T-3440-76
La succession de George Farnsworth Phaneuf
représentée par Wallace A. Bradley (Demande-
resse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Thurlow—Ottawa, les 28, 29 novembre et
22 décembre 1977.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Legs donnant
aux employés d'une compagnie le droit d'acheter des actions à
leur valeur nominale — Au moment de l'achat, la juste valeur
marchande des actions était de $17.25 alors que la valeur
nominale était de $2 — L'acheteur est-il imposable pour
l'avantage par lui reçu au cours de son emploi, en vertu de
l'art. 6(1)a)? — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
c. 63, art. 5(1), 6(1)a).
Le demandeur Phaneuf a acheté des actions dans une compa-
gnie où il était employé, en vertu d'un legs fait par le principal
actionnaire de la Compagnie: ce legs donnait aux employés de
la Compagnie le droit d'acheter un certain nombre d'actions à
leur valeur nominale. Le conseil d'administration de la Compa-
gnie a révisé la liste des employés habilités à acheter des actions
et approuvé une formule de distribution fondée dans une cer-
taine mesure sur le service. Les acquisitions étaient faites sous
réserve de l'adhésion des actionnaires à un accord destiné à
garder aux employés le contrôle de la Compagnie. Les actions
de la demanderesse, achetées à la valeur nominale de $2,
avaient une juste valeur marchande de $17.25 au moment de
l'achat. Le litige consiste à déterminer si M. Phaneuf, décédé
depuis le commencement de l'appel, est assujetti à l'impôt sur le
revenu relativement à la valeur de l'avantage par lui reçu à
l'achat des actions.
Arrêt: l'appel est accueilli. L'avantage a été conféré à M.
Phaneuf à titre personnel plutôt qu'en sa qualité d'employé,
comme don personnel plutôt que comme rémunération, et le
bénéficiaire de ce don n'est pas imposable sur le revenu. Rien
dans le libellé du testament ne permet de considérer l'avantage
comme une récompense ou paiement de services rendus. Il
s'agit simplement d'une largesse envers les employés en tant
que personnes privées. Le conseil ne s'est pas servi de relations
entre employeur et employés comme base pour sanctionner et
approuver la distribution des droits, même si seuls les employés
pouvaient être désignés pour les acquérir. Ce n'est pas en raison
des services rendus à la Compagnie par les employés en tant
que tels que l'accord a été conclu, mais en raison de leur
participation. Alors que le plan de distribution était fondé dans
une certaine mesure sur le service, il s'agit simplement d'une
formule de référence pour la distribution, et cette formule, en
elle-même, ne peut pas donner le caractère de rétribution au
droit alloué aux employés en vertu dudit plan. Que les employés
de la Compagnie soient les seuls à pouvoir jouir de ce droit, ce
n'est là qu'une condition nécessaire. L'employeur n'a pas créé
ce droit, et ledit droit n'est pas un avantage auquel les employés
avaient droit en vertu de leur contrat de service, et, en vertu du
contrat, ils n'avaient à rendre aucun service à qui que ce soit
pour jouir de ce droit.
Arrêts suivis: Ransom c. Le ministre du Revenu national
[1968] 1 R.C.É. 293; Seymour c. Reed [1927] A.C. 554.
Arrêt examiné: Bridges c. Hewitt [1957] 2 All E.R. 281.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Robert C. McLaughlin pour la demanderesse.
C. T. A. MacNab pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Macdonald, Affleck, Ottawa, pour la deman-
deresse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Le prin
cipal point litigieux du présent appel consiste à
déterminer si feu George Farnsworth Phaneuf,
décédé le 23 octobre 1977, après l'introduction du
présent appel, était imposable sur le revenu relati-
vement à la valeur d'un avantage obtenu par l'ac-
quisition, vers le 5 juin 1973, de 152 actions de
Charles Ogilvy Limited à leur valeur nominale.
Dans l'affirmative, il faudra déterminer l'année
d'imposition et le montant de ladite valeur. Le
présent appel est probablement une cause type car,
quelque deux cent quarante personnes ont reçu, à
peu près en même temps, des avantages similaires
provenant de la même source et dans des condi
tions pareilles.
La détermination doit être faite sur la base d'un
énoncé convenu des faits, comportant huit pièces
admises d'un commun accord et de certaines dépo-
sitions orales faites par M. R. H. Hyndman, prési-
dent de Charles Ogilvy Limited. Voici le libellé de
l'énoncé convenu des faits, le demandeur y men-
tionné étant M. Phaneuf:
[TRADUCTION] 1. Le demandeur était, en tout temps pertinent,
employé de Charles Ogilvy Limited (ci-après appelée .la
Compagnie»).
2. Charles Ogilvy, fondateur et, à l'époque, principal action-
naire de la Compagnie, est décédé le 26 mars 1950.
3. Dans son testament en date du 14 mai 1947, M. Ogilvy a
donné l'ordre à ses exécuteurs de vendre 1,800 de ses actions
ordinaires aux employés de la Compagnie, dans un an à comp-
ter du jour de la mort du survivant de lui-même ou de sa
femme, à leur valeur nominale de $20 par action.
4. La veuve de feu M. Ogilvy est décédée le 10 novembre 1972.
5. Entre la date du testament de M. Ogilvy et le décès de Mme
Ogilvy, les actions ordinaires de la Compagnie ont été scindées
en dix chacune. En tenant compte des legs directs spécifiés dans
le testament de M. Ogilvy, il ne restait plus, pour la vente aux
employés, que 1713 (17,130) actions ordinaires alors que le
testament en stipule 1800 (18,000).
6. Le 27 avril 1973, la Cour suprême de l'Ontario a ordonné la
mise en vente des 17,130 actions aux employés, au prix de $2
l'action conformément au testament de M. Ogilvy.
7. Le 2 mai 1973, le conseil d'administration de la Compagnie
s'est réuni pour réviser la liste des employés pouvant acheter
des actions, car des décès et des démissions étaient survenus
parmi les employés depuis le 6 mars 1973, date de la réunion du
conseil où la première liste avait été établie.
8. Depuis 1964, une pratique a été établie que tout employé qui
achèterait des actions de la Compagnie devrait se conformer
aux dispositions d'un accord intervenu entre les actionnaires.
9. Le ler mars 1973, M. R. H. Hyndman, pour son propre
compte et celui de M. W. J. Tate, les deux agissant à titre de
mandataires, a versé la somme de $34,260 l'exécuteur de la
succession de M. Ogilvy, à titre de prix d'achat des 17,130
actions ordinaires, au prix de deux dollars ($2) par action.
Ladite somme de $34,260 avait été empruntée par les manda-
taires à leur banque.
10. Les 17,130 actions ordinaires de la Compagnie ont été
transférées par les exécuteurs de la succession de feu Charles
Ogilvy à MM. Hyndman et Tate à titre de mandataires.
11. Le 15 mai 1973, M. Hyndman a invité, par écrit, les
employés y ayant droit à acheter le nombre d'actions à eux
allouées.
12. Le 5 juin 1973, le demandeur a acheté 152 actions au prix
de $2 l'action et les a payées par un chèque établi à l'ordre de
MM. Hyndman et Tate.
13. A la date dudit achat, la valeur marchande équitable des
actions ordinaires de la Compagnie était de $17.25 l'action.
14. A la date du décès de M. Ogilvy, la valeur marchande
équitable des actions ordinaires de la Compagnie était de $30
l'action. Après son décès, les actions ordinaires étaient scindées
en cinq actions chacune.
15. Par avis de nouvelle cotisation en date du 20 mai 1975, le
ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation,
pour l'année d'imposition 1973, du demandeur, par l'addition, à
son revenu déclaré, d'un montant de $2,318, et a indiqué, dans
la formule T7W-C jointe, que le revenu avait été rajusté pour
inclure l'avantage imposable réalisé par l'acquisition de 152
actions ordinaires de la Compagnie précitées au prix de $2
l'action, alors que leur valeur véritable était de $17.25 l'action.
16. Vers le 7 août 1975, le demandeur a dûment notifié et
déposé un avis d'opposition à ladite cotisation.
17. Dans une communication en date du 11 juin 1976, le
ministre du Revenu national a confirmé ladite cotisation et a
expliqué que la somme de $2,318 était un avantage reçu par le
demandeur par le fait de sa charge ou de son emploi et
provenait de l'acquisition des actions de la Compagnie à un prix
moindre que leur valeur marchande équitable; que ledit mon-
tant avait été à bon droit inclus dans le calcul du revenu du
demandeur conformément aux dispositions de l'article 6(1)a)
de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Les parties et leurs avocats ont admis tous les faits ci-dessus
énoncés et y ont souscrit.
Feu M. Ogilvy n'a pas laissé d'enfants. Il était,
avec sa première femme, propriétaire de toutes les
actions de Charles Ogilvy Limited et, en 1940, il
en a donné environ 48 p. 100 (%) aux employés. Sa
femme est décédée en 1946. En 1950, lors de la
rédaction de son testament, M. Ogilvy envisageait
la possibilité d'un second mariage, et ceci a été
spécifié dans ledit acte. Ce dernier prévoit l'attri-
bution d'un certain nombre de legs spécifiques à
des individus et le versement à sa veuve durant la
vie de celle-ci du revenu provenant du reste de la
succession. Après le décès de la veuve, la demeure
privée du de cujus devait être transférée à Charles
Ogilvy Limited et gérée comme une maison de
repos et de convalescence pour les employés de la
Compagnie. M. Ogilvy désirait que celle-ci
demeure en activité pendant quinze ans après la
mort de sa veuve ou de lui-même, s'il était le
conjoint survivant, et il donnait à certaines nièces
et à certains neveux les dividendes provenant des
1800 actions de la Compagnie à réserver pendant
ladite période de quinze ans, ou jusqu'à l'achat
desdites actions par les employés conformément
aux dispositions du paragraphe 3 de l'énoncé con-
venu des faits, auquel cas le produit de la vente
serait versé auxdits nièces et neveux. Voici le
libellé de la clause concernant les employés:
[TRADUCTION] JE DONNE AUTORISATION ET ENJOINS à
mes susnommés exécuteurs et mandataires de conclure un
accord avec les employés de Charles Ogilvy Limited (le terme
«employé» doit inclure tout administrateur qui peut ne pas
figurer sur la feuille de paie habituelle de la Compagnie) au cas
où lesdits employés, avec la sanction et l'approbation des
administrateurs actuels de la Compagnie, désirent conclure un
tel accord, pour la vente auxdits employés de mille huit cents
(1800) actions réservées, conformément aux paragraphes précé-
dents, pour le bénéfice de mes neveux et nièces ci-dessus
nommés et des veuves de mes neveux décédés Gavan Russell et
James G. Ogilvy, et ce au prix de vingt dollars ($20) l'action,
soit à la valeur nominale; à condition qu'aucun employé de la
Compagnie ne puisse acheter lesdites actions ou une partie de
celles-ci sans la sanction et l'approbation du conseil d'adminis-
tration actuel de la Compagnie, et à condition qu'aucun
employé ne puisse acheter un nombre d'actions plus élevé que
celui fixé par le conseil d'administration. Ledit accord, outre
toute disposition que les employés peuvent établir entre eux,
doit contenir les modalités suivantes ....
Le testament prévoit- ensuite la création d'un
fonds où les employés verseraient leurs contribu
tions en vue de l'acquisition des actions, pendant la
période de quinze ans. Puis il continue ainsi qu'il
suit:
[TRADUCTION] LE privilège, conféré par les présentes auxdits
employés de Charles Ogilvy Limited, pour l'achat desdites mille
huit cents actions (1800), soit une partie de mon portefeuille du
capital-actions de la Compagnie, doit être exercé par eux, et
ledit accord doit être conclu, dans un an à compter du décès de
ma femme ou de moi-même si je lui survis, et si ledit privilège
n'est pas exercé ni l'accord conclu dans ledit délai, mes exécu-
teurs et mandataires peuvent alors révoquer ledit privilège et,
sous réserve des autres conditions et dispositions du présent
testament, ils peuvent disposer desdites actions de la manière
jugée la plus favorable à l'intérêt de la succession, comme si
ledit privilège n'avait pas été conféré auxdits employés de
Charles Ogilvy Limited.
JE désire que William Russell Burnett, avocat dans la ville
d'Ottawa, ci-après désigné comme l'un de mes exécuteurs et
mandataires, devienne, après ma mort et pendant ladite période
de quinze ans suivant le décès de ma femme, administrateur de
Charles Ogilvy Limited, s'occupe activement de ladite entre-
prise et qu'il soit en tout temps consulté relativement aux
affaires de celle-ci, afin d'y mettre en œuvre la politique de
traitement équitable du public et des employés que j'ai établie.
Le reste de la succession était donné à des
œuvres charitables.
Je vais examiner la pratique mentionnée au
paragraphe 8 de l'énoncé convenu des faits.
Un accord, conclu en 1964 entre les employés
actionnaires de la Compagnie et les mandataires
R. H. Hyndman et William J. Tate, prévoyait
l'évaluation des actions de la Compagnie au com
mencement de chaque année et exigeait que les
actionnaires signataires de l'accord qui désire-
raient disposer de leurs actions les vendent aux
mandataires au prix établi pour l'année en ques
tion. Les mandataires achèteraient les actions
audit prix et les revendraient au même prix aux
employés de la Compagnie. L'accord prévoyait un
système de points pour l'allocation aux employés
du droit d'achat desdites actions vendues par les
mandataires, système fondé sur leur temps de ser
vice et leurs salaires et gratifications, ainsi qu'une
indexation fondée sur leur ancienneté dans la
Compagnie. L'accord avait pour but de laisser le
contrôle de la Compagnie aux employés, et tout
employé achetant les actions à lui allouées confor-
mément à l'accord était tenu de souscrire à celui-ci
et d'en devenir partie.
Mandataires conformément audit accord, MM.
Hyndman et Tate n'étaient pas mandataires des
droits des employés en vertu du testament de M.
Ogilvy; dans l'exécution de la fonction conférée
par le testament, le conseil d'administration a
approuvé l'achat des 1713 actions vendues par
l'exécuteur à MM. Hyndman et Tate à titre de
mandataires, et les a réparties entre les employés
selon le système prévu dans l'accord, quant aux
points attribués par le temps de service, les salaires
et les gratifications. Le conseil a également réparti
les droits d'achat, sous réserve que les employés
souscrivent à l'accord et en deviennent parties en
ce qui concerne les actions ainsi achetées. Ainsi
qu'il a été dit dans l'énoncé convenu des faits, M.
Phaneuf avait le droit d'acheter 152 actions, ce
qu'il a fait et il a ainsi réalisé l'avantage faisant
l'objet du présent appel.
Voici le libellé des paragraphes 5(1) et 6(1) de
la Loi de l'impôt sur le revenu, dont les disposi
tions s'appliquent en la matière:
5. (1) Sous réserve de la présente Partie, le revenu d'un
contribuable, pour une année d'imposition, tiré d'une charge ou
d'un emploi est le traitement, salaire et autre rémunération, y
compris les gratifications, que ce contribuable a reçus dans
l'année.
6. (1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un
contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou
d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants:
a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages
de quelque nature que ce soit (sauf les avantages résultant
des contributions de son employeur à une caisse ou régime
enregistré de pension, un régime d'assurance collective contre
la maladie ou les accidents, un régime de service de santé
privé, un régime de prestations supplémentaires de chômage,
un régime de participation différée aux bénéfices ou une
police collective d'assurance temporaire sur la vie) qu'il a
reçus ou dont il a joui dans l'année au titre, dans l'occupation
ou en vertu de la charge ou de l'emploi;
Dans leurs plaidoiries, les parties ont insisté sur
un grand nombre d'aspects et de détails de la
matière et ont cité et discuté un grand nombre de
décisions jurisprudentielles, mais, dans les grandes
lignes et autant que je comprenne, la demande-
resse a allégué que, dans l'exercice par M. Phaneuf
de son privilège ou droit ou occasion d'acheter des
actions à si bas prix, l'avantage par lui réalisé était
un don ou legs fait à titre personnel dans le
testament de M. Ogilvy, alors que la défenderesse
a allégué que le droit était né en faveur de M.
Phaneuf en sa capacité d'employé et constituait
donc un avantage imposable en vertu de l'alinéa
6(1)a), à titre de revenu tiré d'un emploi.
Dans Ransom c. M.R.N. 1 , traitant d'un litige
survenu sous le régime des dispositions correspon-
dantes de la Loi de l'impôt sur le revenu en
vigueur avant 1972, le juge Noël (qui fut plus tard
juge en chef adjoint), après une référence à la
différence entre la règle 1 de l'annexe E de la loi
anglaise, à propos de laquelle il y a une jurispru
dence abondante, et les dispositions de la Loi de
l'impôt sur le revenu 2 , s'est ainsi exprimé à la page
307:
[TRADUCTION] Je vais examiner l'article 5(1)a) et b) de la
Loi, lequel, ainsi qu'il a été dit plus haut, a été rédigé selon une
formule évidemment plus large que celle employée par la
législation fiscale anglaise sur le fondement de laquelle les
contribuables ont été déclarés non imposables dans Hochstras-
ser c. Mayes et Jennings c. Kinder (supra). La législation
fiscale canadienne est rédigée en termes tellement larges que
dès l'abord, on voit qu'il est extrêmement difficile de glisser à
travers les mailles de ce filet ample et très serré.
Pour évaluer, cependant, de façon pertinente les intentions du
législateur, il est nécessaire de se rappeler, tout d'abord, que
l'article 5 de la Loi traite exclusivement de l'imposition du
revenu tel que celui-ci est identifié par ses relations avec une
certaine entité, à savoir une charge ou un emploi, et, pour être
imposable à titre de revenu provenant d'une charge ou d'un
emploi, l'argent reçu par un employé ne doit pas seulement
constituer un revenu distinct du capital, mais doit provenir de
sa charge ou de son emploi. Le vicomte Simonds à la page 705
et lord Radcliffe à la page 707 ont fait des commentaires
semblables, dans Hochstrasser c. Mayes, relativement à la
législation anglaise. En second lieu, la question de savoir si un
paiement provient d'une charge ou d'un emploi dépend de la
relation causale entre le paiement et la charge ou l'emploi en
question; en d'autres termes, il faut déterminer si les services
rendus dans l'emploi ont été réellement la cause du paiement.
Je devrais ajouter qu'il faut chercher la cause véritable du
paiement dans son origine juridique, laquelle, en l'espèce, est
l'accord résultant de l'offre, faite par l'employeur, d'indemniser
son employé pour la perte subie par celui-ci et l'acceptation de
l'offre par l'employé. La cause du paiement n'est pas dans les
services rendus, même si lesdits services ont occasionné ledit
paiement, mais plutôt dans le fait qu'à cause de la manière dont
les services doivent être rendus ou seront rendus, l'employé
subira ou devra subir une perte que d'autres employés payant
l'impôt n'auront pas à subir.
Je suis d'accord avec ce qui précède et, à mon
avis, cela s'applique également aux présentes dis
' [1968] 1 R.C.É. 293.
2 S.R.C. 1952, c. 148.
positions de la Loi de l'impôt sur le revenu modi-
fiée (1970-71-72) 3 . Il faudrait ajouter que l'objet
des alinéas b) à f) inclus du paragraphe 6(1)
ajoute un argument à l'opinion selon laquelle, pour
que le libellé très large de l'alinéa 6(1)a) actuel
s'applique, le montant en question doit être par sa
nature un revenu et non un capital, et doit provenir
d'une charge ou d'un emploi, au sens où les servi
ces rendus dans l'emploi doivent être la cause
véritable du paiement.
Il est difficile de déterminer, dans un cas donné,
si un paiement ou avantage provient d'un emploi
au sens applicable de ce terme. A ces fins, les
relations entre l'emploi et les services y rendus, et
le paiement ou avantage sont toujours importantes,
car elles font toujours partie de l'ensemble de
l'espèce. Mais, alors que dans certains cas on voit
aisément qu'elles sont la cause véritable du paie-
ment, ce qui permet d'affirmer que celui-ci pro-
vient de la charge ou de l'emploi, dans d'autres
cas, elles n'en sont que la condition nécessaire. Les
pourboires reçus par les serveurs, les bagagistes
d'hôtel ou les chauffeurs de taxi sont des exemples
de paiements se rapportant aux services rendus au
cours de l'emploi et se répétant au cours dudit
emploi, sans être des traitements ou salaires prove-
nant de l'emploi. On peut, cependant, considérer
aussi comme provenant de l'emploi, des dons non
répétitifs ayant une relation quelconque avec l'em-
ploi ou les services rendus et venant de l'employeur
ou de quelque autre personne, et ils posent des
questions plus délicates.
Dans Seymour c. Reed 4 , le vicomte Cave, lord
Chancelier, a ainsi formulé la question posée par
des cas de ce genre sous le régime de la loi
anglaise:
[TRADUCTION] La question consiste donc à déterminer si la
somme de 639 livres 16 shillings tombe dans la catégorie
décrite dans la règle 1 de l'annexe E concernant «les traite-
ments, honoraires, salaires, émoluments ou bénéfices de quelle
nature que ce soit et en provenant» (i.e. d'une charge ou d'un
emploi rémunéré) «pour l'année d'imposition», ce qui l'assujetti-
rait à l'impôt sur le revenu en vertu de ladite annexe. Ces
expressions et les expressions correspondantes employées dans
l'ancienne loi (les deux n'étaient pas différentes dans le fond)
ont fait l'objet d'interprétation judiciaire citée devant Vos
Seigneuries; je dois considérer comme une interprétation éta-
blie, que ces expressions englobent tous les paiements faits au
titulaire d'une charge ou d'un emploi en tant que tel, c'est-à-
3 S.C. 1970-71-72, c. 63.
[1927] A.C. 554, la page 559.
dire à titre de rémunération pour ses services, même en cas de
paiement volontaire, mais ces expressions ne visent pas le cas
d'un simple don ou présent (tel qu'un cadeau en témoignage
d'estime) offert sur une base personnelle et non comme rétribu-
tion de ses services. Suivant le juge Rowlatt, voici la question à
examiner: «En fin de compte, s'agit-il d'un cadeau personnel ou
d'une rémunération?» La rémunération est imposable; le
cadeau ne l'est pas.
La même distinction a été adoptée par la Cour
suprême dans Goldman c. M.R.N. 5 le problème
posé dans ledit jugement étant le libellé de la Loi
de l'impôt sur le revenu de guerre 6 (voir le juge
Kellock à la page 215 et le juge Rand à la page
219).
Malgré la différence de libellé des lois, le critère
formulé par le vicomte Cave, lord Chancelier
(supra) exprime, de la meilleure façon possible,
l'essentiel des dispositions fiscales de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Le paiement a-t-il été fait «à
titre de rémunération pour ses services» ou «sur
une base personnelle et non comme rétribution de
ses services»? On peut faire un versement à un
employé, mais celui-ci le reçoit-il à titre d'employé
ou comme simple particulier? On peut aussi se
demander s'il l'a reçu en sa qualité d'employé,
mais le critère est le même. Il ne le reçoit en sa
qualité d'employé que lorsqu'il s'agit de rémunéra-
tion pour des services rendus. Tel est bien, à mon
avis, le sens des expressions «au titre, dans l'occu-
pation ou en vertu de la charge ou de l'emploi»
utilisées dans l'alinéa 6(1)a).
Prenant tout d'abord en considération son ori-
gine, l'avantage en question provient d'un legs fait
par M. Ogilvy à tels employés, suivant telles
modalités et en telle quantité que sanctionnera et
approuvera le conseil d'administration. Dans sa
fonction de sanction et d'approbation, ce n'est pas
en tant que conseil d'administration de la Compa-
gnie que le conseil exerce son pouvoir mais seule-
ment en tant que corps désigné à cet effet par le
testament et en vertu de celui-ci, et, malgré la
sanction et l'approbation du conseil, le cadeau reçu
par M. Phaneuf reste un cadeau du testateur. En
outre, rien dans le libellé du testament ou dans son
ensemble ne permet, à mon avis, de considérer
l'avantage comme une récompense ou paiement de
services rendus. Au contraire, les dons faits par M.
5 [1953] 1 R.C.S. 211.
6 S.R.C. 1927, c. 97.
Ogilvy aux employés de la Compagnie en 1940 et
la teneur globale du testament me donnent l'im-
pression que la disposition en question est simple-
ment l'une de ses largesses envers ses employés en
tant que personnes privées et, en aucun sens, il ne
s'agit de leur rémunération pour des services
rendus en tant qu'employés. A cet égard, le lord
juge Jenkins, rendant son jugement dissident dans
Bridges c. Hewitt', s'est ainsi prononcé aux pages
291 et 292:
[TRADUCTION] Si, en réponse aux doléances des contribua-
bles, M. Frank Hornby avait, de son vivant, transféré à chacun
d'eux huit mille actions de la Compagnie, ces actions pour-
raient bien, dans toutes les circonstances de l'espèce, et selon les
principes établis par la doctrine et la jurisprudence auxquelles
je me suis référé, être à bon droit considérées comme données
par M. Frank Hornby et reçues par les contribuables comme un
cadeau fait en témoignage de leur longue et heureuse associa
tion d'affaire avec lui, et non comme une rétribution. Si M.
Frank Hornby avait, par testament, donné aux contribuables un
grand nombre d'actions de la compagnie, ainsi qu'il avait
promis de le faire, ces actions auraient été transférées aux
contribuables purement par un acte de générosité testamentaire
de la part de M. Frank Hornby et auraient été entièrement en
dehors du champ des rémunérations.
L'absence, en l'espèce, de toute disposition testa-
mentaire reliant le don à des services rendus ou à
rendre à la Compagnie, peut être comparée au cas
de l'acte dans Patrick c. Burrows 8 où l'objet à
atteindre dans la nomination a été exprimé dans
l'acte portant donation comme:
[TRADUCTION] l'intention de garder ces actions disponibles
pour répartition entre ceux des employés de la compagnie
auxquels les administrateurs peuvent, de temps en temps,
juger convenable de donner ou d'augmenter un droit comme
actionnaires de la compagnie en considération de services
passés ou futurs, et dans le but de stimuler la prospérité de
ladite compagnie.
Ainsi il n'y avait rien dans le testament qui per-
mette l'avantage comme une rétribution pour des
services rendus.
En outre, il aurait été loisible au conseil d'admi-
nistration, dans l'exercice du pouvoir à lui conféré
par le testament, d'accorder sa sanction et son
approbation pour certains des employés ou tous, à
des conditions qui auraient fait de l'avantage une
rétribution pour services rendus ou à rendre à la
Compagnie; mais le conseil ne l'a pas fait. Il me
paraît évident que le conseil ne s'est pas servi des
' [1957] 2 All E.R. 281.
8 (1954) 35 T.C. 138, la page 142.
relations entre employeur et employés comme base
pour sanctionner et approuver la distribution des
droits, même si seuls les employés pouvaient être
désignés pour les acquérir, mais qu'il s'est appuyé
sur un accord conclu entre les actionnaires, accord
auquel la Compagnie n'était pas partie. Ce n'est
pas en raison des services rendus à la Compagnie
par les employés en tant que tels que l'accord a été
conclu, mais en raison de leur participation et dans
le but d'assurer le contrôle continu de la Compa-
gnie par ses employés. C'est ce qui a déterminé le
conseil pour la distribution des actions, et non pas
la récompense de services rendus à la Compagnie.
Le conseil a agi comme s'il avait dit: [TRADUC-
TION] «Nous approuvons l'allocation du droit à des
personnes qui sont parties à l'accord ou qui, dans
des dispositions semblables, peuvent en devenir
parties, pourvu qu'il s'agisse des actions à acqué-
rir». En outre, alors que le plan de distribution
était fondé, dans une certaine mesure, sur le ser
vice, puisque l'accord tient compte des années de
service et des salaires et gratifications gagnés, je
pense qu'en l'espèce il s'agit d'une formule de
référence pour la distribution, et que cette formule,
en elle-même, ne peut pas donner le caractère de
rétribution au droit alloué aux employés choisis
dans son cadre (voir The Glenboig Union Fireclay
Co., Ltd. c. The Commissioners of Inland Reve
nue 9 et La Reine c. Atkins 10 ). De plus, alors que le
conseil pourrait avoir espéré ou même cru que les
employés recevant le droit d'acheter des actions
seraient par là encouragés à garder leur emploi
dans la Compagnie, il n'en a jamais fait une
exigence.
Enfin, du point de vue des employés, ceux-ci
n'avaient pas le droit, en vertu de leur contrat
d'emploi, d'acheter des actions à leur valeur nomi-
nale, et ils n'avaient à rendre aucun service, en
vertu du contrat, à l'employeur ou à quelqu'un
d'autre, pour jouir de ce droit. Et l'employeur
n'était pas non plus la source de ce droit. La
défenderesse ne peut citer qu'un seul fait à l'appui
de ses allégations, à savoir que les employés de
Charles Ogilvy Limited sont les seuls à pouvoir
jouir de ce droit; mais, à mon avis, ceci n'est
qu'une condition nécessaire. C'est une circonstance
9 (1922) 12 T.C. 427.
10 [1976] C.T.C. 497, 76 DTC 6258.
spéciale de l'espèce, et elle tend à augmenter la
confusion plutôt qu'à résoudre le problème.
Comme le testament a limité la disposition aux
seuls employés, personne ne peut profiter de cette
donation ou rétribution à moins d'être un employé.
Comparer Bridges c. Hewitt (supra) où le lord
juge Morris s'est ainsi exprimé à la page 297:
[TRADUCTION] Mais la question se pose de savoir s'il les a
reçues comme une rétribution ou comme un cadeau personnel.
En un sens, M. Bearsley a reçu les actions en raison de sa
charge. Sans cette charge, il ne les aurait pas reçues. Mais ceci
montre seulement qu'il n'aurait pas reçu les actions (à titre de
rétribution ou de donation) s'il n'avait pas prêté service pendant
plusieurs années à la compagnie, jusqu'au 30 décembre 1949.
Je dois ajouter ici que rien dans Laidler c.
Perry" ne me ferait changer d'avis en l'espèce
puisque, dans ledit jugement, l'employeur donnait
aux employés, à l'occasion de Noël, des certificats
de £10 chacun et la question essentiellement con-
sistait à déterminer si, dans ce cas particulier, les
conclusions des commissaires voulant que lesdits
certificats fussent distribués pour service rendu et
non à titre de cadeaux, étaient justifiables en droit.
En outre, mon point de vue est appuyé par celui
exprimé par le lord juge Morris, qui s'est ainsi
prononcé dans Bridges c. Hewitt (supra) à la page
299:
[TRADUCTION] Lorsqu'un paiement, et en particulier un
paiement non périodique, est fait par une personne autre qu'un
employeur, il n'a, probablement, le caractère d'une rémunéra-
tion que dans les cas où il est raisonnable que la rémunération
provienne d'une autre source que l'employeur.
Tout bien considéré, je suis d'avis que l'avantage
faisant l'objet du litige a été conféré à M. Phaneuf
à titre personnel plutôt qu'en sa qualité d'employé,
comme don personnel plutôt que comme rémuné-
ration, et que le bénéficiaire de ce don n'est pas
imposable sur le revenu.
Tenant compte de cette conclusion, il n'est pas
nécessaire d'énoncer ou d'examiner les autres
points litigieux énumérés au début des présents
motifs.
A un certain stade de sa plaidoirie, l'avocat de la
défenderesse a cherché à justifier la cotisation
établie en vertu du paragraphe 7(6) de la Loi,
11 [1966] A.C. 16.
mais, à mon avis, cette disposition n'est pas appli
cable en l'espèce, et l'argument n'a pas été poussé
plus loin.
En conséquence, l'appel réussit et est accueilli
avec dépens. La nouvelle cotisation est renvoyée au
Ministre qui établira une nouvelle cotisation en
tenant compte du fait que M. Phaneuf n'était pas
imposable sur le revenu relativement à l'avantage
en question.
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