre 1975, il a été transféré à
l'établissement pénitentiaire de Matsqui, près
d'Abbotsford, en Colombie-Britannique, établisse-
ment à sécurité moyenne maximale.
Le 25 mars 1976, il a été transféré à l'établisse-
ment de Mountain, à Agassiz (C.-B.). Il s'agit
d'un établissement à sécurité moyenne. Grâce à
ces transferts successifs, à mesure que le péniten-
cier descend dans l'échelle de classification sécuri-
taire, les détenus bénéficient de privilèges légère-
ment grandissants. L'environnement devient aussi
de plus en plus agréable. Les preuves produites
démontrent que le demandeur ne constituait
jamais un risque au point de vue de la sécurité en
ce sens qu'il ne tenterait vraisemblablement pas de
s'évader ni d'organiser des tentatives d'évasion.
Peu de temps après son transfert à l'établisse-
ment de Mountain, on l'a nommé rédacteur d'un
journal à circulation interne appelé le «Con-Ver-
sely». Il s'agissait d'un nouveau projet.
L'établissement de Mountain avait un comité de
bien-être, composé de détenus élus par les prison-
niers. Il y avait aussi un Fonds de bien-être des
détenus, alimenté, en partie, par les gains des
détenus. Chacun d'eux recevait un gain calculé au
taux quotidien prescrit. Voici le libellé de l'article
2.26 du Règlement sur le service des pénitenciers:
2.26 (1) Le Commissaire peut, sous réserve de l'approbation
du Conseil du Trésor, autoriser des taux de salaire pour les
détenus et ces taux doivent être établis de façon à encourager
ceux-ci à devenir de meilleurs citoyens lors de leur libération et,
en particulier,
a) à stimuler davantage le détenu qui travaille;
b) à encourager le détenu à économiser un montant raison-
nable pour le jour de sa libération;
c) à pousser le détenu à faire un travail constructif et à
acquérir une formation professionnelle, et
d) à préparer le détenu à détenir dans une société libre un
emploi compatible avec les exigences de cette société.
(2) Les salaires autorisés en vertu du paragraphe (1) doivent
être
a) versés au détenu de cette façon,
b) appliqués à ces fins,
c) sujets à confiscation et déductions, et
d) justifiés,
en conformité des directives.
La directive n° 232 du commissaire statue qu'il
sera fait une déduction d'un jour de paye par mois
pour chaque détenu et que le montant en sera
versé au Fonds de bien-être des détenus. Durant le
séjour du demandeur à l'établissement de Moun
tain, le montant de trois jours de paye, soit au total
$2.10, a été transféré du crédit du compte du
demandeur à celui du Fonds.
Le demandeur n'a jamais donné son consente-
ment pour ladite déduction ou ledit transfert.
Le Fonds était aussi alimenté par des donations
et des bénéfices tirés de la vente du café. S'il
désirait faire des dépenses en vue de certaines fins
(telles que, par exemple, un dîner spécial pour la
famille et les amis des détenus) ou pour l'acquisi-
tion de douceurs, le comité de bien-être devait en
faire la demande au bureau de l'établissement.
Cette démarche comportait deux étapes:
(1) L'objet de la demande était d'abord exa-
miné. S'il paraissait raisonnable, le bureau don-
nait son approbation.
(2) Le bureau voyait ensuite s'il y avait suffi-
samment de deniers disponibles dans le Fonds.
S'il y en avait, l'argent nécessaire était réservé
en attendant le dépôt d'une facture effective.
Pour l'établissement de Mountain, la comptabi-
lité était tenue au pénitencier de Matsqui.
Pour obtenir ces fournitures, l'établissement de
Mountain a tout d'abord employé, auprès des com-
merçants locaux, la méthode des comptes de
caisse. Puis, juste avant décembre 1975, elle
décida de payer comptant.
En décembre 1975 (avant l'arrivée du deman-
deur au pénitencier de Mountain), un membre du
comité de bien-être des détenus de cette époque
réussit, d'une façon ou d'une autre, à placer auprès
des commerçants des commandes de denrées ali-
mentaires et autres, payables à crédit. Il n'avait
pas suivi les deux étapes décrites ci-dessus. Au
début de l'année suivante, la somme due aux four-
nisseurs dépassait manifestement l'actif du Fonds
de bien-être des détenus. La dette en question se
montait à environ $1,500. L'administration décida
que les détenus devraient la payer. C'est seulement
vers mai 1976 que les factures impayées ont été
honorées.
Cet épisode entraînait une réduction de tous les
divertissements et autres agréments jusque-là
financés par le Fonds de bien-être. Le demandeur
dit, avec une certaine logique, que lui-même ainsi
que d'autres détenus, qui n'étaient pas au péniten-
cier de Mountain durant la saison de Noël 1975,
n'avaient pas profité des largesses de l'ancien
comité de bien-être; mais que les déductions obli-
gatoires faites sur sa paye à partir du 25 mars
1976, ainsi que d'autres déductions supportées par
les autres détenus, étaient employées à rembourser
les dépenses excessives antérieures.
Les preuves produites montrent manifestement
des désaccords et un malaise entre les détenus et le
personnel du pénitencier relativement à la décision
de faire honorer les factures impayées exclusive-
ment par les détenus.
Je vais examiner un autre point.
Le 18 juin 1976, un agent de sécurité donna
l'ordre au demandeur de se présenter devant Mme
Alix Jenkins, [TRADUCTION] «chef des rapports
sociaux». En ce temps-là, le demandeur était mani-
festement mécontent de ce qu'il percevait comme
un manque de progrès et de coopération dans la
publication du journal de l'établissement. Il avait
déjà manifesté son mécontentement. Je ne sais
cependant pas pour quelles raisons spéciales il
reçut l'ordre ce jour-là, de se présenter devant Mme
Jenkins. Lorsqu'il a entendu cet ordre, il dit à
l'agent de sécurité que Mme Jenkins pourrait [TRA-
DUCTION] «aller se chatouiller le ...». Conformé-
ment à la procédure, l'agent déposa «un rapport
d'agent» (pièce 7A). Voici un extrait de la descrip
tion édulcorée de ce qui se serait passé, faite dans
ce rapport:
[TRADUCTION] A environ 14 heures 54 près du baraquement
n° 10, je donnai l'ordre au détenu Magrath de se présenter
devant Mme Jenkins. Il refusa en déclarant qu'il parlerait au
directeur ou à M. Wynn Smith et que Mme Jenkins pourrait
aller faire un acte sexuel non naturel sur elle-même.
Je reproduis ci-après les parties de la Loi, du
Règlement et des directives du commissaire relati-
vement aux infractions disciplinaires:
Loi sur les pénitenciers
29. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) relatifs à l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'ef-
ficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service;
b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et
la discipline des détenus; et
c) relatifs, de façon générale, à la réalisation des objets de la
présente loi et l'application de ses dispositions.
(2) Le gouverneur en conseil peut, dans tous règlements
édictés sous le régime du paragraphe (1) sauf son alinéa b),
prévoir une amende d'au plus cinq cents dollars ou un empri-
sonnement d'au plus six mois, ou à la fois l'amende et l'empri-
sonnement susdits, à infliger sur déclaration sommaire de cul-
pabilité pour la violation de tous semblables règlements.
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements
édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut
établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com-
missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci
pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du
Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi
et la discipline des détenus et la direction judicieuse des
pénitenciers.
Règlement sur le service des pénitenciers
2.28. (1) 11 incombe au chef de chaque institution de main-
tenir la discipline parmi les détenus incarcérés dans cette
institution.
(2) Aucun détenu ne doit être puni sauf sur l'ordre du chef
de l'institution ou d'un fonctionnaire désigné par le chef de
l'institution.
(3) Si un détenu est trouvé coupable d'un manquement à la
discipline, la peine consiste, sauf en cas d'infraction flagrante
ou grave, en la perte de privilèges.
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave
à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines
suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une
période d'au plus trente jours,
(i) avec l'imposition pendant la totalité ou une partie de
cette période d'un régime alimentaire sans variété, mais
assez soutenant et sain, ou
(ii) sans régime alimentaire;
c) de la perte de privilèges.
2.29. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu
qui
a) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un fonc-
tionnaire du pénitencier,
Directive du commissaire n° 213 (pièce 17)
8. INFRACTIONS GRAVES OU MANIFESTES
a. Est trouvé coupable d'une infraction grave ou manifeste, le
détenu qui
(9) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un
fonctionnaire du pénitencier;
b. Le détenu trouvé coupable d'une infraction grave ou
manifeste se verra infliger une ou plusieurs des peines suivan-
tes (conformément au R.S.P.):
(1) déchéance de sa rémission statutaire de peine;
(2) isolement cellulaire pendant moins de trente jours
pendant lesquels il recevra sa ration alimentaire normale
ou la ration prévue dans le cas d'isolement (conformément
n° 667), cette dernière mesure pouvant s'étendre à
la totalité ou à une partie de la période que dure sa
punition;
(3) perte de privilèges.
13. RAPPORTS D'INFRACTIONS
b. Si l'on décide que l'infraction est légère, le fonctionnaire
chargé d'imposer les peines (conformément à l'alinéa 5)
devra, après avoir consulté le personnel compétent, imposer
des châtiments, c'est-à-dire priver le détenu d'un ou plusieurs
privilèges pendant une période déterminée. L'audition des
infractions légères sera aussi simple que possible.
c. Si le résultat de l'enquête révèle que l'infraction est
sérieuse ou manifeste, on doit faire parvenir le rapport au
directeur de l'institution qui doit agir conformément au
paragraphe 14.
14. L'AUDITION DES INFRACTIONS GRAVES OU
MANIFESTES
a. Le directeur de l'institution ou le fonctionnaire désigné par
lui, de niveau au moins équivalent à celui de directeur
adjoint, fera l'audition de toutes les causes correspondant à
des infractions graves ou manifestes et, si la culpabilité du
détenu est établie, il imposera une peine appropriée. Deux
membres du personnel pourront être désignés pour assister à
l'audition, mais leur rôle ne sera que consultatif.
b. L'audition de l'accusé doit être ouverte, dans la mesure du
possible, dans les trois jours ouvrables qui suivent l'infrac-
tion, mais elle peut être ajournée au besoin.
c. On ne prononcera aucun verdict contre un détenu accusé
d'une infraction grave ou manifeste en vertu de l'article 2.29
du R.S.P. à moins:
(I) qu'il ait reçu un avis écrit qui soit assez détaillé pour
lui permettre de se remémorer le moment où la présumée
infraction a été commise, ainsi que les événements qui s'y
rapportent, et un sommaire des preuves que l'on possède
contre lui;
(2) qu'il ait reçu l'avis écrit et le résumé dont il est fait
mention au paragraphe (1) au moins 24 heures avant
l'ouverture de l'instruction de façon à ce qu'il ait eu
suffisamment de temps pour préparer sa défense;
(3) qu'il ait comparu en personne à l'audition de façon à
ce que les accusations portées contre lui le soient en sa
présence;
(4) qu'on lui ait donné la possibilité de dire tout ce qu'il y
avait à dire pour sa défense, c'est-à-dire entre autres, que
le président ait procédé à l'interrogatoire et au contre-
interrogatoire des témoins; le détenu a le droit de convo-
quer ses propres témoins, exception faite des cas où le
président juge que la présence du témoin convoqué pour-
rait être frivole ou vexante: il est alors libre de refuser le
témoignage de cette personne; il devra toutefois donner au
détenu les motifs de son refus.
d. Le verdict de culpabilité ou de non-culpabilité doit être
basé strictement sur des preuves produites lors de l'audition
et un verdict de culpabilité ne peut être rendu que, si après
avoir considéré les preuves produites de façon juste et impar-
tiale, il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à la
culpabilité de l'accusé.
Conformément au Règlement et à la directive n°
213 du commissaire, une accusation a été préparée
en application de l'alinéa a) de l'article 2.29 du
Règlement (voir ci-dessus). J'ai énoncé plus haut
cette accusation spécifique. L'infraction avait été
reconnue appartenir à la catégorie des infractions
graves et manifestes. M. G. V. Young, directeur
adjoint des services techniques, fut désigné pour
entendre l'accusation et se prononcer sur le châti-
ment convenable. M. Young avait participé à l'au-
dition d'un grand nombre de cas d'accusations
pour infractions disciplinaires, de 25 30 cas par
an. Mais en 1976, il avait instruit seulement 2 ou 3
cas.
Le 21 juin 1976, le demandeur a été amené
devant M. Young.
A partir de là, je reprends les étapes de la
procédure suivant la version de M. Young. On a
commencé par lire devant le demandeur l'acte
d'accusation rédigé d'après la rubrique 3 de la
pièce 7. On a lu aussi le rapport de l'agent, dont
j'ai reproduit plus haut un extrait. Puis on
demanda à Magrath s'il plaidait coupable ou non
coupable, et il répondit qu'il plaidait non coupable.
M. Young lui demanda de faire «un exposé des
faits» pour expliquer pourquoi il plaidait non cou-
pable. Une discussion s'ensuivit, au cours de
laquelle le demandeur allégua que l'ordre de se
présenter devant Mme Jenkins n'était pas «un ordre
direct». On lui demanda s'il avait quelque chose à
ajouter. Il répondit par la négative et fut escorté en
dehors de la salle. M. Young, après délibération,
en vint à la conclusion que le demandeur était
coupable. On le fit revenir dans la salle. La déci-
sion fut rendue, la peine infligée étant de 10 jours
d'isolement cellulaire.
L'agent ayant donné l'ordre à Magrath n'était
pas présent à l'audition, pas plus que les autres
agents témoins de l'incident et signataires de la
pièce 7A. Ils ne déposèrent à aucun autre moment.
Le demandeur n'eut aucune occasion de leur poser
des questions.
Le pénitencier de Mountain n'avait pas d'unité
d'isolement cellulaire, mais ceux de Matsqui et de
la Colombie-Britannique en avaient une. Habituel-
lement, lorsqu'un détenu de Mountain était con-
damné à cette peine, il était transféré à Matsqui. Il
rentrait à Mountain après avoir purgé sa peine.
Dans l'espèce, M. Mort, directeur du pénitencier
de Mountain, tenant compte de tous les problèmes
soulevés par le demandeur et du caractère particu-
lier de cette infraction disciplinaire, décida de
demander le transfert du demandeur au péniten-
cier de la Colombie-Britannique. La requête fut
faite par téléphone. Elle reçut l'approbation de M.
A. A. Byman, directeur du centre régional de
réception pour la région du Pacifique. Personne
n'informa le demandeur de son transfert projeté au
pénitencier de la Colombie-Britannique, pas plus
que des motifs de ce transfert. La matière ne fut
pas renvoyée devant la Commission régionale de
classification.
Immédiatement après la clôture de l'audition
disciplinaire, le demandeur a été mis dans une
cellule de garde, et il y est resté jusqu'à l'achève-
ment de tous les arrangements nécessaires pour
son transfert. Dans l'argot des établissements, il
était «ramassé». Des agents de sécurité ont reçu
l'ordre d'aller dans son compartiment, au baraque-
ment, pour ramasser ses effets. On m'a dit que,
dans des cas pareils, la nouvelle se communique
rapidement à toute la population des détenus, avec
pour conséquence que les effets personnels du
détenu en question sont souvent volés.
Parmi les effets personnels du demandeur, les
agents de sécurité ont trouvé deux feuilles et une
règle en aluminium ainsi qu'un peu de papier à
dactylographier. On a conclu que ces articles
appartenaient au service pénitentiaire. On ne les a
pas envoyés au pénitencier de la Colombie-Britan-
nique en même temps que le demandeur. Les
agents n'ont trouvé aucun stylo ni aucun jeu
d'échecs. Le demandeur a déclaré que ces articles
étaient dans son compartiment avant qu'il se pré-
sente devant le comité de discipline.
Un témoin a déclaré, et j'accepte volontiers cette
déclaration, que, lorsque le demandeur était au
pénitencier de Matsqui, sa femme lui avait apporté
quelques feuilles et une règle en aluminium. Ces
articles devaient être utilisés pour le travail du
cuivre, passe-temps du demandeur. Sa femme lui
aurait aussi apporté du papier à dactylographier.
Lorsqu'il a quitté le pénitencier de Matsqui pour
aller à celui de Mountain, il aurait emporté avec
lui tout ce qui restait desdits articles.
Peu de temps après son admission au pénitencier
de la Colombie-Britannique, le demandeur a
déposé une plainte écrite pour la perte de ses
effets. Tout d'abord, l'administration de l'établis-
sement de Mountain a été d'avis que le demandeur
aurait la charge d'établir la preuve de sa propriété.
Puis elle a ouvert une enquête. D'après les preuves
produites, j'ai constaté qu'il a été alors conclu que
le papier à dactylographier appartenait au deman-
deur. On le lui a rendu en novembre ou décembre
1976.
La défenderesse n'a pas admis que les feuilles
d'aluminium et la règle appartenaient au deman-
deur. On a dit que lesdites feuilles n'avaient pas les
mêmes dimensions que celles apportées à ce der-
nier par sa femme au pénitencier de Matsqui. Pour
éviter des discussions sur ce point, le personnel
administratif du pénitencier de Mountain a décidé
en fin de compte de rendre ces articles au deman-
deur. En août de la présente année, ils ont été
envoyés au pénitencier de Matsqui où le deman-
deur était alors incarcéré.
Le 21 juin 1976, le demandeur a été transféré
au pénitencier de la Colombie-Britannique et mis
dans l'unité de châtiment. Après trois semaines, il
a été placé au 3 e étage de l'aile est, et a reçu
l'ordre de travailler dans la bibliothèque de droit.
Pour certains motifs, il n'a pas été affecté au
centre de réception. Au cas contraire, il n'aurait
pas été logé dans l'aile est.
Au début de l'automne 1976, la tension a com-
mencé à se développer au pénitencier de la Colom-
bie-Britannique. Le 9 septembre 1976, le personnel
administratif a décidé d'interdire les heures sup-
plémentaires de travail. Cette décision a rendu la
gestion du pénitencier presque impossible. Le
directeur a décrété l'état d'urgence. La tension
s'est aggravée. Le 24 septembre 1976, un petit
groupe de détenus a endommagé quelques cellules.
Le 27 septembre, une émeute a éclaté dans l'aile
est. Beaucoup de destructions ont été perpétrées et
des otages pris. L'aile est devenue certainement un
endroit dangereux, à cause des risques de blessure
ou même de mort.
L'ordre a été restauré le ler octobre 1976. Heu-
reusement, il n'y avait eu ni blessure ni perte de
vie. L'aile est n'était plus habitable. Environ 250
détenus, y compris le demandeur, ont été transfé-
rés au gymnase. Ils y couchaient sur le plancherr et
n'y ont reçu aucun repas chaud pendant quelques
semaines.
Le demandeur n'a pas pris activement part à
l'émeute.
A partir d'octobre, la Commission de classifica
tion a examiné un grand nombre de détenus en vue
d'un transfert. Beaucoup d'entre eux, dont, le
demandeur, ont été désignés pour le transfert. De
fait, le demandeur a été envoyé au pénitencier de
Matsqui le 5 janvier 1977.
Je vais achever cette histoire. En mai ou juin de
cette année, la Commission régionale de classifica
tion a ordonné le transfert du demandeur au camp
de travail d'Agassiz de régime sécuritaire moindre
où l'environnement était meilleur et où le deman-
deur pourrait jouir de quelques privilèges supplé-
mentaires, tels que des absences provisoires. A ce
jour, ce transfert au camp Agassiz n'a pas été
effectué. Le demandeur avait subi à Matsqui des
opérations chirurgicales aux yeux. Le camp Agas-
siz n'a pas d'hôpital. On attend que le demandeur
ait obtenu son permis de sortie de l'hôpital pour
effectuer son transfert.-
Reste un dernier point de fait. Tout argent
possédé par un détenu à son entrée au pénitencier
est versé à son crédit dans un fonds appelé Fonds
de fiducie des détenus. Durant son incarcération,
tout argent par lui reçu, autre que sa paye, est
versé à son crédit dans le même fonds. Voici
l'article applicable (2.22 du Règlement):
2.22. (1) Tout l'argent qui accompagne un détenu à son
entrée à l'institution et tous les montants reçus pour son compte
pendant son incarcération doivent être déposés à son crédit dans
un fonds de fiducie connu sous le nom de Fonds de fiducie des
détenus.
(2) Aucun montant d'argent inscrit au crédit d'un détenu au
Fonds de fiducie des détenus ne doit être déboursé, à moins que
a) le détenu n'en permette le décaissement au moyen d'une
autorisation écrite, et que
b) le chef de l'institution, ou un autre fonctionnaire autorisé,
ne certifie que, selon lui, le décaissement a pour objet la
rééducation et la réadaptation du détenu.
(3) Aucun montant d'argent inscrit au crédit d'un détenu au
Fonds de fiducie des détenus, sauf s'il y a un lien de parenté, ne
doit être transféré au crédit d'un autre détenu.
De temps en temps, la banque tenant le Fonds
de fiducie des détenus paie des intérêts sur certai-
nes des sommes déposées à ce compte. Ces intérêts
sont partagés au prorata entre les divers péniten-
ciers de la région. Voici ce qu'a prévu l'instruction
n° 834 ce sujet (pièce 22):
[TRADUCTION] Intérêt
3. L'intérêt, s'il en est, payé par la banque sur les dépôts faits
au fonds de fiducie des détenus, doit être transféré, deux fois
par an, au Fonds de bien-être des détenus, conformément à la
directive sur le Fonds de fiducie des détenus.
Pour la période allant de février à novembre
1976, le crédit du compte du demandeur au Fonds
de fiducie des détenus allait d'un minimum de
$14.18 un maximum de $120.05 (pièce 24). Il
n'y a aucune preuve relativement à sa part dans les
intérêts payés par la banque. Il est, cependant,
juste de supposer que son dépôt lui 'a permis de
gagner quelques intérêts.
Pour le transfert des intérêts, ni le demandeur ni
aucun autre détenu n'ont jamais donné leur con-
sentement. Les preuves produites révèlent qu'à une
certaine période, ledit consentement était obtenu
de façon automatique. Ce point était stipulé dans
le «manuel». Puis l'ancien manuel a été remplacé
par un nouveau, mais celui-ci ne contient pas, on
ne sait trop pourquoi, cette disposition relative au
transfert des intérêts.
J'examine maintenant les réclamations du
demandeur.
a) Le défaut d'application, au cours de l'audition
disciplinaire, de la procédure prescrite
Le premier problème à résoudre porte sur la
compétence de cette cour. La Division de première
instance peut-elle, en vertu de l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale, accueillir une demande en
annulation (de fait) d'une décision administrative
prise par un office fédéral lorsque la décision
n'était pas soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire?
A mon avis, la Cour est compétente.
Dans In re Martineau', le juge Mahoney a
conclu que la Division de première instance de
cette cour était compétente, par voie de certiorari,
aux fins de cassation d'une condamnation préten-
dument fautive prononcée par un comité de disci
pline pénitentiaire. Dans ce procès, les allégations
du détenu rappellent à peu près les faits de l'es-
pèce. On prétendait qu'il y avait défaut d'applica-
tion des dispositions procédurales énoncées dans la
directive n° 213 du commissaire. Le juge Mahoney
a renvoyé à la décision rendue par la Cour
suprême du Canada dans Martineau et Butters c.
Le Comité de discipline des détenus de l'Institu-
tion de Matsqui 4 . Quatre membres de la Cour
suprême ont soutenu que les directives du commis-
saire n'auraient pas force «légale». 5
Le juge Mahoney s'est ainsi prononcé aux pages
317 et 318:
Les infractions disciplinaires dont l'appelant a été déclaré
coupable ont été créées par la loi. La peine imposée a été
autorisée par la loi. Celle-ci exige, comme condition préalable à
l'imposition de la peine, que le détenu soit «déclaré coupable» de
l'infraction. Je n'oublie pas et j'accepte l'opposition du juge en
chef Jackett à accorder trop d'importance au fait que la
phraséologie de la procédure criminelle est introduite dans les
règlements. Il est néanmoins manifeste que la loi envisage un
processus selon lequel un détenu doit avoir été jugé coupable
d'une infraction disciplinaire, prévue par la loi, comme condi
tion préalable à l'imposition d'une peine également prévue par
la loi. Cette dernière et les règlements qui prévoient tant
l'infraction que la peine sont muets quant à ce processus.
et aux pages 318 et 319:
Je suppose qu'au Canada, en 1975, un organisme public tel
que l'intimé, autorisé par la loi à imposer une peine qui était
[1978] 1 C.F. 312.
4 [1978] I R.C.S. 118 (ci-après «Martineau et Butters»).
5 Les quatre membres dissidents de la Cour ont pris la
position opposée. Le neuvième membre a adopté les motifs du
juge en chef Jackett devant la Cour d'appel fédérale. Celui-ci
n'a pas spécialement traité de la question.
plus qu'une simple perte de privilèges, avait le devoir d'agir
équitablement en décidant d'imposer la peine. Toute autre
conclusion serait incompatible.
Je souscris aux observations et conclusions du
juge Mahoney.
Devant la Cour d'appel fédérale, le juge en chef
Jackett s'est ainsi prononcé sur les décisions
disciplinaires 6 :
Pour ce motif, je conclus que les décisions de nature discipli-
naire en question, bien qu'elles soient de nature pénale et, qu'en
vertu des règles administratives, elles doivent être rendues avec
équité et justice, ne constituent pas des décisions soumises à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de ces termes à
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Parlant en son propre nom et au nom de trois
autres juges de la Cour suprême du Canada, le
juge Pigeon a ainsi commenté les observations du
juge en chef Jackett 7 :
En toute déférence, je ne puis souscrire à l'opinion selon
laquelle la directive n° 213 exige simplement qu'une décision de
nature disciplinaire, comme l'ordonnance contestée, soit rendue
avec équité et justice.
A mon avis, Le ministre de la Main-d'oeuvre et
de l'Immigration c. Hardayal 8 est la décision la
plus récente qui confirme la compétence de la
Division de première instance à intervenir dans des
matières de ce genre. Dans cette affaire, le Minis-
tre avait accordé à Hardayal un permis d'entrer et
de séjourner au Canada pour une période détermi-
née. Puis le Ministre a annulé le permis avant
l'expiration de celui-ci. La Cour d'appel fédérale a
statué qu'avant l'annulation prononcée par le
Ministre, Hardayal aurait dû avoir une occasion
raisonnable de plaider sa cause. La Cour a conclu
que l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale était
applicable à ladite décision ministérielle. La Cour
suprême du Canada a statué que la décision d'an-
nulation du Ministre était une décision de »nature
administrative», qu'il n'était pas nécessaire de
rendre ou d'exécuter sur un fondement judiciaire
ou quasi judiciaire. Aux pages 478 et 479, le juge
Spence, rendant le jugement au nom de la Cour,
s'est ainsi prononcé:
6 [1976] 2 C.F. 198,à la p. 211.
7 [1978] 1 R.C.S. 118, à la p. 127.
s [1978] 1 R.C.S. 470. Voir aussi Howarth c. La commission
nationale des libérations conditionnelles [1976] 1 R.C.S. 453,
le juge Pigeon, aux pages 471 et 472.
Le législateur a estimé nécessaire de créer ce pouvoir afin
d'assurer une application souple de la politique d'immigration
et je ne peux conclure que l'intention du législateur était d'en
assujettir l'exercice au droit à une audition équitable, comme
l'a allégué l'intimé. Il est vrai que dans l'exercice de ce qui
constitue, à mon avis, un pouvoir administratif, le Ministre doit
agir équitablement et pour des motifs légitimes, et l'omission de
ce faire pourrait bien donner le droit à l'intéressé d'entamer des
procédures en vertu de l'al. a) de l'art. 18 de la Loi sur la Cour
fédérale. Mais, pour les motifs déjà soulignés, je suis d'avis que
cette décision ne fait pas partie de celles qui peuvent faire
l'objet d'un examen en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour
fédérale.
Je passe maintenant à la question de savoir si,
dans les circonstances décrites plus haut, le comité
de discipline, sous la présidence de M. Young, a
agi de façon équitable en rendant sa décision. A
mon avis, il n'a pas agi équitablement.
Bien que la directive n° 213 du commissaire
n'ait pas force de loi 9 , elle fournit, à mon avis, un
9 Dans ces motifs je présupposerai que les directives du
commissaire n'avaient pas force de loi. Dans Martineau et
Butters, le juge Pigeon est arrivé à cette conclusion, à laquelle
ont souscrit trois autres juges. Le juge en chef Laskin, en son
propre nom et au nom de trois autres juges, s'est ainsi prononcé
à la p. 121:
Sur quel autre motif la majorité de la Cour d'appel
fédérale a-t-elle pu se fonder pour se déclarer incompétente?
Elle a limité à cette question de compétence son examen de la
demande présentée en vertu de l'art. 28 et n'a pas étudié le
fond de la contestation de la décision de l'intimé par les
appelants. Au cœur du problème se situe donc, comme l'a
indiqué mon collègue le juge Pigeon, la question de savoir si
les directives, qui prescrivent ce que j'appellerais sommaire-
ment des règles de justice naturelle à l'égard des appelants,
ont été établies conformément à la loi ou «légalement» et
devaient, en conséquence, être suivies par les autorités
pénitentiaires.
Ainsi que je l'ai fait remarquer dans la note 5 (supra), le juge
Judson était d'accord avec les motifs rendus par le juge en chef
Jackett en cour d'instance inférieure. Le résultat pratique a été
le rejet de l'appel.
Le juge en chef Jackett ne s'est pas prononcé sur le point de
savoir si les directives avaient été «légalement» émises. Mais, à
considérer l'ensemble des motifs rendus et à les comparer avec
ceux rendus par le juge Ryan, dissident, il faut en déduire, ainsi
que l'a suggéré le juge en chef Laskin, que la décision majori-
taire de la Cour d'appel fédérale ne considérait pas lesdites
directives comme ayant force «légale».
Je pense qu'en tant que juge de première instance, je devrais,
en attendant que des cours de rang plus élevé se soient pronon-
cées sur la matière, prendre le point de vue le plus réaliste en
adoptant l'avis exprimé par le juge Pigeon.
Pour un commentaire d'arrêt très récent sur Martineau et
Butters et sur le statut légal des directives du commissaire, voir
H. N. Janisch «What is Law, etc.» (1977) 55 R. du B. Can. 576.
guide à cette cour pour déterminer si la procédure
suivant laquelle le comité de discipline est parvenu
à sa décision a été équitablement exécuté. 10 La
procédure relativement simple édictée par ladite
directive ressemble quelque peu à celle appliquée
dans l'audition des infractions criminelles ordinai-
res. Avis doit être donné du chef d'accusation. Le
détenu a ensuite l'occasion de préparer sa défense.
Il doit comparaître à l'audience. Toute cette procé-
dure a été strictement appliquée dans le cas du
demandeur.
La comparution personnelle du détenu s'expli-
que évidemment par deux raisons: les preuves doi-
vent être produites en sa présence; il doit avoir
l'occasion de présenter une défense complète, dont
l'interrogatoire de ses propres témoins et le contre-
interrogatoire des autres témoins.
Dans le cas du demandeur, les instructions rai-
sonnables visant à assurer l'équité ont été négli-
gées. Après lecture de l'acte d'accusation et après
la déclaration du demandeur qu'il plaidait non
coupable, on lui a demandé pourquoi il avait pris
cette position. Aucune preuve verbale n'a été pro-
duite à l'appui de l'accusation. Le demandeur
n'avait pas le droit de procéder à un contre-inter-
rogatoire des agents signataires du rapport. A mon
avis, le tribunal a agi de façon «injuste>,".
Que le demandeur soit probablement coupable
d'une infraction disciplinaire, ainsi que l'ont finale-
ment fait ressortir les preuves produites devant
cette cour, n'a aucune importance en la matière.
Le fait important est qu'on ne lui a pas accordé
une juste audition devant le tribunal qui devait se
prononcer sur sa culpabilité ou son innocence et
pouvait lui imposer une peine sévère. Le service
des pénitenciers reconnaît publiquement que l'iso-
lement cellulaire est un châtiment sévère. L'alinéa
16c) (1) de la directive n° 213 l'a reconnu.
Il faut ensuite se poser la question suivante: le
demandeur devait-il obtenir, en vertu des pouvoirs
10 Voir les commentaires du juge en chef Laskin dans Marti-
neau et Butters, à la p. 124:
La nature du tribunal et les questions dont il est saisi
déterminent dans quelle mesure ces personnes doivent être
traitées avec justice ou équité. Lorsque la procédure à suivre
est précisée, la Cour est dispensée de l'obligation de détermi-
ner les exigences de la justice naturelle.
" Terme employé dans l'arrêt Hardayal.
discrétionnaires de la Cour, le jugement déclara-
toire qu'il requiert? Il ne faudrait rendre un tel
jugement, unique en son genre, qu'après mûr
examen et seulement dans une affaire évidente. De
plus, un tribunal ne rend habituellement pas un tel
jugement lorsqu'il n'aurait aucun effet juridique.
Dans la présente espèce, l'audition du demandeur
est terminée et il a, depuis longtemps, purgé sa
peine.
Mais on m'a informé que la condamnation pour
infraction disciplinaire est versée au dossier du
détenu au pénitencier où il purge sa peine. Elle le
suit donc partout où il va dans le système péniten-
tiaire. On en tient compte en décidant de certaines
matières, telles qu'un transfert 12 ou une absence
provisoire, laquelle est mentionnée en argot par
l'expression A.P. 13 Je suis d'avis que, dans la pré-
sente espèce, une ou des déclarations convenables
pourraient légalement effacer la condamnation
dans les dossiers du demandeur au pénitencier. En
tout cas, je suis convaincu que la radiation aurait
quelque effet pratique. 14
b) Transfert du demandeur du pénitencier de
Mountain à celui de la Colombie-Britannique,
sans audition et à l'encontre des procédures
prescrites
Les paragraphes 13(2),(3) et (4) de la Loi sur
les pénitenciers traitent du transfert des détenus.
En voici le libellé:
13.. ..
(2) Le commissaire peut édicter des règles désignant les
pénitenciers où, pour la première fois, doivent être reçues des
personnes condamnées ou envoyées au pénitencier en quelque
endroit au Canada.
(3) Lorsqu'une personne a été condamnée ou envoyée au
pénitencier, le commissaire ou tout fonctionnaire agissant sous
les ordres de ce dernier peut, par mandat revêtu de sa signa
ture, ordonner que la personne soit incarcérée dans un péniten-
cier quelconque au Canada ou y soit transférée, que cette
personne ait été ou non reçue dans le pénitencier approprié
désigné dans les règles établies sous le régime du paragraphe
(2).
(4) Lorsqu'une personne a été condamnée ou envoyée à un
pénitencier, le fonctionnaire responsable de l'administration
régionale pour la région où la personne est détenue peut, par
mandat revêtu de sa signature, ordonner le transfèrement de
cette personne à tout autre pénitencier situé dans la région.
12 Voir Règlement sur le service des pénitenciers, art. 2.04.
" Voir Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, art. 26.
14 Voir Merricks c. Nott-Bower [ 1964] 1 All E.R. 717.
J'ai de la peine à comprendre certaines de ces
dispositions et certaines de ces directives. Confor-
mément au paragraphe 13(3), le commissaire a
donné la directive n° 110 (pièce 13). A l'alinéa 3a),
ladite directive autorise les «directeurs régionaux»
à ordonner, [TRADUCTION] «par mandat signé de
leur propre main», le transfert d'un détenu d'un
pénitencier à tout autre pénitencier du Canada. A
l'alinéa 3b), la même directive dispose que certains
autres directeurs peuvent ordonner le transfert
d'un détenu d'un pénitencier à un autre, mais
seulement dans le ressort de leur compétence
territoriale.
M. Byman, directeur du centre régional de
réception pour la région du Pacifique, a signé un
ordre de transfert le 21 juin 1976. Selon moi, il ne
figure pas dans la catégorie de directeurs mention-
nés à l'alinéa 3b). La pièce 10, en date du 1" mars
1977, est un communiqué du directeur régional de
la région du Pacifique à M. Byman. Le premier
paragraphe est ainsi libellé:
[TRADUCTION] Veuillez considérer le présent communiqué
comme une délégation de pouvoirs officielle par laquelle notre
bureau vous habilite, conformément à la directive n° 110 du
commissaire, à émettre des ordres de transfert.
Aucune disposition du paragraphe 13(4) de la
Loi, des règlements ou de la directive n° 110 ne
permet à un directeur régional de déléguer ses
pouvoirs.
On a prétendu que M. Byman avait été réguliè-
rement désigné en vertu de la pièce 10. Cette
délégation de pouvoirs porte une date postérieure
au transfert contesté. Mais je suppose que M.
Byman a reçu délégation au moment convenable.
Il était directeur du centre régional de réception
depuis le 1" octobre 1973. Il a déclaré qu'à ce titre
il avait ordonné tous les transferts de détenus des
pénitenciers de la, région du Pacifique à ceux d'au-
tres régions.
Dans Martineau et Butters, le juge Pigeon a
ainsi décrit l'effet juridique et le processus des
directives du commissaire: 15
Il est évident que l'on est soumis «légalement» à ce qui est
prescrit par les règlements. La loi en vertu de laquelle ils sont
pris prévoit des sanctions par amende ou emprisonnement. Il
convient de citer ici ce que disait le Conseil privé dans l'arrêt
Japanese Canadians ([1947] A.C. 87) propos des décrets
adoptés en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, à la p.
107:
15 [1978] 1 R.C.S. 118, la p. 129.
[TRADUCTION] C'est encore l'activité législative du Parle-
ment qui s'exerce au moment où les décrets sont adoptés et
ces décrets sont des «lois».
Je ne pense pas que l'on puisse dire la même chose des
directives. Il est significatif qu'il n'est prévu aucune sanction
pour elles et, bien qu'elles soient autorisées par la Loi, elles sont
nettement de nature administrative et non législative. Ce n'est
pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à
établir des directives, mais en qualité d'administrateur. Je suis
convaincu qu'il aurait l'autorité d'établir ces directives même
en l'absence d'une disposition législative expresse. A mon avis,
le par. 29(3) doit être considéré de la même manière que bien
d'autres dispositions de nature administrative concernant les
services de l'administration et qui énoncent simplement un
pouvoir administratif qui existerait même en l'absence d'une
disposition expresse de la Loi.
Il est, à mon avis, important de distinguer les devoirs imposés
aux employés de l'État par une loi ou un règlement ayant force
de loi, des obligations qui leur incombent en qualité d'employés
de l'État. Les membres d'un comité de discipline ne sont
habituellement pas de hauts fonctionnaires publics mais de
simples employés de l'administration. Les directives du com-
missaire ne sont rien de plus que des instructions relatives à
l'exécution de leurs fonctions dans l'institution où ils
travaillent... .
Il est donc évident que si la directive n° 110 du
commissaire n'a pas force de (doi», 16 elle est au
moins autorisée par le paragraphe 13(3) de la Loi
sur les pénitenciers, ou elle est le genre d'instruc-
tion administrative que le juge Pigeon considère
que le commissaire pourrait rendre sans autorisa-
tion législative spéciale, mais en vertu de sa seule
compétence générale. Même en admettant ce rai-
sonnement, il n'a pas été prouvé devant cette cour
que le commissaire aurait ordonné à un agent de la
catégorie de M. Byman d'émettre des ordres de
transfert. La prétendue délégation du directeur
régional, constituant la pièce n° 10, n'apporte
aucune modification à cette matière.
Il n'est, cependant, pas nécessaire d'exprimer un
avis définitif sur cette question. Si (et ce n'est
qu'une hypothèse de ma part) l'ordre de transfert
signé par M. Byman n'a été, techniquement, émis
en vertu d'aucune autorisation, quel droit légitime
du détenu demandeur, pour lequel un redresse-
ment légitime est pratiquement possible, a été violé
1S Au sens strict, la Cour suprême du Canada traitait de
l'expression «légalement soumis» figurant dans le paragraphe
28(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Mais, suivant mon
interprétation de la jurisprudence, le terme «légalement» est
employé dans un sens général.
" Je n'ai pas négligé l'alinéa 1.02d) du Règlement. Il y est
mentionné que les directives du commissaire englobent toute
règle, tout règlement ou ordre lancés par le Commissaire ou
pour son compte et avec son autorisation.
ou lésé? Et au cas où des droits auraient été lésés,
quels sont les recours possibles? En fait, le deman-
deur a été transféré au pénitencier de la Colombie-
Britannique. De là, il a été envoyé au pénitencier
de Matsqui, établissement à sécurité moyenne.
Lorsqu'il aura son permis de sortir de l'hôpital, son
ordre de transfert au camp de travail d'Agassiz,
dont l'exécution est provisoirement suspendue,
prendra effet. Audit camp, l'environnement, l'at-
mosphère, les privilèges, les mesures de sécurité
plus libérales seraient au moins les mêmes, sinon
meilleurs, qu'au pénitencier de Mountain.
Je reviendrai plus loin sur les questions que je
viens de poser.
Dans son plaidoyer, le demandeur se plaint prin-
cipalement de la manière dont a été décidé son
transfert du pénitencier de Mountain. Il n'a jamais
été avisé qu'un transfert était envisagé à son égard.
Il n'a pas eu l'occasion de se faire entendre. Le
problème n'a jamais été renvoyé devant la Com
mission régionale de classification. On ne lui a
jamais expliqué les motifs du transfert. Il n'a
appris lesdits motifs qu'après le commencement du
présent procès. 18 Il allègue que le personnel du
pénitencier n'a pas respecté les procédures écrites.
Le demandeur évoque l'article 2.03 du Règle-
ment sur le service des pénitenciers et l'instruction
divisionnaire 1024. En voici le libellé:
2.03. Le détenu doit, conformément aux directives, être
incarcéré dans l'institution qui semble la plus appropriée,
compte tenu
a) du degré et de la nature de la surveillance jugée néces-
saire ou désirable pour la protection de la société, et
b) du programme de traitement disciplinaire jugé le plus
approprié au détenu.
L'instruction divisionnaire 1024 traite du trans-
fert des détenus à l'intérieur d'une région. A ma
connaissance, ces instructions divisionnaires ne
sont autorisées par aucun texte, ni par la Loi sur
les pénitenciers, ni par les règlements 19 . Je rai-
sonne sur la prémisse qu'elles n'ont pas force de
loi; au cas contraire, le demandeur aurait pu éven-
18 Un mémoire destiné «à qui de droit« daté du 29 novembre
1976 et signé par M. Mort (pièce 12).
19 Encore une fois, je n'ai pas négligé l'alinéa 1.02d), pas plus
que l'article 3.06 du Règlement. Je ne considère pas comme
applicable ou utile la pièce 23 (instruction divisionnaire n° 315
«Application des directives»).
tuellement s'en servir comme fondement pour
quelques droits légitimes. Tout au plus ont-elles le
même statut légal que celui attribué par le juge
Pigeon aux directives du commissaire.
L'instruction prévoit l'établissement d'une com
mission régionale de classification. Celle-ci a pour
mission d'évaluer les détenus relativement à l'op-
portunité de les transférer. La nécessité de forma
tion des détenus constitue la considération fonda-
mentale. Puis des «critères de transfert» sont
établis. L'instruction contient des dispositions à la
fois pour le cas de transfert à des pénitenciers à
sécurité moindre et celui de renvoi des détenus à
des établissements à sécurité maximale.
Dans le dernier cas, voici le libellé du paragra-
phe 3c):
[TRADUCTION] c) Sauf pour des motifs d'urgence, tout
directeur de pénitencier recommandant le renvoi d'un détenu
dans un établissement à sécurité maximale doit faire connaître,
par écrit, ses motifs au président de la Commission, et la
Commission doit étudier le cas lors de la réunion suivante. La
recommandation sera expédiée à l'autorité habilitée à autoriser
les transferts.
M. Mort, directeur du pénitencier, et M. Byman
décidèrent que le transfert envisagé pour le deman-
deur était motivé par des raisons d'urgence. Il
n'était donc pas nécessaire de faire étudier son cas
par la Commission régionale de classification.
On m'a dit que les transferts d'urgence à des
établissements à sécurité maximale n'étaient pas
limités à des cas de risque sécuritaire grave, tels
que l'évasion possible ou le complot en vue d'éva-
sion. Ils comprennent aussi des cas où, de l'avis du
directeur du pénitencier, un détenu courrait des
risques de danger corporel, du fait des autres
détenus. Des transferts sont aussi effectués
lorsque, pour des motifs jugés raisonnables, un
détenu le demande, par exemple parce qu'il se sent
menacé. Il y a aussi transfert dans des cas où le
directeur du pénitencier pense que, dans l'intérêt
de l'établissement, un détenu doit être renvoyé
rapidement à un établissement à sécurité maxi-
male.
Je n'ai trouvé ni dans la loi, ni dans les règle-
ments, aucune disposition prescrivant, ou même
suggérant, les droits réclamés par le demandeur
relativement à son transfert. La directive. n° 1024
crée un corps administratif ayant surtout pour
fonction d'examiner des demandes ou des recom-
mandations de transfert à des pénitenciers à sécu-
rité moindre. Elle contient quelques indications et
critères à l'intention des commissions de classifica
tion et autre personnel administratif. La méthode
de transfert est tout à fait différente de celle
applicable en cas de mesures disciplinaires à l'en-
contre des détenus et des procédures à suivre anté-
rieurement à l'enregistrement des condamnations
et à l'imposition des peines. A mon avis, les déte-
nus n'ont pas le droit de comparaître en personne
ou de se faire entendre sur des propositions de
transfert ou des questions y afférentes. Je pense
que le même principe s'applique aussi au cas de
demande de transfert à un pénitencier à sécurité
moindre, faite par un détenu ou pour son compte.
D'une façon générale, il s'applique aussi au trans-
fert auquel se serait opposé le détenu s'il en avait
eu l'occasion, ce qui est justement le cas du
demandeur en l'espèce. D'autre part, je ne pense
pas qu'un détenu ait évidemment le droit de con-
naître les motifs d'un transfert ou d'un refus de
transfert. La sécurité ou sûreté des informateurs
sont ici en jeu.
Un litige quelque peu semblable, relatif au
transfert des détenus entre pénitenciers, a été
récemment tranché par la Cour d'appel de l'Onta-
rio dans Re Anaskan and The Queen 20 . La déte-
nue en question avait été transférée du centre
correctionnel provincial de la Saskatchewan à un
pénitencier fédéral à Kingston, sans avoir été con-
sultée. Le transfert avait été effectué conformé-
ment à un accord conclu entre le Ministre fédéral
pertinent et la province de Saskatchewan, en appli
cation de l'article 15 de la Loi sur les pénitenciers.
Pour le compte de la détenue, il a été allégué
qu'avant le dépôt de la demande de transfert à un'
pénitencier fédéral, on aurait dû lui accorder une
audition complète et équitable.
La Cour a rejeté cette allégation. Elle s'est ainsi
prononcée à la page 524:
[TRADUCTION] Le directeur intérimaire des centres correc-
tionnels, en exécution de ses fonctions d'administration des
pénitenciers provinciaux, et conformément à un accord entre les
deux gouvernements, a requis le transfert de l'appelante d'un
établissement provincial à un pénitencier fédéral. Le prisonnier
n'a aucun "droit» à rester dans un établissement donné; ceci est
clairement prévu à l'art. 15(1) et aux par. (2) à (4) de l'art. 13
de la Loi. L'endroit où un détenu purge sa peine est une
matière politique et un problème administratif. La détermina-
20 (1977) 15 O.R. (2 ° ) 515.
tion dudit endroit n'a aucun caractère quasi judiciaire qui
pourrait mettre en jeu la maxime audi alteram partem ou
requérir une audition. Si les allégations faites pour le compte de
l'appelante étaient accueillies, tout transfert à l'intérieur du
système pénitentiaire fédéral ou ailleurs requerrait une
audition.
et aux pages 525 et 526:
[TRADUCTION] Le détenu n'a aucun «droit» à rester dans un
établissement donné et le fonctionnaire provincial qui décide de
requérir le transfert du détenu dans l'intérêt de celui-ci ou dans
celui de l'administration de l'établissement, prend évidemment
une décision de nature administrative. En outre, je ne crois pas
qu'il s'agisse d'une décision administrative donnant à la per-
sonne en question le droit d'être entendue. Le détenu a été privé
de sa liberté par suite d'un acte volontaire de sa part et il n'a
aucun droit à être entendu lors de la détermination de l'endroit
où il doit être incarcéré. Aucun droit fondamental n'est ici mis
en jeu qui aurait fait naître l'obligation d'agir conformément
aux principes de justice naturelle. Si un tel droit existait, la
personne condamnée aurait le droit de se faire entendre, au
moment où la peine est prononcée ou au moins avant l'incarcé-
ration, sur la détermination de l'endroit où elle doit purger sa
peine. Cette perspective permet de souligner que ladite décision,
de nature purement administrative, ne lèse aucun droit fonda-
mental ou civil. Il faut faire ressortir, en outre, que personne
n'a allégué que le ou les fonctionnaires auraient agi par préjugé
ou de façon capricieuse ou malhonnête.
Je ne dis pas qu'un détenu ne peut jamais être
en droit de contester, pour manque d'équité, une
décision de transfert prise à son égard. Certaines
circonstances pourraient faire naître un tel droit.
Je limite mon opinion à la question de préavis et
au droit à une quelconque audition.
Je pose maintenant une question semblable à la
précédente. Dans l'hypothèse où le détenu aurait le
droit d'être avisé et de se faire entendre, quelles
seraient, pour la Cour, les mesures pratiques de
redressement? Le demandeur a été renvoyé dans
un établissement à sécurité moindre. A mon avis,
le jugement déclaratoire qu'il requiert ne va lui
être d'aucune utilité. Quelques-unes des remarques
faites dans Merricks c. Nott-Bower (précitée)
seront ici de mise. Dans cette affaire, il s'agissait
d'agents de police qui, quelques années avant le
litige, avaient été transférés à d'autres postes. Ils
alléguèrent que lesdits transferts auraient été déci-
dés en guise de châtiment. Le règlement applicable
ne permettait pas des transferts pour ces motifs.
Lord Denning, Maître des rôles, s'est ainsi pro-
noncé à la page 721:
[TRADUCTION] Toute une série de jugements déclaratoires ont
été requis, aux fins de dire que le transfert a été fait sans tenir
compte des règlements et des principes de justice naturelle. On
se demande à quoi pourraient servir de tels jugements à ce
stade, six années et demie après le transfert? Quel effet favora
ble pourraient-ils produire? Les demandeurs ont purgé leur
peine dans ces divisions pendant toute cette période. On ne peut
les renvoyer à Peckham. Sur ce problème, on nous a cité un
certain nombre d'arrêts qui montrent à quel point a été élargi,
durant ces dernières années, le pouvoir de rendre des jugements
déclaratoires. S'il s'agit d'une question de fait, et non pas
seulement de théorie, et si la décision du tribunal peut donner
une indication pratique, le tribunal pourra rendre un tel juge-
ment suivant son pouvoir discrétionnaire.
Le lord juge Salmon s'est ainsi prononcé à la
page 724:
[TRADUCTION] La question suivante peut être posée: même au
cas où, conformément aux règlements, les droits des deman-
deurs auraient été violés, quel bien pourraient leur faire les
mesures de réparation qu'ils réclament? Profiteraient-ils de ces
jugements déclaratoires? Si un demandeur requiert une décla-
ration dans laquelle il n'a qu'un intérêt théorique, le tribunal ne
rendra pas le jugement demandé. Dans la présente affaire, et
sans me prononcer sur le fond du litige, il me paraît évidem-
ment soutenable que des jugements rendus pourraient induire
les autorités à examiner les chances d'avancement des deman-
deurs parce que certaines preuves tendent à montrer que lesdits
transferts, prétendument ordonnés comme mesures de punition,
auraient nui auxdites chances d'avancement, tant qu'il en res-
tait des traces au dossier.
En l'espèce, en supposant qu'il y ait eu violation
de droits, le jugement déclaratoire recherché ne
permettra d'atteindre aucun but utile ou pratique.
Pour les motifs ci-dessus énoncés, la réclamation
du demandeur sur ce point est rejetée.
c) Dommages ou perte de certains effets
personnels
Il convient peut-être de citer l'article 2.08 du
Règlement sur le service des pénitenciers:
2.08. Le chef de l'institution devra apporter un soin raison-
nable à s'assurer que les effets qu'un détenu est autorisé,
conformément aux directives, à introduire et garder dans l'insti-
tution, sont protégés contre la perte ou les dommages.
A mon avis, le demandeur n'a pas établi, par des
preuves prépondérantes, qu'aucun soin raisonnable
n'a été apporté à la garde du stylo et du jeu
d'échecs.
Il a été privé de son papier à dactylographier
pour peu de temps. Il ne m'a pas convaincu qu'il
aurait subi une perte financière ou des ennuis
justifiant des indemnités en sa faveur. La plainte
en dommages-intérêts, de caractère pénal ou nomi
nal, n'est pas fondée.
Reste la question des deux feuilles et de la règle
en aluminium. A mon avis, le personnel du péni-
tencier de Mountain était fondé à conclure que
lesdits articles étaient la propriété de l'établisse-
ment. Même après que des enquêtes aient montré
que la femme du demandeur avait apporté à ce
dernier des articles similaires, à Matsqui, . des
doutes subsistent, à mon avis, relativement à toute
l'affaire.
Le demandeur ne m'a pas convaincu,- par des
preuves prépondérantes, qu'il a été illégitimement
privé de ces articles particuliers.
Sa réclamation sur ce point est rejetée.
d) Le transfert du demandeur au pénitencier de
la Colombie-Britannique aurait été une «puni-
tion cruelle et extraordinaire»
Le demandeur se fonde sur l'arrêt McCann c. La
Reine 21 et plus spécialement sur la proposition-- du
juge Heald selon laquelle une punition ou un isole-
ment peuvent être décrits comme cruels et extraor-
dinaires s'il y a des solutions de rechange convena-
bles à l'isolement cellulaire. Le demandeur a
allégué qu'il aurait été plus convenable de l'en-
voyer au pénitencier de Matsqui pour y purger sa
peine d'isolement. Suivant le cours normal des
choses, après 10 jours, il aurait été renvoyé à
l'établissement de Mountain.
Je ne pense pas que ce chef de réclamation du
demandeur soit raisonnable. On n'a pas envoyé le
demandeur au pénitencier de la Colombie-Britan-
nique exclusivement pour purger sa peine d'isole-
ment. Cet effet était accessoire. Il y a été transféré
par suite d'une décision administrative fondée sur
sa conduite antérieure (dont l'infraction discipli-
naire) et par suite de l'avis de M. Mort et de M.
Byman qu'un transfert devait être immédiatement
effectué.
J'ai déjà traité de la prétendue légalité du trans-
fert même. En l'espèce, l'envoi du demandeur dans
un pénitencier à sécurité maximale offrant un
environnement moins désirable, moins de confort
et moins dé privilèges, ne constitue pas un châti-
ment à mettre dans la catégorie des «punitions
cruelles et extraordinaires».
L'argumentation du demandeur n'est pas, non
plus, renforcée par l'éclatement d'une émeute
21 [1976] 1 C.F. 570.
grave postérieure au transfert, durant son isole-
ment dans l'établissement à sécurité maximale. On
sait que des émeutes et révoltes surviennent sou-
vent dans les établissements, si fréquemment qu'on
n'y fait plus attention. Durant ces quelques derniè-
res années, le pénitencier de la Colombie-Britanni-
que en a été le théâtre. Il n'en résulte pas cepen-
dant que le transfert d'un détenu dans ledit
pénitencier constituerait une punition cruelle et
extraordinaire.
La demande d'un jugement sur ce chef est
rejetée.
e) Déduction de la paye pour transfert au crédit
du Fonds de bien-être des détenus et transfert
des intérêts gagnés sur des dépôts personnels
sans le consentement de l'intéressé
J'ai cité plus haut l'article 2.26 du Règlement
sur le service des pénitenciers permettant au com-
missaire d'autoriser, à sa discrétion, des taux de
paye. Le commissaire, dans sa directive n° 232, a
prescrit la déduction d'un jour de paye par mois
aux fins de dépôt au Fonds de bien-être des déte-
nus. Pour les motifs susmentionnés, j'ai conclu que
ladite directive n'a pas force de loi. Le commis-
saire a reçu des pouvoirs discrétionnaires pour
établir ou non des taux de paye. Il a choisi d'en
établir. S'il s'agit d'une simple décision adminis
trative, à mon avis, il n'en découlerait automati-
quement au profit du demandeur aucun droit légi-
time sur lequel celui-ci pourrait se fonder, devant
les tribunaux, pour avoir gain de cause contre la
défenderesse ou le commissaire, si sa paye autori-
sée n'a pas été versée à son crédit. S'il n'y a aucun
droit légitime à une paye, il n'y a pas non plus,
logiquement, de droit de s'opposer à la déduction
d'un jour de paye par mois au profit du Fonds de
bien-être des détenus. I1 s'ensuivrait donc que le
consentement de l'intéressé à ladite déduction n'est
pas requis.
En appliquant un raisonnement semblable, on ne
saurait admettre la revendication des $2.10 déduits
de l'allocation du demandeur, et employés, sans
motifs justifiables, pour compenser un excès de
dépense antérieure du Fonds de bien-être des
détenus.
Reste la matière du transfert, au Fonds de bien-
être des détenus, des intérêts bancaires possédés
par leur Fonds de fiducie. Ledit transfert a été
effectué conformément à l'instruction divisionnaire
n° 834 (pièce 22). Il est manifeste que ladite
instruction s'est inspirée de la directive n° 232 du
commissaire (pièce 20). Celle-ci dispose que le
Fonds de bien-être des détenus sera approvisionné
par des déductions sur la paye des détenus, des
bénéfices provenant de la cantine des détenus, des
intérêts et des dons.
Dans le Règlement sur le service des péniten-
ciers et dans les directives du commissaire produi-
tes comme preuves au cours du procès, je n'ai
trouvé aucune disposition autorisant le transfert au
Fonds de bien-être des détenus des intérêts gagnés
par les dépôts personnels des détenus dans leur
Fonds de fiducie 22 . Bien entendu, des consente-
ments individuels au transfert auraient permis que
lesdits intérêts soient ainsi utilisés. L'article 2.22
du Règlement est tout à fait clair à cet égard. I1 a
été «légalement» établi. L'argent personnel d'un
détenu est déposé à son crédit dans un compte de
fiducie. Cet article dispose explicitement qu'aucun
montant de l'argent versé au crédit d'un détenu ne
doit être décaissé sans le consentement écrit de
celui-ci. A mon avis, il faut inclure les intérêts
dans cet argent versé au crédit du détenu.
Faudrait-il rendre un jugement déclaratoire de
ce chef? Je comprends qu'un ordre de virement au
crédit du demandeur de toute partie des intérêts
bancaires auxquels il a droit et qui ont été versés
au Fonds de fiducie des détenus peut donner lieu à
une procédure comptable difficile et longue. D'au-
tres détenus requerront probablement le même
traitement. Je suis cependant convaincu que ladite
comptabilité pourra être effectuée. A mon avis, les
biens du demandeur ont été utilisés d'une manière
et à des fins auxquelles il n'a pas consenti. Mani-
festement il y a eu violation de droit. Dans de
telles circonstances, je ne pense pas qu'un tribunal
devrait se laisser influencer par les difficultés et les
dépenses possibles, à encourir par la défenderesse,
pour rectifier la matière.
Un jugement déclaratoire sera rendu et des ins
tructions émises en conséquence.
La présente action a connu un succès mitigé.
Les dépens ne seront donc pas adjugés aux parties.
22 En fait, le compte de paye des détenus et leur Fonds de
fiducie sont tenus dans le même compte bancaire. Dans ses
procédures comptables, le service pénitentiaire tient un compte
séparé, du solde correspondant à chacun des détenus au Fonds
de fiducie et à son compte de paye.
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